-
Le parachute, et autres nouvelles aéronautiques
.
SOMMAIRE
.
Le parachute (éloge de la morale sociétale contemporaine)
Une vie de frustration (pour ceux qui pensent qu’on n’est jamais allé sur la lune)
In memoriam : Robert S. McNamara (au bon vieux temps du Viet-nam)
Le Mosquito (évasion inhabituelle hors de le France occupée)
Avionnette type Pander G
Vol de nuit (attaque onirique sur Berlin)
Essai d’art héraldique aéronautique
Un point d’histoire un peu romancé (des conséquences aériennes des traités de 1919)
Pour trois litres ! (hommage aux militaires de tous les pays)
Critique de livres d’aviation
Courrier à la rédaction du Fana de l’Aviation
Entre gens de bonne compagnie (ode à la visite médicale des pilotes)
Place ! Place au marquis de Carabas !
Miscellanées aéronautiques
.
LE PARACHUTE
Le DC-3 roulait lentement au gré des turbulences, se frayant bruyamment à deux mille mètres un chemin sur la Floride ensoleillée. Les habitués de ce genre d’appareil somnolaient, montrant ainsi qu’ils eussent également pu le faire dans un champ de marteaux-piqueurs. Les autres passagers se juraient de faire la prochaine fois les frais d’un billet sur une vraie compagnie. Les ondulations douces du bout de l’aile peint en rose saumon sur le fond des nuages témoignaient seules du mouvement de l’avion. Il fallait depuis cette altitude observer assez longuement le sol pour déceler à notre modeste allure le défilement du paysage. Le pirate avait alors jailli dans le poste de pilotage, tuant sans préavis le copilote pour prouver qu’il ne plaisantait pas. Il avait malheureusement perdu la tête et abattu juste après l’autre membre d’équipage, après quoi il s’était donné la mort pour ne pas voir la suite. Il n’avait pas révélé un traître mot de ses exigences.
Cet assassinat était d’autant plus regrettable que le détournement avait bien commencé. Habitués par vingt années de faits semblables à la télévision, mentalement entraînés par les psychologues de service et l’enseignement médiatique du comportement à tenir en pareil cas, les vingt-cinq passagers résignés mais peu inquiets s’étaient au premier coup de feu calés dans leurs fauteuils pour attendre patiemment la suite des événements. Comme d’habitude, le pirate se ferait pincer au terme d’un périple à rallonge. Les femmes et les enfants retrouveraient la liberté les uns après les autres au fil des aéroports successifs. Nous referions de l’essence un peu partout, à Miami, à la Nouvelle Orléans, à la Havane peut-être. A l’heure des repas, le pirate exigerait des autorités aéroportuaires des plateaux-repas et des bouteilles d’eau – de jus de fruit pour les enfants, sous peine d’avoir le lendemain une presse détestable. D’habiles psychiatres experts en manipulations exigeraient que les assiettes soient retournées lavées, puisque c’est ainsi qu’on habitue tout doucement les détourneurs à obéir, sans qu’ils songent à se tordre de rire. La douceur du mois d’octobre nous aurait épargné le calvaire des longues attentes sur les tarmacs brûlés de soleil. Quel meilleur souvenir à conter demain ?
L’inquiétude n’était donc pas totalement présente au fond des coeurs avant le second meurtre, quoiqu’il n’eût pas été décent de ne pas afficher une anxiété de bon aloi. C’est à croire que de tels événements sont dûment programmés pour donner aux citoyens d’intenses moments de vie, pour les détourner de la rébellion contre la société cocoonante. Hélas ! C’était bel et bien en l’air que les deux pilotes venaient de rendre l’âme. Vingt-six personnes encore vivantes à bord et pas la moindre compétence aéronautique, pas seulement un pilote du dimanche ! Le steward ne savait qu’une chose : le pilote automatique venait d’être enclenché peu avant la tragédie. L’atterrissage était prévu normalement une heure plus tard ; l’agonie menaçait d’être longue. Un passager un peu technicien avait tenté le déchiffrage des cadrans placés devant les trois cadavres, pour annoncer qu’il restait deux cents gallons d’essence dans les réservoirs ; mais nul n’aurait su dire en combien de temps les deux puissants moteurs boiraient deux cents gallons.
Or ces faits ne me concernaient pas personnellement. Par hasard, je rentrais d’un meeting de parachutisme auquel je m’étais produit à l’autre bout de l’état. Je revenais avec mon Para Commander dans mon sac de voyage. Le sortir, l’enfiler, ouvrir la porte d’un avion sans pressurisation comme celui-ci, sauter malgré la vitesse un peu forte, voilà ce que j’avais fait déjà trois cent douze fois en six années de loisir parachutiste. Ce saut ne serait pas différent des précédents : même éblouissement soudain du soleil des hauteurs dans l’embrasure de la porte, même goulée de ciel bleu dans les mêmes cabrioles sans contrôle au départ de la chute, même demi-minute d’enivrante plongée dans un air que l’écoulement des secondes en accélération rend demi-solide. Enfin, même claquement sonore de la voile ouverte après, pourquoi pas, un salto ou deux vers quinze cents mètres.
Tout le problème était de savoir si les autres passagers consentiraient à me laisser quitter le bord sans tenter de s’emparer de la voilure salvatrice. C’est en de telles circonstances que le visage véritable des femmes et des hommes se démasque. Certains sauraient demeurer dignes, sans chercher à me prendre un parachute qui ne leur appartenait pas. Mais pour ceux-là, combien de rictus féroces et de vaines jalousies ? Venir à bout d’un exalté ou deux ne serait rien, sans doute. La lèpre humaine se disperse à grands coups de bottes, et je portais justement d’excellentes bottes de saut. Mais si vingt malheureux venaient à se jeter sur moi au risque de déséquilibrer l’appareil ?
Il ne me restait qu’à réfléchir aux moyens. Jugeant disposer d’encore au moins deux heures, je conservai la calme certitude de trouver. Je posai en attendant un regard de compassion sur mes vingt-cinq compagnons d’infortune, ces êtres pour moi déjà immatériels, aux âmes déjà presque visibles au travers de corps déjà diaphanes, déjà en cours d’évaporation. Si je ne pouvais certes rien pour eux, il me semblait au moins de mon devoir de songer le temps d’une émotion à leur destinée, de communier un instant à leur envolée prochaine vers le fruit de leurs actions. Il me fallait avant de quitter en sûreté l’avion, éprouver silencieusement avec eux un moment de partage moral sans lequel je craindrais de ne plus couler ensuite en monstre froid que des jours de brute.
Bien sûr, je pourrais rester. Et alors ? En quoi mon sacrifice très noble sauverait-il un être de plus ? Donner sa vie est très beau, mais strictement facultatif. Les gens sont toujours scandalisés par les situations de mal sans issue. Il faudrait pour complaire aux moralistes de salon que la nature fût intrinsèquement bonne et ne voulût que le bien, alors qu’elle gère avec indifférence des équilibres cyniques. Les belles âmes réfutent opiniâtrement l’origine aléatoire du mal. Qu’elles aillent au diable !
Ce dernier mot me fit songer aux damnés dont le sort serait scellé d’ici deux à trois heures. Ce quinquagénaire cravaté et enflé, exploiteur manifeste ? Cette jeune femme trop belle, briseuse probable de ménages ? Ce (ici, une profession lucrative dont le syndicat nous menace de papier bleu si nous la citons) en voyage de noces avec une copine de sa fille ? Plus le pirate, naturellement. Lynché par les passagers, par exemple, il lui serait resté une chance de pardon céleste qu’il venait de compromettre irrémédiablement en disposant de sa vie. Je désignai à l’inverse pour le royaume des cieux les élus vraisemblables : cet homme au front haut, au regard si profondément empreint d’humanisme ; cette vieille équarrie par les ans ; cette enfant blonde et jolie pleurant dans les bras maternels, si blonde et si jolie que c’était peut-être bien sa chance d’échapper à la damnation, justement, que de partir sans attendre.
Plus les pilotes, naturellement. Un pilote même mécréant est un enfant de Dieu qu’une foi inconsciente attire vers l’azur baigné de la présence de son Créateur. Chacun de ses envols est une prière, chacun de ses atterrissages un retour à cette vallée de larmes qu’il ne lui est pas encore donné de quitter. J’ai lu tout cela dans un best-seller qui tirait à trois millions l’an dernier.
J’en revenais toujours malgré moi à la pauvre enfant dont les pleurs sans fin qui auraient pu m’agacer, me bouleversaient pourtant. Et un fol espoir soudain s’empara de moi ! J’avais trouvé! Je savais comment sortir de l’appareil au vu et su de tous ! J’endosserais le parachute ; j’ordonnerais qu’on cherchât des cordes, des sangles, tout ce qui permettrait de lier à moi la frêle passagère ! Je la sauverais ! Qui oserait réclamer sa place ? Sauver un seul enfant ! des vingt-quatre adultes dûment imbibés de poncifs médiatico-moraux ne pourrait s’élever la moindre critique, quand bien même elle prouverait la possibilité de sauver les vingt-quatre adultes au prix de la vie du seul enfant. Voulez-vous semer le doute et le trouble dans une réunion de grandes personnes ? Posez un problème dont la facilité n’apparaît qu’aux irréfléchis : un car de touristes français ne peut éviter un chien errant qu’en allant au fossé moyennant une blessure légère – disons un bras cassé – à chaque voyageur. Que doit faire le chauffeur ?
La question de la valeur du car, dix années de salaire moyen, est d’abord écartée pour sordide en regard des droits du vivant. Restent les êtres de chair : un chien, des grenouilles… Pour moi qui me suis brisé un jour un membre et ne recommencerais pas pour le salut de toutes les vaches de l’Inde, le dilemme est bientôt tranché. Il ne l’est pas moins pour tous les autres : l’animal innocent et conçu sans péché ne saurait souffrir, ni payer pour des individus responsables en général, de la construction d’un car et des accidents de la route en particulier.
Remplacez ensuite le car de touristes par une navette scolaire : l’affaire se corsera, au grand dam des belles âmes.
Il demeurait quelques inconnues. Si par extraordinaire un passager se levait en brandissant une licence d’instructeur parachutiste ? Clamant qu’il offrait à l’enfant de bien meilleures chances de salut qu’un simple pratiquant ?
La réponse sans doute ne serait pas difficile : monsieur ! Vous êtes déjà monté des milliers de fois en avion sans jamais apprendre à piloter ? Alors qu’un pilote en cet instant nous sauverait tous ?A coup sûr l’homme se rassiérait, penaud. Je ne manquerais pas d’ajouter insinueusement :
– D’évidence, la vie de cet enfant valait moins cher pour vous que les leçons de pilotage. Si nous en sommes là, c’est bien à cause de vous.
Quant aux autres… mais quels autres ?Un coup d’oeil dans la carlingue avait bien de quoi refroidir : personne ! Je veux dire : aucun de ces caractères indispensables dans tout avion en perdition sur la pellicule ou dans les pages d’un roman. Pas de révérend. Pas de fiancée partie rejoindre l’homme du début de sa vie et se lamentant pour lui. Pas de riche homme d’affaires parlant de traîner la compagnie en justice. Pas d’immigré d’Europe du Sud court et moustachu, en chapeau mou et costume rayé, implorant bruyamment toutes les madones. Pas de pauvre ménage tchécoslovaque saigné aux huit veines pour payer son passage vers l’eldorado californien ; pas de jeune sénateur play-boy trahissant brusquement devant l’épreuve la vacuité d’une âme dévorée d’ambitions soudain brisées. Pas de docteur-de-la-vieille-école-en-service-commandé-vingt-quatre-heures-sur-vingt-quatre, s’affairant au milieu des effondrés, distribuant des remontants tirés de la vieille sacoche de cuir élimé de ses débuts, et prenant Dieu sait pourquoi des tensions bien inutiles ; pas de femme sur le point d’accoucher, non plus qu’à son chevet d’homme fruste et rustre cachant mal ses larmes en ordonnant qu’on fît chauffer de l’eau et préparer de la charpie : on n’était pas non plus dans un western. Pas d’acteur comique sortant de son incognito pour dérider les passagers. Pas d’incurable montrant l’exemple du détachement, pas de prosélyte déclamant des versets sur la châtiment, pas de militant d’une sexualité différente, pas même un couple en ultime câlin dans un coin, rien !… l’enfer du romancier.
Toujours est-il que je me retrouvai quelques minutes après suspendu sous ma voilure familière, l’enfant blonde et terrifiée tenue contre moi de savants tours de corde effectués par un ancien boy-scout. Pas de militante féministe pour avoir exigé l’interposition d’un coussin entre nous deux. Fin du fin, le disciple de Baden-Powell avait attiré mon attention sur le détail qui fait la différence : un nœud sur lequel il me suffirait de tirer une fois au sol pour nous séparer instantanément en cas de danger. On n’est pas plus consciencieux. Je n’aurais ensuite qu’à prévenir les autorités de l’imminence d’un crash de DC-3.
C’est alors que les véritables ennuis commencèrent. Au-dessous de nous s’étendait malheureusement le désastre ; non pas un zoo rempli de lions et d’ours, comme dans ce film stupide qui a certainement sonné le glas de ses acteurs, tant l’histoire était sotte (1), mais bien le lac Okeechobee caché par les nuages au moment du saut. Or le malheur voulait que je ne susse pas nager. La fillette soucieuse me criait qu’elle non plus. Il peut sembler incroyable qu’un sportif de mon niveau ignore la natation, mais la presse rapporte bel et bien quelquefois la mort accidentelle d’un sauteur pour cette raison. Rien à faire ! Un vent de dos violent me poussait bien vers le quai d’un petit port de plaisance, mais il était désert, l’eau profonde, et mon coup d’œil entraîné à l’atterrissage de précision ne me trompait pas : il manquerait vingt brasses peut-être tout au plus, mais je n’en tomberais pas moins à l’eau. Deux morts seraient à déplorer.
Cinq cents pieds de hauteur encore et trente secondes à vivre. Il aurait pourtant suffi que je trouvasse le moyen de réduire si peu que ce fût ma vitesse verticale pour profiter de la poussée du vent deux ou trois secondes de plus ; mais le quai de plus en plus proche et de plus en plus éloigné à la fois me narguait inutilement.
Je me donnai une solide entorse en heurtant le bord du quai à quarante milles à l’heure pour m’étaler sur le ciment, mais enfin le nœud du boy-scout avait fonctionné sans faillir. Tout là-haut, visible par un trou dans les nuages, un petit point emportait une maman qui contre toute morale vivrait plus longtemps que sa fille.
.
(1) La Grande Vadrouille : poursuivis par des terroristes anglais parachutés sur Paris, un chef d’orchestre et un peintre en bâtiment traqués jusqu’en Bourgogne refusent continuellement le secours des gendarmes allemands.
De nombreux lecteurs ont réclamé une fin plus heureuse :
La petite fille s’en est sortie en tombant dans l’eau. Vous me direz que frapper l’eau d’une hauteur de cinq cents pieds emporte presque la même certitude de mort que tomber sur la terre ferme. Oui, mais c’était l’eau de la piscine sur le pont d’un luxueux voilier amarré dans le petit port. Vous me direz que c’est encore le même genre d’eau ; mais voilà, comme c’étaient des gens très riches, l’eau était recouverte d’une couche de mousse rose Obao sur une très forte épaisseur, et c’est ce qui a amorti le choc. Le propriétaire du voilier n’avait malheureusement pas d’enfant. Bouleversé par le récit de la petite fille, il en fit son héritière et son adoptière. Pendant ce temps le DC-3 soumis à de fortes turbulences se retrouvait sur un cap différent, et revenait par hasard survoler le petit port. La maman de la petite fille dans l’embrasure de la porte de l’avion cherchait à apercevoir son enfant, mais un retour de la turbulence la fit éjecter. Elle tomba dans la piscine, etc. Le propriétaire du bateau n’avait malheureusement pas de femme de ménage, et embaucha la maman pour qu’elle ne soit pas séparée de sa fille. Premier boulot : laver le pont de teck vernis éclaboussé par la mousse. Le propriétaire vécut très heureux, car il n’eut jamais d’autre enfant.
Vous irez encore dire après ça que les riches n’ont pas le sens social.
Le commentaire le plus judicieux fut celui de ce lecteur jugeant « la chute excellente ».
UNE VIE DE FRUSTRATION
Ce soir de 2027 sera mon dernier. Il me reste au plus quelques heures de conscience, et j’ai demandé qu’on tire mon lit vers la fenêtre ouverte sur les montagnes du Nevada. Sous mes yeux à six mille pieds d’altitude s’étend la baie de Coolapeake, tout au sud du lac Tahoe ; je suis ici plus haut que ne m’avait porté ma première leçon de pilotage. Je tiens serré dans ma main le morceau de rocher qui m’a valu autant de malheurs que de joies extatiques.
Les informations télévisées me rattachent encore au monde des vivants, car avec un peu de chance un second astre sera foulé par l’homme avant que je m’éteigne. C’est moi qui ai imprimé les premières empreintes de pas sur la lune ; mais je ne suis ni l’homonyme d’un joueur de jazz, ni celui d’un coureur cycliste. Sans cesse reportée depuis soixante ans, l’actuelle sortie en cours vers Mars s’est enfin posée. L’ordre de sortie des astronautes est attendu pour le prochaines heures. Avec l’inéluctable délai des transmissions, puisque Mars est actuellement distant de plus de cent millions de kilomètres, je verrai peut-être les images du premier homme posant le pied sur ce nouveau monde.
Enfin, j’ai voulu dire : de la première femme. Sans doute les femmes que comptent les équipes d’ingénieurs et d’astronautes n’en sont-elles plus ordinairement au degré obsessionnel des féministes du siècle dernier. Aussi ne venait pas d’elles l’espèce d’obligation morale universellement reconnue d’avoir à laisser l’honneur du débarquement à une femme, signifiée à l’humanité par quelques unes des dernières fanatiques, dont plusieurs à des postes où leur autorité n’excluait pas toujours une incompétence valant sans discussion celle de leurs homologues masculins. N’était-ce pas là le critérium absolu de l’égalité professionnelle ? (1)
Le soupçon d’incompétence ne pesait assurément pas sur l’astronaute prête à sortir de son vaisseau, le docteur Maria Ibanez, trente-deux ans, diplômée du MoonTech et mariée au cours du vol avec son vieux flirt le colonel John Durand, trente-sept ans, par le révérend Lammonay (demeuré dans sa paroisse baptiste de Coeur d’Alene, Idaho) officiant par télévision. Les mariés avaient alors seulement été autorisés à faire cellule commune, ce à quoi avaient particulièrement veillé les ligues de vertu influentes au Congrès. Le supplément de masse imposé au vaisseau lui-même par les aménagements préconjugaux était modique, mais se répercutait du fait des lois physiques exponentielles toujours en vigueur, par deux cents tonnes et un demi-billion de dollars sur la masse au décollage et le prix de la mission. L’échange des consentements par le truchement d’ondes à la célérité immuablement limitée avait entre les « John, Maria, voulez-vous prendre… » et les « oui » laissé les jeunes époux libres de régler chaque fois entre deux, mille détails techniques à bord. Demain peut-être, Maria promènerait sur le sol couvert d’oxyde ferrique ses dix-sept printemps aréens.
Moi, demain, je serai incinéré et mes cendres dispersées. Mon corps ne sera pas embaumé comme on sait le faire aujourd’hui, assis dans mon cadre habituel, l’oeil vif et la joue tendre garantis cinquante ans. Mon image ne sera pas numérisée sur un petaoctet en seize millions sept cent soixante-dix-sept mille deux cent seize couleurs, restituable à volonté sous la forme d’un hologramme animé à la lumière ambiante. Ma famille ne recevra donc pas la visite des croque-morts, qui viennent avec un échantillon de leur savoir faire, in French in the text : le buste virtuel du défunt flottant en l’air devant les proches émus ; l’entrepreneur des pompes funèbres emporte alors généralement l’affaire « corps entier ». Mes familiers ne continueront pas à voir mon spectre aller et venir chez moi, pas plus que tenir conversation pour trois mille mondos de supplément.
Je m’appelle Daniel Jackson et suis né le 3 juillet 1937 à Scanton, Pennsylvanie. J’avais quatre ans lorsque je découvris un jour de décembre mes parents effondrés par la peur : des monstres qui ne croyaient pas en Dieu avaient anéanti par-delà les mers un coin d’Amérique. Je me jetai dans les bras de ma mère, persuadé que les monstres devaient être au coin de la rue, derrière le terrain vague marquant la limite de mes horizons enfantins. Quatre ans plus tard mon équipe de base-ball du quartier les Coltshooters affrontait amicalement sans arme blanche les Lemonface de la rue parallèle, lorsqu’une incroyable nouvelle interrompit la partie sans nous laisser d’autre envie que celle de discuter interminablement du terme de la guerre. Deux prunes que l’Amérique de Toujours lui avait envoyées venaient de mettre Hiro-Hito K.O. (2)
Dix ans plus tard je joignais l’Air Force. Des années durant, je fis des pieds et des mains pour multiplier les mutations afin de tâter à tous les chasseurs à réaction possibles. Je ne connus qu’un échec : il me fut impossible de tenir le manche d’un Voodoo dont le nom seul me faisait rêver. On m’acceptait en 1962 dans le corps des astronautes.
*
On se rappelle le ridicule retour de la première mission Apollo officiellement posée sur la lune : un wagon de quarantaine prévu sur le portavion Hornet, une grue pour hisser la capsule de l’océan, un sas étanche pour passer de la capsule au wagon, la paranoïa microbiologique ! Et tout cela…
Tout cela pour voir les héros ballottés par les vagues se plaindre du mal de mer, et un homme-grenouille ouvrir l’écoutille pour leur donner de l’air – en passant, il est vrai, un chiffon imprégné d’antiseptique sur le pourtour de la porte ! Tous les virus lunaires dispersés dans l’atmosphère du pacifique ! Les responsables étaient-ils fous ?
Ils ne l’étaient pas, même s’ils auraient dû montrer en public un peu plus de feinte conviction. Ils connaissaient parfaitement la stérilité du sol lunaire, et cela grâce à moi.
*
Notre pacifique péniche de débarquement lunaire venait de se séparer de la cabine-mère orbitant bien rond au-dessus du sol figé depuis des éons. Des éons ! Je m’étais pourtant défendu la pompe verbeuse des grands mots. Bref, le moment vint de freiner un peu l’engin pour le faire tomber sur une orbite qui frôlerait la lune à quinze kilomètres. Notre mission n’était pas l’atterrissage, mais seulement la répétition générale de toutes les manœuvres qui le précèdent. Nous remonterions ensuite sur notre lancée jusqu’à l’altitude de la capsule Apollo. Les quatre pieds devant, le moteur de descente fut enclenché. La diméthylhydrazine asymétrique et le peroxyde d’azote se précipitèrent dans la chambre de combustion au rythme de trois livres à la seconde pour fournir quatre cent cinquante kilos de poussée, le dixième de la puissance maximale. Cela dura quinze secondes, suivies de treize autres à quarante pour cent de la poussée. Nous perdîmes de la sorte une quarantaine de nœuds ; la trajectoire s’incurva vers le sol. Une heure après nous passions au plus bas à quinze mille mètres et commencions doucement à regagner sur notre lancée l’altitude initiale ; de retour à soixante-dix milles, après avoir fait un tête-à-queue nous remîmes le moteur en route à l’inverse de tout à l’heure, afin de reprendre nos quarante nœuds et ne plus redescendre.
Voilà pour la théorie. Le moteur venait certes de s’allumer pour descendre ; le sol de la lune s’étirait sous mes yeux et ceux impassibles de Jack. Comment vous décrire la vue au travers des hublots en triangle d’Apollo « X » (l’éditeur a préféré censurer le numéro exact) ? Je ne suis pas bon poète ; alors allons-y pour le style cliché : un spectacle dantesque de blanches parois déchiquetées sautait à mon visage. Jack se tendit quand s’alluma la lampe témoin de l’imminence de la coupure de la tuyère. Je me tournai brusquement vers lui.
Il vit mon regard perçant, qu’il ne comprit pas ; mais lorsque mes yeux exaltés allèrent et vinrent de son visage au spectacle sous-jacent, lorsque sans émettre le moindre son qu’eût entendu la Terre, je me risquai à désigner d’un geste brusque la nouvelle Amérique sous nos pieds, il me dévisagea soudain comme s’il avait affaire à un dément. Sans attendre, je débranchai sèchement la radio. Je m’emparai purement et simplement des commandes. Le moteur de descente ne s’arrêta pas.
Jack était un professionnel. Il comprit instantanément qu’entre un risque objectivement très faible et la perspective d’un pugilat avec un exalté dans un vaisseau cosmique, la première solution restait la meilleure. Ses mains se laissèrent aller, impuissantes. Je connectai de nouveau la radio.
– We land. Over.Je coupai les transmissions.
Servie pour partie par la chance, la manœuvre aboutit droit sur un bout de terrain parfaitement plat. Pas une goutte d’ergols ne se passa en tergiversations, au contraire de la façon dont plus tard Apollo XI se promenait trente secondes à quinze mètres du sol à la recherche d’un endroit vachable. Je me posai avec soixante-treize secondes d’autonomie restante, exactement le chiffre atteint plus tard par le LEM d’Apollo XII. La suite alla de soi. J’offris un dédommagement à Jack : sortir devant moi pour être le premier à marcher sur la lune. Je savais ce que je faisais : je connaissais assez mon brave ami règlement-règlement pour prévoir qu’il s’enfermerait dans un dédaigneux refus de quitter le bord en profitant d’une désobéissance.
Je sortis du LEM. J’avais bien concocté une parole historique à insérer dans les pages roses : « Minimus passuus mihi, maximus humanitati », ou quelque niaiserie de ce genre, mais les mots me restèrent dans la gorge devant la réalité de la situation. Là, debout sur le sol de la lune, un véhicule fait de main d’homme au-dessus de l’horizon, je sentis fondre en une seconde tant de certitudes et d’acquis mentaux, je sentis se réduire à la seule contemplation religieuse tout ce qui m’avait jusque-là fait vivre, que je n’eus qu’une pensée, qu’une évidence aveuglante :
– Je démissionne de l’armée. Je ne suis plus militaire. Je ne veux plus l’être.
Si j’avais eu un calot sur moi, je jure que je l’aurais face à la caméra placé sur mon casque, pour salaire des sergents-instructeurs et autres crétins qui m’avaient jadis allumé plus d’une fois pour m’avoir trouvé en uniforme sans couvre-chef dans les allées d’un cantonnement, ou quelque autre forfait grave de cette farine.La réponse de Houston me parvint sèche et ironique :
– Bien joué, Dan. Tu nous a devancés d’un quart de seconde. Quoi qu’il en soit, tu as perdu quand même. Une démission orale ne vaut rien. Lorsque ta lettre arrivera, tu seras révoqué depuis longtemps.
Je pris un point de repère à distance, une éminence de quelques dizaines de pieds. Je la contournerais ; elle servirait de balise pour mon retour : j’avais décidé de m’offrir une promenade suffisamment à distance pour me trouver un moment hors de vue du LEM, hors de vue de tout objet, absolument seul sur la surface lunaire sous les constellations difficiles à reconnaître, brouillées par un nuage d’étoiles faibles mal perceptibles au fond de notre atmosphère. Je me rappelai ce vol un jour dans un petit monoplace torpédo où, la tête renversée vers le bleu au-dessus de moi, ne voyant ainsi plus ni pare-brise ni rien de l’avion, je m’étais un moment réjoui de l’irréalité de ce champ visuel tout à fait vide. Ici je serais encore dans une situation d’isolement radical, mais cette fois la plus inouïe possible. La marche est rapide sur la lune en dépit du scaphandre : pas d’air, pas de traînée. Je plaisante, bien sûr. Il suffit de s’habituer au curieux déphasage entre la retombée pendulaire normale de nos jambes à chaque pas dans la pesanteur terrestre, et ce qu’on ressent ici. Ici, il faut un petit effort musculaire supplémentaire destiné à ramener normalement vite nos jambes. En vingt minutes j’avais contourné mon repère et perdu l’engin lunaire de vue. Une crevasse impressionnante me barrait le passage.
J’en estimai la largeur, puis fis un essai de course pour juger de ma célérité, la comparer dans mon engoncement à mes chiffres sportifs habituels. Le calcul mental m’apprit que le franchissement serait possible. Il faillit l’être. Je manquai le bord opposé d’un rien, retombai sur une sorte de large marche un peu en contrebas. Regagner le bord n’aurait rien été si…
J’eus la chance que la cabine en orbite passât en portée visuelle.
– J’ai une jambe cassée.
La durée du silence consécutif ne s’expliqua pas seulement par celle des transmissions. A Houston régnait l’effroi. Les réactions allaient de : « Seigneur, que faire ? » à « Il ne l’a pas volé ! ». Un élément positif pourtant dans mon malheur : il n’y avait personne pour m’aider. Avez-vous jamais assisté à l’empressement autour d’un blessé sur le trottoir ?
Rien de plus atroce que la bonne volonté du secouriste improvisé. Pour libérer de cette mortelle incompétence l’espace autour d’un accidenté, le secouriste breveté devrait avoir le droit d’ouvrir le feu : le blessé mérite plus de considération que ceux qui veulent l’achever. Impossible autrement à l’homme compétent d’approcher, sauf à disperser à coup de pied les amateurs qui ne l’écoutent absolument pas décliner ses titres. Tous n’ont qu’une obsession : mettre en application sur le blessé la bribe de secourisme vue à la télévision, tout leur bagage, et qu’elle soit en rapport ou non avec le cas présent. Ont-ils entendu qu’il faut desserrer l’écharpe et la cravate du moribond pour qu’il respire plus librement ? Les voilà tirant de toutes leurs forces sur l’écharpe même visiblement lâche, mais qui fait trois fois le tour du cou ; le blessé respirera plus librement ou pas du tout, selon la tenue de ses cervicales déjà endommagées. Et plût au Ciel que ces braves gens n’aient point vu faire un massage cardiaque ! Mais tout cela n’est rien en regard du comportement scandaleux du blessé. Les accidentés aussi devraient recevoir des cours préparatoires, car on imaginerait malaisément plus sotte engeance. l’accidenté-type a généralement sa première pensée pour ses lunettes, s’il en porte. On les retrouve le plus souvent, quoique peu propres désormais à leur usage. Il entend ensuite se relever sans attendre et reprendre incontinent le cours normal de ses activités ; l’idée qu’il n’est pas indemne ne l’effleure pas. Ne parvenant pas à quitter le sol, il peste contre la malveillance des lois de l’équilibre et de la mécanique, et, devant l’impossibilité de se redresser, attribue à leur méchanceté le simple résultat naturel de ses dirimances fracturales. Il s’avère presque impossible alors de persuader au blessé de remettre même l’idée de ses rendez-vous divers, pour en privilégier un impromptu avec le chirurgien.
Les secours sérieux ne font pourtant pas défaut. Pompiers et secours hospitaliers arrivent alors des deux bouts de l’horizon, le plus souvent au même instant. Pour gagner du temps et un point dans la course aux crédits, médecin civil et médecin casqué sautent en marche. Le match est indécis : le pompier est mieux entraîné mais plus lourdement équipé. Terreur du blessé qui comprend enfin le sort de son compte en banque. Un pilote européen en stage sur notre base aérienne prétendait qu’il n’en coûte grâce aux assurances sociales presque rien de se casser un membre ou deux sur son foutu continent ; mais ça, c’est comme raconter qu’il y a à Paris un téléviseur dans chaque foyer et une automobile pour deux habitants. On n’est pas les gars de l’Oncle Sam pour gober la propagande communiste.
Ces considérations ne m’apportaient cependant qu’une aide limitée. Les ordinateurs de Houston à présent tournaient à plein. Les mains des ingénieurs volaient sur les claviers, cherchant à modéliser toutes les issues possibles. les ordinateurs confirmèrent en premier lieu que Jack devrait nécessairement venir me chercher en voiture, sans imaginer sauter la crevasse en me portant sur le dos.
Il restait soixante-treize secondes de poussée dans les réservoirs de l’étage de descente. La machine pouvait donc se soulever de quelques mètres, et rester un peu plus d’une minute en lévitation. La tuyère de l’étage de descente peut s’incliner latéralement de six degrés. Quelle distance l’engin franchirait-il en ce temps passé à dériver, debout, tuyère ainsi braquée, doucement accéléré à l’horizontale dans cette posture ?… Accélérer durant la moitié du temps de vol, freiner sur l’autre en ayant contre-braqué le moteur de six degrés en sens inverse… Calcul fait, la réponse est 218 mètres. Il y a aussi les seize petites tuyères directionnelles fixées à l’étage de remontée. Il serait possible d’en allumer deux, qui inclineraient nécessairement l’engin puisqu’elles seraient placées au-dessus de son centre de gravité. Le jet du gros moteur de descente en serait incliné encore d’autant, fournissant une composante horizontale accélérant davantage la machine que le simple jeu de l’articulation de la tuyère ; puis renversement de l’inclinaison et freinage à mi-chemin… C’est à l’échelle de sept tonnes, reproduire le petit jeu consistant à partir de l’arrêt avec une baguette de pain en équilibre vertical sur le doigt, se mettre en marche et s’arrêter plus loin, équilibre conservé.
Je parle de soixante-treize secondes de sustentation possible à la poussée qui équilibre le poids lunaire, les 1200 kilos que pesaient ici nos sept tonnes de masse. Or c’est un fait constant qu’en présence d’une pesanteur à contrer par l’usage de la poussée, il est nécessairement rentable de donner d’office tous les gaz. C’est la généralisation d’une remarque simple : un avion requérant cinquante chevaux pour tenir l’air et ne disposant que de cinquante chevaux, ne grimpera pas moins vite que s’il en possédait cent : il ne grimpera pas du tout. Il faudrait donc libérer la pleine poussée disponible, 4500 kilos. Une simple règle de trois montrait que les 73 secondes disponibles tomberaient à vingt.
Quelle distance pourrait être ainsi franchie en rase-régolite ? Les ordinateurs ne prédirent pas plus de quelques centaines de mètres. J’avais compté mes pas : on serait loin du compte. Loin du compte, parce qu’il n’est pas possible en vol à hauteur constante et rasante, d’incliner l’appareil suffisamment pour faire donner au moteur de descente une composante horizontale de poussée vraiment importante. Ce serait laisser se pencher fortement la baguette de pain et prétendre qu’elle ne tombera pas. La chose est possible, si celui qui la porte accélère assez énergiquement en courant. Jouer à cela à très basse hauteur serait affreusement scabreux.
Il ne s’agirait donc pas ici de courir à ras de terre, mais de s’élever avant de redescendre en décrivant une cloche savante. Il fallait ajouter au moteur de descente l’assistance des quatre tuyères directionnelles dirigées vers le bas : deux cents kilos de plus. Le temps de vol n’en serait pas diminué puisque les petites tuyères fonctionnent sur leurs propres réservoirs. Une estimation rapide montrait que consommer la moitié des vingt secondes disponibles pour s’élancer vers le ciel, puis l’autre moitié à freiner la retombée, donnerait le résultat suivant : le LEM en fin d’accélération poursuivrait 29 autres secondes sur sa lancée pour culminer à 950 mètres. De là, il retomberait et se reposerait en douceur au terme de dix autres secondes de freinage à plein moteur.
Restait à changer en cloche, pour aller quelque part, cet aller-retour purement vertical en soi sans intérêt. Les traités de balistique enseignent que la portée maximum d’un projectile dans le vide vaut en longueur deux fois la hauteur qu’il serait capable d’atteindre en tir au zénith. Il sembla clair que la meilleure gestion de l’inclinaison à communiquer à l’ascension, puis au freinage symétrique à la redescente, pourrait en principe expédier la machine à deux fois 950, soit 1800 mètres de son point de départ. Houston passa une demi-heure à déterminer le programme idéal, à l’injecter dans l’ordinateur du bord, attendu que la brièveté et la précision de l’opération exigeraient le complet automatisme.
Grâce à la situation de mon repère intermédiaire visible par Jack aussi, grâce à quelques indications que je pus donner sur la position d’astres divers – mon souvenir des questions de Houston est brouillé – il fut établi que je me trouvais à un mille et quelques poussières lunaires du LEM dans son plein sud-sud-ouest. Jack remit à feu l’étage de descente.
J’aperçus l’envolée du LEM quelques secondes après son départ, quand il entra dans mon champ visuel. Je le vis culminer, redescendre et fondre sur moi. Il devait naturellement m’éviter sensiblement pour ne pas me scier de son jet qui soulevait si bien poussières et cailloux. Très vite, je n’aimai pas sa trajectoire. Quelque chose n’allait pas. En trois secondes je compris l’épouvantable : Jack manquant de peu le bord de la crevasse plongea à court de propergol dans le ravin, passait à cent pieds de moi et disparaissait sous le sol, invisible pour moi dans ma position.
Je n’avais rien vu encore. Je parvins à tourner un peu mon regard vers le bas. J’allais hurler pour me soulager un instant lorsque l’invraisemblable se produisit. Jack avant de s’écraser au fond de la faille avait pressé la bouton abort, celui qui permet normalement de repartir en orbite lunaire si sans avoir touché le sol, l’atterrissage est d’évidence manqué. Je vis l’étage de remontée s’extraire d’abord laborieusement du fossé, passer, énorme, par mon travers, accélérer et lentement s’incliner pour diminuer, diminuer tandis que Jack jouait sa dernière carte. J’ai continué d’apercevoir l’espérance qui s’en allait, pendant plus d’une minute, le temps qu’elle se soit éloignée d’une vingtaine de kilomètres.
Il est des moments, comme cela, où l’on se sent seul.
Tel fut le cauchemar dont j’étais secoué la nuit suivante à bord de la capsule. Jack avait superbement réussi son coup. Je devins le seul, je suis resté le seul humain à avoir assisté de l’extérieur à un atterrissage lunaire. La chose est belle ; être traîné sur deux cents pas avec une jambe cassée, hissé à bord et laissé en tas pendant l’envol, supporter l’accélération dans ces conditions, est moins drôle. Le retour fut un cauchemar. Je crus défaillir en prenant la demi-douzaine de g de la rentrée dans l’atmosphère. Le wagon de quarantaine prévu pour Apollo XI en juillet n’était pas prêt. Il avait fallu en bricoler un autre à toute allure en racontant à la presse qu’on faisait là une sorte de caisson à oxygène destiné à nous soigner d’émanations délétères accumulées au cours du vol. On me traita d’assassin du genre humain, en me signifiant que je serais fusillé ou incarcéré à vie selon que je rapporterais ou non un virus sélène capable de liquider l’humanité. On finit évidemment par me laisser en liberté parce qu’il s’avérait impossible de trouver pour le public une raison logique à mon arrestation. Je fus averti que si j’avais le malheur de révéler quoi que ce fût de ma vie entière, les services spéciaux s’intéresseraient à moi de fort près. Ma femme reçut les mêmes mises en garde, pour le cas où je parlerais en dormant.
On ne consentit qu’à me laisser un caillou, un fragment des roches que j’avais rapportées, celui que je tiens dans mon agonie avec défense rigoureuse d’en indiquer la nature à quiconque. Le premier homme officiel sur la lune fut quelques mois après mes exploits fêté dans le monde entier, et crut sincèrement toute sa vie avoir été le premier humain sur un autre astre. J’ai dû cinquante-huit années me mordre la langue quand tous les jours j’aurais voulu crier la vérité ! Jack tenu aussi au secret ne consentit jamais à m’adresser la parole autrement que par grognements. Je crois pourtant qu’il m’a pardonné : retourné sur la lune avec la toute dernière mission, il est resté grâce à moi le seul homme à avoir marché deux fois sur la lune.
(1) Emprunté à Giroud.
(2) Emprunté à la série Buck Danny
*
Mon Universalis édition 1980 acquise cinquante euros à la dernière braderie de livres d’Amnesty International à la salle des fêtes de Guéret, volume 6, article « conquête de l’espace », tableau 2, page 489, indique : la masse du LEM atteignait 14 525 kg pour Apollo IX (resté en orbite terrestre), 15 062 kg pour Apollo XI et 13 993 kg pour Apollo X…
Pourquoi cette tonne d’ergols en moins ?…
*
Pour finir sur le même sujet, une information remontant à 1991 dont vous déciderez de la véracité ou de la fausseté :
» On apprend aujourd’hui la réintégration à la télévision ex-soviétique de l’ancien journaliste Lev Saratov promu en 1981 balayeur adjoint dans un entrepôt de borchtch sans betterave de la banlieue de Dniepropetrovsk. Lev Saratov avait aux funérailles de Brejniev tenu le micro de la principale chaîne moscovite. Repassons la bande :
» Et voici que suivi de la délégation du Parti Communiste de l’Azerbaïdjan s’avance couvert de fleurs le catafalque portant la dépouille mortelle du camarade Léonide Brejniev, Premier Secrétaire du Parti Communiste de l’Union Soviétique, colonel du KBG, Maréchal de l’Armée Rouge, membre de l’Académie des Sciences de l’Union Soviétique, décoré de l’Ordre de Lénine et du Drapeau Rouge… Trois fois Héros de l’Union Soviétique… En l’honneur du camarade Léonide Brejniev tous les drapeaux de l’Union Soviétique sont en berne… Si les Américains enterraient leur président, ce n’est pas eux qui seraient capables de mettre comme nous tous leurs drapeaux en berne… Ils ont beau être Américains, ils ne retournent pas tous les jours sur la lune… »
IN MEMORIAM
Robert S. McNamara
+ 6 juillet 2009
Voici trente ans mon Turbulent F-PKVU (1) survolant le bois de Belleau près de Château-Thierry saluait du haut des airs le monument à la première participation des Etats-Unis d’Amérique aux guerre modernes. Un avion comme le mien, du niveau technique et du degré de performances des aéroplanes d’alors, était tout indiqué. Mais voici qu’un grand serviteur de Mars est mort hier au pays du général Pershing. Saluons-le à son tour en prenant les commandes d’un appareil plus en rapport avec la politique du disparu, avec les combats qu’il mena. Tâche malaisée, sans doute, qu’illustrer la mémoire d’un homme assez peu habile pour s’en aller le même jour que Michael Jackson.
J’ai donc sauté dans un F-105 du simulateur Wings over Vietnam sous le regard envieux de mon vieux Druine décidément trop limité en emport externe. Vingt-sept fois déjà en quelques mois de retraite j’ai démoli dans ma chambre le pont Paul-Doumer, mais au prix de m’être fait tuer quatre fois et capturer trois autres. Mort quatre fois, j’ai donc également quatre Purple Heart que le logiciel me décerne automatiquement en cas de coup dur. C’est que la maison n’est pas regardante comme chez UbiSoft, où malgré touts les panzers que j’ai troués dans Il-2 à la roquette, au canon de 23 ou à la ShKAS-tout, j’attends encore d’être fait Héros de l’Union Soviétique.
Arrivant sur Hanoï depuis le sud à pleine » poussée militaire « , un Fishbed au train, manié par un type qui à coup sûr comme les autres de sa sorte n’a même pas son permis de conduire les voitures, j’ai pris en abordant la ville un peu de hauteur afin de repérer le pont. Ca a été trop tard, j’ai eu beau manoeuvrer inutilement, je n’ai plus eu qu’à abandonner ma cible en replongeant au ras de ce qui leur sert de toits et m’éloigner d’une douzaine de kilomètres, avant d’entamer un beau demi-looping suivi d’un demi-tonneau, puis d’un piqué aligné sur le pont enfin bien visible. Avec tout en haut de la manoeuvre un badin qu’il fallait aider d’un peu de g négatif pour ne pas décrocher, et huit mille pieds à l’altimètre, on aurait malaisément imaginé manoeuvre plus idiote face à vingt ou trente pièces de 88. J’ai dû confondre Hanoï avec le Bourget et mon escadre avec les Thunderbirds. Je ne sais pas si ça a été le Fishbed ou la flak, mais à peine avais-je pointé le nez sur le pont que le roulis subit à gauche n’était plus maîtrisable. Dommage. Je comptais sur un troisième passage ensuite pour m’occuper au canon des jonques qui traînent à côté du pont. C’est étonnant. On encadre le tas de bois flottant, on presse un bouton, on entend un bruit de fermeture Eclair et on voit le tas de bois s’effondrer presque en bon ordre. Si jamais c’est interdit par les règles d’engagement, le concepteur du logiciel n’avait qu’à y penser. Le Thud est monoplace ; on ne peut pas emmener un bavard derrière.
On m’a donc avec tous les égards possibles traîné en laisse devant un officier communiste qui parlait un assez bon anglais. Il m’a demandé d’un air ironique ce que je pensais de cette jolie guerre impérialiste. » impérialiste » m’a fait penser à » empereur » ; j’ai claqué des talons sans prendre le temps de réfléchir, en déclarant me battre pour Dieu et pour le tsar. Le Viet a paru brièvement décontenancé, mais comment lui expliquer que j’étais encore sous l’effet de Michel Strogoff dont j’avais lu la veille une traduction ? Voilà ce que c’est de lire ces damned froggies dont le président nous insulte depuis son palais de Paris à cause de cette guerre, que nous ne faisons pourtant que parce que parce que son pays était trop pauvre pour la continuer lui-même. Alors, l’officier pinçant les lèvres a sorti des photos qu’il m’a mises sous le nez.
La première représentait une sexagénaire flasque d’un peu plus de deux cents livres, sur une plage de chez nous, avec des lunettes de soleil dont les coins en plastique s’épanouissaient en ailes de papillon ; sur la seconde, prise sur un comics, on voyait Minnie en colère poursuivant Mickey affolé en l’assommant de coups de sac à main ; la dernière montrait Scarlett O’Hara en espèce de crinoline avec un chapeau pas possible, faisant ses minauderies devant les jumeaux Tarleton. Le Viet m’a demandé si, sans rire, c’était pour ça que je me battais.
Qu’est-ce que vous voulez répondre à un type qui n’a jamais entre les palmiers au soleil couchant parcouru un front de mer les orteils en éventail sur les cale-pieds d’une Harley, en passant devant des villas tarabiscotées, sur fond de la Bamba ? Il n’y a rien à discuter avec un idéologue qui n’a même pas lu Tom Clancy, pas seulement fait la route avec Jack Kerouac, pas même roulé un peu trop vite en Porsche à l’est d’Eden. Le choc des civilisations, c’est pas mon truc, et d’ailleurs c’est pas prévu avant trente ans. J’ai donc fait Echap, Quit, évité ainsi quelques années de villégiature au Hanoï Hilton, à tort peut-être puisqu’on a pu lire plus tard çà et là dans la presse progressiste qu’on s’y prélassait en jouant aux échecs et en écoutant du jazz toute la journée !
(1) appareil dont l’auteur cessa d’être propriétaire en 1981.
LE MOSQUITO
Ce récit entièrement imaginaire n’est inspiré d’aucun fait connu de l’auteur.
– Je suis désole, jeune homme. Sans votre cousin Jack…
Le médecin-chef de la Royal Air Force m’expliquait dans son français un peu laborieux que les portes de l’aviation britannique resteraient fermées devant moi. Mon oeil droit montrait treize dixièmes, et le gauche eût eu autant sans la fléchette malencontreuse décochée jadis au cours de nos jeux d’enfants par mon cousin Jacques. Vers quelle triste unité de biffins allait-on diriger maintenant l’évadé du sol français occupé, avec son vingtième d’acuité à gauche ?
Mon baccalauréat de philo obtenu deux mois plus tôt, je passais avec ma famille l’été dans notre résidence de Saint-Jean-le-Blanc, la banlieue sud d’Orléans. Nous rentrerions à Paris dans quinze jours, et je partageais d’ici là mon temps entre la lecture et les longues promenades à bicyclette que j’affectionnais. J’avais défense paternelle de quitter la route pour m’aventurer par les chemins ; le risque de crevaison y était plus élevé, ce qui eût signifié la fin de l’engin. La pénurie de pneus, de chambres à air, de dissolution, la pénurie sévissait là comme ailleurs. Sitôt disparu le toit de la demeure familiale, je me hâtai cet après-midi comme les autres de bifurquer vers les chemins agricoles.
Assis à côté de la bicyclette posée à terre, je lisais enfin le classique sur lequel avait porté la dissertation du bachot. Je n’aurais pas été repêché d’extrême justesse pour ma note désastreuse si je l’eusse étudié en cours d’année, mais je fais jamais rien comme les autres. On va d’ailleurs s’en assurer sous peu. Mon père en outre n’aimait guère me savoir en vadrouille, car il avait naguère caché des traqués et ne souhaitait pas me voir attirer l’attention ; or il me soupçonnait non sans raison d’être l’auteur de certains faits de résistance tels que des inscriptions clandestines sur les murs, fort remarquables et appréciées à la commandanture (Des lois ont été passées depuis, qui interdisent de mal parler des personnes différentes. Aussi, les fins jeux de mots pour temps de guerre que notre jeune ami avait concoctés sur nos frères d’outre-Rhin, ne peuvent-ils plus figurer).
Un ronronnement lointain semblait indiquer la présence d’un avion. Je cherchai des yeux pour le découvrir, petit point noir indistinct volant très bas. Il grossissait lentement sans mouvement apparent, ce dont je déduisis qu’il venait à peu près droit sur moi. Je finis par deviner un appareil bimoteur. Pourquoi se déplaçait-il si bas et à si faible vitesse loin de tout aérodrome ? Il devint énorme et passa à trente mètres par mon travers. Il arborait des cocardes britanniques !
Suffisamment seul pour hurler mon enthousiasme sans risquer d’être mal jugé, j’adressai au pilote déjà éloigné de grands gestes illusoires de béret tenu à bout de bras. A ma stupeur, l’avion revint aussitôt vers moi ! Comprenant ma sottise à n’avoir pas instantanément deviné qu’il y avait seulement coïncidence, je vis le bimoteur repasser près de moi de l’autre côté, s’éloigner à nouveau et revenir encore. Cette fois les roues étaient sorties et la vitesse plus réduite encore. L’appareil passa exactement au-dessus de ma tête pour s’abattre froidement à l’orée du champ proche. Il roula assez court et s’arrêta sans couper ses moteurs.
La stupeur n’est pas la peur, et je m’élançai à perdre haleine à travers les quatre cents mètres qui me séparaient de l’avion immobilisé. J’aperçus la trappe d’accès sous la cabine s’abaisser, puis une silhouette s’extraire lourdement… Que se passait-il ? Je n’étais plus qu’à cinquante pas lorsque l’aviateur m’aperçut. Il pointa instantanément un pistolet vers moi.
Holà !… J’interrompis ma course pour marcher lentement en agitant les bras. Parvenu à vingt mètres, je reçus un choc en détaillant le visage de l’Anglais : son propre baccalauréat ne devait pas avoir plus d’un an.
– Friend ! lançais-je en cessant de gesticuler des bras.
L’aviateur dut avoir en me voyant les mêmes pensées que moi ; il abaissa son arme. Ses traits plus apeurés que les miens se crispèrent encore davantage.
– Don’t approach ! Don’t…
Ma désobéissance parfaite à son ordre le fit taire. Il me quitta des yeux pour sembler s’adresser au ciel en gémissant :– Willie ! The bastards ! They killed Willie !
Je commençai à comprendre. J’approchai jusqu’à la trappe. Je rassemblai mon meilleur anglais :
– I’ll help you !
L’avion était un Mosquito, le fameux bombardier léger biplace qui volait plus vite que les chasseurs. Quelquefois, du moins. John, le pilote, rentrait d’une attaque sur Bordeaux lorsque vingt minutes auparavant du côté de Romorantin les Focke-Wulf embusqués dans le soleil avaient dévalé sur l’appareil désarmé. L’un d’eux avait tué à côté de John son navigateur, d’une longue rafale envoyée au terme d’une magnifique passe frontale sur le dos. Son pare-brise droit déchiqueté, le pilote avait réussi à semer les charognards en sautant de cumulus en cumulus. La tension dissipée, John avait senti depuis par trois fois le coeur lui manquer et la conscience vouloir le quitter. La compagnie du cadavre hideux ne devait pas y être étrangère, mais aussi le fait que sa propre jambe pissât le sang. Il s’était posé au risque d’être capturé, plutôt que prendre celui de mourir inutilement exsangue en l’air pour n’avoir pu se panser.
John rafistolé, j’ignorai son geste d’avoir à m’éloigner. Je lui souris…
– There is a free seat, now…
Le pilote me regarda sans comprendre, avant de me dévisager comme s’il voyait un Marsien, et de m’entendre ajouter :
– You fly back with me ; your frend stays here !
– Are you crazy !
Pas plus que cela, l’ami ! Incapable d’expliquer rapidement en anglais tout ce que j’avais à dire, je me plantai devant le pilote pour débiter dans ma langue à toute allure, comme si l’énergie et l’émotion devaient traduire mes paroles :
– Je pense exactement la même chose que toi de l’ennemi, sauf que je ne le vois absolument pas jeter à la voirie le corps d’un Britannique descendu. Il attendra ici la fin de la guerre, ou bien il y restera définitivement comme des milliers d’autres. Je ne sais pas si on peut s’entasser à trois là-dedans, mais c’est moi qui ne peux pas faire le voyage avec ça sur les genoux !Il sembla qu’à défaut de faire comprendre les mots, l’intonation les suggéra ou en suggéra d’équivalents à John. Le navigateur allongé sur l’herbe, je me retrouvai à la place du mort, aux deux sens du terme. John donna de grands coups de gaz pour venir s’aligner à l’extrémité du champ. Les faubourgs d’Orléans défilèrent à ma droite ; John mit le cap sur l’Angleterre. J’aurais véritablement joui du voyage sans le torrent d’air passant par les déchirures du plexiglas et me contraignant sans cesse à protéger mes yeux. John rasait les toits, si bien que je n’apercevais les principaux repères géographiques jusqu’au dernier instant : la Seine, la côte normande, les falaises d’Albion, et enfin l’aérodrome.
Nous passâmes l’un et l’autre un très mauvais moment à nous expliquer devant les officiers d’intelligence, si je puis me permettre cet oxymore un peu saugrenu. Dans la soirée, le recoupement de bribes d’information glanées par les services d’écoute sur les ondes ennemies permit de confirmer nos dires. Le comportement logique de John coïncidant médiocrement avec le texte des manuels réglementaires, il était suspendu de vol pour manifestation intempestive d’émotivité au combat, pensait un moment se voir classer LMF (« lacking moral fibre ») et envoyer dans une mine de charbon ou affecter à la British Army quelque part dans ce que l’Orient a de moins fascinant. Les services secrets britanniques firent passer à leurs homologues d’en face la demande d’une sépulture décente pour le second lieutenant William Murchison, DFC toute fraîche. Le colonel qui venait de me cuisiner sans aménité des heures durant me sourit derrière son guidon de vélo, fier d’un tel garçon. Je formulai la gorge serrée la demande d’admission parmi les élèves-pilotes étrangers de la RAF, sur un ton à la solennité malheureusement ridiculisée par la gorge serrée, justement. Le group captain me secoua vigoureusement les mains ; il me pistonnerait ; c’était dans la poche.
On sait la suite. Eliminé par l’examen médical, je fus trimbalé de barrack en casernement pour me briser à la fin le fémur à l’entraînement dans les troupes parachutistes. Efficacement plâtré de la hanche au pied dans un « Tobrouk », système d’immobilisation remarquable mis au point sans doute sur le champ de bataille du même nom (1), j’avais en dix-huit mois à peine retrouvé presque toute confiance dans ma jambe. A peine sur pied, j’étais rapatrié vers la France juste libérée.
C’est ma jeune soeur Maude que j’aperçus en premier en pénétrant dans le parc familial. Elle jeta ses quinze ans vifs et gais dans mes bras (2).
– Vous n’avez pas été trop inquiets tout ce temps, avant de savoir où je me trouvais ?
– Pas du tout ! Nous savions dès le premier jour où tu étais.
– Quoi !?
– La BBC n’était pas trop brouillée ce soir-là. Les messages personnels étaient audibles. La bicyclette envolée près d’Orléans s’est posée en Angleterre. Je répète… Trois répétitions bien insistantes confirmaient qu’on cherchait à toucher des gens non prévenus.
– Ah, bon…
– Et remarque que ton Anglais l’a échappé belle.
– On nous a vus ?
– Tu plaisantes ! Deux cents personnes au moins ! Les héritiers de Goethe et de Leibniz (une fois encore le lecteur conscient des contraintes du langage moderne comprendra que tels n’étaient pas strictement les termes employés par Maude) étaient déjà partis là-bas ! Deux minutes de plus et ton Anglais était coffré !
Elle devint grave:
– Et pour toi…
Pour moi en effet les choses se fussent certainement plus mal passées.
– Bref, repartit-elle en retrouvant sa pétulance habituelle, les Allemands sont venus ici auf dem Feld. Ils ont fini par admettre que nous n’étions pour rien dans ce concours de circonstances et, Dieu merci, absoudre Papa pour ta fuite attribuée à l’inconscience de la jeunesse. Après leur départ, Papa a hurlé de rage toute la soirée d’avoir dû feindre de te désapprouver. Mais puisque tu n’étais plus attrapable ! Seulement, ils sont revenus nous vider pour installer chez nous leur commandanture. Ils avaient découvert sur place que la propriété était la plus agréable du coin. Ils nous ont même dédommagés. Ce n’était pas gras, mais leur herr mayôôôr, s’amusa Maude d’un accent à casser les cailloux, a juré à Papa que c’était bien le tarif en pareil cas. Ils sont partis voici quinze jours, après un an et demi. Tu devines notre inquiétude en rentrant…
– J’imagine…
– Maud pouffa de rire en cassant d’autres cailloux :
– Z’ÉDAIT IM-BE-GA-BLEU !
– Ach so…
– L’ennui, reprit-elle un peu plus sérieuse, c’est que les Américains arrivaient dans la foulée. Ils sont passés perquisitionner et faire peur à Papa pour avoir logé les… les enfants de Kant et de Schubert, quoi, et ils ont fait la même constatation que leurs petits camarades d’en face sur la qualité des lieux. Ils ont logé ici tout un état-major. On nous a éjectés à nouveau, mais pour huit jours à peine. Ils sont partis hier, et nous revoilà. Et pour l’argent, ceux-là ne se sont pas moqués de nous.
Maude se tut un instant avant de produire son effet :
– Tu tombes à pic, parce que nous avons besoin de bras.
– Pourquoi ?
Elle éclata de sourire en passant un bras autour de mon cou :
- Parce que là-dedans, c’est dégueulasse !
*
(1) C’est-à-dire que l’auteur, victime outre-Manche de cette fracture, « soigné » de la sorte pour toute ostéosynthèse ; l’auteur donc devait découvrir le nom toujours en usage de ce système préhistorique de contention en se brisant une cuisse près de Londres en 1982. Motocyclette, bien entendu. Pour une fois qu’il roulait à droite. Résultat présumé de ce type de plâtras : pseudo-arthrose ou bien position figée du pied en premier temps de quart de tour militaire ?
Qu’on se rassure : de retour sur un brancard deux semaines après vers la France libérée (en Trident IIIB, pas en Lysander), l’auteur bénéficiait le lendemain d’un enclouage médullaire décent ; il voyait avant d’entrer en salle d’opération les infirmiers stupéfaits d’abord d’avoir à scier pareil dinosaure médical, puis se bidonnant ensuite à la découverte des pages du quotidien londonien servant de noyau au système.
L’auteur reprenait le pilotage avion trois mois plus tard sans repasser par la case médicale et sans verser vingt mille francs (anciens). C’était le deuxième fois qu’il s’autorisait pareille désinvolture sur fracture d’un membre inférieur ! C’est très mal, naturellement.
(2) L’auteur vous a épargné le cliché que vous aviez craint : » Elle jeta, etc. … Bon Dieu ! Dire que j’avais laissé une enfant ! »
AVIONNETTE TYPE PANDER G
Ceci n’est pas une nouvelle, mais le texte de la pancarte placée devant l’appareil personnel de l’auteur lors des journées portes ouvertes de l’aéro-club. Son engin attire plus de monde que les Cessna. On s’est inspiré de l’article du Fana n°316 sur les avionnettes hollandaises Pander de 1920. Il s’agit d’un monoplace à aile basse et train classique dessiné par son pilote, classé ULM, construit en bois et mû par un moteur Volkswagen de 40 chevaux.
Construit à trois exemplaires seulement en 1924 aux Pays-Bas par Vliegtuig Industrie Holland, le Pander G Foutmelding (1) était destiné aux raids entrepris à cette époque par de riches sportsmen de diverses nations européennes entre leurs métropoles et les points les plus éloignés de leurs empires coloniaux.
Le sort des deux autres Pander G reste inconnu. On sait seulement qu’ils furent en 1940 confisqués à leurs propriétaires par les Nazis et embarqués démontés dans le train de sinistre mémoire avec lequel le reichsmarschall Hermann Göring parcourait l’Europe entière en raflant les œuvres d’art. Si le maréchal était lui-même pilote, il est cependant exclu qu’il ait pu faire voler personnellement les Pander G, très sensibles au centrage arrière.
L’exemplaire présenté est seul rescapé ; il fut employé en juin 1924 par le capitaine Harm Gebruiksaanwijzing pour sa tentative de raid entre Amsterdam et Batavia (Djakarta) aux Indes Néerlandaises. Financé par le quotidien de Phonograaf, le capitaine décollait le 11 juin au matin de Schipol (Amsterdam) à destination du lointain Orient. Hélas ! Après deux escales de ravitaillement en essence à Athènes et Damas, l’officier était pris dans une tempête de sable. Son hélice rongée en quelques instants, le pilote dut se poser en urgence en plein désert.
Les Anglais occupaient alors le pays après la chute en 1918 de l’empire ottoman ; secouru par les soldats britanniques du régiment de fifres highlanders du général lord Marmalade of Dundee, le pilote dut leur abandonner son appareil pour paiement de l’assistance reçue. Tandis que le capitaine de retour cinglait pour Rotterdam, les Anglais remettaient le Pander G en état de vol et s’en servaient deux ans durant de scout à la recherche des bandes de rebelles du célèbre émir Ifik, qui ne devait faire que bien plus tard sa soumission aux autorités mandataires.
C’est à l’occasion d’une telle mission sur le désert de Syrie que touché en plein réservoir d’une décharge de mousqueterie, le Flight Lieutenant John P. Threewet, DSO, MTO, QDM, dut en panne sèche faire effectuer à son appareil un second » chameau » dans un décor particulièrement inhospitalier (voir Oeil pour œil, avec Curd Jurgens). On n’entendit plus parler de lui jusqu’en 1977. A cette époque une équipe de cinéastes recherchait dans cette région un cadre naturel pour le tournage d’un documentaire de guerre authentique sur les camps japonais de prisonniers alliés à Bornéo ; ils tombèrent par hasard sur le corps momifié du Flight Lieutenant à quelques pas du Pander G parfaitement conservé par le climat sec et chaud (voir les Ailes du 22 janvier 1978).
Il était en si bon état qu’il suffit de reboucher le trou du réservoir et de recharger la batterie pour permettre au Pander G de redécoller sur place ! Tandis qu’on rendait les honneurs militaires à la dépouille de son dernier pilote, le Pander G rejoignait Bagdad par ses propres moyens après avoir lâché une couronne sur la cérémonie. ll se posait en vol plané parce que la salve tirée à son passage par la garde d’honneur du cercueil avait, chose que le lecteur acceptera de croire d’autant mieux qu’elle est précisément invraisemblable, une fois de plus atteint le réservoir ! On devait à nouveau perdre sa trace jusqu’en 1997, époque où son épave très endommagée fut retrouvée dans un parc à ferraille proche de Bassorah par un spotter creusois.
Cédé par les autorités locales en échange de quelques brevets en virologie et chimie des organophosphorés (accusation sans preuve formulée par l’administration Bush), le Pander G » rapatrié » devait subir une restauration dont il faut avouer qu’elle a quelque peu sacrifié l’authenticité à la possibilité de revoler. Ainsi par exemple le moteur tricylindre Anzani d’origine, peu fiable et donnant rarement ses quelques chevaux théoriques, a-t-il été remplacé par un groupe moderne Volkswagen provenant d’un Kubelwagen pris à l’ennemi et retrouvé dans la grange d’anciens maquisards limousins aujourd’hui retraités. Le premier vol en janvier 2002 de l’appareil remis en état manqua mal finir, les restaurateurs n’ayant pas aperçu le trou demeuré dans le réservoir.
Comme bien des appareils des temps héroïques de l’aviation, le Pander G en dépit des apparence n’est nullement d’un pilotage aisé. Parfaitement dépourvu d’homogénéité entre ses diverses commandes, affligé d’un décrochage… particulier, le Pander G depuis n’est confié qu’à un seul pilote spécialiste, d’ailleurs coutumier de ce genre d’appareils. C’est ainsi que depuis 2002 les enfants des lotissements proches de l’aérodrome ont presque chaque jour la joie de sortir dans leurs jardinets battre des mains au passage de la machine très tôt le matin et très tard le soir, heures de calme plat propices à ses évolutions. Il est d’ailleurs impossible lors de ces survols de continuer à écouter la télévision.
A noter que cette machine curieusement dépourvue d’immatriculation (2) se voit pour cause de terrorisme interdire par l’Administration d’approcher à moins de 5 kilomètres d’une centrale nucléaire ! Courteline n’est pas mort…
(1) Le Foutmelding est un lutin bienveillant des contes et légendes hollandais. Il a la réputation de protéger depuis plus de six siècles la digue du Zuiderzee des assauts de la mer, et de polliniser à ses heures perdues les champs de tulipes.
(2) Les propriétaires d’ULM d’aspect « avion » entendent parfois ce commentaire en atterrissant sur un aérodrome extérieur.
VOL DE NUIT
20 heures ce 31 juillet 1943, le Mosquito est aligné en bout de la piste 24 de Coltishall. Le ciel est parfaitement clair ; le soleil vient de couler sous l’horizon vaguement violacé. Nous sommes ici dans le poste côte à côte, moi-même à gauche, Flight Lieutenant Swindon-Lansborough, DSO, QBE, et mon navigateur le sergent-chef Keith Masterton, TBO, QFE. Vous avez compris que nous ne sommes pas du même monde ; nous ne fréquentons d’ailleurs pas le même mess, encore que Keith ait fait ses débuts dans le mien avec une serviette et un plateau sur le bras. A part cela c’est un très courageux garçon qui n’a pas craint de quitter sa Nouvelle-Zélande natale pour venir marcher à l’endroit et surtout affronter les Huns. N’oubliez jamais « chef » après « sergent », car Masterton sans cela vous fera faire la connaissance d’une droite célèbre dans toute la RAF. Son père dans les ANZAC est venu se faire tuer en 1915 en tentant vainement de prendre les hauteurs de Chonuk-Baïr, et dort à présent dans l’un des colossaux cimetières de marbre blanc édifiés par l’Empire tout au bout de la péninsule turque. Pendant ce temps mon propre père l’honorable Herbert Swindon-Lansborough du banc du Roi s’apprêtait dans un monde différent mais glorieux d’une autre manière, à donner le jour en 1917 à Bury St Edmunds à un futur fellow de Cambridge, où le programme des études ne m’a jamais causé le moindre trouble pour suivre des cours d’apprentissage au vol au sein du club de l’université. On dit que j’excelle autant dans les chasses à courre et les réunions mondaines que dans notre squadron, et si notre cockpit ce soir n’est mondain qu’à moitié, c’est bien une sorte de chasse à courre à quoi nous allons nous livrer. Le renard s’en pourlèche déjà de plaisir, car le renard prend plaisir à la chasse, tout le monde sait cela.
Si tout se passe bien, notre Mark IV à nez vitré sera de retour un peu avant minuit sur le terrain de Deal, plus au sud, même longitude. Usant de notre vitesse et de notre plafond comme seules armes défensives, nous aurons dans un peu moins de deux heures lâché nos quatre bombes de 500 livres sur l’énorme coupole surplombant un fort quadrilatère de maçonnerie en pleine capitale ennemie. Si tout se passe très bien, l’objectif sera atteint et le fils du douanier envoyé en enfer plus tôt qu’il ne prévoyait.
Coltishall 52°46 nord et 1°22 est ; l’objectif gît par 52°31 nord et 13°23 est. Cap 091. Le premier Merlin à gauche s’ébroue sans histoire, suivi de son collègue droit ; un tiers de volets ; freins desserrés. 442 gallons à bord, Imperial, of course, près d’une longue tonne et demie. La piste court, la queue ne se lève pas avant 70 mph. L’admission est à 17 livres, tout est correct. C’est d’ailleurs aussi le montant de l’admission à l’association des anciens de mon collège. 120 milles, décollage de précaution au bout de 23 secondes. Train, volets ; 1000 ft/mn au plus pour laisser l’avion prendre progressivement de la vitesse tandis que nous effectuons immédiatement un long virage à droite sous trente degrés d’inclinaison. Redressé au 091, objectif droit devant à 505 milles. Nous n’aurions pas assez d’essence pour faire l’aller-retour près du sol à pleine admission, et surtout le vol serait bien moins intéressant à raconter au plan technique. Pour le moment nous nous fixons une montée constante à 2000 ft/mn qui laisse grimper tout doucement notre vitesse vraie au-delà de 200 mph. La côte proche est franchie à 20 h 04 et 6300 pieds. Décollé juste après la disparition du soleil, nous l’avons rejoint : une lumière rouge teintée de violet darde faiblement sur l’horizon à nos sept heures et demie. Les Rolls-Royce nous tirent dans leur mélodie sans égal, à l’opinion du navigateur ; la mienne est que leur son est beaucoup plus envoûtant à mi-puissance, tandis qu’ils font en plein effort un peu casserole. Nous effectuons cette nuit un raid absolument solitaire, mais j’ai le souvenir d’ascensions identiques en heure et en lieu, où faisant quelques esses pour goûter toutes les vues, j’ai contemplé, de loin et de haut déjà, la côte de notre cher vieux » porte-avions insubmersible » s’estomper dans un rien de brume sous les derniers flamboiements du soleil, cependant qu’au-dessus, décalé, un autre Mosquito en montée étalait sous mes yeux son gros ventre allongé, dont le blanc scintillait variablement d’un bord à l’autre, selon les angles de ses flancs ronds, de toutes les nuances reflétant la maigre lueur du crépuscule. Certains prétendent que les développements futurs de choses comme la télévision permettront au moindre de nos petits-enfants, dans sa chambre une fois la nuit tombée, de recréer à la demande sur un écran blafard une copie de ce que je vois, et de se faire une vague idée de ce que nous connaissons. Rêvons. le but de cette nuit, pour nous, c’est Schicky sous sa coupole. A 20 h 10 nous atteignons l’altitude de rétablissement des Merlin, 17000 ft. TAS 270 mph, IAS 205. Comme il est normal, le maintien du vario à 2000 ft/mn entraîne presque immédiatement un commencement de baisse de vitesse ; nous abaissons le nez pour ne plus grimper qu’à 1000 ft/mn, et le badin remonte très, très doucement. 20 h 15. Plus rien en vue derrière nous, et l’obscurité brumeuse devant. 22000 ft, la TAS frôle les 300, l’IAS à 210. L’admission est tombée à 9 livres. Nous continuons d’amortir la montée en ne grimpant plus qu’aux alentours de 500 ft/mn, attentifs seulement à maintenir un badin d’un peu plus de 200 mph. Il semble vers 27000 ft que la machine à pleine charge s’essouffle ; nous passons en palier à 2 livres à l’admission, les manettes à fond depuis l’envol. La vitesse réelle vient dépasser sensiblement les 500 km/h, comme disent les grenouilles qui pensent aller plus vite avec leurs damnées unités inventées par leurs coupeurs de têtes. J’ai décidé d’employer cette vitesse pour donner un dernier coup de collier et sauter en une minute à 28000 ft où nous croiserons, l’âme sereine et le sentiment du travail bien fait, en contemplant les deux aiguilles des manomètres bien droites sur » midi « , zéro de boost tout rond. Nous pourrions monter encore, sans doute, car à 28000 ft la vitesse daigne quoique avec beaucoup de lenteur atteindre 328/212 TAS/IAS. Or le plafond n’est pas atteint tant qu’on peut accélérer en palier, mais le plafond n’est pas placé sur la polaire là où il faut pour garantir la plus longue distance franchissable, et nous avons précisément besoin de toute notre autonomie. Ajoutons qu’on se traîne au plafond à la merci d’un chasseur qui n’est pas encore au sien. Nous montons depuis une demi-heure et la côte des Pays-Bas est devant nous, nord-sud, perpendiculaire à notre route ; il reste 455 gallons ; consommation horaire 97 gallons. Nous aurions à ce régime devant nous plus de quatre heures de vol.
La côte est franchie à 20 h 33. Nous passerons dans un instant un peu au nord d’Alkmaar, une charmante petite ville hollandaise qu’on croit sortie d’un livre illustré pour les enfants de chez nous à qui l’on veut montrer comment les charmantes petites villes hollandaises sont du matin au soir briquées par leurs ménagères en sabots parmi des torrents d’eau claire. En cinq minutes nous atteignons le Zuiderzee, puis la terre à nouveau. Il n’y a désormais que le sol noir et sombre jusqu’à l’objectif. Les étoiles ne manquent pas, trois mille théoriquement visibles à la fois, disent les astronomes sans doute pessimistes pour nous, qui laissons les deux tiers de l’atmosphère et la totalité de ses miasmes au-dessous de nos ailes. Après m’être répété les noms des constellations que j’identifie tour à tour entre les montants de la verrière, je me plonge dans la morne tenue de cap et d’altitude. A 20 h 53, passage du 7e méridien et entrée sur l’Allemagne ; à 20 h 56 est franchie exactement la moitié du trajet, soit le quart du vol entier ; et nous avons encore exactement les trois quarts de notre essence : le retour est en principe assuré largement puisque nous le ferons très allégés. 21 h 18, passons 10° E entre Hanovre et Hambourg, plus près de Hanovre. Objectif à 143 milles. A 21 h 27 nous franchissons le 11ème méridien est entre Wolfsburg -où l’on manipulait dès l’avant-guerre des millions de moteurs dont nous ignorons encore en 1943 la fabuleuse carrière aérienne à venir- et Salzwedel, dans la future People’s Republic of Germany.
A 21 h 35 au sud de Stendal au droit du 12e méridien, un peu d’animation va revenir au terme de près d’une heure de croisière monotone au cours de laquelle, à force de fignoler la trajectoire et de brûler du combustible, nous avons gagné 7 mph et atteint 335 réels. Sans réduire nous plongeons, le nez 10 degrés sous l’horizon. En deux clins d’oeil nous voilà à 435 mph, ou bien, pour l’ensemble du tiers-monde, pour les mangeurs d’escargots, de borchtch ou de nids d’hirondelles, toutes ces minorités qui n’ont pas le bonheur de vivre à l’ombre de la Couronne, 700 kilomètres à l’heure. J’ai décidé de conserver cette vitesse propre qui rend notre approche malaisée à intercepter. Il faut d’abord sur une dizaine de mille pieds d’altitude réduire à fond, mais la vitesse parvient encore à passer malgré cela les 440 mph. Bientôt l’air plus dense nous freine et m’oblige à rendre des gaz progressivement. Voici le sol proche. 21 h 41, mise en palier bas sur la plaine du Brandebourg. La pleine puissance est rétablie depuis quelques milliers de pieds, mais bien entendu la vitesse acquise encore considérable se freine au ras du sol jusqu’aux environs de 320 mph. Objectif à 23 milles. Déjà nous frôlons par leur travers agglomérations et étendues lacustres nombreuses. Nous serons sur l’objectif en quatre minutes de vol rasant ; l’objectif d’ailleurs se distingue de très loin dans la nuit claire. Je passe la vue au navigateur qui a rampé de sa place jusque dans le nez pour encadrer la coupole. Soute ouverte. A un demi-mille je cabre pour franchir l’obstacle à mille pieds en espérant ne pas recevoir d’éclat, je reprends la vue et replonge au ras des toits immédiatement après. Virage incliné à gauche en tâchant de voir le résultat. Je pourrais raconter qu’il n’y a plus qu’un amas de décombres derrière notre passage, mais apparemment nous aurons fait nos quatre entonnoirs à côté du but. C’est que je suis comme Kirk Douglas à la barre du Nimitz : je ne refais pas l’histoire. Demain, le petit caporal de Bohème triomphera en se réclamant une fois de plus de la sollicitude toute spéciale de la Providence, tandis que son volumineux Paladin maudira le ciel des Mosquito en ballottant dans un uniforme de théâtre plus fantastique encore que les précédents. Il est 21 h 45 ; il reste 56 pour cent de l’essence.
Nous avons donc entamé un virage de retour que nous pourrions sans allonger notre route de beaucoup, élargir jusqu’à Tegel, que nous assaisonnerions d’obus si nous avions choisi l’une des deux autres versions du Mosquito qu’on nous proposait ; mais un Mossie pour moi est un B.Mk.IV, et les autres ne sont pas plus à mes yeux Mosquitoes qu’un machin à Griffon n’est un Spit. Cap au niveau des toits au 260 pour gagner Deal, même longitude que Coltishall mais cent milles plus au sud, à peu de distance de la mer, sous la Tamise entre Margate et Douvres. Nous collons au sol deux ou trois douzaines de milles à pleins gaz au milieu des lacs, puis reprenons rapidement de l’altitude : l’avion allégé cette fois grimpe à plus de 200 mph et largement à 3000 ft/mn. Ayant constaté l’absence complète de réaction ennemie jusqu’à présent (il faut dire que j’ai arrangé cela avant le décollage), je laisse l’avion s’exprimer en gagnant son plafond sans souci de la vitesse qu’on y atteindra. La machine se stabilisera d’elle-même commandes lâchées, un peu sous son plafond vraiment absolu, et nous croiserons sur tout le retour à 34500 pieds, – 6 de boost, 283 mph TAS et 160 IAS, 38 gallons par heure et par moteur.
A 23 h 30 nous repassons sur la mer sensiblement à la frontière entre Belgique et Pays-Bas. Six minutes plus tard, mise en descente accélérée sous 10 degrés à piquer de la même façon qu’avant Berlin. Nous redressons juste avant la côte un peu au sud de Deal, toujours au 260, de manière à prendre sa piste 03 par une sorte de semi-directe avec un dernier virage de 130 degrés sur la droite. Réduction des gaz dès après la côte, en vue d’arriver en finale à vitesse acceptable pour toutes ces sortes de choses qu’il est recommandé d’abaisser avant de toucher la piste, sous peine de ruiner sa journée en la passant à remplir d’une foule de renseignements incongrus et indiscrets un énorme amoncellement de papiers. J’aurais mieux fait d’arriver un peu au nord du terrain plutôt qu’un peu au sud, et d’aborder cette fois la 21 par un dernier virage sur ma gauche de seulement 50°, bien plus aisé dans le noir. En bref, nous avons perdu toute orientation pour nous retrouver sur Deal à un cap totalement étranger à l’orientation des pistes. Nous n’avons plus assez d’essence pour attendre qu’on en aplanisse une qui nous convienne, en sorte qu’un modique tournant à notre gauche nous amène pratiquement dans l’axe de la piste 23 de Douvres (très à l’intérieur des terres) à cinq milles à peine au sud-ouest. Posés à 23 h 46 après 3 heures trois quarts de vol. Il reste 88 gallons d’essence, ce que nous n’attendions pas. Freinés au croisement des pistes, nous bifurquons à travers l’herbe en direction des bâtiments. Il fait sombre, mais derrière les alvéoles de sacs de terre, au lieu d’aéroplanes de sa Gracieuse Majesté nous croyons bien apercevoir des Ju 88. Autant ne pas lambiner ici dans ces conditions. Merci à monsieur Gates pour CFS3 : F10, huit frappes rapides sur » 2 » du pavé numérique, Entrée, Oui et au lit !
ESSAI D’ART HERALDIQUE AERONAUTIQUE
L’art du blason se perd, alors que l’aéronautique peut lui offrir un champ nouveau.
Rappelons qu’en dépit d’une opinion trop volontiers répandue par des républicains haineux, les manants, roturiers et autres coquins avaient parfaitement le droit de blasonner sous l’ancien régime.
Ne leur était défendu à peine d’être ébouillantés dans du mercure en fusion, que les ornements extérieurs comme casques, heaumes et couronnes.
C’est l’Usurpateur qui restreignit l’écu à la noblesse, qu’il gâtait d’ailleurs en même temps par la nomination de nouvelles fournées d’aristocrates créées pour des motifs dérisoires (grands capitaines du temps, anoblis pour leurs propres exploits face à l’Etranger) venant polluer la noblesse ancienne mieux établie (lointains descendants de potentats locaux et d’écumeurs de chemins). Par bonheur notre bon roi Louis XVIII avant de s’effacer dans la gangrène de ses ulcères variqueux, rétablissait le droit des faquins à dessiner leurs armes.
Essai d’art héraldique aéronautique :
(En italiques noires, les termes héraldiques existants. En bleu, les néologismes introduits par cet essai).
Les règles habituelles s’appliquent, mais il est créé trois nouvelles figures artificielles (revoyez vos grimoires) : l’avion, la tour, la manche. Tour de contrôle et manche à air bien sûr.
L’avion reposant sur une terrasse est rampant s’il est à train classique, posé s’il est tricycle. Il est passant s’il semble taxier. Volant bas sur une terrasse, il est radadant.
Un sans-queue est diffamé. Il est armé et lampassé si le train et les volets sont abaissés.
Le manche selon le vent est pendante ou gonflée ; elle est dite flaccide ou érecte. Son orientation est indiquée.
Si la manche est érecte, l’avion va à l’encontre s’il passe face au vent, porté vent de dos. A défaut de manche érecte, on indique le sens selon dextre et senestre.
Exemple :
Un écu de ciel bleu sur un terrain en herbe. Un avion jaune passant bas de gauche à droite, tout sorti, devant une tour verte à joints noirs et vitrages violets, ainsi que devant une manche bien entendu rouge et blanche, gonflée et pointant vers la gauche.
D’azur à la tour sinople maçonnée de sable aux vitrages pourpres sur une terrasse du même, à la manche érecte d’argent et de gueules pointant de senestre à dextre (1), à l’avion d’or armé et lampassé radadant à l’encontre sur le tout.
(1) Attention, c’est à l’envers (le bouclier est vu de face).
Il peut y avoir dans cet essai des erreurs de composition ; c’est œuvre de débutant ; mais je pense qu’à l’Aéro-Club de France de nombreuses personnalités seraient tout à fait qualifiées pour en juger.
UN POINT D’HISTOIRE UN PEU ROMANCEE
Appris dans une revue hebdomadaire datée du 12 septembre 1928 comment les Zborzjènes vaincus en 1918 s’y prirent pour reconstituer leur aviation commerciale sérieusement entravée par le traité de Saint-Cyr-l’Ecole, parce que peu de choses alors distinguaient un transport d’un bombardier. Ce chef d’œuvre politique est à méditer.
Acte premier : le traité n’autorise aux Zborzjènes que des avions d’un maximum de deux places, pilote compris, propulsés par un moteur d’au plus 60 chevaux et ne pouvant dépasser 150 km/h. L’ULM était inventé.
Acte second : le plus sérieusement du monde, les Zborzjènes montent des lignes aériennes avec les avions précités.
Acte troisième : alors que la population zborzjène sans aucun transport aérien se serait bornée à n’y pas songer, la vue des avions de ses compagnies la met en rage. Le premier but est atteint.
Acte quatrième : les lignes aériennes françaises qui veulent doubler l’Orient-Express ne peuvent rentablement parlant contourner la Zborzjénie. Le gouvernement zborzjène exprime ses regrets : « Il est impossible d’autoriser le survol du pays à des avions qui ne respectent pas les critères du traité de Saint-Cyr-l’Ecole ».
Acte cinquième : les responsables des compagnies françaises disent à leurs pilotes : « Les B… (Bolchéviques, bien sûr) n’ont plus d’avions de chasse ; vous passez ! »
Acte sixième : ils passent.
Acte septième : le mauvais temps ou les ennuis mécaniques valent aux terrains d’aviation zborzjènes la visite forcée d’avions commerciaux français.
Acte huitième, scène première : les autorités zborzjènes gémissent beaucoup devant les passagers : « Akh ! Fous afez gommis un télit krafe ! Aper vous êtes tes zivils zinnocents, fous ne safiez bas ! Razurez-fous, fous serez lochés tans le meilleur hôtel te la fill chusqu’au tépart temain te l’egzbress te Chtrasspourgue ! »
Scène seconde : les autorités zborzjènes tancent les pilotes : « Vous ne pouviez pas ignorer ce que vous faisiez ! Tant pis pour vous ! Dix ans de prison, cent mille krams d’amende… Entre pilotes on va arranger ça, mais impossible de faire moins d’un jour de consigne nocturne dans l’hôtel de vos passagers, et environs huit cents krams d’amende puisqu’on a trouvé environ cette somme sur vous » (1)
Scène troisième : les autorités zborzjènes avisent les autorités françaises que l’avion saisi comportant plus de deux places et étant motorisé par plus de 60 chevaux (ce n’est pas pour autant qu’il dépassait 150 km/h), elles n’ont qu’à venir le rechercher par le chemin de fer en pièces détachées, puisque selon les termes du traité de Saint-Cyr-l’Ecole il n’est pas possible de le laisser repartir par la voie des airs.
Acte neuvième : en conséquence de tout ce qui précède, les Alliés victorieux rendent généreusement à la Zborzjénie à peu près toute liberté en aviation commerciale.
La suite est postérieure à 1928 :
Acte dixième : les Zborzjènes construisent des avions de transport étonnamment puissants pour les quatre passagers qui peuvent se faufiler pliés en six dans la soute à b… dans la cabine. En compensation, ils peuvent ramper dans le nez, véritable balcon entièrement vitré, pour jouir du panorama. Ils peuvent passer la tête pour se détendre en plein air dans une ouverture sur le dos de la carlingue, protégée par un coupe-vent, et offrant une vue sur tout le secteur arrière au-dessus de l’avion. Devant eux, un affût mobile n’attend que le montage d’une longue-vue à pièce de monnaie pour mieux voir si n’approche pas quelque autre appareil.
Acte onzième : celui-là est suffisamment connu.
(1) Plaisanterie empruntée à Le Juge de la série Lucky Luke et adaptée au présent texte.
POUR TROIS LITRES !
(Extrait du Courrier de Bestagenke-Stadt, une sorte de de Hara-Kiri très lu dans la capitale de la Zborzjénie subcarpathique)
« Notre armée de l’air veillait depuis ses bases lorsqu’un Pou-du-Ciel survolant une centrale nucléaire fut signalé par le contrôle radar. Sous-officier pilote plein d’allant, l’adjudant Kaskuj se précipita sur son chasseur. Tally ho ! Sabre au clair, le valeureux aviateur quitta le sol dans le tonnerre de la post-combustion, pour le rejoindre aussitôt avec une certaine dureté – fatale à tout dire. L’avion au parking attendait en effet non pas un pilote, mais un plein.
« Il est arrivé déjà qu’un appareil militaire en panne piquât droit sur une école dont les enfants en récréation attirent l’attention de l’institutrice sur le bel avion qui glisse tout en silence vers eux comme s’il voulait… comme s’il voulait… mais que fait-il ? Aah ! Aaaaaaaah !…
« Mais l’héroïsme n’est pas l’apanage des combats. Des Français diraient qu’il n’a pas plus dit son dernier mot à Dien Bien Phu qu’avec les accords d’Evian ; nous avons en Zborzjénie d’autres références non moins certaines. Arqué sur ses commandes figées dans le béton par la panne hydraulique, ce pilote-là n’avait pas oublié son engagement pour défendre et protéger tous les enfants zborzjènes ; au lieu de s’éjecter le pilote avait tout tenté pour dévier, dévier le monstre d’aluminium (nous savons bien qu’un monstre d’acier ferait plus sérieux) de l’école élémentaire sur laquelle un sort implacable voulait le précipiter. Il avait même déployé ses aérofreins à seule fin que leur sifflement alertât les habitants, comme sur un Stuka (Note du traducteur : ne pas oublier de prononcer « Chtouka » puisque le « st » zbrozjène se prononce comme le « st » allemand dans « Stiefel », « Stosstruppe », « Strafarbeit »…)
« Non ! La volonté bandée du pilote avait vaincu les lois inexorables de la physique et du destin. Il avait évité de peu le dernier poulailler du village. La nation n’oublie pas ses serviteurs. Funérailles en présence du ministre, discours, croix de chevalier du Sceptre d’Ottobus Ier sur un coussin à glands dorés, cercueil porté par six adjudants-chefs (le grade de la victime ne justifiant pas la prolonge d’artillerie)…
« Hélas !
« Hélas, rien de tel pour cette fois-ci : les réservoirs ne contenaient même plus de quoi parvenir au village ; trois litres de plus auraient suffi pour atteindre, de manière à l’éviter héroïquement, le bourg et son école, dans la cour de laquelle la maîtresse… Au lieu de cela, notre pilote s’écrasa bêtement en rase campagne sous les yeux irrités des chasseurs qui pétitionnent déjà régulièrement contre les avions en rase-mottes qui effraient les sangliers.« Qu’eussent été trois litres ? Discours, croix d’Ottobus, adjudants-chefs… Pour trois litres, tout est perdu !
« Pour trois litres ! Trois litres !…
Note : le calembour « Bestagenke-Stadt » n’est pas de l’auteur. Origine inconnue.
HISTOIRE ROMANCEE QUOIQUE VECUE
Il arrive – rarement – que des pilotes privés entendent de la part de professionnels des discours assez désagréables sur leur loisir et ce qu’il conviendrait d’en faire. Nous avons ici mis sous forme humoristique un tel incident, à partir d’une opinion de professionnel réellement entendue.
Note : en certaines langues telles le sborzjène le « ö » et le « ä » surmontés d’un tréma se prononcent respectivement « eu » et approximativement « é ».
Décor : un restaurant sborzjène de standing banal. J’y déjeune avec mon père, octogénaire de santé générale meilleure que la mienne. Grand myope depuis toujours, le voilà depuis son opération bilatérale de la cataracte, apte à piloter un ULM sans lunettes. Il se rend à la messe le samedi soir de manière à disposer de tout son dimanche pour galoper dans les bois où il est difficile à suivre. Valétudinaire, égrotant, je suis écoeuré. En outre, mon français relève du petit-nègre en comparaison du sien.
Nous faisions du tourisme bien hors de France, dans les vallées orientales de la Zborzjénie transcarpathique (Monastère de Saint Olesvlav-Kelbomek : *** vaut le voyage ; accès des cryptes aux fresques obscènes sacrilèges du XIème siècle strictement interdit, sauf versement au guide de cinquante millions de drachnars (0,50 euro) en faveur de ses oeuvres bachiques. Chaîne des monts Smetana-Lamoldo (1) : ** mérite le détour ; il est fortement déconseillé de s’y aventurer sans une AK 47 ; à l’inverse des Pyrénées, les autorités versent cinquante milliards de drachnars par queue d’ours et dix par paire d’oreilles de loup qui leur sont rapportées. Il était récemment encore possible de visiter dans les endroits reculés des monts les élevages clandestins de loups. Malheureusement on y très mal reçu depuis qu’on risque d’être pris pour un agent de la firme Mont-Sancto qui travaille à breveter la pousse hors-sol d’oreilles seules, ce qui détruira encore tout un pan de l’agriculture traditionnelle).
A la table voisine distante d’un mètre (en unités de mesure locale, un peu moins de deux pieds de la princesse Nadhiagreh, qui passe encore pour la plus belle femme ayant vécu dans le pays), trois hommes de la région savourent leur kèlorör (yeux de brebis macérés dans l’alcool national – un filtrat d’airelles et de framboises broyées dans le glycol – et servis tièdes avec leurs cils dans la cancoillotte de huit ans d’âge. La brebis énuclée est traditionnellement abattue l’année suivante à la veille des célébrations du martyre de saint Nclas Srkzy, dénoncé en 642 à l’occupant luxembourgeois Khlyrsthrym par l’abominable Dniq Vllpn, et qui mourut en bénissant son délateur). Nous entendons leur conversation, n’étant séparés d’eux que par l’amoncellement du gibier en cours de faisandage accéléré sous une batterie de lampes halogènes, pratique rigoureusement interdite par les services sanitaires du pays en raison du coût pour l’économie sborzjène de l’importation des lampes. Les trois hommes conversent suffisamment haut pour qu’on sache à qui l’on a affaire (Wyrr zhinde polyghlott, maï phater y moï… le sborzjène ne nous fait pas peur). Il y a là deux officiers pilotes de la Zborzj Vozdy Sil, l’armée de l’air, en compagnie d’un quidam couleur muraille au regard fuyant, probablement un ancien politkhomiszähr de la ZVS.
Je rédige sur un bout de papier arraché à la nappe un court message que je passe à l’auteur raisonnablement présumé de mes jours : « Attends un instant de silence à la table voisine pour me demander combien j’ai désormais d’heures de vol comme simple pilote du dimanche ».
Le silence de la salle, interrompu simplement aux hors-d’œuvres (Nous avons prétexté l’appartenance à une église abstinente pour refuser l’apéritif national) par les menaces de mort du violoneux à qui mon père a refusé une pièce de vingt millions en disant avoir déjà assez mal aux dents comme ça ; le silence donc est interrompu de nouveau par les appels stridents de la patronne à tous les élus du paradis sborzjène lorsqu’elle découvre le sort fait à sa nappe que j’ignorais définitive. Pauvre femme qui l’avait mise toute neuve en l’honneur de ses hôtes étrangers. On s’étonnera après ça de voir la médiation de la France écartée au profit de celle des Etats-Unis dans la résolution du quarantième contentieux en six siècles avec la Strylvonie voisine au sujet de la navigation danubienne entre les deux pays. Et il y a pire : voilà perdue par ma bêtise une vente probable à la ZVS de trois Rafale SO (Stripped Off) à deux Verdon et avionique Radiola.
Cependant mon père finit par trouver un créneau sonore, juste avant le retour à travers la salle du gardien de cochons qui regagne l’arrière-cour avec ses protégés qu’il encourage à coups de bâton. Je rattrape un peu mes sottises en livrant le porcelet tremblant qui s’était réfugié dans nos jambes en devinant des compatriotes de Brigitte Bardot.
Bref, mon père parvient à placer : « Et au fait, combien d’heures de vol as-tu maintenant ?… »
Mille cinq cents, dont six cents sur mes trois prototypes de tourisme… Le tout à mes frais, évidemment ! Et pour la retraite ? Ah, non, ça ne compte pas !
La conversation à la table voisine change instantanément de sujet. Il n’est plus question d’éradiquer du ciel tout ce qui n’est pas militaire ou commercial.
*
Bien au contraire, nous apprenons alors foule d’anecdotes plutôt préoccupantes sur les qualités de vol du MiG-21KK, une reconstruction locale bi-Marboré / Walter HWK 509A à base de cellules réimportées du Mozambique. Les Walter ont été retrouvées neuves en caisses d’origine en 1996 dans une grotte des Lamoldo – dissimulées probablement lors de l’avance de Tolboukhine – par un berger qui cherchait un endroit discret avec sa chèvre.
La biographie de saint Nklas Srkzy est en cours de rédaction par mes soins pour Wikipedia. Son retrait est programmé pour le lendemain.
(1) Calembour emprunté à un numéro de Jalons.
CRITIQUES DE LIVRES
Je livre aujourd’hui une part des critiques de livres d’aviation parues au fil des ans sous ma signature dans le bimestriel Le goujon du Loiret :
Generalderjagdfliegerritterdeseisernenkreutzesmitdemeichenlaubmit-schwerternmitbrillanten Adolf Galland : Jusqu’au bout sur nos Messerschmitt.
Cet as de la Luftwaffe aux 104 victoires (chiffre prémonitoire du plus sûr avion de chasse d’une arme restaurée dans la démocratie quelques années plus tard) devenu général-en-chef-des-chasseurs-chevalier-de-la-croix-de-fer-avec-feuilles-de-chêne-glaives-et-diamants, déçoit beaucoup dans son livre de mémoires : soucieux surtout de tirer à soi la couverture au travers d’un constant étalage d’humour incertain (qui fait l’humour dans les pages que vous tenez ? Le général n’avait peut-être pas compris…), ce serviteur empressé du devoir prend de manière déplaisante ses distances envers ses bienfaiteurs. Il rit avec ingratitude de l’inculture d’Adolf Hitler, dont il se paie la tête parce qu’il a découvert par hasard que son Führer confond les eaux de diamants divers et n’entend visiblement rien à la gemmologie ! Et puis ? Guider – führen – un grand peuple réclame-t-il la science du joaillier ? Non content de ce persiflage, Galland se moque également avec un à-propos cruel des costumes polychromes chatoyants qu’affectionnait son supérieur Göring.
Ainsi Galland montre-t-il au fil des pages comment on peut se congratuler avec l’héritier de Barberousse et du grand Frédéric ; se taper sur les cuisses avec le brave gros Hermann ; avoir tué fort loyalement plusieurs dizaines d’Anglais ; estamper son père ; tourner un fanfaron italien en ridicule ; rester fidèle à ses convictions jusqu’en 1996, date à laquelle il fallut après le dernier infarctus s’expliquer devant plus gradé que lui…
… et cependant laisser son lecteur pilote sur l’embarrassante impression d’un aviateur doté de moins de grandeur que nous rêvons d’en voir à tous les hommes du ciel.
Aurait certainement accepté de se battre même pour une démocratie, pourvu qu’elle lui fournît un avion à piloter.
Nagatsouka :J’étais un kamikaze
Un pur. Il y en eut partout.
« être un kamikazé » : verbe habituellement défectif qui ne possède pas en principe de passé, sauf quand le mauvais temps fournit la bonne excuse pour ne pas trouver la flotte américaine et rentrer dans ses confortables quartiers. A noter que le… héros de cette histoire ne s’en est pas tiré à si bon compte : son adjudant lui a passé un bon savon au retour.
Ce livre n’a pas été traduit du japonais mais écrit en français dans le texte du premier au dernier mot par un… un pilote, certes… pas bien résolu… (étant pilote nous-même, nous avons tendance à approuver l’adjudant) étudiant en lettres (ah ! on comprend déjà mieux !) françaises (voilà qu’à nouveau on ne comprend plus) à l’époque où déjà le Japon épuisé manquait de tout : c’est pourquoi sans doute le texte pour être historiquement intéressant ne présente aucune valeur littéraire. Mais comment résister à ce gamin amoureux de George Sand qui s’envole pour ce qu’il croit être son dernier vol, en emportant Les Maîtres sonneurs dans sa combinaison ?
A moins qu’il n’emporte don Quichotte dans la traduction espagnole, et ainsi de suite.
Note à l’intention des kamikazés perdus dans la brume : le pilote qui ne trouve pas son objectif conserve la faculté de l’appeler pour lui demander un QDM. Ne riez pas, un bombardier anglais dans la campagne de Suez a ainsi demandé – et obtenu – un cap de l’aérodrome égyptien qu’il devait assaisonner.
(Remarque : Mon persiflage à propos de « don Quichotte et ainsi de suite » est parfaitement infondé ; Nagatsouka devait après la guerre devenir professeur de français et son nom se trouve sur des sites parlant de George Sand et Nohant).
Scott : Dieu est mon copilote
Que reste-t-il à dire à un pauvre critique littéraire « civil » devant ce que sait écrire un soldat ? Mieux vaut se borner à citer :
« … à douze ans… grimpant sur le clocher de l’église baptiste, j’y capturai douze pigeons blancs que j’allai lâcher à une réunion… au plus pathétique de la prière. Je faillis mourir de rire – j’en ris encore – à voir les (allez voir vous-mêmes le texte original ; des lois sont passées depuis) se roulant dans la sciure, roulant aussi des yeux blancs en criant : « Gédéon, Gédéon – allélouia – gloire, gloire à toi ! »
« Au total je tirai 1890 coups de mitrailleuse sur ces trois ou quatre cents hommes et je ne pense pas en avoir laissé debout plus d’une poignée [ils étaient dans un chemin creux profond dont les bords détrempés étaient impossibles à escalader]. Très fatigué, je suis rentré très joyeux. »
« … nous sommes tous tombés d’accord sur un point : nous combattions pour la femme américaine. »
Mouchotte : Carnets
Le pur entre les purs. Les purs sont candides et ne savent pas toujours se relire. Chapitre XII, page 130 de l’édition Flammarion, 1949 :
« Le C.O. (commanding officer ; NdlR) a eu la moitié de sa queue arrachée par un obus, mais a pu rejoindre la base en tenant son manche à deux mains. Je suis comme tous très excité… »
Peter Windso… Townsend : Duel dans la nuit
Souvenirs d’un aviateur anglais sous le Blitz. Encore un aviateur qui ne sait pas écrire. Notons rien qu’en première page :
« La nuit venait de tomber sur Singapour avec cette soudaineté qui sous les tropiques caractérise la disparition du soleil » ; cliché !
« … un garçon Tamoul au teint plus sombre que la nuit » ; poésie pour académie de chef-lieu d’arrondissement !
« … un Vickers Vildebeest, un biplan aussi laid que le bovin africain dont il portait le nom » ; incorrection de langage et considérations colonialisantes qui ne sont plus de mise à notre époque !
« Montant de plus en plus haut dans le ciel étoilé et pourpre… » Comparer avec l’équivalent chez Clostermann : « Soudain, sans transition, comme un plongeur je m’enfonce en pleine lumière dorée. Les ailes de mon Spitfire s’empourprent […] le soleil émerge comme un lingot brûlant du bloc de plomb solide et inerte de la mer du Nord »… C’est un peu différent…
Le texte s’améliore en page 126 : « … l’extrémité de mon pied me faisait mal, comme c’est le cas aujourd’hui encore, quand elle heurte quelque chose. »
Son pied avait reçu un éclat d’obus ; le mien, non. Cependant, lorsque je me lève la nuit dans le noir sans prendre garde à mes mouvements, je suis facilement pris de hurlements terribles pour le même motif. Ce doit être une particularité commune à tous les aviateurs.
COURRIER A LA REDACTION DU FANA DE L’AVIATION
Bavardant avec un de tes collaborateurs, Fana, je me suis laissé dire qu’il existait des collectionneurs n’ayant pas surmonté voici une vingtaine d’années le choc moral du remplacement de tes reliures d’antan par de simples boîtes ; ce n’est pas tant le nouveau mode de rangement qui les embarrasse, que la rupture de présentation entre classeurs, puis boîtes ; la continuité esthétique est brisée ; ils ne le supportent pas. Ils ont réagi en s’enfermant dans leur chambre avec leurs Fana d’avant le changement, ignorant volontairement qu’une suite existe et continue, ne voulant plus vivre que tournant éternellement en rond dans le temps figé de leurs numéros en classeurs, qu’ils relisent éternellement dans un instant à jamais arrêté.
Je ne suis pas loin de sympathiser avec eux. Personnellement je regarde comme des Fana vraiment authentiques les seuls numéros orange. Je ne considère même comme de véritables Fana que les 125 premiers numéros, avant que le format de la revue ne change et rompe l’ordonnancement général. Au-delà de la 100 e parution le numéro est devenu plus épais, sa couverture moins raide ; le Fana est déjà moins digne selon moi de collection. En fait, l’Album du Fanatique de l’Aviation a vu son titre amputé à partir du numéro 65 (avec une brève résurrection pour le 71), d’où il ressort que les seuls Fana dignes de ce titre sont les 64 premiers.
Hum ! La rareté faisait tout le prix des premières années du Fana ; non que le Fana fût difficile à trouver en kiosque ; mais je pense à la rareté des publications aéronautiques à cette époque, et au petit nombre de sujets amoureusement choisis dont il fallait se contenter dans les 36 pages du mince fascicule mensuel. La science aérophile était denrée précieuse parce que parcimonieuse. Chaque nouvel et maigre numéro du Fana s’attendait comme un trésor de l’esprit. Dès le numéro 51 la revue s’épaississait, entreprenant sa dérive vers la vulgarité de l’abondance facile. Les Fana authentiques sont les 1 à 50.
Les puristes, seuls vrais lecteurs, ont pensé bien sûr à réclamer un Fana sans photographie, de manière à perpétuer l’esprit de l’Aeroplane Spotter des années de guerre ; mais on avait abandonné cette prétention ; on s’était résigné à cette concession au modernisme inéluctable. Hélas ! A qui consent le doigt, on prend le bras ; voici qu’apparaît au numéro 29 une innovation dangereuse comme toutes les innovations dont on n’a que faire dans les traditions établies : la photographie en couleurs, aussi incongrue dans le Fana première manière que la photo tout court l’était autrefois dans le Monde, bien déprécié dans l’esprit des connaisseurs depuis qu’il est illustré. Le Fana véritable ne va pas au-delà du numéro 28.
Le Fana est né in extremis dans les années soixante… Un changement de décennie n’est pas un mince détail ; il bouleverse tout dans l’esprit des vieilles choses… Les millésimes en « 7 » sont-ils encore des Fana comme les premiers ? Je ne le pense pas. Le Fana historique, le seul incontestable, ne se prolonge pas après le numéro 6 de décembre 1969.
Mais est-on vraiment en droit d’appeler « Fana » un numéro dépourvu d’un article maquettiste d’Ezdanitoff ?… A cette question souvent âprement débattue voici un quart de siècle dans les cercles fanamanes, je réponds personnellement que cela ne semble pas possible. Or la participation d’Ezdanitoff ne débute qu’avec le numéro 13, bien après donc le numéro 6. La conclusion en découle d’elle-même : le Fana n’a jamais existé ; il n’est qu’un songe inaccessible ; ou pour paraphraser l’antique réclame de la maison Dassault pour ses Mirage, le Fana est « aussi insaisissable pour ses adeptes que le mirage est insaisissable pour le voyageur du désert. »
Il fallut pourtant vivre comme si le Fana existait, tout comme le croyant le plus spiritualiste oblige son corps à vivre alors que seul compte pour lui l’esprit. J’ai donc acheté chaque mois, en dépit de l’absurde, le spectre matériel illusoire de ce Fana qui n’a jamais été. Ma plus grande aventure fut celle de ton numéro 43, celui du premier avril 1973, celui de ton premier canular, l’intercepteur imaginaire Klagenfurt. A cette époque je découpais encore tes pages pour faire des fiches d’enfant sur de grandes feuilles de classeur ; j’ai fait le jour même de mon achat la fiche de l’avion-fusée, mais des bavures de colle salissaient les photographies plaquées sur le papier blanc. J’ai couru acheter un second numéro, pour recommencer. Juge de ma tête en découvrant la tromperie dans le numéro du mois suivant : le Klagenfurt était pure invention ! Trois ans plus tard je rencontrais par hasard le seul de tes prêtres que j’ai jamais connu, le grand-maître es-Luftwaffe X…, en compagnie duquel je suis avec deux amis communs allé voir dans un cinéma de Strasbourg la bataille de Midway où Charlton Heston décolle dans un Dauntless pour apponter (très mal) dans un Helldiver. En faisant mine piteuse (contrepet) à l’évocation de ces pénibles souvenirs, j’ai raconté à X… la mésaventure de mes deux numéros 43. J’attendais des paroles de compassion, peut-être même le remboursement du second numéro… et je n’eus droit qu’à un rire mal étouffé !
Je n’ai vécu depuis que pour laver la honte de cette affaire ; je n’ai plus eu que cette seule pensée : traquer tous tes numéros 43, les 30 084 que je n’avais pas achetés (le chiffre est imprimé en bas de la page 32) pour les faire à jamais disparaître, pour effacer de la mémoire aéronautique jusqu’au souvenir du traquenard inhumain où j’étais tombé. J’y ai mis trente ans, mais j’en ai interceptés huit, patiemment guettés dans les petites annonces, achetés par des prête-nom laissés dans l’ignorance de leur commanditaire. Ainsi ne reste-t-il dans la nature que 30 076 témoins de mon infâmie. Mais voici qu’un autre encore va tomber : je flaire l’existence d’un numéro 43 dans cette collection complète à vendre. J’appelle l’annonceur avec des accents enflammés pour le dissuader de cette folie : brader la série d’un coup. Il en aura bien meilleur profit à vendre au numéro. Mes arguments portent ; il va revenir sur sa position…
– Et pour vous prouver la véracité de mes dires, je lance le mouvement en retenant le numéro 43.
(manque ici un passage)
Il a juré, encore que sa voix dénotât de sourdes interrogations. Je remportais une victoire de plus sur le scandale et la honte ! Je sais que je ne reculerai devant rien. Si tu entends une nuit, Fana, des craquements dans tes réserves, ce sera moi, en train de fracturer tes classeurs pour me saisir de l’exemplaire du numéro 43 de la collection de la rédaction. Depuis 1973, bien sûr, pas une femme n’a compris le sens de ma quête ni su m’épauler ; pas une pour s’être durablement montrée capable de donner les sommes toujours croissantes exigées par les détenteurs de numéro 43 qui s’échangent mon adresse. C’est donc sans plus m’embarrasser de la présence de l’une d’elles qu’il m’a fallu poursuivre mon but. Et puis il y a eu ce déménagement. Pour fêter mes quatre-vingt dix-sept ans, j’ai montré au docteur qui me visite à domicile toutes les semaines mes trois cent vingt-neuf numéros 43. Dans la chambre capitonnée où l’on m’a logé depuis avec tous mes Fana orange, j’attends chaque jour le passage des infirmiers à qui j’ai offert de se partager ma succession s’ils m’apportent les 29 755 exemplaires qui me manquent encore, avec bien sûr l’engagement de n’y rien photocopier. Ils ont promis, et depuis que j’ai cette assurance je ne les menace plus, et ils ont défait mes bras dans le dos. J’en profite pour recompter fébrilement mes numéros 43…
ENTRE GENS DE BONNE COMPAGNIE
J’ai voulu profiter de mes vacances sur Mars pour gonfler mon carnet de quelques heures de vol au-dessus de ses déserts de rouille. La densité atmosphérique valant le centième de la nôtre, la vitesse minimale y est de plusieurs centaines de kilomètres à l’heure ; en sorte que l’ULM n’existe pas ici. J’ai dû passer une visite médicale.
La morphologie des Marsiens est étonnamment proche de la nôtre, si l’on excepte l’œil supplémentaire et diverses différences internes invisibles. Cette similitude nous permet de partager avec les Marsiens le plus clair de nos loisirs. Sur certains, j’étendrai un voile pudique. Sur d’autres comme les sports aériens, il me restait à découvrir.
Le son ne se propageant guère dans l’air marsien trop rare, j’ai pris rendez-vous chez le médecin par émail. Son secrétariat m’a prié de passer à dix heures le géodi suivant. Le géodi sur Mars s’intercale entre le lundi et le mercredi. Le médecin et moi nous sommes bien entendu parlé par gestes, comme ici chacun. Le médecin a commencé par tiquer sur l’absence de redondance de mon coeur unique, et tout d’abord envisagé une restriction de privilèges au seul pilotage accompagné. Mon défaut d’oeil arrière ne lui convint également qu’à moitié, car, bon siècle mal siècle, deux ou trois abordages en finale sont évités sur Mars grâce à cet organe.
Mon absence de longeronesthésie lui plut moins. La longeronesthésie est un sens propre aux Marsien, qui leur permet de « sentir » les criques et autres malcollages dans les longerons. L’alongeronesthésie sur Mars entraîne évidemment l’inaptitude. Vérité en-deçà d’Olympus Mons… Qui a raison ? O Bijave, O DR-400…
Mais là où il s’étonna tout à fait, ce fut au sujet de mon défaut de sens de l’équilibre absolu. Si les Marsiens n’entendent pas, ils conservent des osselets vestigiaux gyroscopiques auxquels ils doivent même en l’absence de visibilité de conserver toujours la référence horizontale. Ces organes me manquaient ! alors que des milliers de pilotes se tuent chaque année sur la Terre à la suite d’un passage involontaire en IMC !
– Ainsi, me dit-il par gestes, vous jugez sur la Terre les individus aptes au pilotage lorsque les perceptions de leurs sens sont simplement intactes, alors qu’à l’évidence elles n’en sont pas moins insuffisantes ?
Je dus avouer que tout semblait bien chez nous prétexte à voler. Je tentai d’ergoter en précisant qu’on nous disait simplement d’éviter les nuages, en sorte qu’il pourrait déroger peut-être en faveur de mon expérience acquise et de la nébulosité tout à fait nulle sur Mars. Peuh ! Il dressa pour mon édification une courte liste de quelques affections terriennes inconnues sur Mars, et qui ont en commun de survenir sous la forme d’une première crise inattendue chez le sujet apparemment sain. Si toutes n’ont pas la gravité de l’épilepsie, elles ne sont pas moins incapacitantes. Il faut avouer que c’est à s’interroger sur ce qu’est un sujet apte. Je regrette de ne pouvoir ici reproduire pour le comique cette petite liste, mais, venant d’un non-médecin, on me soupçonnerait aussitôt de ne connaître ces amusettes que pour les avoir éprouvées. Mais enfin, j’ai désormais la preuve que l’aptitude n’existe pas.
Pour atténuer ma déception, il me consentit le certificat de classe 4 exigé sur Mars pour tout passager. On ne conçoit pas là-bas que le porteur d’affections susceptibles d’être réveillées par l’altitude puisse monter même en passager. Rien n’est plus raisonnable. Depuis le dépôt de candidature de Mars à l’Union Européenne, Bruxelles et Cologne se penchent d’ailleurs sur la question. L’attribution de la classe 4 pourrait naturellement être exclue après soixante-dix ans (1).
– Ne m’en veuillez pas, ajouta-t-il en glissant mes 75 marsios dans son tiroir ; je compte aller pour la première fois sur votre planète l’année prochaine, et y voler un peu. Je ne manquerai pas de vous y convier à monter avec moi.
J’émis alors, toujours par signes, des doutes relatifs à son aptitude otologique ici-bas. Eh bien ! Il est devenu tout de la couleur de sa planète !
(1) Rappelons qu’il s’agit d’une fiction (en tout cas au 06/06/2010, date de rédaction).
PLACE ! PLACE AU MARQUIS DE CARABAS !
Le marquis de Carabas a daigné se poser à Saint-Cléziat sur Gartempe dans son carrosse Robin attelé de cent-soixante pégases du Nouveau Monde. La marquise et le petit marquiseau lui faisaient compagnie. Robin est un usinier aristocratique puisque le robin est un magistrat, membre de la noblesse de robe. Les manières énergiques et dépourvues d’onctuosité du marquis le rangeraient plutôt, nous l’allons voir tout à l’heure, parmi la noblesse d’épée.
Le marquis atterrit (passé simple). Nous vîmes le carrosse progresser lentement vers le parking en dur de dix toises en large qui s’étend au long des écuries du club. Les portes en étaient largement ouvertes. En dedans les écuries, l’aéronef d’un pouilleux, un Mignet, quoi, construit par votre serviteur, se trouvait devant les autres et disposé sensiblement en travers. Le marquis à l’instant de parvenir sur le dur fit faire volte-face à son équipage. Un vent d’une certaine importance suppléa alors le balayage quelquefois oublié des écuries.
Cela n’était rien encore. Une roue du carrosse chut dans un trou ; la chose en vérité serait douteuse car il n’y a point de trou en principe sur notre herbe, mais nous avons la parole du marquis. Il est vrai que depuis que la France entend se gouverner par elle-même, on ne peut plus envoyer les manants à la corvée. Personne ne bouche ainsi plus les trous. A preuve, le marquis lui-même a-t-il perdu son droit de premier intervenant après les noces des ses payses.
La marquise et le marquiseau n’étant point personnes d’une qualité à pousser les carrosses, demeurèrent assis en icelui. Le marquis cingla d’un coup vif les reins des cent-soixante pégases. Le carrosse parut quitter le trou prétendu, mais la conservation de la quantité de mouvement totale fut cause du rejet en sens opposé d’un souffle hélicoïdal digne du rang du personnage. Dans les écuries, le gouvernail de direction du pouilleux saisi par son travers s’en alla claquer avec violence contre ses butées, ce pendant que le manant propriétaire se couvrait les yeux pour les défendre d’une tornade de poussière.
Le marquis, démocrate au fond, vint aussitôt se confondre en regrets et s’assurer que le gouvernail ne portait point de dommage.
Ici, nous rêvons. C’est le pouilleux qui vint porter au marquis ses respects, encore qu’assez bien dans sa manière de rustaud, sans rien des délicatesses de la politesse de cour. Le marquis s’emporta bien, mais point du tout contre lui-même. Il cloua le bec au rustre limosin (relire : « Monsieur de Pourceaugnac ») en lui signifiant avec irritation à la vue de son bidet Mignet, qu’une machine d’un tonnage digne du nom d’aéronef n’aurait pas même frémi sous l’orage.
« Ognez vilain, il vous poindra ; pognez vilain, il vous oindra. »
MISCELLANEES : INTERVENTIONS DIVERSES PUBLIEES SUR UN FORUM AERONAUTIQUE
On ne le dira jamais assez : la fin du communisme international fut un désastre pour les humoristes politiques. On peut attaquer sans fin le libéralisme anglo-saxon ou les morales théologiques ; pas moyen d’en rire ! On ne rit que des contradictions internes d’un système, ou de son langage fleuri, pas de sa froide logique. Ce langage si particulier de l’internationalisme prolétarien, déjà presque oublié, qui ne regrette de voir la génération nouvelle grandir sans jamais plus l’entendre ? Faisons du moins un effort pour elle, pour tous ces jeunes gens du troisième millénaire, qui n’ont plus dans leurs lycées et facultés ces camarades marxistes d’antan au discours si riche des fleurs d’une rhétorique bien savoureuse, toujours si vivante au coeur des survivants de la guerre froide.
Premier octobre 1983. Les Soviétiques envoient par le fond un Boeing civil de la Corée du Sud, garni de ses trois cents passagers. Adressons au victimes du raz-de-marée de protestations un court message de bien nécessaire soutien :
Monsieur l’Ambassadeur,
Gloire soit rendue aux vaillantes forces de la défense aérienne de l’Union Soviétique, qui n’ont pas craint de démasquer et punir l’impérialisme yankee lâchement dissimulé sous les traits de son laquais sud-coréen.
Non content de voler au peuple coréen la moitié de son territoire, de faire planer depuis trente ans à sa frontière la menace de la guerre, le capitalisme monopolistique ne songe qu’à prendre la revanche de sa cuisante défaite de 1953.
C’était sans compter sur l’inébranlable détermination du parti et du peuple de l’Union Soviétique à étouffer partout où ils se manifestent les sursauts scélérats de l’impérialisme aux abois.
Je vous assure, Monsieur l’Ambassadeur…
Trente ans plus tard, toujours pas de réponse.
*
On se rappelle David Vincent qui voici trente ans se débattait pour sauver la planète non pas du gaz carbonique, mais des diaboliques Envahisseurs prenant l’apparence humaine. Il était jeune, il était beau, et nous conservions à bon droit l’espoir qu’il sauverait au moins l’Amérique. La tâche serait rude, puisque personne en son pays ne le prenait au sérieux.
Ici non plus, d’ailleurs.
Il était si beau qu’il parvint même un jour à embrasser à la française une belle Envahisseuse qui se trouvait être, par exception, rebelle à l’impérialisme assassin de ses congénères. Il avait tout de même fait preuve de discrimination envers l’orientation sexuelle des personnes, en commençant avant de rouler sa pelle par demander à l’Envahisseuse si elle était bien sur sa planète l’équivalent d’une femme. Je n’invente rien.
Hier, ce fut un choc. J’ai revu sur un téléviseur David Vincent plus de trente ans après, tel qu’il est de nos jours. Eh bien… Il n’est plus certain du tout qu’il ferait encore un tabac auprès des belles Envahisseuses.
C’est de sa faute. Voilà ce qui arrive quand on cherche toujours la bagarre. Supposons qu’au lieu de se disputer avec les Envahisseurs, il ait noué des relations amicales. Les Envahisseurs l’eussent invité à une balade en soucoupe volante. Quittant la terre un jour de 1975, David Vincent aurait en une heure sillonné la galaxie à 99,9999999999% de la vitesse de la lumière, et, hier, eût après un vol spatial d’une heure dans son propre référentiel, débarqué avec ses traits d’il y a trente et des années.
A quoi tiennent les choses, si ce n’est à un peu de bonne volonté réciproque ?
N.B. L’auteur précise qu’il n’est pas du tout dans ses intentions de tourner en dérision des vérités aussi solidement établies que les visites d’extra-terrestres, mais seulement de blaguer les théories abracadabrantes sur le temps de la physique contemporaine.
Quarante ans après avoir assisté à la télévision à la scène difficilement acceptable de nos jours qu’il a mentionnée, l’auteur l’a retrouvée sur la toile ! Il s’agit de l’épisode 41 des Envahisseurs, sur Youtube, à exactement 38 minutes.
*
Un contributeur du forum demande l’origine et la signification du cri « train bleu ! » lancé, paraît-il, sur un porte-avions au pilote manquant son appontage pour lui signifier de remettre les gaz.
Cette expression qui remonte à la guerre provient indirectement de l’argot aéronautique allemand. « train bleu » se dit dans cette langue « blauer Zug » (prononcer : bla-o-eur tsoug). Les instructeurs de la Luftwaffe en Strylvonie yougoslave répétaient en riant : « Blauer Zug ! Blauer Zug ! » lorsqu’ils entendaient à l’occasion d’atterrissages manqués leurs homologues strylvones hurler à leurs pupilles à travers le cornet d’interphone de leur Avro 504 : « plaoörrhdzoogh ! », ce qui veut dire dans la langue du pays : « Même une p… de c…nasse de vieille chèvre molvanienne m’aurait fait une approche meilleure que celle-là ! Alors, ces gaz ? C’est pour aujourd’hui ou pour la saint Wzladiszlaw ??? »
*
Un contributeur vivant dans un pays fait selon Voltaire de quelques arpents de neige, donne la liste des 89 articles qu’il juge d’emport indispensable en ULM pour le cas d’une vache hivernale sur un désert gelé. Cela va de la lotion anti-moustiques à la tente en passant par le poêle multi-carburant, la scie et la hachette, quinze jours de nourriture, les verres en mélanine et les poêlons, la capote anglaise pour transporter l’eau, le téléphone par satellite, les ensemble couteau-fourchette… en plus d’une carabine. Qui plus est, il souhaite l’extension de 450 à 600 kilogrammes de la masse des ULM (forcément !) et l’obligation pour toute machine de cette catégorie d’emporter n’importe où au monde l’impensable cargaison ! Je propose un complément, parce que cette énumération laisse encore un peu à désirer
– Ordinateur de gestion du conteneur de matériel de secours ;
– Combiné au format 20 mm x 20 mm : manuel des Castors Juniors / ancien et nouveau Testament ;
– Couteau à glace pour monter l’igloo ;
– Traîneau à voile destiné de là à rejoindre la civilisation ;
– Pour le cas de « buffle » en pays tropical : casque et short coloniaux, tente anti-moustique, anti-paludéens, distillateur solaire pour l’eau saumâtre ;
– Coffret de prestidigitateur destiné à se faire passer auprès des naturels pour le dieu blanc dont la venue est annoncée par leurs légendes ancestrales ;
– Verroterie à offrir au chef pour éviter d’être convié au banquet de bienvenue dans un rôle désagréable ;
– Portrait par Cabu de la fille du proviseur, destiné à meubler les longues soirées sous la tente ;
– Sopalin ;
– Bâton à caler verticalement dans la gueule du crocodile pour la coincer ouverte ;
– Pirogue destinée à rejoindre la civilisation ;
– Bouteille de dioxygène pour le cas de « yack » en haute montagne
– De là, deltaplane pliant en tubes télescopiques destiné à rejoindre la civilisation ;
– Ephémérides des éclipses de soleil pour éviter le bûcher en cas de « lama » dans les Andes, suivi de violation involontaire d’un temple précolombien ;
– Paramoteur destiné à rejoindre de là la civilisation ;
– Accessoire textile céphalique destiné à épargner à la passagère d’être mal vue en cas de « chameau » dans une contrée pétrolifère ;
– Carte de réduction chez MacDonald’s ;
– Manuel de conversation anglais / aborigène pour le cas de « kangourou ». Vos interlocuteurs connaissent l’anglais, naturellement ; ils ne le connaissent même que trop ; mais il est respectueux de leur parler leur langue ;
– Douze mouchoirs de flanelle ;
– Six paires de chaussettes en fil d’Ecosse, avec fixe-chaussette ;
– Pinces à vélo ;
– Pantalon de golf ;
– Recueil de nouvelles aéronautiques ;
– Tabac.
Faisons une réserve en ce qui concerne la carabine préconisée par le contributeur, et qui est évidemment là pour se défendre des ours. Or il faut savoir que tuer un ours est en nos Pyrénées plus grave qu’assassiner le président. J’ai dit : « tuer un ours » ; j’ai voulu dire : « tuer l’ours ». A prévoir : trois semaines de colère médiatique du ministre de l’environnement, du développement durable et des photopiles en porte-clefs ; émotion populaire intense : la classe ouvrière en oublie ses controverses philosophiques et religieuses ; rage des politiques dont la campagne des Régionales passe au second plan de l’actualité ; excommunication majeure fulminée par les Verts ; dégradation civile et militaire ; procès de l’assassin devant un public vociférant en exigeant quinze ans de galères ; perte de l’allocation logement ; publication du jugement aux frais du condamné, paiement du papier timbré, remboursement du traitement des deux cents fonctionnaires en charge de l’ours, frais de remise en état de la descente de lit trouée.
Plaignons nos amis contributeurs belges et luxembourgeois dont les plats pays ne seront jamais vraiment écologiques, la modestie de leurs étendues sylvestres et orographiques n’étant pas propice à la réintroduction du plantigrade slovène.
Michel Colomban étudie l’emport du pack-survie dans le Luciole. Il envisagerait de charger le matériel dans un Twin Otter et d’y monter le Luciole en Mistel.
*
Un contributeur soucieux de profiter d’un voyage en avion léger vers la côte de Vendée, envisage d’en rapporter des bourriches d’huîtres et s’inquiète de la réglementation touchant leur transport par air.
Le transport d’huîtres par aéronef est soumis au dépôt d’un formulaire APC-237ter/comm.eur.000Z imprimable sur[URL=http://eurodébil.gouv]www.eurodébil.gouv/url] cinq jours ouvrables à l’avance. Toutefois, si les lamellibranches sont destinés à la seule consommation du pilote et de ses connaissances anciennes de plus d’un an, le transport est exonéré du dépôt du formulaire susdit sous réserve que la quantité délivrée à chaque destinataire n’excède pas une lamelle et une branche, d’une part, et que d’autre part l’aéronef soit équipé d’un casier réfrigérant homologué.
Les écailles, bien loin désormais d’être libéralement partagées par la cour entre les parties, doivent être recyclées dans les circuits prévus à cet effet. L’eau de mer retenue dans les mollusques ne doit jamais être jetée sur le sol, et moins encore en mer (1). Moyennant ces quelques efforts de chacun en faveur du développement durable, la planète vous dit merci. Mouche ton nez et dis bonjour à la dame planète.
(1) Tout comme il est interdit de remettre dans les mines d’uranium françaises les minerais appauvris qu’on en avait extraits plus riches.
*
Une contributrice posée en avion léger en Angleterre aux limites de l’Ecosse, déplore s’être beaucoup ennuyée dans la cité grise de Carlisle où il n’y a rien à faire, bloquée qu’elle était par une météo trop typically British. Elle pense à son associé qui assume en France le travail pour deux.
…tandis que tu laissais errer ton spleen dans les ruelles noires du vieux Carlisle à la recherche de l’atmosphère des nouvelles de Margaret Forster et de George Fraser… On n’a décidément rien fait de plus beau que l’Angleterre de l’ouest et du nord sous un ciel de linceul et une pluie noire d’on ne sait même pas quelle suie… Flic, flac ! Un pied jusqu’à la chaussette dans une flaque de pluie entre les pavés disjoints… Par chance un pub de huit pieds de large, à deux pas… « No French nor dogs » avertit un écriteau, mais tant pis ! Avec un niveau 6 en anglais (1), le patron ne voit que du feu… Chauffage en panne, odeurs froides, pas seulement de bière… Autour, des ombres… des chômeurs momifiés depuis Thatcher… O, Lord !
Ça, c’est des souvenirs !
(1) Meilleure note possible à l’examen d’anglais aéronautique pour la radio.
*
J’ai posé aux contributeurs une colle de mécanique du vol assez tordue. Le contributeur B. se passionne pour elle et s’exaspère de ne pas trouver. Le soir de ce jour d’hiver glacé, il se rappelle des documents techniques appropriés qui dorment au fond du garage.
B. dans le noir et la nuit va fouiller à la lampe de poche dans les cartons au fond de son garage sibérien à une heure indue, après avoir empêché madame de s’endormir à force de remuer le matelas en s’énervant à réfléchir. Il sort dans le froid en grommelant : « fait ch…, Ruthénium… », suivi du chien intrigué. A peine a-t-il exhumé la réponse et brandi le document en poussant un cri de triomphe, que le chien croyant à un jeu s’empare des papiers – gnap ! – et cavale avec à l’autre bout du jardin. B. en savates les pieds nus dans trente centimètres de poudreuse menace la sale bête qui n’en croit que davantage à un jeu, et fuit en sautant de tout côté. Finalement, un plaquage dans les rosiers vient à bout du chien qui glapit d’effroi en abandonnant une liasse de feuilles dilacérées que B. doit rechercher dans le noir en s’arrachant la peau aux épines. Mais la lumière se fait. C’est madame en robe de chambre qui se montre, se tenant les deux bras sous les épaules en frissonnant et interrogeant la nuit : « C’est quoi, tout ce b… ? ». Sur quelques explications confuses, elle réplique : « Quand tu le lâcheras un peu, ton forum à la… noix ! » (madame B. est bien élevée). Un cri rauque passe par-dessus le mur du jardin : « Tenez bon, j’appelle la police ! ». C’est le voisin s…k…zyste qui sort déjà son Kärcher pour nettoyer la vermine qu’il croit en train d’attaquer le quartier. Pas facile toutes les nuits, l’aéronautique.
*
Francis Bergèse a cessé de dessiner Buck Danny. On peut lire sur la toile que la reprise de la série n’attend qu’un nouvel et talentueux dessinateur. Concoctons un scénario :
Mai 2012. La France élit au second tour un président communiste et ostalgique, parce que 53% d’électeurs moralisateurs ont sans qu’on comprenne au juste pourquoi, trouvé qu’il était mieux d’élire un marxiste plutôt que l’extrême-droite. Le nouveau président quitte aussitôt le commandement intégré de l’OTAN pour entamer des négociations en vue de rétablir l’alliance russe de Nicolas II. Panique au Pentagone : le bouleversement stratégique entraîné par la défection française réduira dramatiquement la puissance des corps expéditionnaires interalliés ; la démocratie restaurée en Irak et Afghanistan est en danger ; prêts à l’exécution dans les anciennes républiques musulmanes soviétiques, en Corée du Nord et au Viet-nam, les plans MAD (Militarily Assisted Democratization) sont remis en question. Des dizaines de milliers d’emplois américains sont menacés puisque la reconstruction de ce qui n’aura pas été démoli sera sans objet. Il faut persuader amicalement les Frenchies de revoir leur position. Le président US charge personnellement Buck Danny d’une opération aéronavale de diversion sur les plages normandes, tandis que le gros des forces anglo-américaines débarque dans le Pas-de-Calais. Sur la base aérienne de Dijon, les Rafale enfin définitivement mis au tas, le lieutenant Laverdure sur Mirage IIIC ne parvient pas en dépit de prodiges de valeur à repousser seul l’invasion. Il met certes hors de cause le McDonalds de Laroche-Migennes déjà rempli de GIs bâfreurs, en anéantissant au bout de la rue le transformateur qui l’alimente. Plus de courant, plus de frites ; fin des espérances de la serveuse pesamment courtisée par ses nouveaux clients, et qui se voyait déjà fermière dans le Minnesota. De son côté Michel Tanguy est secrètement acheminé par sous-marin à Tel-Aviv pour y solliciter l’entremise d’un général en retraite qu’il avait jadis lâché sur Mirage III, et ainsi convaincu de faire choisir par son gouvernement l’avion français. Placé à dessein dans une histoire destinée à la jeunesse, cet épisode sous les flots nous vaut quelques images sur la fraternité entre les armes, avec un pilote chaleureux envers ses camarades sous-mariniers qu’il ne toise pas du tout du haut de sa stratosphère quotidienne. Mais Lady X servie par une gaffe de Sonny Tuckson évente l’affaire, qui va capoter comme un vulgaire train classique…
-
Mécanique du vol
____________________________________________________________________________________
Les sensations du pilote
Le comportement de la machine
La mécanique de son vol en fonction de sa morphologie
en langage vernaculaire
Et quelques autres considérations
A l’intention des maquettistes
Spotters, documentalistes,
Et tous aérophiles ne pilotant pas eux-mêmes
Je dois avertir ceux qui liront ce livre, et qui ont quelque connoissance de la Physique, que je n’ai point du tout prétendu les instruire, mais seulement les divertir, en leur présentant d’une manière un peu plus agréable et un peu plus égayée, ce qu’ils sçavent déjà plus solidement ; et j’avertis ceux à qui ces matières sont nouvelles, que j’ai crû pouvoir les instruire et les divertir tout ensemble. Les premiers iront contre mon intention, s’ils cherchent ici de l’utilité ; et les seconds, s’ils n’y cherchent que de l’agrément.
Fontenelle, préface à Entretiens sur la pluralité des mondes
AVERTISSEMENT
Sous son titre digne d’un ouvrage du XVIIIe siècle, ce livre ne saurait être en aucun cas regardé comme une source d’informations utiles au pilotage, quand bien même l’auteur explique ce qu’il fait lui-même en vol, ou ce que les autres font usuellement, voire inusuellement. L’auteur qui n’est pas instructeur de pilotage ne donne aucun conseil ; son lecteur s’il pilote ne se référera jamais dans sa pratique aux pages de ce livre, mais demandera conseil à un instructeur qualifié.
En particulier diverses affirmations relèvent de la généralisation et/ou de la simplification, et ne sauraient s’appliquer au vol réel de tel ou tel avion.
Les chapitres 59 et 78 peuvent être regardés comme récréatifs, et lus indépendamment du reste du texte.
La discussion entre aérophiles montre souvent une chose étrange à celui d’entre eux qui est quelque peu technicien : le passionné moyen lit les fiches techniques et regarde les plans trois-vues sans être a priori capable d’en déduire l’ordre de grandeur des performances d’une machine, ni rien de son comportement en vol.
Tout au plus l’aérophile fait-il des comparaisons simples. Il préfère souvent la science des insignes à celles de l’aérodynamique et de la mécanique ; l’auteur de cet ouvrage est lui-même pilote et créateur de trois monoplaces légers qui ont volé, si bien que les cocardes et autres blasons lui importent beaucoup moins que la façon dont un avion glisse à travers les airs.
« Qui utilise ces livres [le plus gros des ouvrages d’aviation, trop ignorants des fondements techniques et physiques ; note que nous ajoutons] est obligé de faire lui-même les calculs dans la marge ; cela […] amène inévitablement à penser que bien peu d’auteurs et d’aviateurs savent apprécier l’utilité d’un avion.
« Ces montagnes de détails fournissent rarement les charges alaires […] jamais le rapport charge/masse à vide. […]
« Ceci soulève une question qu’il faut poser : les historiens de l’aviation souhaitent-ils comprendre la machine et rendre sa fonction intelligible, ou veulent-ils simplement ajouter leur contribution à un immense bavardage ? (c’est nous qui soulignons).
(Richard K. Smith, traduit par Gonzague Gaudet dans le Fana de l’Aviation n°411)
Tel éditorialiste de la presse aéronautique regrette à l’inverse la technicité selon lui abusive de trop de monographies courantes. Il prend l’exemple technique de la charge alaire pour dire qu’il est « bien triste » de voir une indication si peu passionnante être substituée à de plus utiles considérations, comme par exemple l’exposé par un pilote des réactions en vol de la machine.
En vérité l’un ne va pas sans l’autre. Nous comparons plus loin le comportement de deux avions de masse identique et de mission similaire, l’Avro Vulcan et le Boeing B-47. La charge alaire de l’un est presque triple de celle de l’autre. Pourquoi le plafond du second est-il à peine la moitié de celui du premier ? Pourquoi le Zéro vire-t-il plus sec que ses adversaires ? Pourquoi le Buccaneer ou le TSR-2 filent-ils au ras du sol comme sur un rail, là où des machines prévues au départ pour la haute altitude s’y font durement secouer ? C’est affaire de charge alaire, tantôt faible, tantôt forte.
Si des auteurs en viennent à juger leurs propres confrères malhabiles à comprendre et transmettre leur sujet valablement, ne faudrait-il pas disposer d’un ouvrage traitant de façon qualitative de la mécanique du vol, et prédisant le comportement d’un avion selon ses caractéristiques ? d’un ouvrage qui mît l’aérophile moyen un peu au fait de ce qu’on peut sans trop risquer l’erreur grossière déduire du plan et des chiffres d’un avion ? Dans l’attente de l’ouvrage définitif qu’un aigle rédigera sur cet utile sujet, l’auteur propose avec ces pages un premier essai.
L’auteur est pilote. Nous avons constaté souvent en discutant avec d’autres pilotes, que le seul fait de piloter ne donne pas suffisamment le sens intuitif du comportement de machines vraiment différentes de celles que l’on a eues entre ses mains. Les théories tenues par tel pilote sur ce que doit être aux commandes telle machine inconnue de lui, sont parfois surprenantes. Nous ne savons pas ce qu’à l’inverse le théoricien du vol qui n’a jamais quitté le sol peut pressentir du comportement d’un engin dont il connaît très bien sur papier les paramètres physiques. Le fait en revanche d’être pilote et de comprendre en quoi et pourquoi la morphologie d’un avion détermine son comportement, permet l’analyse intellectuelle et le pressenti correct de ce que fera la machine en vol. Le chapitre traitant de l’U-2 illustrera plus particulièrement ce point.
Prenons un exemple pour suggérer ce que peut être un tel comportement. Nous volons en palier à pleins gaz. Nous réduisons alors le moteur à fond. Faisons l’expérience sur deux avions ayant le même fuselage et la même surface d’aile ; ils seraient semblables si l’un ne faisait six mètres d’envergure et l’autre quinze. En d’autres termes le premier possède une voilure bien trapue, et le second une aile de la forme en plan d’un réglet de métreur. Ayant réduit les gaz sur l’appareil à aile courtaude, nous constatons qu’il perd à grande allure sa vitesse comme un vélo en roue libre dans un chemin boueux. Puis il se met très vite en descente, en piquant presque comme s’il dévalait un escalier (nous forçons un peu le trait) ; il y est contraint, car en planant de façon moins raide il ne conserverait pas la vitesse nécessaire à ne pas décrocher (tomber en « perte de vitesse »). Réduisant à présent les gaz sur l’avion à aile très allongée, nous observons qu’il met au contraire beaucoup de temps et de distance à ralentir. Nous pouvons un long moment le maintenir en palier avant d’avoir à le placer en descente. Nous pouvons même pendant ce temps tirer un peu le manche et voir la machine capable encore de petits bonds vers le haut. Une fois ralenti peu au-dessus de sa vitesse minimale de vol, l’avion se met en glissade longue et lente vers le sol, dont il survolera une grande étendue avant de frôler terre.
Nous voudrions que l’aérophile fût un peu plus qu’un collectionneur de fiches diversement coloriées. Nous avons exclu de faire un cours progressif et rigoureux, mais choisi d’aborder le vol à bâtons rompus par courts sujets disparates. Il est quelquefois nécessaire d’avoir lu le ou les sujets précédents pour en comprendre un nouveau, mais fréquemment ce n’est pas indispensable.
Nous avons souhaité donner du relief au texte en décrivant souvent les impressions du pilote en telles ou telles circonstances.
Le technicien de la partie jugera que nous avons traité à des niveaux très inégaux les questions distinctes successivement abordées. Il n’aura pas tort : nous avons fait subjectivement le choix qui nous semblait le plus approprié au but recherché, et délibérément oublié foule d’éléments perçus par nous peu nécessaires.
.
TABLE DES MATIÈRES
1. Généralités sur le comportement d’un avion-type
2. L’air ; l’atmosphère standard ; table de densité selon l’altitude
3. Avion sous-motorisé et avion normal
4. Effets importants de la température sur les performances
5. Démonstration pratique simple du principe de la sustentation
6. Estimation de la vitesse minimum de sustentation ; description du décrochage
7. Ensemble du domaine de vol en palier ; vitesses de finesse maximum et de puissance minimum ; écart de vitesse.
8. Pourquoi la vitesse maximum n’augmente qu’à la racine cubique de la puissance disponible ; comparaison du rendement de la propulsion par hélice et par réacteur
9. Facteurs accroissant la vitesse maximum
10. Finesse maximum et angle de plané ; cabré correspondant de l’avion
11. Précisions sur la relation physique entre finesse et angle de plané
12. Le rendement : soyez de la mince élite qui n’emploie pas ce mot à tort et à travers
13. Comment accroître la finesse
14. Calcul de l’allongement
15. Une confusion regrettable dans l’usage du mot «finesse»
16. Comment l’altitude décale et étire le domaine de vol ; la vitesse indiquée
17. L’effet du vent sur les diverses performances
18. Le plafond absolu ; comportement particulier de l’avion au plafond absolu
19. Exemples de la valeur de la finesse maximum pour diverses sortes d’avions
20. Intérêt de la finesse maximum ; charge soulevable
21. Ressource après piqué ; nombre de «g» pris ; facteur de charge
22. Parabole en apesanteur
23. Facteur de charge négatif
24. Résistance de la structure ; facteurs de charge limite et extrême
25. Restitution après ressource
26. Physique de la montée en chandelle
27. Le seuil de piste franchi en nette survitesse…
28. «rappel au chapitre 28» : formule de la poussée
29. Solide exposé sur la traînée induite et les vertus de l’allongement
30. La puissance induite
31. Relation entre allongement, finesse maximum et performances générales
32. Relation empirique entre vitesse ascensionnelle et plafond
33. L’effet de sol
34. Physique du virage ; inclinaison et facteur de charge
35. Le décrochage dynamique
36. Puissance exigée en virage serré ; perte de vitesse, d’altitude
37. Réduction des facteurs de charge possibles en altitude
38. Effets moteur
39. Centrage
40. Fonction des empennages
41. Le compensateur de profondeur
42. Approcher, atterrir
43. Pourquoi passer au réacteur ?
44. Equivalence entre poussée d’un réacteur et traction d’une hélice
45. Pourquoi le Me 262 si rapide accélère-t-il si mollement ?
46. Pourquoi n’y a-t-il pas de réacteur sur avion lent ?
47. Les matériaux de structure : bois, métal, stratifié
48. Analyse physique de la post-combustion et du double flux
49. Une règle fondamentale à retenir
50. Les phénomènes transsoniques
51. Loi de montée en altitude de l’avion à réaction ; plafond de propulsion ; plafond aérodynamique
52. Les avions à propulsion par fusée
53. Notions sur la physiologie du vol sans visibilité
54. Distance franchissable maximum de l’avion à hélice
55. Pourquoi l’avion à réaction ne croise-t-il guère qu’en altitude élevée ?
56. Distance franchissable de l’avion à réaction ; extrapolation ludique absurde
57. La flèche variable
58. Le vol supersonique
59. Petit catalogue des inepties dans les fiches techniques de la littérature aéronautique
60. Effets en vol du recul des armes
61. Analyse d’une illusion
62. Tableau des distances franchies en fonction de l’accélération au démarrage
63. Lockheed U-2: analyse
64. Curtiss-Wright Demon : le Zéro américain
65. P-51 Mustang
66. Les avions canard
67. Les ailes volantes ; psychologie de leurs détracteurs
68. Colomban Cri-Cri: analyse d’une démarche d’optimisation
69. Tank 152H: comportement en haute altitude d’un chasseur « allongé » ; oxyde d’azote et injection d’eau
70. Curtiss P-40 : de l’intérêt ou non du profil laminaire
71. Avro Vulcan et Boeing B-47. Deux avions de même destination et de morphologies très différentes : différences de comportement en vol
72. Mirage IV et Vigilante : des jumeaux hétérozygotes
73. Blackburn Buccaneer : physique du soufflage
74. Mirage IV : analyse du rôle du ravitaillement en vol
75. Réflexions a posteriori sur les avions Leduc
76. Fairchild A-10 : balistique des obus en uranium
77. Les avions modernes et laids : réflexions sur la fadeur de l’optimisation moderniste
78. Les joyeusetés du traducteur d’anglais aéronautique
79. Récréation physico-mathématique (simple)
80. Correspondance entre unités métriques et anglaises
81. Appendice (application du texte) : questions/réponses
……………………..
REMARQUE SUR LES UNITÉS
L’auteur dès le lycée n’a pas appris d’autres unités que celles du système SI, et pourtant il les mélange un peu partout avec des unités anciennes incohérentes et prohibées.
Les unités anciennes favorisent la compréhension intuitive. Un quidam comprend aisément ce qu’est une atmosphère (l’unité de pression) ou un kilogramme-force ; on sera moins bien venu de lui dire que des bouteilles de plongée sont chargées sous 20 mégapascals ; il reste préférable de parler de 200 atmosphères, d’où se déduit bien plus naturellement qu’elles enferment 200 fois leur volume en air détendu. On évitera aussi de dire au quidam que strictement parlant la charge alaire d’un avion s’exprime en pascals. Quant aux forces, constatons qu’exprimées en « kilos », elles sont immédiatement imagées par quiconque.
Le poids et la masse feront dans ces pages l’objet d’un mélange indifférent aux censures de l’Université.
L’auteur insiste sur le fait qu’il emploie délibérément des unités aujourd’hui illégales, par lui apprises postérieurement à celle du système SI. Les puristes y trouveront sujet à méditation ou à dédain.
Enfin, nous emploierons quelquefois par souci de favoriser la compréhension intuitive, la notion fallacieuse de force centrifuge.
…………………..
1. GÉNÉRALITÉS SUR LE COMPORTEMENT D’UN AVION-TYPE
Nous tenons les commandes d’un chasseur à hélice de la Seconde Guerre mondiale volant en palier à très basse altitude. Le type n’en est pas spécifié ; c’est un générique représentatif de bon nombre de modèles. Son moteur donne en ce moment 750 chevaux et tire l’appareil à 400 km/h stabilisés. A pleins gaz il peut donner le double, 1500 chevaux.
Le compte-tours indique 3000 t/mn, mais il les indique aussi à pleins gaz ou bien à puissance plus réduite encore que la moitié : l’hélice est non seulement à pas variable mais aussi « à vitesse constante ». Elle (et le moteur) tourne au même régime, qu’elle reçoive peu ou beaucoup de puissance. Elle fait simplement varier l’angle de calage de ses pales en faisant tourillonner leur pied dans le moyeu commun, selon le nombre de chevaux qu’elle doit absorber.
Peu de chevaux ? La pale se braque peu, cherchant à présenter à l’air son profil le plus mince, celui qui de face offre le moins de résistance. Peu braquée, la pale est au petit pas. Beaucoup de chevaux ? la pale se braque fortement pour « ramer » du plus qu’elle peut dans la masse du fluide, y rencontrant par conséquent beaucoup de résistance. Elle peut la supporter puisque des chevaux nombreux sont alors derrière. Le fort angle sous lequel est ainsi braquée la pale est son grand pas (ceci est une schématisation).
Faire varier la puissance du moteur sans changer sa vitesse de rotation n’a rien de paradoxal. Un moteur de voiture à cinq mille tours en côte donne toute sa puissance avec l’accélérateur à fond ; au même régime en forte descente le pied est presque relevé, l’admission des gaz presque close, les chevaux fournis peu nombreux.
Le tableau de bord de notre chasseur possède un appareil appelé manomètre de pression d’admission. Le moteur n’est pas « atmosphérique », mais doté d’un compresseur qui le gave de mélange air/essence plus dense que l’air ambiant. Le manomètre d’admission indique sous quelle pression le compresseur gave les cylindres.
Admettons qu’à la mi-puissance où nous volons, le manomètre d’admission indique « zéro » et que l’avion soit anglais. Voyez tout cela sur votre simulateur guerrier préféré. « zéro » veut dire que (au niveau de la mer) le compresseur ne fournit aucune surpression à l’air fourni aux cylindres ; il est donc inactif ; le moteur au niveau de la mer avale de l’air à pression ordinaire. Les Britanniques disent « zéro de boost » ou « zéro livre de boost » : le moteur n’est pas « boosté », ou est boosté de zéro ; on parle de zéro « livre » comme nous disons : « kilo de pression » pour signifier un bar ou une atmosphère (tandis que nos kilos de pression sont par centimètre carré, les livres de pression sont naturellement par pouce carré… God save the Queen).
Quand nous disons : « le compresseur ne fournit aucune surpression à l’air fourni aux cylindres ; il est donc inactif », nous considérons que nous sommes au niveau de la mer. Si nous volions plus haut, là où la pression atmosphérique a baissé, lire au manomètre « zéro de boost » signifierait que l’air serait envoyé aux cylindres à la même pression que s’ils l’avalaient sans compresseur au niveau de la mer ; mais puisque la pression atmosphérique aurait baissé, il va de soi que malgré l’indication « zéro », le compresseur cette fois serait en action.
Si le chasseur était allemand, le manomètre d’admission serait gradué en atmosphères : « ATA » lu sur le cadran. Au niveau de la mer dans les mêmes conditions, il indiquerait donc « 1 ». Un manomètre français afficherait « 100 » pour cent pièzes, puisqu’un hectopièze vaut 1 atmosphère (à 2% près ; l’hectopièze vaut en fait 1 bar). Un autre type de manomètre français pourrait aussi indiquer des millimètres de mercure, ici 760. Un manomètre étasunien indiquerait quant à lui « 30 », trente pouces de colonne de mercure, c’est-à-dire 76 cm et toujours 1 atmosphère.
A noter que sans le dire nous employons volontiers la notion de « boost » au sujet de nos pneumatiques. Un pneu gonflé « à deux kilos » est à deux kilos de surpression, et donc à trois kilos dans l’absolu (puisque kilo de pression et atmosphère sont presque synonymes).
Le moteur fournissant la moitié de sa puissance maximum de 1500 chevaux, donne 750 chevaux. Un moteur à 4 temps consomme par exemple 220 grammes d’essence par cheval et par heure : sa consommation spécifique vaut 220 g/ch/h. C’est là une valeur usuelle pour un moteur à carburateur. L’injection fait descendre la consommation spécifique aux environs de 180 g/ch/h. 220 grammes font environ le tiers d’un litre, qui pèse 700 grammes ou un peu plus. Ainsi divisera-t-on par trois la puissance effectivement développée pour connaître en litres la consommation horaire. On diviserait par 2 seulement pour un vorace moteur à deux temps, mais par 4 pour un diesel économique.
Notre avion donnant 750 chevaux brûle par conséquent 250 litres d’essence à l’heure. Il emporte 400 litres ; il volera 1,6 heure et franchira sans vent 640 kilomètres.
Le pilote reste au niveau de la mer et donne tous les gaz. Le moteur fournit à présent 1500 chevaux. Le compte-tours n’a naturellement pas bougé, puisque l’hélice est à vitesse constante. Les pales de l’hélice se sont bornées à prendre un angle d’attaque plus fort, à augmenter leur pas. Ce pas plus fort fera avancer l’avion davantage à chaque tour d’hélice, et cet angle d’attaque plus fort des pales subira de l’air ambiant une résistance au mouvement plus forte.
Cette résistance accrue absorbera le couple et donc la puissance plus forts donnés par le moteur. Admettons que le manomètre d’admission ait sauté à « 14 » livres de boost s’il est anglais ou à « 60 » pouces de mercure s’il vient des Etats-Unis. Le compresseur gave alors les cylindres sous le double de la pression atmosphérique du niveau de la mer. Dans un poids d’air doublé peut brûler un poids d’essence doublé. L’explosion est deux fois plus énergique, ce qui double la force qui repousse le piston. Le couple du moteur en est doublé. La puissance est alors doublée malgré la constance de l’indication du compte-tours et de la vitesse de rotation de l’hélice (rappel : la puissance fournie est le produit du couple par la vitesse de rotation).
Une atmosphère comme unité de pression vaut 30 pouces en mesures anglaises. 60 pouces de mercure font deux atmosphères. Le principe est plus complexe quand on parle de livres de boost. Un kilo de pression fait bien 2,2 livres (la livre pesant 454 grammes), mais le kilo de pression s’exprime par centimètre carré tandis que la livre de pression s’exprime par pouce carré. Un pouce carré fait 6,45 cm². La livre de boost vaut ainsi quelques 70 grammes par cm² (calculez) ; il en faut bien 14 pour former un « kilo de pression ».
Un manomètre allemand de la guerre tel celui du Bf 109 ou du Fw 190 indique 1,4 atmosphère seulement à pleins gaz ; il se montre pour diverses raisons techniques moins bon que ses équivalents adverses. Le manomètre monte un peu plus avec l’emploi des dispositifs à méthanol (MW 50) ou oxyde d’azote (GM 1) qui ne sont en fait que des ersatz compliqués.
Nous avons mis les pleins gaz ; la puissance passant de 750 à 1500 chevaux à donc doublé. Le pilote peut employer le doublement de puissance vers deux buts bien opposés :
– voler plus vite en palier ;
– voler à même allure mais grimper.
Ou toute possibilité intermédiaire.
Le pilote choisit de voler à pleins gaz en palier, toujours au niveau de la mer. La vitesse est bien loin de croître en fonction de la puissance fournie, puisqu’elle n’augmente en réalité que selon la racine cubique de la variation de puissance. La puissance a doublé ; la racine cubique de 2 est 1,26 ; la vitesse de pointe à zéro mètre d’altitude passe de 400 km/h à 400 x 1,26 = 504 km/h.
La consommation horaire a doublé, passant à 500 litres ; l’autonomie ou temps de vol n’est plus que 0,8 heure et la distance franchissable 403 km. Refaites par vous-même tous les calculs.
Le pilote avec tous les gaz choisit à présent de voler à 400 km/h toujours, mais cabre son avion pour employer les 750 nouveaux chevaux à lutter contre la pesanteur, en prenant de l’altitude. Que l’avion vole en oblique désormais ne change pas la résistance de l’air à son avancement s’il reste à la même vitesse (tant qu’il n’a pas atteint une altitude où l’air est plus ténu). Nous appellerons désormais cette résistance de son nom technique, la traînée. L’avion toujours à 400 km/h emploie donc encore 750 ch à vaincre sa traînée.
Les 750 autres le font monter à un taux identique à celui que donnerait un treuil muni d’un moteur de 750 ch qui hisserait l’appareil à la verticale au moyen d’un câble. Or le cheval est défini comme la puissance d’un moteur hissant un poids de 75 kg à raison d’un mètre de hauteur à chaque seconde. L’avion pèse 3750 kg, ce qui fait 50 fois 75 kg. Il escalade donc le ciel au taux de : 750 chevaux/50 = 15 mètres par seconde. Cela fait 900 m/mn (mètres à la minute), ou 3000 ft/mn (pieds par minute) sur un variomètre anglo-saxon.
Vous saviez déjà qu’un chasseur à hélice monte environ 1 kilomètre par minute.
Note : le variomètre est l’instrument indiquant si l’avion monte ou descend, et à quel taux.
Le pilote est à présent repassé en vol horizontal à 6000 mètres (20 000 ft). Il conserve les pleins gaz et observe avec nous la suite des événements.
Bien qu’il ait réduit les gaz pour ne plus lire sur le manomètre d’admission que la demi-puissance (30 pouces de mercure/0 livre de boost/1 atmosphère), il vole aussi vite qu’il volerait à pleins gaz au niveau de la mer : 504 km/h.
En effet l’air à 6000 m est de densité moitié moindre qu’à 0 mètre. Moitié moins dense, il oppose moitié moins de traînée à la même vitesse. Il est donc naturel que l’avion vole à même allure de 504 km/h avec moitié moins de chevaux. Il consomme évidemment toujours la même chose au cheval par heure. Il ira ainsi plus loin qu’à basse altitude. Calculez la nouvelle distance franchissable.
Il n’est cependant pas question de prétendre le compresseur inactif, sous prétexte que la pression d’admission est ici égale à la pression atmosphérique à 0 mètre : le compresseur comprime bel et bien par un facteur 2 l’air raréfié pris à 6000 m, afin de lui rendre la pression et la masse volumique du niveau de la mer.
Remettons pleins gaz : la pression d’admission remonte à 2 atmosphères/60 pouces/14 livres de boost. Puisque la puissance est doublée, on sait déjà que la vitesse croîtra d’un facteur 1,26. La vitesse maximum à 6000 m atteint donc : 504 x 1,26 = 635 km/h. Notons de plus que le compresseur comprime ici son air d’un facteur quatre (de 1/2 à 2 atmosphères).
Tous les nouveaux chasseurs à pistons reçurent un compresseur dans les années qui suivirent la Première Guerre mondiale. La vitesse de pointe n’augmente en revanche pas dans le cas d’un moteur de chasseur SPAD ou de la majorité de nos actuels avions de tourisme ; l’un comme les autres sont dépourvus de compresseur : leur moteur perd en altitude sa puissance approximativement au rythme où la résistance de l’air se fait plus ténue.
Le terme de « vitesse ascensionnelle » définit toujours le taux de montée de tant de mètres par seconde, ou tant de pieds par minute. La vitesse ascensionnelle n’est jamais définie comme la vitesse de l’avion sur sa trajectoire tandis qu’il monte.
Continuons à monter au-delà de 6000 mètres. Nous observons enfin une baisse progressive de la pression d’admission. Dans un air trop ténu le compresseur finit par ne plus pouvoir maintenir à l’admission 2 kilos de pression. Vous le constatez sur un simulateur. Le compresseur consent encore à 6000 m à maintenir 2 kilos à l’admission ; très souvent cette altitude est à peu près la plus élevée où il y parvient encore.
Cette règle fréquemment observée n’a certes rien d’intangible ; certains moteurs conservent leur pression d’admission et leur puissance beaucoup plus haut.
Montons encore : le compresseur ne se montre plus aussi efficace ; il ne peut plus débiter de l’air comprimé à 2 kilos ; la puissance motrice commence à diminuer progressivement avec l’altitude. La vitesse maximum diminue lentement d’abord, puis plus rapidement à l’approche du plafond de l’avion.
Le compresseur au niveau de la mer fournit une certaine pression à l’admission, garantissant donc au moteur une certaine puissance maximum. Il parvient à maintenir cette pression d’admission et cette puissance maximum jusqu’à une certaine altitude seulement ; cette altitude est l’altitude de rétablissement. La vitesse maximum est donc atteinte à l’altitude de rétablissement. Plus haut, elle diminue.
La perte progressive de puissance entraînera une perte progressive de vitesse ascensionnelle. Celle-ci finira par valoir zéro lorsque le moteur ne donnera plus que la puissance juste nécessaire à rester en palier ; l’avion sera à son plafond absolu. Atteindre le plafond absolu est laborieux et ne sert qu’à établir un record. Le plafond pratique est défini comme l’altitude un peu moindre où la vitesse ascensionnelle n’est plus que de 0,5 m/s.
On peut demander pourquoi on n’employait pas un compresseur étudié pour comprimer à un taux arbitrairement élevé et obtenir ainsi au niveau de la mer encore beaucoup plus de puissance que notre exemple de 1500 chevaux pour un rapport de compression de 2. La réponse tient à la chimie : les essences même du plus haut degré d’octane ne peuvent sans détoner faire tourner un moteur sous une compression aussi élevée.
Un chasseur comme le P-47D ou le P-51B présente une altitude de rétablissement de 9000 mètres au lieu de 6000. On en déduit qu’ils tendent dans cet air encore plus rare à se montrer d’autant plus rapides, à comparaison faite de l’ensemble des autres données.
L’hélice en mathématiques est la courbe en trois dimensions dont un ressort à boudin ou l’arête d’un filet de vis donnent l’image matérielle. La profondeur dont s’enfonce la vis en un tour, ou bien l’écart entre deux tours de fil du ressort, est son pas.
La surface enroulée par laquelle une voiture descend les niveaux d’un parc souterrain est plus qu’une hélice au sens mathématique, puisqu’elle est surface hélicoïdale entière au lieu de simple ligne. Les dessins d’hélicoptère de Léonard de Vinci montrent une telle hélice, ou plutôt une telle surface hélicoïdale entière. Une hélice d’avion est une surface hélicoïdale dont on a retiré les neuf dixièmes, ne laissant que deux ou trois pales qui sont à la surface hélicoïdale entière ce que sont deux ou trois marches à un tour complet d’un escalier à vis (à ceci près que les pales d’hélice sont fixées dans le même plan, et inclinées).
Cependant l’hélice d’avion n’est pas une tôle plane ; un coup de scie tranchant perpendiculairement une pale nous montrerait un profil souvent identique à celui d’une aile : la pale est une petite aile qui dans son mouvement de rotation produit une sustentation. La chose est évidente sur le rotor d’un hélicoptère stationnaire. Pivotée de 90° pour devenir horizontale dans le cas de l’hélice d’avion, la sustentation agit comme une traction.
L’hélice « peu coûteuse » d’un avion de tourisme de base est d’un seul morceau ; elle est à pas fixe. L’hélice d’un avion plus élaboré a ses pales articulées de manière à pouvoir tourillonner sur le moyeu ; elle est à pas variable. Une analogie passable peut se faire avec le vélo à pignon unique (pas fixe) ou à plusieurs vitesses (pas variable). Le résultat est le même : l’avion à hélice à pas fixe accélère moins bien au démarrage et grimpe moins bien qu’avec une hélice à pas variable. On choisit le pas d’une hélice à pas fixe en consentant un compromis. Pour un avion remorqueur de planeurs ou un avion de montagne décollant court et grimpant sec, on choisit un pas court (braquet court) qui ne permettra pas d’atteindre de très hautes allures. On choisit pour un rapide avion de course un pas élevé, qui en contrepartie rendra poussifs le départ et la montée. La machine à tout faire d’aéro-club adopte un pas moyen.
Note : dire que l’hélice tracte soit par sustentation sur ses pales, soit par effet de réaction vers l’avant de l’air qu’elle refoule en arrière, sont deux points de vue aussi vrais l’un que l’autre. Ce sont deux façons de regarder le même phénomène. On verra d’ailleurs plus loin comment l’aile d’un avion se sustente précisément en refoulant vers le bas l’air qu’elle traverse.
…………………………..
2. L’AIR : L’ATMOSPHÈRE STANDARD ; TABLE DE LA PRESSION ET DE LA DENSITÉ SELON LES ALTITUDES
Parlons de ce fluide où évolue l’avion. L’air est 800 fois moins dense que l’eau : Archimède contraint les ballons dirigeables à être 800 fois plus volumineux que les sous-marins, leurs homologues dans un autre fluide. On observe pourtant qu’en dépit de cette ténuité de l’air, il n’est pas nécessaire à l’avion pour être porté de voler 800 fois plus vite qu’un skieur nautique n’avance à la surface : les phénomènes de sustentation et de résistance à l’avancement croissent ou décroissent non comme la vitesse, mais comme son carré. 800 est le carré de 28 : se sustenter dans l’air n’exige ainsi que d’aller 28 fois plus vite qu’en ski nautique. Nous parlons ici d’un avion dont chaque mètre carré d’aile porterait le poids considérable que porte chaque mètre carré de ski ; ce n’est visiblement pas le cas d’un léger deltaplane qui soutient la même charge – un homme – avec des dizaines de fois plus de surface.
L’air devient un point d’appui fort solide quand on prend un peu de vitesse ; on s’en rend(ait) compte en passant le bras par la fenêtre en chemin de fer. Il n’est guère d’avion si « fer à repasser » qui ne puisse décoller à 300 km/h.
Un mètre cube d’air au niveau de la mer pèse 1,226 kilogramme à la température de 15 degrés Celsius et sous une pression de 760 mm de mercure (1 atmosphère). L’atmosphère standard est celle qui répond à ces critères ; les performances des appareils sont données en principe en atmosphère standard et dénommées : « performances ISA », pour « International Standard Atmosphere ». Elles changent à altitude même constante s’il fait notablement plus chaud ou plus froid.
La pression atmosphérique diminue avec l’altitude puisqu’il reste alors moins de poids d’air au-dessus pour peser sur ce qui est dessous. La pression est divisée par 2 à 5 500 mètres, et la baisse suit une loi exponentielle : cela veut simplement dire que la pression sera (à peu près) divisée encore par 2 à chaque nouvelle tranche de 5 500 mètres. La pression de 1 atmosphère à zéro mètre sera d’environ 0,5 atm à 5500 m, 0,25 à 11000 m, 0,125 à 16500 m…
La pression cependant ne signifie rien en soi puisqu’un même volume de gaz à la même pression est moins dense quand le gaz est chaud ; il contient moins de matière que s’il est froid ; or le poids d’oxygène avalé par un coup de piston dépend non de la pression de l’air mais de sa densité. D’autre part la sustentation des ailes ne dépend pas non plus de la pression de l’air mais de son caractère plus ou moins substantiel : de sa densité encore.
Or la température baisse avec l’altitude, décroissant de 0,65 degré par tranche de 100 mètres. Elle continue ainsi à baisser jusqu’à 11000 mètres, où elle est tombée à -56,5° s’il faisait au sol les 15° standards de l’ISA (vérifiez). Ce froid considérable suffit à contracter les gaz dans la proportion de 25%. On peut ici relire son livre de physique du lycée. L’air glacé à 11000 mètres est d’un quart plus dense que le chiffre de la seule pression laisserait croire. Les performances des moteurs et la portance des ailes n’ont donc pas baissé autant que le chiffre de la seule pression pourrait laisser supposer.
Le refroidissement de l’air avec l’altitude combat donc en partie la baisse de pression. A 5500 mètres la pression n’est plus que la moitié de sa valeur du niveau de la mer ; mais c’est à 6500 m que densité de l’air et puissance des moteurs sans compresseur sont divisées par deux.
La température demeure constante au-dessus de 11000 mètres et jusqu’à plus de 20000 mètres ; peu d’avions sont concernés par ce qui se passe plus haut. L’altitude 11000 m est la tropopause ; la stratosphère où la température reste constante s’étend au-dessus, tandis que notre basse atmosphère à température décroissante est la troposphère. Puisque la température ne varie plus au-dessus de la tropopause, pression et densité au-delà baissent désormais de pair sans qu’une baisse nouvelle de température combatte les effets de la baisse de pression. On ne sera donc pas étonné que la tropopause ait quelque chose à voir avec la vitesse de pointe de beaucoup d’avions à réaction, ni que cette vitesse maximum n’évolue plus guère au-dessus ; ni que les fiches techniques annoncent précisément souvent leur vitesse maximum comme constatée à 11000 mètres.
Au niveau de la mer : densité relative = 1,00 / pression relative = 1,00
2 km / 0,82 / 0,78
4 km / 0,67 / 0,61
6 km / 0,54 / 0,47
8 km / 0,43 / 0,35
10 km / 0,34 / 0,26
12 km / 0,25 / 0,19
14 km / 0,185 / 0,14
16 km / 0,135 / 0,10
18 km / 0,10 / 0,075
20 km / 0,07 / 0,055
……………………..
3. AVION SOUS-MOTORISÉ ET AVION NORMAL
Prenons les commandes d’un petit avion de plaisance comme le monoplace Bébé Jodel, ou type D-9. « D » est l’initiale de son concepteur Jean Delemontez qui fit voler le premier exemplaire en 1948. Un tel engin pèse environ 180 kilos à vide, dont près de la moitié pour le pesant moteur Volkswagen récupéré sur une Coccinelle. C’est un moteur de quatre cylindres à plat refroidi par air, installé sur bien des avionnettes. On l’a employé depuis sa version la plus ancienne de 1100 cm3 qui donne moins de 25 chevaux, jusqu’à des blocs dotés d’éléments additionnels pour la compétition. Il est fréquent de rencontrer la version de 1600 cm3 donnant une grosse quarantaine de chevaux dans son adaptation aérienne.
80 kg de métal pour moins de 25 chevaux font en aviation un très mauvais rapport poids/puissance. Un pareil aéroplane vole parce que le concepteur rattrape les choses en faisant une aile assez grande pour que chacun de ses mètres carrés ait très peu à porter, à peine plus de trente kilos. La charge alaire de cet avion avoisine 30 kg/m². Ainsi l’ingénieur dispose-t-il de deux paramètres de base pour soulever de terre un certain poids. Il peut faire avec une aile très étendue un avion « feuille dans le vent » de faible charge alaire qui ne demande qu’à rester en l’air sous la traction d’un moteur même faible. Il peut aussi dessiner un appareil « fer à repasser » de forte charge alaire, qui ne demanderait qu’à rejoindre le sol au plus vite s’il n’était gréé d’un moteur très puissant.
Mettons les gaz du Volkswagen 1100 de 25 chevaux. L’avion roule et prend de la vitesse gentiment, sans la moindre vivacité. Il atteint les 70 ou 80 km/h nécessaires à l’envol ; le pilote tire fort légèrement le manche, pour ne pas cabrer l’avion au-delà de ce que l’hélice tirant peu est capable de maintenir en montée.
Il n’est naturellement pas question de grimper à la vitesse à laquelle on a quitté le sol ; ce serait voler trop près de la vitesse minimum qui soutient encore l’avion ; un rien le ferait décrocher et choir. On démontre d’autre part que juste au ras de la vitesse minimum de vol, l’avion gaspille ses chevaux en « ramant », si nous osons dire. On peut faire l’analogie avec le ski nautique encore embourbé dans l’eau à vitesse très faible. Il faut accélérer pour gagner un peu de vitesse, gagnant en sécurité, « ramant » moins et dégageant ainsi en faveur de la montée quelques chevaux trop rares sur ce moteur.
Il est bien certain que s’il accélérait encore plus il ne monterait cette fois plus du tout, car le pilote devrait baisser le nez pour obtenir la poursuite de l’accélération ; d’autre part le nombre de chevaux requis pour contrer la traînée remonterait évidemment après avoir baissé d’abord un peu.
Les roues hors du sol, le pilote a d’abord l’impression qu’il est contraint de choisir entre continuer d’accélérer – mollement – ou bien s’éloigner de terre, mais non les deux à la fois. Cette contrainte est bien réelle ; il faut choisir entre accélérer et monter ; il importe par sécurité de laisser un moment l’avion gagner fort progressivement un peu de vitesse en palier près de l’herbe.
Prendre une vingtaine de km/h de plus que la vitesse d’envol suffit à réduire notablement l’angle de cabré qu’a besoin de faire le plan de l’aile avec l’horizontale pour donner une sustentation égale au poids de la machine. L’avion très sensiblement cabré au moment de l’envol, voit alors avec un peu plus de vitesse redescendre son nez presque sur l’horizon. Rappelons qu’il reste en palier près du sol pendant ce temps de modeste accélération.
Seconde phase : le pilote vers 100 km/h tire de nouveau le manche avec douceur pour cabrer une seconde fois le nez en agissant très modérément ; il maintient sa légère traction pour demeurer ainsi. Ce cabré en vérité ne dépasse pas un nombre modeste de degrés ; à peine le capot du moteur déborde-t-il par-dessus l’horizon. L’avion ralentirait si l’on voulait cabrer davantage. A peine le variomètre indique-t-il une montée de 2 petits mètres par seconde, une centaine de mètres par minute. L’altimètre tourne laborieusement ; il s’y faut prendre d’assez loin pour passer une colline. L’altitude souhaitée une fois atteinte, repoussons le manche en avant pour abaisser le nez à peu près sur l’horizon et faire cesser la montée. La puissance jusque là consommée pour contrer la pesanteur devient disponible pour accélérer. De 100 km/h la vitesse grimpe à 115. C’est peu de gain car la traînée croît vite, au carré de la vitesse ; tandis que la puissance nécessaire à combattre cette traînée croît plus vite encore, au cube de la vitesse.
Ainsi 3% de puissance en plus ne font-ils voler plus vite que de 1%.
L’avion dorénavant volette en palier. Les éventuelles turbulences le secouent en lui donnant chacune un petit coup de frein. Le pilote a l’impression de tenir une machine légèrement cabrée qui cherche laborieusement son appui sur l’air ; tout lui est prétexte à perdre quelques mètres de hauteur, difficiles à regagner ; encore ne les regagne-t-il qu’au prix d’une chute momentanée de la vitesse à 105, 100 km/h. L’avion semble mou, las, prêt à s’agenouiller face aux éléments. Un virage un peu serré, balancé sur la tranche, le ferait d’évidence s’enfoncer de dizaines de mètres. Avec ses 25 petits chevaux pour plus de 250 kg, il est visiblement sous-motorisé.
Posons-nous pour aller prendre le manche du même avion tiré cette fois par la version de 1600 cm3 et 50 chevaux du même bloc moteur.
L’accélération dès la mise des gaz est franche et presque sportive. L’avion quitte le sol à en prenant son pilote de court. Point n’est besoin de palier après décollage : l’appareil prend une franche assiette de montée tout en accélérant encore. Le moteur dissimule largement l’horizon. L’avion n’en atteint pas moins en un clin d’œil les 100 km/h où il monte le mieux. Cette vitesse atteinte en deux ou trois secondes de vol, le pilote cabre un peu plus encore pour la conserver en l’empêchant de croître davantage : l’avion emploiera mieux ses chevaux à vaincre la pesanteur plutôt que la traînée des vitesses plus élevées. Le siège du pilote est sensiblement incliné vers l’arrière. La vitesse ascensionnelle est de 4 gros mètres par seconde. La hauteur de croisière désirée est atteinte en fort peu de temps. Le pilote pour se placer en palier repousse le manche franchement, tout en réduisant déjà les gaz pour ménager ses oreilles. La vitesse grimpe rapidement à 145, 150 km/h. A cette allure l’air supporte si facilement une voilure peu chargée (35 ou 40 kg au mètre carré) qu’aucun cabré visible n’est plus nécessaire. Le pilote pousse le manche non seulement pour que le nez descende sur l’horizon, mais encore pour qu’il semble piquer de deux ou trois degrés. Malgré cela, les vol reste en palier : l’aile est toujours boulonnée de quelques degrés en cabré sur le fuselage, et « rase » l’air à la façon du ski nautique pratiquement à plat sur l’eau à grande vitesse ; les quelques degrés de boulonnage cabré de l’aile sur le fuselage expliquent alors que le nez semble très discrètement piquer bien que l’avion soit en palier. Le nez aussi bas, le paysage devant le pare-brise est bien dégagé. Le pilote qui ne surveille pas constamment l’altitude la voit croître constamment, puisque l’appareil à son insu force vers le haut dès que son cocher relâche un peu sa pression vers l’avant sur le manche (1). Les éventuelles turbulences ne se bornent plus à remuer l’avion ; elles lui flanquent de secs et imprévisibles coups de tabac, mais n’affectent guère sa détermination à foncer ainsi, rageur, nez bas, toujours prêt à s’échapper vers le haut si on oublie de lui bourrer fermement le nez à piquer. L’avion n’est pas sur-motorisé ; un avion ne l’est jamais, pas plus qu’une moto ! Disons qu’il se comporte en avion. Il vit, vibre, bourdonne en frémissant de joie sous la main du bienheureux aux commandes. Beaucoup d’appareils placides pour le vol dominical du pilote d’aéro-club sont à mi-chemin entre les deux comportements que nous avons dépeints.
(1) dans le cas, fréquent sur cette catégorie de tout petits avions, où l’appareil n’est pas doté d’un compensateur de profondeur, accessoire dont le rôle sera étudié plus loin.
………………………
4. EFFETS IMPORTANTS DE LA TEMPÉRATURE SUR LES PERFORMANCES
Mettons en route le moteur de 115 chevaux du Petit Prince de l’aéro-club, un excellent avion à train tricycle de la famille Jodel. Sa motorisation modeste propulse néanmoins en croisière à 205 km/h au niveau de la mer cet engin très aérodynamique, capable d’emmener deux adultes et deux enfants. Le temps est doux, entre 15 et 18 degrés. Avec deux personnes de corpulence moyenne à bord il grimpe assez franchement aux alentours de 3,5 m/s, fonction du poids de l’essence restante. Il est raisonnablement vif, mais sans rien de spectaculaire.
La canicule est venue ; il fait 35 degrés. Mettons les gaz en début de piste : l’accélération se fait immédiatement remarquer par sa tempérance, comme si le moteur avait égaré une bonne poignée de chevaux. Malgré cela le compte-tours est au régime habituel, ou presque, quoique l’hélice ne soit pas d’un type à vitesse constante. Les repères que nous avons l’habitude de remarquer par notre travers ou peints sur la piste au moment que nous la quittons, sont passés déjà sans que nous ayons décollé. L’avion ne daigne se soulever qu’une centaine de mètres plus loin. Il n’a rien de son entrain coutumier ; il hésite entre prendre un peu de vitesse en l’air ou grimper. Nous l’asseyons sur une pente cabrée sensiblement plus faible que les autres jours ; il monte à 2,5 m/s en refusant tout effort supplémentaire. Lorsque fatigués de lui demander ce qu’il ne donne plus, nous le plaçons en palier, l’instrumentation nous indique 195 km/h plutôt que les 205 attendus.
Six mois plus tard il gèle à pierre fendre. Nous mettons les gaz au sol dans les mêmes conditions. Le Petit Prince s’élance en avant comme ferait par temps doux son frère aîné de 160 chevaux, le Chevalier. Ce n’est pas qu’il ait pris 45 chevaux de mieux ; il en a tout au plus gagné dix ou quinze ; mais étant moins rapide en croisière, il est équipé d’une hélice à pas plus court qui sous puissance égale tire plus fort au démarrage. Il s’envole aussi court que s’il voulait s’échapper d’un porte-avions, puis en un instant gagne sa vitesse de montée tout en affichant 4,5 m/s ascensionnels. Mis en palier, il affiche 215 km/h et surprend par une nervosité qu’on ne connaissait à l’automne qu’à ses frères plus puissants. Que s’est-il passé ?
L’air comme tous les gaz est dilatable ; chaque degré de variation vers le haut du thermomètre dilate l’air dans la proportion de 1/273ème. Un air plus chaud de vingt degrés se dilate ainsi d’environ 7%. Chaque descente de piston remplit le cylindre du même volume d’air, mais d’une densité diminuée de 7%. Le même cylindre ne contient alors plus qu’un moindre poids d’oxygène, lequel ne brûle plus qu’une moindre quantité d’essence. L’explosion est plus faible et le couple est réduit en proportion. Le régime du moteur demeure à peu près inchangé ; la puissance baisse donc en proportion de la baisse du couple. Le régime est demeuré inchangé parce que l’air moins dense dans lequel tourne l’hélice à pas fixe la freine moins, si bien qu’il y a à peu près compensation.
A cela s’ajoute en air moins dense une moindre portance sur l’aile : l’envol exigera cinq ou six km/h de plus par la chaleur que par le temps doux. La traction moindre de l’hélice accroîtra encore la distance nécessaire à l’atteinte de cette nouvelle vitesse de décollage, ennui que verra sans mal le pilote le moins averti. Ajoutant à cela la faible vitesse de montée après envol, la colline ou le rideau d’arbres même éloignés du bout de la piste paraîtront subitement présenter un obstacle dont on n’avait pas l’habitude.
Le grand froid produit évidemment la contraction de l’air, avec des effets exactement inverses. L’été fait d’un avion moyen un veau poussif que l’hiver suivant changera en lion. L’envol depuis une piste en altitude et donc en air plus ténu, aura sur l’avion l’effet d’un été tropical malgré le froid des hauteurs.
A noter que la vitesse réelle en croisière l’été ou l’hiver est à peu près la même : l’air plus ou moins dense s’oppose plus ou moins à la vitesse, ce qui compense à peu près la puissance du moteur accrue ou diminuée. Pourtant, nous avons vu que la vitesse au cadran change sensiblement. C’est que instrument, l’anémomètre, mesure en réalité la pression dynamique de l’air : la petite surpression que la vitesse fait exercer à l’air sur les objets qui le traversent. La pression dynamique de l’air chaud moins dense est plus faible à vitesse réelle égale que celle de l’air froid plus dense. L’anémomètre à même vitesse réelle indique moins en air chaud qu’en air froid.
Cet anémomètre, ou badin, du nom de son inventeur, ne donne la vitesse réelle que par 76 cm de mercure et 15°C. Il semble ainsi bien médiocre. Nous verrons plus loin pourquoi cette apparente médiocrité est au contraire une précieuse caractéristique.
Les mots « anémomètre » et « badin » s’emploient indifféremment pour désigner l’instrument. « badin » possède en revanche un autre sens : il est synonyme commode de « vitesse indiquée ». On parlera d’un « badin trop fort » si le pilote d’un Jodel prétend passer à l’atterrissage le seuil de la piste à 200 km/h ; ou bien encore d’un dangereux « badin dans le coma », si faible que l’aiguille quitte de peu sa butée basse.
……………………….
5. DÉMONSTRATION PRATIQUE SIMPLE DU PRINCIPE DE SUSTENTATION
Comment expliquer le phénomène de portance dont l’aile est le siège ? On soupçonne intuitivement que l’aile faisant un petit angle sur l’air, fait en quelque sorte ricocher le fluide sous elle, le rejetant vers le bas pour se soutenir ainsi sur lui par effet de réaction : elle se sustenterait comme un ski nautique. Cette image est en règle générale simpliste et fausse. En particulier l’aile à intrados plat (son dessous) porte encore lorsqu’elle ne fait aucun angle avec l’air et vole « à plat ».
Il n’y a pas d’illustration plus saisissante que celle de la cuiller dans le jet du robinet.
Tenez fort légèrement entre les ongles du pouce et de l’index l’extrémité de la queue d’une grande cuiller, qui ainsi pendra presque libre. Ouvrez un robinet de manière à en faire couler une colonne de liquide nette et lisse, d’une certaine puissance. Amenez lentement le dos de la cuiller jusqu’à lui faire juste affleurer le pourtour du jet d’eau. Chacun s’attend à ce que le contact tende à repousser la cuiller.
A l’étonnement de la plupart, la cuiller est au contraire brusquement aspirée avec force au sein du jet d’eau . Observons plus attentivement. Le jet une fois passé sous la cuiller ne se ressemble plus ; il est comme désorganisé, mais surtout ne tombe plus verticalement. On le voit coller au contour arrondi du dos de la cuiller, le suivre comme un guide, et, parvenu au bout de l’ustensile, tomber franchement dévié de la verticale.
Il est évident à l’œil qu’existe une relation entre déviation du jet et aspiration de la cuiller. L’eau a reçu une impulsion latérale ; ce flux de liquide refoulé d’un côté engendre une réaction de l’autre.
Il ne reste qu’à basculer par la pensée le système à l’horizontale, ou à travailler sur un jet d’eau horizontal, pour avoir devant soi un profil d’aile qui porte, qui sustente dans le flux d’air.
On semble bien tenir là l’explication parfaite de la portance. Eh bien, on la tient et on ne la tient pas.
On la tient en ce sens que la portance est bien due à la déflexion par l’aile d’un débit d’air vers le bas ; on ne la tient pas, en cela que l’effet observé à la surface de la cuiller n’est pas de taille à justifier l’ampleur de la portance quand on veut l’appliquer à l’air contournant l’extrados de l’aile.
Observé dans notre expérience du robinet, on appelle effet Coanda ce collage d’une veine fluide rapide et pas trop épaisse à la surface courbe qu’elle suit. L’effet Coanda parfois évoqué pour expliquer la portance ne suffit pas à expliquer ce que montrerait une soufflerie : l’air dévié vers le bas n’a rien à voir avec une mince pellicule ; il s’étend en hauteur d’une valeur égale à plusieurs cordes de l’aile (1), et ce tant dessus que dessous. Il est vrai que maximum tout près de la surface de l’aile, l’angle de cette déviation décroît progressivement lorsqu’on s’éloigne vers le haut ou le bas.
On décrit assez valablement le volume d’air dévié vers le bas par l’aile au cours de sa progression, comme un tube dont l’envergure de l’aile représente le diamètre. On en déduit que ce volume est impressionnant, et qu’à raison de plus d’un kilogramme par mètre cube, la masse d’air déviée vers le bas à chaque seconde est très considérable. On n’en attendait pas moins pour justifier une portance capable de tenir une grosse machine en l’air.
On établira le parallèle avec un hélicoptère en vol stationnaire : il est ici évident que sa sustentation est due au refoulement vers le bas d’un important débit d’air à une certaine vitesse. Or les pales de son rotor sont des ailes, certes de faible corde, certes qui avancent en rond ; mais à défaut de l’expliquer, on voit parfaitement que ces ailes particulières rejettent sous elles l’air qu’elles traversent.
On lit pourtant habituellement que la portance est due à une dépression sur l’extrados : l’aile est soutenu parce qu’elle est « aspirée ».
Cette explication est bonne également ! On devine donc que sustentation par effet de réaction et sustentation par dépression sur l’extrados sont simplement deux aspects du même phénomène.
Mais pourquoi une dépression règne-t-elle sur l’extrados ? C’est parce qu’un fluide circulant au long d’une surface bombée y accélère, et qu’une vitesse plus grande du fluide a pour effet de causer une baisse de sa pression statique, donc une dépression mesurable sur les surfaces léchées. Cette dépression croît par ailleurs comme le carré de la vitesse du fluide, ce qui fait que la portance augmente selon la même loi. C’est une application du principe de Bernoulli, énoncé voici près de trois siècles.
L’écrasante majorité des explications de la portance juge suffisante l’explication par la dépression d’extrados, et néglige l’explication par réaction. A dire vrai, leurs auteurs parfois ne veulent pas même en entendre parler et la déclarent fantaisiste. On parle alors de la – vaine – querelle des Bernoulliens et des Newtoniens. Le Newtonien est ici celui qui défend exclusivement la thèse de la réaction, comme on s’en doute puisque Newton a établi la loi de l’action/réaction.
Il reste à expliquer pourquoi l’air a accéléré en passant sur l’extrados. Nous pourrions nous borner à mentionner le fait, en renvoyant les plus curieux à de savants traités de mécanique des fluides. Nous en abstenant, nous nous bornerons à signaler qu’un nombre impressionnant de cours élémentaires pour les pilotes, ou d’encyclopédies… disent ceci : l’extrados, plus bombé que l’intrados, est ipso facto plus long. Considérons deux molécules d’air voisines arrivant ensemble devant le bord d’attaque ; elles se séparent ; l’une passe dessus et l’autre dessous. Comme il faut bien qu’elles se rejoignent au bord de fuite, celle qui est passé dessus a dû aller plus vite.
Devant cet aplomb, le novice ne discute pas cette nécessité pour l’air d’avoir à se rejoindre exactement. En outre, il lui semble que cela correspond à quelque vague principe de conservation de la matière : si une part de l’air ne rejoignait pas l’autre, où donc irait-elle s’accumuler ? Or il est aisé de trouver des vidéogrammes de soufflerie montrant que les deux airs ne se rejoignent pas (2). Qui plus est, l’air d’extrados accélère encore plus que prétendu, puisqu’il a pris une franche avance sur l’air d’intrados.
Dans le forum des pilotes privé, le pseudonyme « Haflinger » ironise ainsi à ce propos :
Oui c’est ça, les molécules ne sont pas connes, elles regardent autour d’elles et quand elles voient qu’elles passent près d’une aile, ou plutôt qu’une aile passe près d’elles, elles se posent la question ! Suis-je du coté de l’intrados, de l’extrados ou bien en dehors de l’envergure ?
La molécule d’air qui n’est pas conne trouve la réponse très vite car l’aile va passer en 2 centièmes de seconde, faut pas couniller comme on dit chez moi ! (c’est peut-être génétique chez la molécule ?)
Et là qu’est-ce qu’elle fait la molécule d’air ? Eh bien si elle est du côté de l’extrados elle sait que l’extrados de l’aile est plus long que l’intrados, pas conne la molécule, alors comme elle aura plus de chemin a faire elle va accélérer pour ne pas arriver a la bourre, vraiment pas conne la molécule.
Enfin elle va accélérer car elle a « plus de parcours à faire » c’est vite dit car la pov molécule elle bouge pas au départ et ses copine de l’intrados non plus, mais comme elle est pas conne elle se met en route car elle s’est déjà fait avoir, alors comme c’est une vieille molécule avec de l’expérience elle se met en marche et dans le bon sens s’il vous plait, vers le bord de fuite ! faut pas se gourer, faut pas reculer devant l’obstacle.
Si elle voit qu’elle va passer dessous, et qu’en plus elle a le pot que c’est un intrados plat, c’est bonnard, elle se la coule douce, la molécule, elle n’a rien à faire. Brave molécule !
Que se passe-t-il sous l’intrados ?
Voyons un profil symétrique dessus et dessous : c’est un profil biconvexe symétrique, tel qu’on en emploie le plus souvent pour les empennages. Il est évident que sous incidence de zéro degré, une dépression égale existe sur chaque face et que la portance est ainsi nulle. (Cependant il existe bien deux forces de portance opposées, qui tirent sur l’extrados comme sur l’intrados.)
Braquons-le à une certaine incidence : l’intuition suggère que l’air frappant l’intrados est dévié vers le bas par « rebond », créant ainsi une part de portance. Pour ne pas faire comme les cours et encyclopédies précités, hâtons-nous de dire que ce n’est qu’une image fausse (encore qu’elle devienne vraie en vol supersonique), et que l’air d’intrados n’est entraîné vers le bas que par son interaction avec celui d’extrados, au mouvement plus ample et puissant.
L’intrados aux angles usuels d’utilisation pratique prend une part modeste dans la portance totale, que l’on chiffre habituellement aux environs du quart.
On peut demander comment le rejet de l’air vers le bas engendre une dépression sur l’extrados, et quel rapport entre les deux. Une réponse non pas fausse mais du moins extrêmement sommaire est la suivante : cet air rejeté vers le bas doit pour réagir utilement sur l’aile prendre une sorte d’appui sur elle, y exerçant des forces de pression, tout comme faire reculer le chariot à roulette léger sur lequel on est assis peut se faire en rejetant avec force devant soi un sac lourd tenu dans les bras : les mains ont produit l’effet de réaction grâce au sac, mais en exerçant une poussée sur lui, laquelle poussée produit en réaction sur les mains une force égale de sens contraire qui produira le mouvement (La réaction n’est ainsi qu’un sous-produit de l’inertie.)
Toutefois nous avons parlé sur l’extrados d’une dépression, et non pas d’une pression…
Hé ! C’est la même chose. Lorsqu’on dit que l’avion est soutenu par la dépression d’extrados, on se gargarise de mots creux. Une dépression est un vide partiel, et le vide ne peut rien faire, rien porter. Si la dépression d’extrados donne l’illusion de porter, c’est pour une raison simple : la pression atmosphérique de 10 tonnes au m² au niveau de la mer presse vers le bas de 10 tonnes chaque mètre carré d’aile, tandis que sous l’extrados elle le pousse de 10 tonnes vers le haut. Ôtons par dépression 100 kg à l’extrados : 10 tonnes poussent dessous vers le haut et seulement 9,9 tonnes dessus vers le bas. La pression d’intrados l’emporte de la différence : c’est la portance.
La portance est ainsi fournie par la pression sous l’intrados, quoi qu’on en dise !
Cherchons encore à entrevoir comment faire équivaloir réaction et pression sous l’intrados, simplement en donnant un début d’idée à travers l’exemple le plus simple du genre : la tuyère de fusée.
On chiffre aisément la poussée de ce moteur en multipliant son débit massique de gaz de combustion par leur vitesse d’éjection : la poussée est produite par le principe de réaction.
Cependant, on rencontre souvent le croquis très clair d’un moteur-fusée en coupe longitudinale : on y voit comment les pressions qui s’exercent en tous points dans la chambre de combustion s’équilibrent et s’annulent en appuyant sur des parois opposés, sauf la pression qui s’exerce sur le fond de la chambre, parce qu’il n’y a en face que le trou de la tuyère : la poussée du moteur est produite ici par des forces de pression contre le fond.
Le résultat quant à la poussée produite est numériquement le même dans les deux explications.
Sans doute avons-nous ici une pression et non une dépression, mais nous accepterons l’exemple comme démonstration d’équivalence admissible entre réaction et pression. D’ailleurs, une petite pression, et non dépression, existe précisément sous l’intrados (elle cause souvent le quart environ de la portance totale).
Une illustration dramatique de la portance : un constructeur amateur avait fait un avion de voltige dont le revêtement de contreplaqué de l’extrados était collé sur moins d’appuis que prévu sur les plans. A l’occasion d’une séance de voltige, la dépression arracha purement et simplement le revêtement. La suite n’est que trop évidente. Sur un avion de bois entoilé, on distingue très bien comment la toile d’extrados est gonflée par la succion entre deux nervures, là où en arrière du longeron principal elle ne porte sur aucun support.
(1) La corde de l’aile est la distance qui en traversant à travers l’épaisseur de l’aile va de son bord avant (le bord d’attaque) à son bord arrière (le bord de fuite).
(2) L’air est rendu « visible » par injection de bouffées de fumée.
……………………….
6. ESTIMATION DE LA VITESSE MINIMALE DE SUSTENTATION ; DESCRIPTION DU DÉCROCHAGE
A quelle vitesse l’avion doit-il au moins voler pour être sustenté par ses ailes ? Cette vitesse minimum de sustentation est appelée aussi vitesse de décrochage : l’avion ralentissant à cette vitesse « décroche », quitte son vol et choit en faisant (souvent) une brusque abattée où le nez plonge. Certains avions sont réticents à l’abattée, se bornant à s’enfoncer mollement sans décrocher, le nez plus ou moins cabré.
On a vu comment la portance naît de la déflexion de la masse d’air par le profil de l’aile. Cette déflexion est d’autant plus forte que l’angle d’incidence est grand, mais cet angle ne dépasse pas une certaine valeur au-delà de laquelle l’air cesse de se plier à la volonté de l’aile : il se décolle de son extrados, ne se laisse plus défléchir et ne porte plus. Cet angle varie selon le type de profil. Il est souvent de l’ordre d’une quinzaine de degrés.
A cet angle, ou incidence de décrochage, on retiendra qu’une aile de profil banal donne au niveau de la mer une portance de l’ordre de 9 kilogrammes par mètre carré en volant à 10 mètres/seconde ou 36 km/h. Un profil mince de chasseur à réaction donne moins.
De cette valeur numérique, on déduit toutes les autres en appliquant la règle du carré : l’aile qui vole deux fois plus vite porte non pas deux, mais quatre fois plus. Ainsi l’aile donne-t-elle 36 kg de portance par mètre carré à 72 km/h, 81 kg à 108 km/h, etc.
Cette évolution au carré est aisée à comprendre. L’aile volant deux fois plus vite attaque deux fois plus de masse d’air, qu’elle défléchit deux fois plus vite : ainsi la portance croît-elle 2 fois 2 fois.
A quelle vitesse décroche un avion de 3750 kg disposant de 24 m² de voilure ?
Commençons par calculer sa charge alaire, poids supporté par chaque m² d’aile : 3750/24 = 156 kg/m²
En 156 vont 17,3 fois 9 ; la vitesse de décrochage est 36 km/h multipliés par racine carrée de 17,3 c’est-à-dire 4,16. L’avion décroche (ou ne peut décoller à moins de) à 36 x 4,16 = 150 km/h ou 40 m/s.
Nous n’avons ici parlé que de la vitesse de décrochage d’une aile dont les éventuels dispositifs hypersustentateurs sont escamotés ou absents : volets de courbure, becs de bord d’attaque. Leur déploiement accroît la portance à incidence et vitesse égale, réduisant ainsi la vitesse de décrochage, la vitesse d’envol et surtout d’atterrissage.
Comment se passe un décrochage ?
Le pilote a réduit à fond les gaz et lentement tire à lui le manche pour cabrer progressivement, ralentissant à quelques km/h au-dessus de la vitesse de décrochage. Supposons-là de 90 km/h. Il s’agit pour ce chiffre d’un avion de tourisme ; continuons avec des chiffres valables pour cette sorte d’appareils. L’avion qui n’a pas encore décroché s’enfonce alors dans son plané sans moteur à raison de trois ou quatre mètres par seconde, le nez restant plus ou moins cabré sur l’horizon. Son centre de gravité suit ainsi aux alentours de 100 km/h une pente de descente assez marquée, de l’ordre de 8 ou 9 degrés.
L’avion décrochera lorsque ses ailes affecteront un angle d’une quinzaine de degrés par rapport à sa trajectoire de descente. L’angle entre ailes et trajectoire est l’incidence. Si la trajectoire de plané descend déjà de 8 degrés comme dans notre exemple, il ne reste que 15 moins 8 = 7 degrés de cabré « visible », par rapport à l’horizon.
Si pourtant comme il est d’usage l’aile est boulonnée au fuselage avec un angle de calage de 2 à 4° (c’est-à-dire son bord d’attaque – son bord avant – calé plus haut que son bord de fuite – son bord arrière), le nez sera moins cabré au-dessus de l’horizon. En bref, l’avion peut décrocher en affichant un cabré visuel à peine marqué. Ce piège tue de temps à autre un pilote, trop souvent habitué à penser qu’on ne décroche que le nez accroché au ciel.
Les « phénomènes avertisseurs du décrochage » sont paraît-il exigés de tout avion et devraient se manifester quelques km/h avant le décrochage. L’avion est supposé trembler de toute sa membrure, agiter ses gouvernes, chercher à tomber de gauche et de droite. Un fort klaxon remplace ces « phénomènes avertisseurs » souvent absents des appareils modernes.
Il est cependant vrai que l’avion à ce stade cherche souvent, selon les modèles, à perdre l’horizontalité de sa voilure pour sembler tomber d’une aile ou de l’autre. Admettons que s’enfonce tout à coup de vingt degrés l’aile gauche. Le pilote mal formé donne de réflexe un coup de manche à droite afin de rétablir l’horizontale. Ce faisant il abaisse l’aileron de l’aile gauche enfoncée. Cet abaissement équivaut au braquage d’un volet de courbure, mais le malheur veut qu’une aile braquant un volet de courbure décroche certes à vitesse moindre, mais aussi et malgré cela à un angle d’incidence généralement plus bas. Or l’avion frôlait déjà l’incidence de décrochage ; le braquage vers le bas de l’aileron gauche place alors l’aile gauche dans une situation où elle est décrochée. Elle s’abat soudain sans que l’aile droite fasse de même : la descente en vrille, l’autorotation a démarré (il est d’autres moyens de la déclencher).
Malgré toutes les considérations qui précèdent, nous n’avons pas encore décroché…
L’avion s’enfonce donc sans moteur de 3 ou 4 mètres par seconde, vole à sa vitesse minimum de sustentation voisine de 90 km/h, est tout prêt à décrocher. Le pilote tire un peu plus le manche ; l’avion cabre un peu plus et atteint enfin l’angle d’incidence où la sustentation portée à son maximum s’enfuit soudain : l’air qui en s’écoulant collait à l’extrados a cessé de le suivre. Le nez plonge brutalement.
Un vain peuple pense qu’il plonge parce que portance enfuie, le nez est entraîné par le poids du moteur. Ce serait croire qu’un avion à moteur propulsif décroche en abattant sur sa queue, ce qui n’est pas. Ce n’est pas le nez qui plonge, mais (j’avertis les aérodynamiciens que nous allons simplifier les phénomènes à l’extrême ou pire encore) c’est la queue légère et surfacée qui reste à la traîne, retenue par l’air. Il arrive la même chose que si l’on avait lâché de haut, horizontale et sans vitesse, une flèche d’arc munie d’une pointe pesante : elle bascule bientôt pointe vers le sol, non parce que la pointe est lourde mais parce que l’empennage freiné par l’air la dirige ainsi. Avion ou flèche tombant dans le vide au lieu d’air ne basculeraient vers l’avant ni l’un ni l’autre.
L’avion plonge. En quelques dizaines de mètres de chute pour un Jodel, en quelques centaines pour un chasseur, il a repris assez de vitesse pour être ramené en vol horizontal normal par une traction progressive et mesurée sur le manche. Le pilote aura cependant pris la précaution de ne pas tirer sans délai : l’avion tendrait à redresser trop tôt sans assez de vitesse. Il risquerait d’enchaîner un second décrochage, voir pour certains appareils de s’enfoncer indéfiniment à moitié redressé dans une sorte de décrochage entretenu.
Selon le type d’avion, le plongeon peut montrer tous les degrés de la douceur à la violence. On a des avions à décrochage brusque et franc, où l’on voit en plongeant le sol droit face à soi. On a des machines offrant un simple salut de quelques degrés d’amplitude, qui mérite à peine le nom d’abattée. C’est une affaire de profil d’aile, dont certains décrochent net et d’autres sans conviction ; c’est affaire aussi de puissance de la gouverne de profondeur, qui peut être trop peu puissante pour cabrer l’avion jusqu’à vraiment son incidence du décrochage.
Nous avons examiné le décrochage avec le moteur réduit. Il est également possible de mettre pleins gaz, puis de cabrer l’avion si nettement qu’il n’est plus capable de conserver sa vitesse en dépit de la pleine puissance. On approche du décrochage ; la vitesse baisse tandis que le nez tiré par le moteur se tient spectaculairement haut, souvent à une trentaine de degrés ou plus sur l’horizon. Lorsque est atteinte par ralentissement la vitesse de décrochage, le nez bascule.
Les manifestations de l’appareil au décrochage seront assez différentes de ce qu’elles sont moteur réduit. Elles pourront selon le cas être soit plus douces, soit plus violentes. Examinons deux cas : 1), puis 2).
Cas 1). Supposons que sous l’assiette très cabrée atteinte au moment du décrochage à plein moteur, le pilote laisse les pleins gaz. La reprise de vitesse qui débute sous la traction motrice dès que le fuselage abattant revient vers l’horizontale, peut suffire sur certains avions à extraire l’appareil du décrochage avant même qu’on ait perdu une altitude sensible ; le décrochage semblera effacé. Sur d’autres modèles d’avions l’abattée se maintiendra ; le nez à piquer tiré par le moteur emballé fera prendre rapidement à l’appareil une vitesse considérable.
Cas 2). Ou bien supposons qu’à l’instant de l’abattée sous fort cabré au moteur, le pilote réduise instantanément les gaz à fond. Le nez abattra, avec une amplitude spectaculaire puisque le plongeon part d’un angle de cabré initial considérable. Les passagers novices épouvantés ne remonteront jamais en aéroplane.
………………….
7. ENSEMBLE DU DOMAINE DE VOL EN PALIER ; VITESSES DE FINESSE MAXIMUM ET DE PUISSANCE MINIMUM ; ÉCART DE VITESSE
Comment se comporte l’avion tandis que sa vitesse croît de la plus faible valeur possible jusqu’à la vitesse maximum en palier ? Comment avec la vitesse évolue son besoin de puissance, et partant son autonomie, sa distance franchissable ?
Considérons un avion à hélice à peu près représentatif de l’ensemble des machines de morphologie moyenne, doté d’une voilure qui ne se distingue ni par un allongement de planeur, ni par un dessin exagérément ramassé comme celui d’un X-15 ou d’un F-104.
Nous avons tout pris en compte, jusqu’au fait que le rendement de l’hélice à pas fixe varie sensiblement (s’améliore) en passant de la basse vitesse à la vitesse de croisière rapide.
De tout cela nous tirons une méthode complètement dépourvue d’allure scientifique, mais pas très différente d’une réalité moyenne.
Pour abréger les phrases nous remplacerons souvent l’expression « vitesse de décrochage » par le symbole usuel « Vs » : velocity of stall, qui signifie la même chose.
Ce symbole n’est pas réglementaire ; l’utilisation réelle de l’avion réclame plusieurs symboles différents. Voir l’encyclopédie virtuelle habituelle.
Nous prendrons en exemple un avion de tourisme qui décroche à 100 km/h.
Volant en palier à sa plus faible vitesse possible de vol, à sa vitesse de décrochage, l’avion est fortement cabré. Le pilote ne voit plus l’horizon devant lui ; le moteur le masque largement. Cette posture de l’avion explique (simplification abusive) que la résistance de l’air à l’avancement, sa traînée, est alors considérable. Songer encore à l’analogie du ski nautique à très basse vitesse. Disons que sur les 150 chevaux dont il dispose, un avion de tourisme d’une tonne a besoin d’en utiliser environ 80 à 100 pour simplement ne pas perdre d’altitude à cette vitesse-là.
Accélérons en demeurant continuellement en palier : le cabré va progressivement se résorber : le nez baisse sur l’horizon. Analogie encore avec le ski émergeant progressivement de l’eau pour finir à plat sur elle. L’avion « ramant » de moins en moins va rencontrer (d’abord) une résistance moindre de l’air, et cela quoiqu’il vole plus vite ; sa traînée va d’abord diminuer.
Lorsque nous serons à 120% de la vitesse de décrochage, le cabré aura très sensiblement décru. Il aura décru beaucoup plus qu’en proportion de l’accroissement de vitesse. Accroître la vitesse de 20% (la multiplier par 1,20) augmenterait sans changer le cabré la portance au carré : 1,2 x 1,2 soit presque moitié de portance en plus. Mais l’avion qui ne pèse pas plus lourd n’a aucun besoin de plus de portance. Il résorbera donc ce gain inutile en réduisant franchement son cabré.
C’est à cette vitesse de 120 km/h que l’avion de tourisme décrochant à 100 km/h tiendra l’air avec le moins de chevaux. Appelons-la vitesse de puissance minimum.
Le minimum de puissance nécessaire à tenir tout juste l’air est d’évidence la puissance du plus petit moteur qui permettrait de maintenir l’avion en vol sans perdre d’altitude. Sur avion de tourisme ce minimum de chevaux pour tenir l’air est souvent compris entre le tiers et la moitié de la puissance du moteur installé ; il est évidemment très variable selon le chargement de la machine.
Ce minimum peut être une fraction sensiblement plus faible que le tiers, notamment sur un motoplaneur qui tient l’air « avec un filet de gaz ». Il est également une fraction faible de la puissance maximum sur un chasseur à hélice, parce que ce genre de machine dispose par définition d’une puissance énorme.
C’est donc à cette vitesse de puissance minimum qu’il reste un maximum de chevaux disponibles, l’excédent de puissance. L’excédent sert ou bien à accélérer sans monter, ou bien à monter sans prendre davantage de vitesse. C’est donc à cette vitesse que l’avion pourra en donnant tous les gaz grimper le plus vite, disposer de la plus forte vitesse ascensionnelle. Si tel avion de tourisme de 150 chevaux n’a besoin que de 50 chevaux pour tout juste rester en l’air, il lui reste 100 autres chevaux pour monter. Il montera par exemple au taux d’environ 4 m/s, ou encore 240 m à la minute (sur un variomètre en pieds/minute : 800 ft/mn).
La vitesse de puissance minimum est aussi la vitesse à laquelle, moteur en panne ou complètement réduit, l’avion s’enfoncera le moins vite. Le taux de chute le plus faible possible d’un avion de tourisme sera généralement de l’ordre de 3 m/s. L’avion à cette allure est encore un peu cabré, au détriment léger de la visibilité ; il est également passablement « mou » aux commandes qui réagissent avec moins de fermeté, donnant l’impression de piloter une chose mollassonne et mal assise sur l’air.
Accélérons encore, toujours en palier. Vers 150% de la vitesse de décrochage se présente un nouveau point remarquable : la vitesse de finesse maximum.
La finesse maximum d’un avion est un paramètre essentiel qu’on retrouve en bien des circonstances.
Elle indique en cas de vol plané sans moteur la plus grande distance que l’avion peut franchir pour une perte de hauteur donnée. Un avion léger capable de planer 12 kilomètres en partant d’une altitude de 1000 mètres possède une finesse maximum de 12. Il franchira cette distance en planant à sa vitesse de finesse maximum ; à toute autre vitesse plus faible ou plus forte, il planera moins loin.
La finesse est encore égale au rapport de la portance sur la traînée. En vol ordinaire la portance est égale au poids. Un avion d’une tonne possédant une finesse maximum de 12 présente ainsi une traînée minimum, une résistance à l’avancement (et ce donc vers 150% de sa vitesse de décrochage) de 1000/12 = 83 kg.
Conséquence immédiate : un petit réacteur de 83 kgp (kilogrammes de poussée) suffit à tenir cet avion tout juste en vol si c’est un avion à réaction. Une hélice aussi devra tirer 83 kg. Nous ne demanderons pas combien il lui faut de chevaux pour cela, puisqu’à l’instar de la bicyclette à dérailleur ou de la voiture à boîte de vitesses, la puissance du moteur nécessaire ne se déduit pas directement de la traction exercée ; elle dépend à la fois de la traction exercée et de la vitesse de translation du véhicule.
Conséquence : puisque c’est à cette vitesse que la résistance à l’avancement est la plus faible, c’est à cette vitesse que la quantité de travail (d’énergie) consommée pour parcourir 100 km est la moindre (le travail étant le produit de la force de traction par la distance parcourue). C’est donc à cette vitesse que sera maximum la distance parcourue au litre de carburant. La vitesse de finesse maximum est celle qu’adopte un avion de record de distance ou encore un avion de tourisme très à court d’essence. C’est une vitesse assez lente : 150 km/h pour une vitesse de décrochage de 100, dans l’exemple de l’avion léger que nous continuons à suivre.
Pour demeurer en palier à la vitesse de finesse maximum sans perdre de hauteur, il faut 15 ou 20% de chevaux en plus qu’à la vitesse de puissance minimum. Cela fera dans notre exemple : 50 chevaux x 1,2 = 60 chevaux. L’excédent de puissance sera moindre, et moindre donc aussi la vitesse ascensionnelle possible pour qui désire grimper en conservant cette vitesse-là.
Poursuivons l’accélération. Le nez de l’avion cette fois se plaque tout à fait sur l’horizon ; le pilote voit devant lui comme s’il roulait au sol avec un train tricycle. Son cabré à peu près résorbé, l’avion paraît vu de face comme sur un plan trois vues.
A 190% de la vitesse de décrochage (soit 190 km/h dans notre exemple poursuivi), la puissance requise n’est encore majorée que d’environ 60% par rapport à la valeur minimum exigée à vitesse de puissance minimum (qui pour rappel vaut 120% de la vitesse de décrochage).
Relisons le paragraphe correspondant : notre avion exigeait 50 chevaux à 120 km/h ; il lui faut ici : 50 x 1,60 = 80 ch.
Libérons enfin tous nos kilowatts. Le nez de l’avion ne bouge plus guère : il n’y a presque plus de cabré à résorber. Une loi simple va désormais présider à l’accroissement de la puissance requise avec la vitesse. C’est la même qu’en bateau : le besoin de puissance monte comme le cube de la vitesse ; c’est autant dire qu’on n’accélérera plus beaucoup.
Pour des raisons mécaniques on croise avec la plupart des moteurs d’aviation légère à 75% de la puissance maximum, ou 112,5 chevaux pour un moteur de 150.
Continuons notre exemple : 112,5 chevaux au lieu de 80 font 1,406 fois plus ; la racine cubique de 1,406 est 1,12 ; la « vitesse de croisière à 75% » passe à : 190 x 1,12 ou 213 km/h.
Mettons pleins gaz pour atteindre la vitesse de pointe ; c’est un tiers de puissance encore en plus : 100% par rapport à 75%. L’application de la même règle qu’au paragraphe précédent (déterminez la racine cubique du rapport 100/75 ou 4/3) donne une vitesse maximum de 234 km/h.
Souvent alors l’aile à cette vitesse est si bien à plat sur sa trajectoire, que le pilote a l’impression de voler nez bas un rien penché sur l’avant. Sa vue est magnifiquement dégagée. Ce n’est pas une impression : l’aile étant généralement cabrée de quelques degrés sur le fuselage (notamment pour limiter le cabré de celui-ci à l’atterrissage afin de conserver une hauteur modérée aux jambes du train), une aile bien décabrée a pour effet un fuselage un peu piqueur. Le cas est signalé par Clostermann au sujet du Fw-190 dont il observe « la curieuse assiette de vol nez bas… ».
Remplaçons l’avion de tourisme par un chasseur à hélice : la très forte puissance se battant contre la loi du cube parvient tout de même à tirer la machine jusque 3 ou 3,5 fois sa vitesse de décrochage. Les chasseurs de la SGM atteignaient en moyenne 450 km/h au niveau de la mer au début du conflit, puis 550 à la fin.
On rencontre souvent la notion d’écart de vitesse, qui est l’écart entre vitesse de décrochage et vitesse maximum en palier.
L’écart des vitesse dans notre exemple est de 90 à 234 km/h.
On peut aussi le définir selon le rapport : 234/90 = 2,6.
Plus l’écart est grand, plus la machine s’avère d’un emploi commode et agréable.
*
Résumons les valeurs indiquées dans ce chapitre :
(entre crochets, les chiffres pris plus haut pour notre avion-exemple).
– Vitesse de décrochage, symbolisée par l’expression « Vs » (velocity of stall). A Vs, la puissance exigée pour juste tenir l’air sans monter ni descendre est notable : 80 à 100 ch.
– 1,2 Vs : vitesse de puissance minimum requise pour tenir l’air ; nommons cette puissance « Wmin » ; la vitesse est de 120 km/h ; le besoin de puissance est de : Wmin = 50 chevaux.
– 1,5 Vs : vitesse de finesse maximum ; puissance requise = 1,2 Wmin ; [150 km/h ; 60 chevaux]
– 1,9 Vs : vitesse à laquelle la puissance requise = 1,6 Wmin ; [190 km/h ; Wmin = 80 chevaux]
Jusqu’à 1,9 Vs, la puissance requise a augmenté selon une loi mollement croissante. [190 km/h ; 80 chevaux]
Au-delà :
– On fait croître 1,6 Wmin au cube de la vitesse.
– Vitesse de croisière à 75% de la puissance : [112,5 chevaux et 213 m/h] ;
– Vitesse de pointe à pleins gaz : [150 chevaux et 234 m/h].
Note : on a compris que nous avons arrondi les valeurs. En effet nous avons ici entre vitesse de puissance minimum et vitesse de finesse maximum un rapport de 120 / 150 = 0,80. En réalité ce rapport est (à la troisième décimale près) de 0,760 et cela quel que soit l’avion.
…………………….
8. POURQUOI LA VITESSE MAXIMUM N’AUGMENTE QU’À LA RACINE CUBIQUE DE LA PUISSANCE DISPONIBLE ; COMPARAISON DU RENDEMENT DE LA PROPULSION PAR HÉLICE ET PAR RÉACTEUR
Détaillons pourquoi la vitesse de pointe n’augmente que selon la bien modeste racine cubique de la puissance disponible.
Si un moteur de 100 chevaux fait atteindre en pointe 200 km/h à un avion donné, alors, lui substituer 150 chevaux ne fera monter la vitesse qu’à 229 km/h en consommant moitié plus.
La conscience de ce triste fait est essentielle : le comprendre est comprendre qu’accroître la puissance d’un avion le fera sans doute grimper beaucoup mieux (la vitesse ascensionnelle est en proportion directe de l’excédent de puissance), mais non pas aller notablement plus vite.
Pour aller notablement plus vite il faut jouer sur d’autres facteurs : améliorer le profilage et voler plus haut en air moins résistant si toutefois le moteur dispose d’un compresseur qui lui garde sa puissance originelle en altitude.
Un mobile en mouvement dans le fluide aérien et marchant deux fois plus vite heurte deux fois plus de molécules dont chacune a « deux fois plus de mouvement » ; il rencontre donc une résistance quadruple : au carré de la vitesse.
La puissance est égale au produit de la force par la vitesse. Pour lutter contre une force résistante en se déplaçant contre elle à une certaine vitesse, il faut user d’une puissance égale à la résistance rencontrée multipliée par la vitesse de déplacement.
Voler deux fois plus vite cause une traînée quadruple, qui multipliée par une vitesse double vaut donc une puissance octuple : au cube de la vitesse.
Un turboréacteur dont la poussée est en subsonique grossièrement en première approximation constante avec la vitesse, ne donne pas des chevaux mais des kilos de poussée qui équilibrent la traînée de l’avion. Voler deux fois plus vite avec une traînée quadruple ne demande donc pas une poussée octuple, mais quadruple seulement. Le réacteur consomme ainsi quatre fois plus pour voler deux fois plus vite, lorsque le moteur à pistons consomme huit fois plus.
Il en résulte que le réacteur est bien mieux adapté aux vitesses élevées que le moteur à hélice, et qu’il est inversement fort mal adapté aux vitesses basses.
Exemple : un avion à hélice de 1000 chevaux atteint 450 km/h. On calcule que sa traînée à 450 km/h est alors de 470 kg. Un petit réacteur de 470 kgp le ferait voler à la même vitesse.
Pour une consommation spécifique courante de 200 g/ch/h, l’avion à hélice de mille chevaux vole à 450 km/h en consommant 200 kg de pétrole à l’heure. Pour une consommation spécifique courante de 0,7 kg/kgp/h, le réacteur de 470 kgp consommera à la même vitesse : 470 x 0,7 = 329 kg de pétrole à l’heure. La comparaison montre la mauvaise adaptation du turboréacteur aux vitesses encore « lentes » telles que 450 km/h.
Supposons l’avion à hélice atteignant le double, soit 900 km/h. Il lui faut 8 fois plus de chevaux, soit 8000. Un tel moteur n’est plus à pistons, car ceux-ci n’ont jamais dépassé de beaucoup les 4000 chevaux ; c’est un très puissant turbopropulseur. Admettant que la consommation au cheval du turbopropulseur soit celle d’un moteur à pistons, l’avion consommerait 1600 kg à l’heure. Le réacteur donnant les mêmes 900 km/h aura une poussée de 4 fois 470 kgp, ou 1880 kgp. Sa consommation horaire sera 1880 x 0,7 = 1316 kg.
Il a égalé en sobriété le moteur à hélice et l’a même dépassé. Le turboréacteur est bien adapté aux hautes vitesses.
On rencontre cependant des réacteurs sur des avions lents ; il existe alors une raison qui a semblé au concepteur plus importante que la consommation élevée. C’est le cas d’un certain nombre de motoplaneurs où le réacteur par sa petitesse a paru aisé à caréner ou à noyer dans le fuselage ; il ne peut alors guère servir qu’au décollage autonome, son temps de fonctionnement étant, pour cause de consommation, faible en comparaison de celui d’un moteur à pistons et hélice qui serait susceptible de permettre à un planeur de longues croisières hors de tout vol à voile.
On peut citer aussi la version à réaction du minuscule avion de sport monoplace Bede BD-5, mais il s’agit d’un exercice de style et d’un jouet de riche, dont l’autonomie n’avoisine que les trois quarts d’heure. Les armées, qui ont moins de souci de coût de l’heure de vol que les aéroclubs, ont parfois voulu au moins expérimenter de tout petits biplaces lents de formation initiale économique à réacteur, comme le SIPA Minijet de 1952. En pratique l’abandon en France de la formation tout à fait initiale sur avion à réaction a fait passer les élèves pour leurs premières heures sur de simples monomoteurs à pistons.
En dehors de cela il n’est guère comme véritable avion à réaction lent que l’étrange Belphégor polonais, un biplan d’épandage agricole muni d’un réacteur de 1700 kgp, ne dépassant pas 200 km/h en déplacement à distance et construit tout de même à plus de cent exemplaires avant que ses utilisateurs ne découvrent sa consommation prohibitive.
……………………
9. FACTEURS ACCROISSANT LA VITESSE MAXIMUM
On en sait assez déjà pour juger de l’effet des divers paramètres sur la performance maîtresse de l’avion qu’est sa vitesse de pointe.
Si l’avion n’est pas une machine archi-traînarde et sous-motorisée d’avant 1930, sa finesse maximum se placera au moins entre deux fois et deux fois et demie la vitesse du décrochage. Nous considérerons donc la vitesse maximum comme située dans la plage où la traînée croît au cube de cette vitesse, et où donc la vitesse de pointe n’augmente plus qu’à la racine cubique de la puissance installée.
Pour doubler sur avion à hélice la vitesse maximum à altitude constante (densité constante du fluide résistant) on octuplerait la puissance ; mais cela est impossible.
Considérons le cas plus réaliste d’une variation limitée de puissance.
On sait par les techniques arithmétiques usuelles que majorer un nombre d’une très petite quantité majore son cube d’une quantité triple, et inversement : Si le cube de 1 est 1, le cube de 1,01 est 1,03 ou plus rigoureusement : 1,030301.
Inversement : sachant qu’un nombre est peu supérieur à 1, tel par exemple 1,03, sa racine cubique est presque exactement : 1 plus le tiers des décimales… soit 1 plus 0,01 = 1,01.
Soit un avion de 100 chevaux atteignant 200 km/h. Ramenons la valeur 200 au chiffre « 1 ». Faisons-le voler à 202 km/h, soit « 1,01 » ; il lui faudra 100 chevaux majorés de 3%, donc 103 chevaux.
Prétendons maintenant le faire voler à 220 km/h, soit « 1,10 ». Il lui faut 100 chevaux plus 30%, ou 130 chevaux. Notons cependant que pour une majoration de 10% la règle arithmétique employée commence à s’altérer ; un calcul plus exact donne non 130 mais 133 chevaux. Si l’on ajoutait 20% de vitesse, on n’exigerait pas 60% mais 73% de chevaux en plus ; etc.
A l’inverse, une diminution de traînée à puissance égale agira dans les mêmes proportions sur la vitesse maximum. Réduire de 3% la traînée accroît de 1% la vitesse ; réduire la traînée de 30%, chose très difficile, augmente la vitesse du chiffre bien modeste de 9%. On ne fait donc pas galoper un avion peu rapide en carénant un accessoire ou deux.
Escamoter le train n’augmente pas souvent la vitesse maximum de plus de 10% ; l’effacement d’un train très bien caréné comme celui des Jodel Robin ne fera sans doute pas gagner beaucoup plus de 5%.
Réduire la taille de l’aile ?
Sur un avion bien profilé, l’aile représente environ 40% de la traînée totale à vitesse de pointe ou de croisière rapide. En réduire du quart la surface donnera donc 10% de traînée en moins, soit le quart de 40%. Ce sera 3% de vitesse supplémentaire.
On fait souvent beaucoup de cas de telles réductions de surface, mais on peut retenir que la puissance nécessaire pour tirer 1 mètre carré de voilure à 150 km/h n’est guère que d’un cheval, ou de 8 chevaux à 300 km/h. Le lecteur en déduira des exemples de gain de vitesse par cette voie. Ils n’ont rien d’extraordinaire.
On perd souvent plus à réduire la surface alaire qu’à l’accroître. La réduction de surface entraîne un gain bien modeste de vitesse, qui se paie d’un coût important en : longueur de la course au décollage, violence au choc contre un obstacle en cas de panne en campagne suivi d’un posé dans un champ trop court, vitesse ascensionnelle, plafond, aisance en virages serrés.
La seule vraie façon d’augmenter spectaculairement la vitesse maximum est de voler haut pour évoluer dans un milieu moins résistant. Il n’y a cependant là aucun bénéfice avec un moteur sans compresseur : la puissance du moteur diminue dans la même proportion que la densité de l’air ; aussi dans un air moins dense du tiers la traînée est-elle diminuée du tiers, mais la puissance du moteur l’est aussi. On n’ira pas plus vite. Cependant, on consommera moins. Aussi les manuels de vol des avions légers sans compresseur affichent-ils leur meilleure croisière vers 8000 pieds, 2400 mètres.
L’idéal est ainsi de voler avec un compresseur à son altitude de rétablissement, là où l’on conserve encore la puissance du niveau de la mer tandis que la densité atmosphérique a beaucoup diminué. Un avion comme le P-47D garde sa puissance jusqu’à 9000 mètres, où la densité de l’air est divisée par 2,6.
Pour voler à 9000 mètres à la vitesse maximum atteinte à zéro mètre, soit un bon 500 km/h, il suffit donc de la puissance maximum divisée par 2,6. Cela veut dire 38% de la puissance maximum (100/2,6).
Mettons alors pleins gaz. La puissance fournie passe à 100% ; elle est multipliée par 2,6 (100/38). La racine cubique de 2,6 est 1,37. L’avion atteint à 9000 mètres 500 x 1,37 ou 685 km/h. C’est l’explication de l’accroissement habituel d’environ 150 km/h de la vitesse maximum d’un chasseur à hélice entre la basse et la haute altitude.
…………………….
10. FINESSE MAXIMUM ET ANGLE DE PLANÉ ; CABRÉ CORRESPONDANT DE L’AVION
Nous volons en croisière rapide. Réduisons à zéro les gaz en palier ; coupons même le moteur pour arrêter l’hélice. Ralentissons jusqu’à la vitesse de finesse maximum. Imaginons avoir une hélice dont les pales se mettent en drapeau, chacune présentant alors au vent relatif une simple lame et rien de plus ; supposons pour simplifier que l’hélice alors ne traîne plus du tout. Un motoplaneur se doit d’être doté d’un tel propulseur, car une hélice aux pales fixes immobilisées représente à elle seule 15% au moins de la traînée complète de l’appareil.
L’avion sans propulsion maintenu en palier ralentit et donc se cabre progressivement. Pour cesser de ralentir, et puisque nous sommes sans moteur, poussons un peu le manche pour placer l’avion en descente sur une trajectoire planée. Nous pouvons choisir de le placer sur une descente à la vitesse de notre choix, et cette vitesse sera d’autant plus forte que nous prendrons une pente de descente abrupte. Plus la pente sera abrupte, moins évidemment ce plané nous portera loin.
C’est à vitesse de finesse maximum que le plané jusqu’au sol sera le plus long (en kilomètres mais non pas en durée).
On dit alors que la finesse maximum d’un type d’avion est par exemple de 12, s’il peut à cette vitesse la plus favorable planer jusqu’à 12 fois en distance la valeur de l’altitude qu’il perd : l’avion franchira 12 kilomètres chaque fois qu’il perdra 1000 mètres.
Poussons encore le manche : l’avion piquera évidemment plus fort, descendant selon un angle plus raide. Sa finesse à cette vitesse plus élevée aura donc non moins évidemment diminué. Elle devient égale à zéro si le piqué devient vertical : l’avion n’avance plus du tout à l’horizontale.
Partons d’un plané à vitesse de finesse maximum pour agir cette fois en sens inverse : tirons précautionneusement vers nous le manche afin de ralentir doucement.
Puisque nous volerons moins vite que la vitesse de finesse maximum, nous perdrons de la finesse et planerons moins loin. Ainsi perdons-nous de la finesse en volant plus vite comme en volant plus lentement.
Nous sommes donc à présent planant à vitesse moindre que la vitesse de finesse maximum. L’avion cette fois cabre nettement. Il cabre par rapport à sa pente de descente, ce qui fait que vu du pilote le capot plonge peut-être encore un peu sous l’horizon.
Continuons à ralentir jusqu’à frôler la vitesse de décrochage : la traînée, le cabré deviennent vraiment forts tandis que la finesse se réduit d’un gros tiers par rapport à son chiffre maximum. Il se peut que l’avion plane par exemple selon une pente prononcée de 10°, soit 6 de finesse. Vérifiez sur une calculatrice : la tangente de 10° est proche de 1/6. Peu d’avions dépasseront sans décrocher un cabré sur trajectoire de 15° ; le nez paraîtra cabré de la différence, c’est-à-dire de 15° – 10° = 5° au-dessus de l’horizon.
Cette mauvaise finesse près de la vitesse de décrochage est bien entendu en rapport avec la puissance importante qu’il y faut pour se maintenir en palier.
Il n’est ainsi pas contradictoire d’être cabré tout en descendant. Nous l’avons déjà vu dans le chapitre consacré au décrochage.
La chose est très visible sur un atterrissage de Mirage III, qui descend le nez en l’air. Elle est même spectaculaire, parce que les avions à aile delta ont la particularité rare d’atteindre sans décrocher des cabrés beaucoup plus importants que les autres. Revoyez à ce sujet un épisode des Chevaliers du Ciel, comme nous en avons revu récemment un après trente ans de privation.
Nous nous souvenions que cette série était niaise, mais avions oublié à quel point.
Bien entendu le pilote approchant en delta voit peu ou pas devant, d’où le nez basculant du Concorde.
………………………
11. PRÉCISIONS SUR LA RELATION PHYSIQUE ENTRE FINESSE MAXIMUM ET ANGLE DE PLANÉ
Une bicyclette freins desserrés se met à rouler sans pédalage lorsque la pente est suffisante ; un avion moteur coupé a toujours sous les ailes une pente suffisante pour « rouler sans pédalage » puisqu’il n’est pas gêné par le sol pour accentuer s’il faut la pente de son plané.
Pour que roule la bicyclette, la pente de la route peut être faible si le revêtement est bon ; elle doit être plus raide si c’est un chemin bourbeux. La pente de descente nécessaire au plané d’un avion est d’autant plus faible que ses lignes sont pures ; elle sera d’autant plus forte que ses lignes seront heurtées, ou bien que roues et volets divers seront sortis.
La pente de descente est aisée à déterminer. Le panneau annonçant une pente dangereuse de 10 % prévient qu’on perdra 10 mètres d’altitude par 100 mètres parcourus. Or une loi très simple précise qu’un mobile de 100 kg sur une pente de 10 % est entraîné par une force de 10 kg ou 20 kg pour une pente de 20%… Une pente de 10 % faisant perdre 10 mètres par 100 mètres franchis est d’évidence la pente de plané d’un avion de finesse 10 : 100/10 = 10 (1).
Un avion planant avec 10 de finesse est donc entraîné par une force égale à 10 % de son propre poids. Cette force équilibre la traînée de l’avion à cette vitesse-là, donc 10 % aussi de son poids, ou encore 10% de sa portance, qui est égale et opposée au poids (2).
La finesse est ainsi le rapport de la portance sur la traînée, ou encore du poids sur la traînée. « Poids sur traînée » est une notion assez abstraite qui devient directement concrète une fois transcrite sous la forme : pente de plané.
Connaissant la finesse maximum de tel avion et sachant à quelle vitesse il l’obtient, il est facile de diviser cette vitesse par la finesse pour obtenir directement le taux de chute de cet appareil. Un avion doté d’une vitesse de décrochage de 144 km/h, ou 40 m/s, disposera de sa finesse maximum vers 60 m/s ; si sa finesse maximum est 12, il planera en chutant de 60/12 = 5 m/s.
Rappelons pourtant que le taux de chute le plus faible est obtenu non à vitesse de finesse maximum, mais à vitesse plus basse (voir chapitre 7). Cet appareil en pratique aura un taux de chute minimum de l’ordre de 4 m/s.
« La finesse est la raison d’être de l’avion » disait Albert Caquot, ministre promoteur d’une vaste politique de production de prototypes dans les années 1920. Il n’a pas été toujours écouté : « Quand on méprise la traînée, elle se venge », écrivait Jacques Lecarme, célèbre ingénieur et pilote d’essai.
(1) On voit que nous assimilons la distance au sol parcourue en plané, à la longueur de la trajectoire du vol plané. La seconde est toujours supérieure à la première : c’est l’hypoténuse comparée au côté adjacent. L’écart est cependant minime, et l’assimilation reste légitime tant que la finesse, cas général, reste supérieure à 3 ou 4.
(2) Là encore ceci n’est pas vrai en toute rigueur puisque la portance étant perpendiculaire à la trajectoire du vol, elle n’est pas exactement verticale en descente planée. L’approximation est la même que celle de la note (1).
…………………….
12. LE RENDEMENT : SOYEZ DE LA MINCE ÉLITE DE CEUX QUI N’EMPLOIENT PAS CE MOT À TORT ET À TRAVERS
Nous nous jugerions très heureux si nos lecteurs pouvaient être du petit nombre qui emploie le mot rendement à bon escient, car ce terme sert ordinairement de tarte à la crème dans tous les « raisonnements » qu’on entend sur tous les sujets dans les bars d’aéro-clubs, et ailleurs.
Le rendement n’est pas la quantité de travail fournie ou disponible. Le rendement n’est pas une puissance non plus. Le rendement est un paramètre sans unité ; il est le rapport de deux quantités de même nature.
Un moteur automobile donne au bout de son vilebrequin une puissance de 100 chevaux. La boîte de vitesses est malheureusement derrière ; le frottement de ses engrenages et le travail perdu à en agiter l’huile consomment par exemple deux chevaux ; la souplesse du caoutchouc déforme les pneus et les échauffe en gaspillant l’équivalent d’un cheval de plus. 97 chevaux seulement propulseront réellement la voiture, pour 3 chevaux perdus. Le rendement de la transmission est ainsi de : 97 chevaux/100 chevaux = 0,97 ou 97 %. On voit comment les unités ont disparu en simplifiant numérateur et dénominateur.
Une dynamo est entraînée par un moteur donnant 1 cheval, ou 736 watts. On mesure à la sortie de la dynamo une tension de 11 volts et une intensité de 60 ampères. Elle débite donc 11 x 60 = 660 watts électriques pour 736 watts mécaniques qu’elle a reçus. Son rendement est de 660/736 = 0,9 ou 90 %. Le reste est dissipé en chaleur, directement ou via des frottements.
Le moteur à pistons comme toute machine dite thermique présente un rendement qu’on nomme aussi rendement thermique ou rendement de Carnot. Il s’agit du second des trois Carnot illustres, et de celui qui n’intéresse pas beaucoup les historiens. C’est dommage : les pères de la science dans cent mille ans resteront, tandis que le Grand Carnot, « l’organisateur de la victoire », se distinguera mal d’Onkr et des autres batailleurs des cavernes, ou encore des as de la chasse. Quant au troisième, connu surtout pour sa mort… (1)
La combustion du carburant dégage à la seconde, à la minute… une certaine énergie thermique ; l’arbre du moteur fournit dans le même temps une certaine énergie mécanique ; énergie thermique ou mécanique s’expriment en joules ou kilojoules l’une comme l’autre ; le rendement thermique est la fraction de l’énergie thermique de combustion changée en énergie mécanique disponible sur l’arbre. Le reste chauffe le paysage.
On peut aussi faire le rapport de la puissance mécanique fournie sur la puissance thermique de la combustion, si les deux sont exprimées en watts ou kilowatts.
Un moteur à pistons ordinaire consomme environ chaque heure 200 grammes d’essence par cheval réellement fourni : 200 g/ch/h. Cela fait 272 g/kW/h (200/0,736). Or un livre de chimie nous apprend que 200 g d’essence brûlent en donnant une énergie calorifique, thermique, voisine de 2,6 kWh. Le rendement thermique de ce moteur vaut donc : 1/2,6 = 0,38 ou 38 %. Le reste est de la chaleur évacuée par le radiateur, l’échappement et toutes les surfaces chaudes de la mécanique.
Un autre rendement intéresse l’aviation, le rendement de l’hélice.
Le moteur transmet à l’hélice une certaine puissance, mais des calculs d’aérodynamique permettent de montrer que tout se passe comme si l’avion n’était mû que par sensiblement moins de chevaux. Il y a perte, « patinage » de l’hélice : elle ne s’appuie malheureusement pas sur le fluide aussi fermement qu’une roue sur le sol. La perte est sensible puisque le rendement de l’hélice ne dépasse que rarement 80 à 85 % en croisière, voire 60 % aux faibles vitesses (montée) si cette hélice est à pas fixe.
D’une part les pales de l’hélice ont comme tout corps en mouvement une traînée de forme qui leur est propre ; elles perdent ainsi à frotter dans l’air un peu de puissance en échange de rien. D’autre part, une fraction notable de la puissance transmise à l’hélice lui sert à mettre en mouvement vers l’arrière le flot constant d’air sans lequel, faute de réaction, elle ne propulserait rien. Cette fraction notable est l’énergie cinétique injectée dans la veine d’air mise en mouvement. En dépit du paradoxe, cette énergie est bel et bien perdue pour la propulsion de l’avion lui-même. Il faut payer ce tribut à la nature.
La perte de rendement (par rapport à 100 %) de la roue contre le sol n’est due qu’à la qualité du contact ; elle est réductible par la technique. La perte de rendement de l’hélice est fatale, inhérente à son principe même.
(1) Nous écrivons cela peu après avoir été agacé par une réflexion d’un célèbre historien très médiatisé disant (nous citons de mémoire) : « le grand Carnot, ainsi nommé par opposition aux deux autres qui ne dépassent pas l’honnête médiocrité »
………………………..
13. COMMENT ACCROITRE LA FINESSE
Nous avons vu deux définitions de la finesse : elle est le rapport de la distance franchie en plané sur la hauteur perdue en même temps ; elle est aussi le rapport de la portance sur la traînée, donc du poids de l’avion sur la résistance à l’avancement que l’air lui oppose.
Accroître la finesse d’un avion donné, donc d’un poids donné, signifie ainsi réduire sa traînée.
On y parvient par une première voie bien évidente : profiler les lignes du fuselage, choisir dans les catalogues de profils d’ailes ceux qui traînent le moins (les autres ont d’autres avantages), réduire les saillies, soigner les raccordements, éviter les fuselages trop courts dont le rétreint arrière est mal suivi par l’air, etc.
Un second moyen est de polir toutes les surfaces (dites « mouillées ») pour que l’air n’y accroche pas. Une peinture de camouflage terne et mate sur un chasseur à hélice peut le freiner à pleins gaz de 20 ou 30 km/h en comparaison d’une finition au métal nu et poli, ou encore par rapport à ces peintures irréalistes astiquées à mort pour mieux flasher dans l’œil des visiteurs de certains musées aéronautiques (si, si…).
Tout ceci bien exploité, reste ensuite le paramètre quasi-magique de l’allongement de l’aile.
Soient deux ailes de même surface et même portance. L’une est ramassée, l’autre étroite et fort longue en envergure. Son allongement est plus élevé. On montrera pourquoi la finesse de la seconde est très supérieure à celle de la première. Lorsque l’aile présente un allongement extrême comme sur les planeurs, la finesse atteint des chiffres impressionnant. Tel est bien ce qu’on attend d’un planeur : qu’il plane loin en descendant peu.
……………………………
14. CALCUL DE L’ALLONGEMENT
L’allongement est notion suffisamment importante pour que l’aérophile sache le calculer.
Rien n’est plus simple si l’aile est rectangulaire : son allongement est égal au rapport de la longueur du rectangle sur sa largeur, c’est-à-dire de l’envergure sur la corde. Une aile de 20 mètres d’envergure et 2 mètres de corde fait 10 d’allongement. La littérature symbolise généralement l’allongement par la lettre lambda minuscule.
Lorsque dans le cas général l’aile n’est pas rectangulaire, on divise l’envergure par la corde moyenne. Il est facile de déterminer cette dernière si l’aile est trapézoïdale, mais complexe si elle est elliptique ou autrement arrondie.
Aussi dans tous les cas, l’allongement s’obtient en divisant le carré de l’envergure par la surface alaire.
Soit une aile de n’importe quelle forme en plan présentant 22 mètres d’envergure et 52 mètres carrés de surface. Son allongement est :
(22 x 22)/52 = 484/52 = 9,3
L’allongement n’a pas d’unité.
………………………..
15. UNE CONFUSION REGRETTABLE DANS L’USAGE DU MOT « FINESSE »
A noter l’emploi occasionnel et regrettable du terme « finesse » pour désigner une caractéristique purement géométrique, aussi nommée « élancement ». On lira que la finesse du fuselage de l’avion untel est 10. Cela veut dire que la longueur du fuselage vaut dix fois sa largeur maximum.
………………………….
16. COMMENT L’ALTITUDE DÉCALE ET ÉTIRE LE DOMAINE DE VOL ; LA VITESSE INDIQUÉE
Puisque doubler la vitesse quadruple la portance, tout égal par ailleurs, on déduit que doubler la vitesse permet de se sustenter, tout égal par ailleurs, dans un air quatre fois plus ténu.
Il est bon de retenir que l’air est deux fois moins dense à 6500 mètres qu’au niveau de la mer, et quatre fois moins à 12000 mètres.
Il n’est donc pas possible à 12000 mètres de tenir l’air sans voler au moins au double de la vitesse de décrochage mesurée au niveau de la mer. A 12000 mètres, la vitesse de décrochage est double de celle observée au niveau de la mer.
Il en va de même de toutes les autres vitesses caractéristiques (sauf la vitesse maximum, qui dépend pour partie du comportement du moteur en altitude) dont nous avons déjà parlé au chapitre 7 ; double également la vitesse de finesse maximum ; double donc en même temps le taux de chute correspondant. Chuter plus vite en air plus rare est logique.
Bref, tout le domaine de vol de l’avion est à la fois décalé et étiré avec l’altitude.
A 6500 mètres, l’air n’est que deux fois moins dense qu’au sol ; la vitesse de décrochage et toutes les autres ne sont multipliées que par la racine de 2 : soit une majoration de 41%. Ainsi le lecteur armé de la table de la densité selon l’altitude donnée au chapitre 2, extrapolera-t-il lui-même à toutes les valeurs d’altitude possibles.
Si à 12 000 mètres l’avion en plané s’enfonce au taux de chute double de ce qu’il est au niveau de la mer, il faut pour juste le soutenir en palier disposer d’une puissance minimum double aussi de ce qu’elle est à ce même niveau de la mer. (1)
Sur un simulateur usuel est souvent offert le choix dans le réglage de l’anémomètre. On peut choisir entre un anémomètre imaginaire affichant la vitesse réelle de l’avion à toutes altitudes (vent toutefois mis à part), ou bien l’anémomètre réel donnant la vitesse indiquée ; indiquée par son aiguille, naturellement.
En quoi cette vitesse indiquée par l’anémomètre diffère-t-elle de la vitesse réelle ?
Elle n’en diffère pas au niveau de la mer.
Le premier anémomètre de l’histoire fut l’étévé, du nom de son inventeur. C’était une simple plaquette en plein vent, perpendiculaire au dit vent et repoussée par lui vers l’arrière. Un ressort antagoniste faisait résister la plaquette à la poussée du vent, mais la plaquette n’en reculait pas moins d’une valeur croissant avec la vitesse. Il suffisait de lire sur une graduation le recul de la plaquette pour connaître cette vitesse. On voit que l’étévé d’un aéroplane immobile au sol peut indiquer une certaine vitesse, celle du vent de face. Il suffit alors pour décoller d’accélérer seulement de la différence d’avec la vitesse d’envol par vent nul.
Moins rudimentaire, l’anémomètre moderne fonctionne sur le même principe : il mesure la pression dynamique, la surpression que la vitesse donne à l’air qui s’engouffre quelque part ou frappe quelque chose avec une certaine célérité.
Chiffrons la pression dynamique au niveau de la mer dans un air de densité 1,2 kg par mètre cube. Elle vaut 5 grammes par centimètre carré ou 0,5% d’atmosphère à 100 km/h ; elle vaut 20 g à 200, 45 g à 300 et ainsi de suite en progressant au carré. Aux mêmes vitesses réelles, elle vaut la moitié de ces valeurs à 6500 mètres où l’air est moitié moins dense.
Que l’anémomètre soit monté sur un satellite volant à 28000 km/h dans le vide : il indiquera évidemment zéro. On en déduit qu’à vitesse réelle constante, la vitesse indiquée diminue constamment avec l’altitude et la raréfaction de l’air.
La vitesse indiquée diminue avec l’altitude à la manière de presque toutes les lois aérodynamiques que nous rencontrons : au carré ou à la racine carrée. C’est ici la racine. Une vitesse réelle ou indiquée de 400 km/h au niveau de la mer et qui resterait 400 km/h réels à toutes altitudes, deviendrait :
– à 6500 mètres, densité moitié, 400 divisé par racine de deux : 283 km/h de vitesse indiquée ;
– à 12000 mètres, densité du quart, 400 divisé par racine de quatre : 200 km/h de vitesse indiquée ;
– à 17000 mètres, densité du neuvième, 400 divisé par racine de neuf : 133 km/h de vitesse indiquée.
On lira souvent dans une publication technique des vitesses en altitude exprimées en KIAS : knots indicated airspeed, soit vitesse indiquée exprimée en nœuds. La vitesse réelle est quant à elle en anglais la true airspeed : TAS. Vérifiez que 500 km/h réels à 12000 mètres représentent une vitesse de 270 noeuds TAS ou 135 KIAS ; il suffit pour ce calcul de savoir que 1 nœud, en anglais 1 knot abrégé en 1 kt, vaut 1,852 km/h).
La vitesse indiquée peut sembler parfois démoralisante, puisqu’elle ne croît pas avec l’altitude alors même que le moteur compressé fait filer l’avion plus vite. Le P-47 ou le P-51 au niveau de la mer n’atteignent pas tout à fait 300 nœuds, indiqués ou réels puisque c’est à zéro mètre la même chose ; ils n’atteindront pas davantage 300 noeuds indiqués lorsqu’à grande altitude ils voleront à près de 400 nœuds réels.
Quelle est l’utilité de la vitesse indiquée ? Pourquoi ne pas corriger par un moyen quelconque la vitesse lue sur l’anémomètre, de manière à lire la vitesse réelle ?
Les phénomènes de la mécanique du vol se manifestent à vitesse indiquée toujours identique à n’importe quelle altitude. Le même avion décroche à 150 km/h indiqués au niveau de la mer, au sommet du Mont Blanc ou de l’Everest. Sa vitesse tolérée en piqué sera par exemple de 400 km/h indiqués aussi, plus élevée donc en réalité à haute qu’à basse altitude. (2)
En effet la pression dynamique qui endommagerait l’avion à plus de 400 km/h indiqués correspond bien à 400 km/h réels au niveau de la mer, mais à davantage en altitude (2 x 400 ou 800 km/h à nos 12000 mètres coutumiers).
Le pilote dispose ainsi avec l’anémomètre et sa vitesse indiquée d’un précieux instrument de sécurité. La connaissance de la vitesse réelle ressort des moyens de navigation.
(1) Puisqu’il faudrait à l’inverse deux fois plus de chevaux au treuil qui hissant l’avion au bout d’une corde, voudrait le hisser deux fois plus vite.
(2) Si on laisse de côté le phénomène de flottement que nous ne traiterons pas.
……………………….
17. L’EFFET DU VENT SUR LES DIVERSES PERFORMANCES
Nous parlerons de l’effet du vent sur le vol. Nous avons eu la surprise d’entendre un instructeur affirmer qu’un fort vent de face améliore la vitesse ascensionnelle ; il devait prendre son avion pour un cerf-volant. Voyons tout cela.
Le vent peut être dévié vers le haut en frappant une colline ou montagne. Il importe peu que ce vent ne soit pas dévié jusqu’à la verticale ; il possèdera sans mal une composante verticale de plusieurs mètres par seconde, suffisante pour soutenir et faire monter un planeur – voire un avion – en vol de pente, allant et venant inlassablement au long de la chaîne de reliefs. (1)
Au-dessus de la crête l’air perd progressivement sa vitesse verticale. Quelques centaines de mètres au dessus des sommets, la composante verticale de la vitesse du vent défléchi par le relief tombe à la valeur (en sens opposé) du taux de chute du planeur. Celui-ci stagne sans plus monter.
Plus spectaculaire est le vol d’onde, où le planeur atteint parfois l’altitude des avions de ligne en exploitant les mouvements ondulatoires de très forte amplitude que certains reliefs donnent au vent qui les frappe. Nous renvoyons aux textes spécialisés.
Ces cas particuliers mis à part, examinons l’influence plus banale sur un avion du vent ordinaire et tout à fait horizontal.
Le principe de relativité doit être considéré : l’avion qui n’a plus de lien avec le sol « ignore » s’il y a du vent et quel il est ; ses performances par rapport à l’air, en mouvement ou non, doivent rester inchangées quoi qu’on raconte.
La vitesse en palier indiquée par l’anémomètre ne change nullement, que le vent soit nul, de face ou de dos. Une croyance ancestrale de la Sibérie affirme que le canard sauvage volant vent de dos a les plumes de la queue retroussées par le vent glacé, et en meurt de froid. Un tel cas de vol est impossible, à moins que l’oiseau n’ait le secret du vol rapide en marche arrière.
La vitesse ascensionnelle et la vitesse de chute moteur réduit lues au variomètre ne sont jamais modifiées par le vent horizontal.
Toutes les performances relativement au sol sont en revanche altérées.
La chose est évidente pour la vitesse : on ajoute ou soustrait celle du vent à celle de l’avion selon que le vent souffle de dos ou de face.
Lorsque le vent n’est pas dans la direction de l’avion, on combine graphiquement les vecteurs « vitesse de l’avion » et « vitesse du vent » pour trouver leur résultante. On découvre alors que même un vent de plein travers ralentit l’avion ! si du moins celui-ci pour ne pas se laisser dériver de sa route résiste à l’action du vent latéral en pointant un peu du nez vers le côté d’où vient ce vent traversier.
En croisière par bon vent de travers, l’avion pointe le nez de quelques degrés vers le vent à seule fin d’aller droit par rapport au sol. Ainsi le pilote vole-t-il en crabe. Un avion voulant aller plein est (cap 90°) est soumis par exemple à un vent de travers gauche suffisant à le repousser à droite de 10 degrés. Que le pilote ne réagisse pas et conserve au compas son cap 90° : l’avion suivra par rapport au sol un tracé orienté au cap 90 + 10 = 100 degrés. S’il entend maintenir sa route par rapport au sol à la valeur plein est de 90°, il faudra pointer le nez 10° à gauche dans le vent. 10° est ici la dérive, ou angle de dérive. Le pilote affichera donc 80° au compas.
A basse hauteur en approchant pour atterrir, le pilote soumis à un vent traversier doit aussi pointer le nez vers le côté d’où vient le vent. S’il le pointait dans l’axe de la piste, il serait refoulé de côté. Or l’avion vole ici lentement ; la vitesse du vent est alors une fraction notable de celle de l’avion : l’angle de dérive est élevé. Le sol tout proche contribue à le faire paraître plus net encore.
La dérive vue dans ces conditions peut souvent sembler d’une importance étonnante. Le pilote une fois posé malgré cette adversité arrosera son exploit au bar du club en racontant qu’il approchait avec 45 degrés de dérive. Il le croira, d’ailleurs, comme il croit virer incliné de 80° quand il dépasse de peu 45. Il est douteux qu’il ait en fait excédé dix petits degrés, mais l’effet optique est surprenant.
Il va de soi qu’une manœuvre de redressement de dernier moment a lieu pour mettre l’avion et les roues dans l’axe de la piste à l’instant de toucher terre (2).
Voici quelques valeurs de dérive. Nous supposons le vent de plein travers animé d’une vitesse égale à 1%, 5%, 10%, 20% de la vitesse propre de l’avion.
1% : 0,5°
5% : 3°
10% : 5,5°
20% : 11,5°
Par vent de face, la réduction de longueur de roulement au sol avant décollage est extrêmement importante sitôt que ce vent devient notable. La longueur de roulement croît au carré de la vitesse d’envol : on en déduit avec raison qu’un vent de face égal à la moitié de la vitesse d’envol réduit la course au décollage par quatre en première approximation. Tel ULM nécessitant cent mètres pour soulever ses roues à 60 km/h se contentera de 25 mètres face à 30 km/h de vent.
Un chasseur décolle à 300 km/h en 500 mètres par vent nul ; face au même vent de 30 km/h, il quittera le sol à 270 km/h qu’il atteindra en 405 mètres.
Noter que la vitesse indiquée lue sur l’anémomètre pour les deux machines ci-dessus sera toujours 60 et 300 km/h à l’instant du décollage.
L’affaire prend toute sa mesure sur porte-avions où la somme de la vitesse du navire et du vent naturel peut se monter à 100 km/h. Le chasseur à réaction précité quitterait le pont même sans catapulte en 222 mètres, s’il pouvait employer plus que la courte piste de catapultage. Un chasseur à hélice quitte le bateau sans assistance. Un B-25 aussi. Ils le peuvent parce que leur charge alaire bien plus faible que celles des chasseurs contemporains leur confère une vitesse de décrochage bien plus faible.
Un ULM doit pouvoir tenir encore l’air à 65 km/h ; cette condition est exigée dans le but de réduire à peu de choses le risque de mort par collision avec un obstacle en cas d’atterrissage sur panne de moteur. Cette exigence vient de ce que le moteur n’est pas « certifié » : il n’est par conséquent pas réputé aussi sûr. Que l’engin se pose face au vent de 30 km/h ou bien au contraire vent de dos : sa vitesse minimum par rapport au sol sera respectivement selon le cas de 35 ou de 95 km/h. On voit que percuter quelque chose au sol dans l’un ou l’autre cas n’aura pas du tout le même résultat.
(La probabilité de se tuer croît à peu près au carré de la vitesse ; on en déduit l’effet majeur du vent sur la sécurité du posé).
Qu’un avion embarqué doté d’hypersustentateurs très développés, voire d’un soufflage de voilure, s’approche « lentement » d’un porte-avions filant à pleine vitesse contre le vent : il se présente relativement à lui guère plus vite qu’une machine de grand tourisme se posant sans vent sur le sol ferme.
Attention : la puissance en chevaux nécessaire pour décoller ne change absolument pas avec le vent (3)
Envoyons face à l’avion un vent égal à sa vitesse d’envol, pour le faire décoller sur place à vitesse nulle par rapport au sol. Il ne faudra pas à cet avion un cheval de moins pour prendre de la hauteur (re-3)
(Nous ne disons pas que même sans moteur un tel vent ne ferait pas « décoller » l’avion même sans pilote pour le fracasser un peu plus loin).
Le vent affecte fortement la pente de montée ou de descente, mais la vitesse ascensionnelle est la même face au vent ou sans vent.
On appelle vitesse propre de l’avion, sa vitesse personnelle abstraction faite du vent. Supposons-la en montée de 126 km/h ou 35 m/s, tandis que la vitesse ascensionnelle est de 5 m/s. Alors, la pente de montée par vent nul est : 5/35 = 14,3 % ou 8,1°.
Si le vent souffle de face à 40 km/h, la vitesse-sol, c’est-à-dire par rapport au sol, tombe de 126 à 86 km/h ou 23,9 m/s. La pente de montée passe à : 5/23,9 = 20,1 % ou 11,8°.
(1) Le vent face à la pente pouvant durer des jours et des nuits, c’est ainsi que se battaient les records de durée en planeur. On dépassa cinquante heures. L’endormissement fatal de l’auteur d’une dernière tentative entraîna l’interdiction de tels records. On donna son nom à un stade parisien. Avant lui, un autre endormi s’était éveillé en sursaut : son planeur s’était posé tout seul. Sa physionomie dut être à peindre.
(2) Sauf si les roues sont orientables et peuvent s’aligner avec la piste tandis que le fuselage reste en travers. Ce rare dispositif se rencontre notamment sur le B-52.
(3) Cette règle n’est complètement valable que sur sol roulant et plat. Il est certain qu’un avion décrochant à 100 km/h ne pourra jamais décoller par vent nul si le sol bourbeux l’empêche par exemple d’atteindre plus de 80 km/h ; mais que cet avion pourra décoller si le vent de face est d’au moins 20 km/h… Cependant, sitôt l’avion à un centimètre du sol, la règle reprend ses droits rigoureusement.
…………………………………
18. LE PLAFOND ABSOLU ; COMPORTEMENT PARTICULIER DE L’AVION AU PLAFOND ABSOLU
Faisons grimper un avion à son plafond. Deux facteurs vont déterminer celui-ci.
D’une part la puissance maximum du moteur diminue avec la baisse de densité de l’air ; chaque coup de piston est moins vigoureux.
D’autre part la puissance minimum requise pour simplement tenir l’air augmente avec l’altitude et la baisse de densité de l’air.
Le plafond est donc l’altitude à laquelle se croisent ces deux puissances, l’une baissant et l’autre croissant.
La baisse de puissance du moteur est le facteur prédominant.
Soit un avion pouvant voler au niveau de la mer depuis sa vitesse de décrochage de 100 km/h, jusqu’à la vitesse maximum de 300 km/h que permet son moteur. Il dispose d’un écart de vitesse de 200 km/h. On peut aussi donner cet écart sous forme d’un rapport : 300/100 = 3. Le pilote choisit sa vitesse sur une plage de 200 km/h.
A son plafond, l’avion a besoin de toute la puissance qui lui reste. Au plafond, cette puissance résiduelle est par définition la puissance minimum nécessaire à tenir l’air, celle que nous avons définie déjà comme la puissance requise à 120% de la vitesse de décrochage.
Il en résulte qu’on ne peut voler au plafond qu’à cette seule et unique vitesse. L’écart de vitesse tombe à zéro km/h.
On a vu que l’air plus ténu de l’altitude décale toutes les vitesses remarquables. Cette unique vitesse possible au plafond sera plus élevée que 120% de la vitesse de décrochage au sol ; mais elle restera :
– la même vitesse indiquée sur l’anémomètre ;
– encore 120% de la vitesse réelle de décrochage à l’altitude considérée.
En altitude la vitesse maximum vraie (par opposition à la vitesse indiquée) n’augmente pas si l’avion est dépourvu de compresseur. Puisque la vitesse minimum vraie augmente, l’écart de vitesse disponible se réduit ainsi progressivement avec l’altitude. Vient enfin le plafond, où l’écart de vitesse s’annule en se limitant à un seul point. On en verra une intéressante application pour l’avion fameux U-2.
(que le moteur soit muni d’un compresseur permettant d’accroître la vitesse en altitude ne fait que retarder vers des altitudes plus grandes le resserrement de l’écart de vitesse disponible).
Le plafond absolu est le vrai plafond, le plafond physique. Le plafond pratique est par convention l’altitude où la vitesse ascensionnelle est tombée à 0,5 mètre/seconde. Quelques centaines de mètres séparent les deux plafonds.
A la vitesse de 120 % du décrochage l’appareil est sensiblement cabré ; il commence à se montrer un peu mou aux commandes, faute d’un bien grand appui de l’air sur ses gouvernes. Approchant du plafond, le pilote constate évidemment sur le cadran de son variomètre que la vitesse ascensionnelle s’affaiblit notablement. Ce n’est pas le seul symptôme.
Supposons que le pilote veuille faire une pause dans sa montée en effectuant un palier. Il pousse alors son manche pour décabrer sa machine et la laisser reprendre de la vitesse à l’horizontale. Est-il déjà bien proche du plafond ? Il ne reste presque pas de chevaux disponibles pour accélérer ; il n’existe presque plus d’écart entre sa vitesse réelle et la vitesse maximum à cette altitude ; l’avion ne prend dès lors que peu de km/h et décabre à peine. L’avion vole sur un écart de vitesses possible très réduit, et pousser le manche un rien de plus le fera aussitôt commencer à redescendre.
Le plafond absolu est enfin laborieusement atteint, encore qu’on ne puisse en pure théorie que l’approcher comme on approche une asymptote. L’avion est cabré ; le moteur est à pleins gaz pour donner peu ; le pilote tient le manche du bout des doigts et ressent l’impression justifiée de se tenir en équilibre sur une pointe d’épingle :
Que le pilote pousse d’un millimètre son manche, et l’avion en palier au plafond entame naturellement une descente ; qu’il tire vers lui le manche même fort légèrement, et l’avion cabrant un peu plus, ralentissant un peu plus, repasse à une vitesse inférieure à la vitesse de puissance minimum. Il n’a plus alors assez de chevaux pour tenir, et s’enfonce le nez haut.
Que le pilote bouge le manche à gauche ou à droite pour entamer un virage, même large, et l’avion s’enfonce également : il faut davantage de puissance en virage qu’en ligne droite. Bref, le pilote au plafond absolu ne peut absolument rien faire sans perdre de la hauteur. Précisons qu’en pratique il s’avachira plus ou moins mollement sur des dizaines ou des centaines de mètres avant de parvenir à se rétablir dans un air un peu moins rare.
Aucune performance de l’avion n’est plus sujette à variation que le plafond. L’auteur a personnellement conduit un jour à 4600 mètres un monoplace léger du type Turbulent avant de recommencer quelques jours après au même poids sans parvenir à dépasser 3800 m.
Qu’il fasse froid : l’air se contracte ; il se dilate en cas inverse. Le temps froid rétracte l’atmosphère vers le sol, le temps chaud la dilate en la rééchelonnant en altitude. Ainsi le temps froid très favorable aux performances à basse altitude (chapitre 4) est-il au contraire inapproprié aux tentatives de record d’altitude, sauf s’il s’agit d’un record pour catégorie plafonnant bas par nature.
Les plafonds donnés dans les fiches techniques sont purement théoriques, notamment parce qu’ils précisent rarement à quel poids il sont valables.
Il est éducatif et intéressant de faire décoller au simulateur divers avions sur la piste interminablement longue de la Paz (Bolivie) sise par quatre mille mètres d’altitude. C’est déjà presque le plafond des avions légers.
………………………….
19. EXEMPLES DE LA VALEUR DE LA FINESSE MAXIMUM POUR DIVERSES SORTES D’AVIONS
Donnons quelques exemples de finesse maximum pour des machines de catégories diverses.
– ULM pendulaire : 6 à 8
– ULM biplace côte à côte trois-axes en stratifié, morphologie « avion », ailes d’allongement prononcé : 14 à 16
– avion de tourisme courant, train fixe : 8 à 12
– avion de ligne à réaction : 17 à 23
– avion à pistons de grande taille, genre B-36 ou L.1049 : 16 à 20.
– chasseur ancien, biplan : 6
– chasseur à hélice P-51 : 14
– chasseur à réaction supersonique mais volant en subsonique, d’allongement faible, ailes trapues : 6 à 10
– chasseur à réaction ancien, subsonique genre « Sabre » : autour de 15
– Concorde : 12,8 (en subsonique)
– X-15 : 3 ou 4
– Rutan Voyager : 27
– planeur primitif genre Avia X : 8
– planeur en bois 1950 d’usage courant : 20
– planeur de grande performance 1960 : 40
– planeur de grande performance 2000 : 60 à 70
La finesse est d’une manière générale favorisée par l’allongement de l’aile : ainsi la comparaison entre le planeur de grande performance et l’avion de tourisme banal.
La grande taille de l’appareil et sa vitesse favorisent également la finesse, même à formes égales : la maquette n’a pas la finesse de l’avion en grandeur. C’est une conséquence du nombre de Reynolds, un paramètre aérodynamique dans lequel nous n’entrerons pas plus avant.
Ainsi le Concorde est-il beaucoup plus grand qu’un Mirage III ; son aile n’est pas plus allongée, mais la finesse du Concorde est double. Il est vrai aussi que son fuselage, forte source de traînée, est proportionnellement plus réduit.
Un avion fin est un appareil de finesse élevée, indépendamment de la grâce de ses lignes, même s’il existe souvent un lien entre esthétique et faible traînée.
……………………….
20. INTÉRÊT DE LA FINESSE MAXIMUM ; CHARGE SOULEVABLE
Une finesse élevée va naturellement de soi sur un planeur, qui doit voler loin en perdant peu de hauteur.
Elle est non moins indispensable sur un avion commercial ou sur un bombardier qui doit transporter une charge au loin en consommant peu : un avion de même poids mais deux fois plus fin a deux fois moins de traînée ; il a donc deux fois moins de besoin de puissance en croisière économique, deux fois moins de consommation kilométrique. Il ira deux fois plus loin.
On poussera l’observation un peu plus loin en notant que plus de finesse représente, à égale puissance disponible, davantage de charge soulevée de terre. Si une tonne d’avion d’une certaine finesse coûte 100 chevaux à faire croiser, la même puissance disponible pourra faire croiser deux tonnes d’un avion de finesse double.
Cela ne veut pas dire qu’on doublera réellement le poids total de l’avion, car la meilleure finesse n’a qu’un effet modéré sur la vitesse ascensionnelle : les moteurs travaillent en montée moins contre la traînée que contre la pesanteur ; la finesse ne réduit en rien la gravitation ; les mêmes moteurs ne peuvent donc suffire à un avion de poids double, même s’il est devenu très fin.
……………………….
21. RESSOURCE APRES PIQUÉ ; NOMBRE DE « g » PRIS ; FACTEUR DE CHARGE
Un avion pique à bonne vitesse avant de remonter rapidement sur sa lancée ; il a effectué une ressource, arc de cercle (à peu près) entre piqué et remontée. Dans cette section courbe de la trajectoire, nous pénétrons le domaine passionnant des accélérations, ou manœuvres sous facteur de charge.
Il importe ici de prévenir l’incompréhension fréquente : « de quelle accélération parlez-vous puisque la vitesse de l’avion ne varie pas forcément au cours de ces phases de vol ? »
Lorsque le Stuka redresse sèchement au bout de son piqué, il encaisse « 8 g », et l’on dit que l’équipage se sent peser 8 fois son poids. On parle également d’une « accélération de 8 g ». La notion d’accélération intrigue souvent puisque la vitesse de l’appareil diminuerait plutôt dans cette phase.
Revenons au Stuka en ressource. Pour que l’avion soit poussé vers le haut avec une accélération de 8 g, il faut en vertu du principe fondamental de la dynamique (force = masse x accélération, ou accélération = force / masse) que la portance de ses ailes soit octuple de celle qui le soutient en vol normal. Il faut que ses ailes donnent 8 tonnes de portance par tonne que pèse l’avion. Cela veut dire que le siège du pilote pousse son homme vers le haut comme le ferait un ascenseur que son câble suspenseur tirerait avec une force valant huit fois son poids : le passager de l’ascenseur serait écrasé au sol, et le pilote l’est sur son siège.
Relisons « Prototype FX-13 » dans la série dessinée Buck Danny. Nous voyons le pilote Tumbler mettre pleins gaz en palier, pour sombrer dans le voile noir sous l’effet de la prodigieuse accélération due aux moteurs.
Ce n’est pas tout à fait cela…
Le voile noir survient au-dessus de 5 ou 6 g, et nul avion connu n’est capable d’atteindre pareille accélération en ligne droite : il faudrait que la poussée de ses réacteurs valût 5 ou 6 fois son poids. Cela n’existe pas, hors le catapultage sur porte-avion où l’équipage ne tombe précisément pas dans le voile noir (1). Il est vrai qu’il n’en aurait pas le temps. L’accélération au sens classique, l’accélération en ligne droite est parfaitement incapable d’infliger 6 ou 10 g. Une grosse fraction de g fait une belle accélération déjà.
Qu’est donc cette accélération particulière à l’avion, sans lien avec celle du véhicule terrestre ?
Un avion en piqué descend à 360 km/h ou 100 m/s. Supposons le piqué sous un angle de 30°, angle où la composante verticale de la vitesse est moitié de la vitesse sur trajectoire. La vitesse de descente était donc 50 m/s. Supposons qu’en ressource l’appareil remonte également sous un angle cette fois ascendant de 30° lui aussi.
La ressource aura donc annulé la vitesse verticale de descente de 50 m/s pour lui substituer une vitesse verticale ascendante de 50 m/s également. La ressource aura modifié au total de 100 m/s la vitesse verticale.
On sait qu’une accélération de 1 g, celle de la pesanteur, celle que prend un corps en chute libre, vaut 9,81 m/s par seconde : le corps en chute (dans le vide) voit à chaque seconde écoulée sa vitesse croître de 9,81 m/s ou 35 km/h. On adopte souvent 10 pour valeur approchée de 9,81.
La vitesse verticale de l’avion en ressource a varié de 100 m/s, ce qui fait 10 fois 10 m/s. Cela suppose une accélération dirigée vers le haut valant par exemple 2 g pendant 5 secondes, ou 5 g pendant 2 secondes… Le chiffre est d’autant plus fort que le temps de ressource est bref, c’est-à-dire que le pilote aura tiré fortement son manche pour la ressource.
Voilà de quelle accélération il s’agit ; on voit qu’elle est sans lien direct avec une éventuelle variation de la vitesse indiquée au tableau de bord.
Il s’agit en fait de la force centrifuge produite dans la ressource.
Revenons au Stuka en ressource. Pour que l’avion soit poussé vers le haut avec une accélération de 8 g, il faut en vertu du principe fondamental de la dynamique (force = masse x accélération, ou accélération = force / masse) que la portance de ses ailes soit octuple de celle qui le soutient en vol normal. Il faut que ses ailes donnent 8 tonnes de portance par tonne que pèse l’avion. Cela veut dire que le siège du pilote pousse son homme vers le haut comme le ferait un ascenseur que son câble suspenseur tirerait avec une force valant huit fois son poids : le passager de l’ascenseur serait écrasé au plancher de la cabine, et le pilote l’est sur son siège.
Pour lui l’oppression est intense lorsque l’accélération atteint plusieurs g ; les joues tirent vers le bas sous les yeux ; la tête est difficile à tenir droite, les lunettes glissent, les bras sont difficiles à lever. Les objets lâchés filent au plancher comme des balles. Le cerveau mal irrigué perdra conscience si l’accélération croît encore ; avant l’évanouissement surviendra le voile noir, ou perte de la vue.
Le voile noir vient de la désertion du cerveau par le sang « alourdi » que le cœur ne parvient plus à monter au cerveau. On pourrait donc imaginer le voile noir dans un ascenseur d’une puissance inouïe, où l’accélération est dans le sens qui fait descendre le sang vers les chaussettes. Nous avons calculé pour vous que sous une accélération de 6 g suivie d’un freinage égal, l’ascenseur atteindrait le 5ème étage en 1 seconde.
Le voile noir ne risque donc pas de se produire dans une accélération comme on l’entend habituellement en voiture : le sang n’y a aucune raison de descendre. Les « g » que prend l’avion sont dirigés perpendiculairement à sa vitesse et non dans le même sens comme en voiture.
Nous ne résisterons pas à la tentation de rappeler après Buck Danny une autre amusette de Spirou vers la même époque. On vit un jour dans la chronique des deux-roues un projet de motocyclette ultraperformante. Pour résister aux accélérations fabuleuses le conducteur était couché sur le ventre, la tête vers l’avant, comme le sont en effet les pilotes des avions expérimentaux destinés à l’étude des effets médicaux des g (Berlin B-9, Meteor spécial…). Or cette position sur une moto invraisemblablement puissante est idéale pour précisément faciliter la fuite du sang hors de la tête. Le rédacteur de Spirou n’avait pas compris que l’accélération qui écrase le pilote est perpendiculaire à la vitesse de l’appareil.
Bien entendu l’aile pour produire en portance plusieurs fois le poids de l’appareil doit voler beaucoup plus vite que la vitesse de décrochage telle que vue précédemment, puisqu’à cette vitesse elle n’est encore capable de donner qu’une portance égalant tout juste le poids de l’avion. Nous y reviendrons plus loin dans le chapitre sur le décrochage dynamique.
Le nombre de « g » est le facteur de charge.
Le facteur de charge est positif lorsque l’accélération est dirigée du plancher vers le plafond de l’avion (2) ; l’effet de force centrifuge est alors dirigé en sens inverse, chassant le sang aux pieds. Qu’en est-il si l’accélération est dirigée cette fois en sens inverse ?
Commençons par étudier le cas où le facteur de charge est nul. Nous verrons ensuite les cas où il est négatif.
(1) et hors les dragsters dits « Top Fuel ».
(2) et non nécessairement « du bas vers le haut » puisque l’avion peut voler autrement que la tête du pilote vers le haut.
………………………….
22. PARABOLE EN APESANTEUR
Le facteur de charge nul :
Le mécanisme par lequel on crée assez longuement l’apesanteur en avion peut à présent s’expliquer. Les astronautes à l’entraînement peuvent ainsi disposer d’une trentaine de secondes sans poids à chaque manœuvre.
L’avion choisi est un transport à réaction rapide doté d’un fuselage assez large pour qu’on y volète à son aise. Il débute sa manœuvre à partir d’un vol en palier à quelques 900 km/h, ou 250 m/s. Le pilote cabre assez promptement l’avion pour l’installer en montée à 30 degrés. La manœuvre produit évidemment un certain facteur de charge qui dure tant que l’angle de montée recherché n’est pas atteint ; les passages se sentent brièvement – un peu – plus lourds.
Une fois lancé vers le ciel sous 30° de pente ascensionnelle, le pilote repousse le manche de manière à diminuer l’incidence de l’aile jusque vers zéro, en sorte qu’elle ne porte plus du tout. L’avion se comporte alors en pur projectile : ses occupants sont en apesanteur. Le pilote maintient juste assez de poussée pour équilibrer la traînée résiduelle (la traînée induite ayant disparu avec la portance) (1) afin de l’empêcher de réduire le temps d’apesanteur en freinant l’appareil (et en déportant vers l’avant du fuselage les passagers tandis qu’ils flottent en l’air).
Une autre façon de comprendre l’apesanteur dans l’avion est de considérer qu’il est lancé vers le haut indépendamment de ses passagers non attachés, tandis que ces passagers sont eux-mêmes lancés parallèlement. Avion ou passager non ceinturé, chacun dès lors continue à monter vers le ciel en libre projectile, à la même allure, chacun sans se soucier de l’autre. Avion, passagers, ne supportent aucun facteur de charge ; ils sont en « zéro g ».
Ou bien l’on dira que les passagers flottent immobiles dans l’avion, ou bien que l’avion flotte immobile autour des passagers.
L’avion montant comme un simple projectile perd de sa vitesse ascensionnelle comme n’importe quel objet lancé vers le haut. Une pente de 30° est une pente à 50% ; la composante ascensionnelle est donc de 125 m/s pour une vitesse sur trajectoire de 250.
La pesanteur est de 9,81 m/s², ou 10 en chiffres ronds. Cela veut dire qu’un corps en chute accélère de 10 m/s à chaque seconde, ou qu’il ralentit de 10 m/s à chaque seconde s’il a été lancé vers le haut à la verticale. Il commence à retomber une fois épuisée sa vitesse ascensionnelle.
Il importe peu en fait que la montée soit verticale ou suive une courbe : seule compte la composante verticale de la vitesse.
La vitesse ascensionnelle de 125 m/s est donc réduite à zéro en 125/10 = 12,5 secondes. A ce moment l’avion est au sommet de sa trajectoire et s’apprête à replonger. La redescente est symétrique en tout point à la montée. On peut interpréter ici l’apesanteur en disant que l’avion et le passager non attaché tombent vers la terre chacun pour son compte, sans mouvement l’un vis-à-vis de l’autre. L’avion redresse ensuite pour revenir en palier et recommencer.
L’ensemble de cette trajectoire en cloche et en apesanteur a duré 25 secondes. La forme en est celle d’une parabole ouverte vers le bas. La même manœuvre en Concorde partant de mach 2 aurait duré une minute. L’altitude atteinte aurait sans doute causé l’extinction des moteurs.
Durant la manœuvre, tous objets à bord sont ôtés ou bien arrimés : les gros colis pesants flottent comme les petits avant de retomber sur la tête de l’équipage à la fin de la manoeuvre. Le pilote sent son estomac remonter : il ne tire plus sur ses ligaments suspenseurs ; les jambes sans poids tendent à quitter les pédales ; les menus objets oubliés çà et là flottent dans la cabine ; la poussière du plancher vient voler dans les yeux.
Cette manœuvre est à déconseiller sur un avion léger qui n’est pas adapté à la voltige : le moteur ne sera ni alimenté en essence ni graissé. Il ne dispose pas non plus des doubles ceintures des avions de voltige (qui servent à ne pas être envoyé dans le plexiglas au-dessus de lui si une ceinture mal attachée venait à s’ouvrir).
La série Buck Danny vous donne dans son épisode X-15 une description de la parabole d’apesanteur. Le scénariste fait débuter l’apesanteur seulement au moment où l’avion parvenu au sommet de sa trajectoire courbe commence à plonger. Ce n’est pas là notre seul désaccord avec la série.
(1) La notion de traînée induite sera vue un peu plus loin.
………………………..
23. FACTEUR DE CHARGE NÉGATIF
Au-delà du facteur de charge nul « zéro g » ne manquera pas d’exister le facteur de charge négatif. Retournons l’avion sur tréteaux le ventre en l’air : l’effort sur les ailes tend cette fois à les replier vers le bas, si « bas » veut dire « le bas de l’avion ; vers ses roues ». C’est visiblement l’effort subi en vol sur le dos. Le vol rectiligne sur le dos se déroule sous facteur de charge de – 1 g.
Le facteur de charge négatif est permanent dans une boucle inversée (boucle se dite « looping » en franglais), celle où la tête du pilote est constamment à l’extérieur de la boucle. Le facteur de charge négatif est présent même au sommet de la figure, là où l’avion paraît normalement tourné ventre vers le sol (tout comme le facteur de charge positif se manifeste dans une boucle normale même quand à son sommet le pilote est tête en bas).
Si le facteur de charge négatif est suffisant le sang cette fois est centrifugé vers la tête avec le risque de voile rouge, obstruction de la vision par afflux sanguin aux yeux. Les « g » négatifs sont beaucoup plus désagréables et mal supportés que les « g » positifs.
Sous facteur de charge négatif le pilote sens son séant vouloir se décoller du siège ; ses épaules tendent les bretelles du harnais ; ses jambes veulent se soulever.
En vol paisible dominical par beau temps d’été, la turbulence peut sans préavis soumettre l’avion à de brusques chocs d’une fraction de seconde, au cours desquels il prend des « g » aussi bien négatifs que positifs.
On voulut un jour faire à un cadre de l’aéronautique la surprise d’un vol en Rafale biplace comme cadeau de départ en retraite. Peu expérimenté en fait de vol, il fut pris de court par un passage en facteur de charge négatif lorsque le pilote au terme d’une montée raide poussa (de façon normale en vol militaire) de façon un peu rapide le manche pour passer en palier. Notre homme qui ne connaissait sans doute pas la sensation éprouvée en pareil cas se raccrocha d’instinct à ce qui lui tomba sous la main. C’était, entre ses genoux, la poignée d’éjection.
Ce geste détermine l’éjection des deux sièges. Or un défaut dans la liaison entre ces deux sièges fit que le pilote resta dans l’avion, qui ainsi ne fut pas perdu.
……………………….
24. RÉSISTANCE DE LA STRUCTURE ; FACTEUR DE CHARGE LIMITE ET EXTRÊME
L’avion supporte lui aussi les efforts que subit le pilote sous facteur de charge.
La structure de l’avion en vol travaille à très approximativement comme suit : le fuselage pèse tandis que les ailes portent ; la portance est répartie d’une extrémité d’aile à l’autre, en sorte que la moyenne s’en trouve à mi-chemin du fuselage et du bout d’aile (si l’aile est aussi large en bout). Soulevons l’avion avec son plein et son chargement, pour en poser les deux ailes sur deux tréteaux placés à mi-distance du fuselage et de chaque bout d’aile. Les roues ne touchent plus terre. On voit qu’ainsi la charpente des ailes « force » le plus là où elles se fixent au fuselage. On dit que la structure de la voilure supporte 1 g, l’effet du seul poids de l’avion ; ou bien qu’elle supporte un facteur de charge de 1.
En ressource sous 6 g, la force qui cause l’accélération vers le haut (lire plus haut) est tout simplement un surcroît momentané de portance des ailes. Passer de 1 à 6 g exige que les ailes portent 6 fois la normale, ce qui n’est pas rien ; c’est comme si l’on multipliait par 6 le poids du fuselage de l’avion sur tréteaux. Les racines d’ailes ne sont pas loin de casser.
Un avion de tourisme casse à 6 g, un avion de voltige à 9 g au moins, un chasseur au-dessus de 12. Un appareil de vol musculaire nécessairement allégé à l’extrême supporte à peine 2 g. Il s’agit là du facteur de charge extrême. On définit le facteur de charge limite comme celui au-dessus duquel le matériau de structure subit des déformations définitives quoique sans casser encore. L’avion est bon à réformer. Le facteur de charge limite est environ des deux tiers du facteur de charge extrême, variable selon le matériau de construction. On ne doit pas dépasser en vol le facteur de charge limite.
En facteur de charge négatif, les efforts tendent cette fois à replier les ailes vers le bas. Un avion casse souvent en facteur de charge négatif à la moitié de ce qu’il supporte en facteur positif. On dira par exemple que le facteur de charge extrême de tel appareil vaut : « +6 g, – 3 g ».
Le facteur de charge limite ou extrême dépend évidemment du chargement de l’avion ; donné pour la charge maximum, il est plus élevé si l’avion vole léger.
Le lecteur soucieux de moins de simplicité dans l’exposé peut faire des recherches sur la notion de délestage au sujet des efforts de flexion de l’aile.
Cas extrême : une aile volante qui n’aurait pas de poids de fuselage au centre, mais au chargement intégralement réparti en envergure, tient un facteur de charge illimité sans se briser en son centre : comment y définirait-on une flexion ?
……………………….
25. RESTITUTION APRES RESSOURCE
On lit souvent que tel avion de chasse « restitue » très bien, ou restitue plutôt mal. Ceci fait directement suite à la question de la ressource au terme d’un piqué.
Un appareil qu’on supposera sans moteur (pour simplifier la question) se met en piqué ; supposons que partant de 5000 mètres et 300 km/h, il plonge jusqu’à atteindre 500 km/h. Il fait alors une ressource et remonte en pente raide comme il était descendu.
Rappelons qu’il est sans moteur. Il « restitue » parfaitement s’il remonte à 5000 mètres et les rejoint aux 300 km/h auxquels il est parti. On voit l’intérêt de « restituer » en combat : un piqué suivi d’une remontée devient une manœuvre gratuite en vitesse et énergie.
Cette restitution parfaite est certes impossible puisqu’elle suppose l’absence de traînée pendant la manœuvre.
« Je décide d’essayer un piqué. Doucement, je presse sur le manche – 500, 600, 650 km/h… La terre semble se ruer à ma rencontre de façon effrayante. Effaré par la vitesse, instinctivement je tire sur la profondeur, et soudain ma tête s’enfonce dans les épaules, une masse de plomb s’affaisse sur la colonne vertébrale et m’écrase sur le siège. Mes yeux se voilent.
« Comme une bille d’acier tombant sur un bloc de marbre, Le Spitfire a rebondi sur l’air élastique et, droit comme un cierge, a fusé dans le ciel.
En son style merveilleusement évocateur et concis, Clostermann vient de décrire parfaitement ressource, facteur de charge et restitution.
La restitution parfaite est un idéal soumis en chemin à de fortes pertes d’énergie, dont la pire se place au moment de la ressource.
On verra plus loin pourquoi le facteur de charge s’accompagne d’une augmentation de traînée proportionnelle à son carré : sous 5 g la traînée est multipliée par 25. Elle devient supérieure au poids de l’appareil. On imagine comment l’avion est durement freiné dans cette phase heureusement brève, et comment sa remontée est amputée d’autant. En d’autres termes il n’est pas assuré que la ressource ne cause que les minimes pertes d’énergie de l’acier sur le marbre.
Un planeur de grande performance est la machine idéale pour « restituer ». Sa traînée minime ne freinera que peu la prise de vitesse en piqué, puis la remontée. La ressource elle-même ne créera qu’une traînée modique dans l’absolu, puisqu’on partait de presque rien. Un planeur peut dès lors offrir sans moteur une assez longue séance de voltige : ses manœuvres même énergiques ne consomment que peu d’énergie. Un planeur de 60 de finesse mis en piqué sous trois degrés, si l’on peut nommer cela piqué, passe vite de 100 à 200 km/h.
Un bombardier biplan de 1918 qui ahane derrière ses moteurs ne restituera à peu près rien. A peine prendra-t-il un maigre surcroît de vitesse en piqué, tant traînent sa voilure, sa mâture, son train et son fuselage sans carénage. Le surcroît de traînée de la ressource mangera le peu d’énergie prise en piqué ; la remontée ne s’amorcera même pas. Le planeur était la bille de Clostermann tombant sur le marbre dans l’air ; le biplan poussif est une bille qui tomberait sur du marbre posé au fond d’un aquarium.
Le pilote de simple tourisme sentira déjà nettement la différence de restitution entre un avion léger sans grande finesse comme le Morane-Saulnier Rallye (il a d’autres qualités) et une machine précisément fine comme un Robin en bois à train classique. Nous parlons de la finesse au sens aérodynamique, non pas au sens du styliste. Le Rallye atteint laborieusement une vitesse notable sous la condition d’un long piqué assez impressionnant ; puis il freine si bien en remontant, qu’il remonte peu. Le Sicile, un Robin de qualité, prend bientôt un net excédent de vitesse sans plonger beaucoup ; après quoi il remonte avec vivacité. Le monoplace semi-planeur RF-4 de René Fournier avec ses 17 de finesse prend en piqué à peine prononcé une vitesse bientôt supérieure à ce qu’on lui autorise ; d’une légère traction du doigt le pilote passe alors une boucle presque sans effort. L’intercepteur-fusée Messerschmitt Komet de formule aile volante frôlait 20 de finesse et restituait admirablement. La machine après son envol atteignait 10000 mètres et 900 km/h avec ses réservoirs déjà mis à sec. Ensuite, une succession d’attaques en piqué suivies de ressources et regains d’altitude moyennant peu de pertes, constituait sa seule possibilité de manœuvre un peu convaincante.
……………………….
26. PHYSIQUE DE LA MONTÉE EN CHANDELLE
Un sujet dérivé du précédent sera celui de la montée en chandelle. Un avion qui file en palier à une certaine vitesse entame soudain une montée verticale. Quelle altitude gagnera-t-il avant d’avoir épuisé toute sa vitesse ? ou du moins une part ?
Considérons le cas idéalisé d’un avion sans traînée ni moteur : la première ne freinera pas la chandelle, tandis que le second ne l’allongera pas.
Le problème revient à un simple exercice de balistique, équivalant à demander jusqu’où monte un obus tiré par le canon à la verticale.
Un corps lancé à la verticale à vitesse de 10 m/s (36 km/h) ne monte que de 5 mètres. Accroissant la vitesse, la hauteur gagnée augmente au carré de l’accroissement. Lancé dix fois plus vite à 100 m/s ou 360 km/h, il montera cent fois plus haut, soit 500 mètres.
Par raison de symétrie, ces chiffres sont naturellement identiques à ceux des vitesses atteintes en chute libre dans le vide sur la même dénivellation.
Le lecteur peut désormais calculer tous les exemples. Le précédent peut correspondre au gain possible en chandelle d’un chasseur à hélice de la SGM. Pour un chasseur à réaction volant à mach 2 en altitude, soit 600 m/s, le gain théorique de hauteur possible est 18 km. Ainsi obtient-on les records d’altitude en « zoom » qui dépassent les 30 km à partir d’une chandelle tirée depuis une douzaine de mille mètres.
Bien noter que l’angle vertical ou non de la montée est sans effet sur le résultat ; seule compte la variation d’altitude.
………………………
27. LE SEUIL DE PISTE FRANCHI EN NETTE SURVITESSE…
Abordons au ras du sol le seuil d’une piste où nous désirons atterrir successivement avec un avion de tourisme et un planeur de performance. Nous franchirons ce seuil dans les deux cas avec une vitesse inhabituelle, 50 km/h en excès sur la meilleure vitesse d’approche. Dans les deux cas nous aurons préalablement mis la machine en palier à un mètre du sol. Comment se comporteront les deux appareils ?
L’avion présente une traînée sensible. Il lui suffit pour se tirer d’affaire que la piste ne soit pas trop courte. Supposons que le pilote réduise soudainement les gaz en passant le seuil : il éprouvera un ralentissement voisin de 5 km/h par seconde s’il n’a sorti aucun volet de courbure, ou de l’ordre de 10 km/h s’il les a complètement déployés. Pour ne pas toucher terre à une vitesse propre à rebondir et redécoller, il faut demeurer le plus longtemps possible à un mètre du sol à ralentir sous l’effet de la traînée. Il va falloir cabrer très progressivement le nez pour que l’incidence augmentant conserve à l’avion la même portance tandis qu’il ralentit. C’est une manœuvre à finement doser pour ne descendre ni monter. En deux ou trois cents mètres volets abaissés, ou le double sinon, l’avion aura perdu son excédent de 50 km/h et touchera terre.
Dire que la finesse d’un planeur est 50 est dire que sa traînée ne dépasse pas la cinquantième partie de son poids (quoique seulement, il est vrai, à son unique vitesse de finesse maximum). Un si faible freinage ne lui fait même pas perdre un kilomètre à l’heure par seconde. Nous avons supposé les puissants aérofreins escamotés ; leur sortie confère au planeur à peu près la traînée d’un avion.
Chiffrons la question en faisant arriver notre planeur à 150 km/h au lieu des 100 qui eussent été souhaitables.
Le pilote ici n’éprouve absolument pas le besoin de cabrer progressivement pour lever le nez afin de refuser le sol. Le planeur file nez toujours à plat, en effaçant avec allégresse un kilomètre de piste. La proximité du sol donne au pilote une singulière impression de silencieuse puissance. Le rase-mottes sans moteur est un plaisir. Après quoi sur une légère traction au manche, l’appareil jaillit à dix ou vingt mètres de hauteur. Le pilote a certes perdu dans l’affaire un peu de vitesse, mais il a eu l’impression de rebondir souplement et très nerveusement sur… rien. Il peut repousser le manche ; l’engin revient au ras du sol en reprenant sa vitesse. L’amusement est grisant, mais finira mal.
Il finira dans la nature après l’aérodrome, parce que l’excès de vitesse en entrée de piste empêchait l’atterrissage : il eut fallu beaucoup moins de vitesse ou beaucoup plus. Beaucoup moins : la chose est simple à comprendre ; il aurait fallu se présenter en début de piste 50 km/h moins vite. Quant à beaucoup plus…
Le pilote du planeur peut se présenter carrément à 250 km/h au seuil de piste pour effectuer la classique manœuvre de victoire à l’issue d’un beau vol (1) : après avoir rasé la piste à grande vitesse de bout en bout, le planeur aura conservé assez de vélocité pour bondir ensuite à cent mètres et davantage, faire demi-tour et se poser enfin, sortant même les aérofreins pour en finir.
(1) Du temps ancien que nous volions en planeur. Nous ignorons si notre époque moderne abrutie de prudences permet encore pareilles folies
……………………….
28. « RAPPEL AU CHAPITRE 28 » ; FORMULE DE LE POUSSÉE
Ce chapitre un peu aride traite de l’effet de réaction en termes «mathématiques», mais ses conclusions sont fondamentales pour l’interprétation correcte de deux phénomènes :
– la portance, qui est obtenue par réaction lorsque l’aile défléchit vers le bas l’air qu’elle traverse ;
– la traction d’une hélice ou la poussée d’un réacteur, obtenue par refoulement d’air vers l’arrière.
Qui s’étonne de voir analyser la portance de l’aile en termes de réaction, n’a qu’à songer à la pale de rotor d’hélicoptère en vol stationnaire. C’est une aile dont le déplacement engendre à l’évidence vers le bas un envoi d’air, qui d’évidence est la cause par réaction de la sustentation de l’appareil (1).
Débutons par la définition fondamentale : la force de réaction est égale au produit du débit de masse refoulé multiplié par la vitesse de refoulement.
Le débit est en kilos par seconde et la vitesse en mètres par seconde. Le résultat est une force de réaction exprimée en newtons. On la divise par 10 (ou plutôt 9,81) pour obtenir des kilos de poussée ou de portance.
La formule s’applique à tout ce qui fonctionne à réaction : moteur d’avion, de navire, de fusée, tourniquet d’arrosage, recul d’arme automatique.
Exemples :
Un réacteur absorbe par seconde 50 kg d’air et les éjecte à 500 m/s. Sa poussée vaut :
50 x 500 = 25000 N ou 2500 kgp
(on a négligé l’ajout de la petite quantité de carburant)
Une hélice de gros avion refoule par seconde 833 kg d’air (680 mètres cube) à la vitesse de 30 m/s. Elle donne pour traction :
833 x 30 = 25000 N ou 2500 kg
(son diamètre est de l’ordre de 5 mètres)
Une aile défléchit par seconde 1000 kg d’air en lui communiquant une composante verticale de vitesse valant 3 m/s. Elle fournit une portance de :
1000 x 3 = 3000 N ou 300 kg
(il s’agit d’une vitesse moyenne, la masse d’air défléchie étant à cet égard largement inhomogène)
Une donnée extrêmement importante à laquelle il sera fait plusieurs fois référence est la suivante :
Il est toujours très avantageux d’obtenir une poussée ou une portance donnée en refoulant beaucoup de masse d’air à faible vitesse, et toujours très désavantageux d’obtenir le même résultat en refoulant peu de masse d’air à grande vitesse.
Cela tient à ce que refouler un débit de masse en lui donnant de la vitesse exige de l’énergie : l’énergie cinétique que l’on injecte dans le débit d’air mis en mouvement.
Cette énergie communiquée à l’air est évidemment indispensable à l’obtention soit d’une poussée, soit d’une portance. On doit tout faire pour minimiser cette énergie.
Or l’énergie cinétique est donnée par la formule connue : 1/2.m.v² : elle croît comme la masse (m) refoulée, mais comme le carré de la vitesse de refoulement (v²).
La conclusion est immédiate : il faut toujours refouler le plus d’air possible en lui donnant le moins de vitesse possible.
Ce résultat est si important que plusieurs fois le texte l’utilisera en signalant simplement : «rappel au chapitre 28»
(1) L’explication habituelle de la portance en termes de dépression d’intrados et de surpression d’intrados n’est pas en contradiction avec celle de la réaction. Ces variation de pression s’observent en même temps que la déflexion de l’air vers le bas par l’aile. Il s’agit de deux aspects d’un même phénomène. Voir le chapitre 5.
…………………………
29. SOLIDE EXPOSÉ SUR LA TRAINÉE INDUITE ET LES VERTUS DE L’ALLONGEMENT
Nous insisterons sur la notion de traînée induite plus qu’on aurait pu s’y attendre dans un ouvrage élémentaire. Cette notion nous semble essentielle pour la compréhension de l’architecture des machines, pour celle des performances aux faibles vitesses indiquées (plafond, rayon d’action), et pour celle enfin du comportement sous facteur de charge.
La traînée d’un corps quelconque est due aux remous que celui-ci produit dans l’air, ainsi qu’au frottement de l’air sur l’ensemble de la surface du corps : ce sont respectivement la traînée de forme et la traînée de frottement. Leur somme est appelée traînée parasite. La traînée induite est une résistance complémentaire particulière aux ailes, c’est-à-dire aux corps qui donnent une portance.
Le rotor d’hélicoptère en vol stationnaire rejette un flot d’air continu droit sous lui ; il faut peu d’intuition pour saisir comment il se sustente par simple effet de réaction.
Or chacune de ses pales affecte l’allure d’une aile mince et longue qui, quoique en rond, avance bel et bien dans l’air comme une aile d’avion. On en déduit que l’aile d’avion pourrait bien se sustenter elle-même par un effet de réaction, c’est-à-dire en rejetant elle aussi de l’air sous elle. On a vu l’illustration de la chose (plus ou moins par analogie) à travers l’exemple de la cuiller dans un jet d’eau : l’arrondi de la cuiller dévie de plusieurs degré le flot de liquide.
De l’air balayé par l’aile est ainsi repoussé vers le bas, ce qui ne va pas sans exiger une consommation d’énergie spéciale à cet effet. La sustentation est à ce prix ; la sustentation coûte ainsi nécessairement un complément de puissance en sus de ce qu’il faut pour vaincre la traînée ordinaire. Seule est gratuite la sustentation statique du ballon par le principe d’Archimède (1).
S’il faut 100 chevaux à un avion pour vaincre sa traînée parasite ordinaire à une certaine vitesse et 50 autres pour dévier vers le bas le flot d’air qui le sustente, il volera moyennant 150 chevaux. Ce supplément se traduit en pratique par l’observation que l’hélice tire plus fort : ce supplément de traction sert à vaincre la traînée induite, ce qui sous-entend « induite par l’apparition de la portance. »
Une maquette en soufflerie peut être calée à zéro degré face au vent, en sorte de ne pas donner de portance (les profils d’aile les plus usuels ne cessent en fait de porter qu’aux environs de 2 ou 3 degrés à piquer). La maquette sans portance n’a que sa traînée parasite, de forme et de frottement. Cabrons-la de quelques degrés à peine pour voir la balance qui la tient enregistrer une portance. La maquette ne paraît pas devoir traîner beaucoup plus, puisque son cabré très léger ne lui fait pas présenter au vent beaucoup plus de maître-couple, de section frontale. Or cependant elle enregistre un important supplément de traînée dû à l’apparition de la traînée induite, qui n’existait pas sans portance.
L’hélicoptère en vol stationnaire est l’aéronef qui réclame la plus forte puissance par unité de poids sustentée, hors les avions genre Harrier soutenus par un fluide en veine étroite. Il en réclame moins dès qu’il commence à avancer.
Le ski nautique lancé à 100 km/h ne réclame presque pas de puissance pour être tiré sur l’eau ; il la rase en se sustentant sans effort sur un fluide apparemment solidifié. La traînée induite est énorme aux basses vitesses, minime (2) aux vitesses élevées. Voilà donc une traînée qui fonctionne à rebours des habitudes.
Cela se justifie par la masse d’air que l’aile rejette vers le bas pour se sustenter. A grande vitesse l’aile brasse beaucoup d’air, tandis qu’à faible vitesse elle en brasse peu.
Or nous voulons dans les deux cas obtenir la même sustentation. A grande vitesse de l’avion, l’aile qui brasse et défléchit beaucoup d’air se contente de lui communiquer une faible composante de vitesse vers le bas ; à faible vitesse de l’avion, l’aile qui brasse et défléchit peu d’air est forcée de lui communiquer une forte composante de vitesse vers le bas. Rappel au chapitre 28.
Ainsi la sustentation à faible vitesse de l’avion consomme-t-elle davantage de puissance qu’à grande vitesse : c’est paradoxalement aux faibles vitesses de l’avion que l’énergie communiquée à l’air refoulé étant maximum, la traînée induite sera maximum. C’est inversement aux vitesses élevées de l’avion qu’elle sera minimum.
Soit un avion de tourisme capable d’un assez grand écart de vitesse comme le Robin DR-250. Il est susceptible de voler en palier entre 90 et 280 km/h. Son aile d’allongement 5,4 étale une surface de 14 m² ; il pèse 900 kg.
On calcule sa traînée induite à 90 km/h, là où est elle est à son maximum puisque la vitesse est à son minimum possible. Cette traînée induite vaut une force de résistance à l’avancement de 80 kg. On sait que la traînée induite diminue avec la vitesse : elle n’est plus que de 9 kg à 280 km/h.
Il est absolument impossible de réduire la traînée induite par profilage ou qualité du poli des surfaces ; le seul moyen existant est d’augmenter l’allongement de l’aile. En particulier, la qualité du profil adopté pour l’aile, type 14-18 ou laminaire moderne, est sans effet sur la traînée induite.
Un racer possède une aile courte, un planeur une aile très allongée, un avion de transport une voilure d’allongement intermédiaire.
Le Short Skyvan est d’aile bien rectangulaire. Envergure : 19,50 mètres ; corde : 1,78 mètre. Son allongement vaut 19,50/1,78 = 10,96. Il n’y a pas d’unité.
A quoi sert, à poids et surface alaire inchangés, une plus grande envergure ?
L’air dévié vers le bas par l’aile qui se sustente ne se résume pas à celui qui frôle la voilure. L’air à plusieurs mètres au-dessus comme au-dessous est encore dévié, quoique de façon progressivement moindre. On représente assez valablement la zone d’air dévié comme un long tunnel cylindrique dont l’axe est le fuselage de l’avion en mouvement, et dont la section est un disque dont l’aile d’un bout à l’autre représente le diamètre.
Il est alors évident qu’au même poids et à la même vitesse, un avion de 20 mètres d’envergure brassera et déviera vers le bas 4 fois plus d’air que s’il n’avait que 10 mètres d’envergure. On retrouve ici la différence entre brasser beaucoup d’air en lui communiquant peu de surcroît de vitesse et d’énergie, ou bien, brasser peu d’air auquel on injecte au contraire beaucoup de vitesse et d’énergie. La première méthode est très largement payante. Rappel au chapitre 28.
L’allongement élevé est souvent le principal moyen d’obtenir une finesse élevée.
Son effet bien entendu est considérable là où la traînée induite est forte : aux basses vitesses.
Aux grandes vitesses, où la traînée induite est minime, son effet est quasi-nul.
L’allongement élevé est ainsi d’un effet très favorable sur toutes les performances qui se mesurent à basse vitesse, mais d’un effet souvent négligeable sur les performances à haute vitesse. L’allongement élevé est donc payant en termes de vitesse ascensionnelle, distance franchissable, temps de patrouille, plafond, décollage à puissance réduite (terrain en altitude et par temps chaud).
Il est au contraire presque sans effet sur la vitesse de pointe.
Pourquoi tous les avions n’ont-ils pas un immense allongement ?
L’aile très allongée rend le garage coûteux et la manutention malaisée. La résistance des matériaux contraint une aile allongée à peser très lourd : les planeurs modernes ne sont en rien des plumes. Le grand allongement est un sérieux problème d’ingénieur et un cauchemar de constructeur amateur. L’allongement est lourd. Cette formulation veut dire bien entendu : lourd à surface d’aile donnée.
Un avion bien pensé n’a que l’allongement minimum suffisant à sa mission la plus fréquente. Le constructeur amateur désireux de simplement voler en monoplace derrière son moteur Volkswagen est satisfait pourvu qu’il vole, et ne se met guère en peine d’un allongement pesant et encombrant ; son domicile ne recèle pas nécessairement non plus la place pour construire allongé. Le pilote d’avion léger rapide n’a pas grand besoin d’un allongement sans intérêt à haute vitesse.
Il est vrai qu’il changera d’avis lorsque son moteur tombera en panne en vol. De l’allongement lui aurait donné plus de finesse, donc plus de choix dans son terrain d’atterrissage de fortune. De même les virages plus ou moins désespérés qu’il effectuera dans cette manœuvre lui feront-ils perdre à chacun d’eux beaucoup d’altitude supplémentaire si l’allongement est médiocre. On verra plus loin pourquoi.
L’allongement type d’un avion de plaisance va de 5 à 8. Un chasseur à hélice de 3000 chevaux pour 6 tonnes n’a que faire en montée des 5% de vitesse ascensionnelle supplémentaire que lui donnerait un allongement élevé. Il a sensiblement l’allongement de l’avion de tourisme.
Le transporteur cherche l’économie. L’allongement l’intéresse, comme tout moyen de gagner de la finesse et du pétrole en réduisant la traînée à charge commerciale égale. Cependant l’allongement est lourd, et vient un moment où son accroissement devient contre-productif. Le meilleur compromis commercial se place autour de 10 à 12 d’allongement.
Un simple coup d’œil sur l’allongement d’un avion donne une première idée de ce qu’on attend de cet appareil.
Si vraiment l’on veut un avion de record de distance, on lui donnera un très grand allongement afin de réduire sa traînée au minimum ; mais il faudra pour ne pas trop grever le poids, consentir sur la solidité de l’aile un sacrifice rendant l’appareil inutilisable de façon courante.
Si l’on désire véritablement un avion de record d’altitude ou bien une machine de vol musculaire (il s’agit du même problème : tenir l’air avec la plus faible puissance possible), on fera encore un très grand allongement au mépris de la robustesse de structure.
Le choix de l’allongement relève ainsi d’un compromis entre le gain qu’il procure en traînée, et le poids qu’il ajoute.
Sur avion de tourisme le seul fait de pouvoir tout simplement voler l’emporte fréquemment sur l’exigence véritable de performances et de rentabilité. Il en résulte qu’on oublie souvent dans cette catégorie de se soucier de l’allongement. Plus d’un avion léger même industriel doit son allongement trop faible et sa valeur médiocre à la paresse conceptuelle.
Prix obligé de la portance, la traînée induite est du même ordre que la traînée ordinaire aux vitesses peu supérieures à la vitesse de décrochage (Vs). Il suffit en revanche de voler à deux fois Vs pour que la traînée induite devienne modique, tandis que la traînée ordinaire progresse notablement. La traînée induite devient presque insignifiante à trois fois Vs.
Il est intéressant d’observer, même si cela ne doit pas servir à tout le monde, que la vitesse de finesse maximum est celle où la traînée parasite, somme des traînées de forme et de frottement (la traînée parasite est en accroissement avec la vitesse) devient égale à la traînée induite (en baisse avec la vitesse).
Or un faible allongement donne aux basses vitesses une forte traînée induite. On en déduit qu’elle sera, diminuant avec la vitesse, rejointe en valeur par la traînée parasite à une valeur de vitesse pus grande que si l’allongement est grand. Mettant les choses à l’extrême, un chasseur à aile delta d’allongement 2 aura sa vitesse de finesse maximum beaucoup plus loin de sa vitesse de décrochage qu’un avion usuel d’allongement moyen (pour lequel nous avons au chapitre 7 indiqué une vitesse de finesse maximum voisine de 1,5 vitesse de décrochage).
Croisons à 800 km/h dans un chasseur à réaction dépourvu d’aérofreins. L’avion s’approche de la piste d’atterrissage. Il peut falloir réduire les gaz 8 à 10 km avant la piste afin de perdre assez de vitesse pour descendre aux quelques 300 km/h où la sortie du train et des volets devient praticable. Or une telle façon d’agir est souvent inacceptable : la chasse ennemie guette. Les P-51 plus lents que le Messerschmitt 262 à réaction attendent aux abords de son terrain qu’en rentrant de mission il ralentisse longuement sur des kilomètres.
Plutôt que faire ainsi, basculons notre chasseur à 800 km/h presque sur la tranche pour entamer un virage de 360° les ailes à peu près verticales. L’avion se trouve dans un cas voisin de celui (déjà étudié) de la ressource sous facteur de charge, si ce n’est qu’il semble faire ici une « ressource » dans le plan horizontal. Serrons ce virage assez pour que le pilote et sa machine y encaissent par centrifugation un facteur de charge de 5 g.
Nous avons dit plus haut que sous 5 g la traînée est multipliée par 25 ; cela ne concerne en fait que la traînée induite. La traînée parasite n’a pas de motif particulier à s’avérer sensible à ce que paraît « peser » l’avion sous 5 g, car elle dépend simplement de sa forme qui n’a pas varié. La traînée induite en revanche augmente vertigineusement, parce que la même aile doit donner 5 fois plus de portance. Pour dévier en ce but assez d’air, on doit faire monter la puissance requise au carré de la portance à produire. Le moteur ne la donnant pas, elle sera puisée dans l’énergie cinétique, donc dans la vitesse de l’avion au début de la manoeuvre.
Une traînée colossale va freiner le chasseur en un clin d’œil. Il sortira de son tour complet en y ayant laissé des centaines de km/h. Il pourra donc effectuer cette manœuvre tout près de la piste et non pas au loin. Essayez au simulateur.
Remarque importante : « faible vitesse » ou « grande vitesse » s’entendent dans cet ouvrage par comparaison avec la vitesse de décrochage ; 350 km/h est une très grande vitesse pour un avion de tourisme et une très faible pour un chasseur à réaction. 800 km/h à basse altitude pour un appareil du gabarit de l’avion de ligne à réaction est une forte vitesse ; 800 km/h est une faible vitesse pour le même avion à 12 000 mètres en air rare et peu porteur, là où sa vitesse de décrochage est beaucoup plus haute qu’au niveau de le mer.
(1) Gratuite en apparence. Gonfler le ballon suppose refouler la pression atmosphérique sur le volume rempli de gaz. Au niveau de la mer, gonfler un ballon de 500 mètres cubes consomme un travail de 14 kWh. Soit ce travail avait été déjà produit pour charger des bouteilles de gaz, soit il est à déduire de la chaleur produite par la réaction chimique qui a produit le gaz. On trouvera une justification analogue pour tout autre cas.
(2) Le plus souvent. Avoir érigé cela en postulat universel a conduit même des ingénieurs à se fourvoyer.
……………………….
30. LA PUISSANCE INDUITE
Nous ferons un chapitre encore avec l’allongement et la traînée induite, tant ces notions nous semblent fondamentales en aviation. Le chapitre précédent décrivait qualitativement le phénomène ; celui-ci donne les moyens de le chiffrer.
Le lecteur pourra très bien passer ce chapitre assez pesant, mais il y reviendra s’il juge plus loin que des éléments concernant la traînée induite lui font défaut.
Nous savons estimer la traînée minimum en vol, sachant qu’elle est égale au poids de la machine divisée par sa finesse maximum. Ce chiffre ne vaut évidemment qu’à la vitesse de finesse maximum.
Cette traînée minimum contient la part de la traînée induite, c’est-à-dire de la traînée réductible par l’allongement, seule voie de réduction qui reste lorsqu’on a soigneusement caréné l’avion.
Apprenons à la chiffrer.
Nous prendrons simplement un exemple moyen, un avion-type. Nous donnerons ensuite des formules simples pour extrapoler à d’autres machines.
Soit un avion d’une tonne doté d’une aile de 10 mètres d’envergure et volant à 100 km/h. Calcul fait, sa traînée induite vaut 66 kg (au niveau de la mer et en atmosphère standard)
Voyons comment à partir de cet exemple à chiffres ronds extrapoler à n’importe quel autre appareil (toujours au niveau de la mer en atmosphère standard).
Mais, direz-vous, nous n’avons assigné aucun allongement particulier ni aucune surface alaire particulière à notre avion d’une tonne et 10 mètres d’envergure.
Eh oui, à vitesse donnée poids et envergure suffisent à trouver la traînée induite, en oubliant l’allongement.
(Tentez de dire cela à un pilote de plusieurs milliers d’heures : le risque est élevé qu’il se moque de vous, car vous aurez bousculé ses idées reçues. Ainsi va le monde).
Dès lors à quoi sert l’allongement ? Mais… si nous réduisons d’un facteur 2 l’allongement à envergure constante, donc en doublant la corde de l’aile, nous doublons la surface alaire et contraignons notre pauvre appareil à trimbaler une surface inutilement pesante, traînante, coûteuse, dont il n’a pas a priori besoin puisque notre projet d’avion est supposé déjà établi. L’allongement n’est en définitive que le simple résultat d’une surface nécessaire (pour avoir une vitesse minimale pas trop forte) et d’une envergure souhaitable (pour minimiser la traînée induite).
Changeons maintenant l’une après l’autre les caractéristiques de l’avion-type défini plus haut.
I) Changeons son poids. Pour deux tonnes au lieu d’une, il aura (sans changer envergure ni vitesse) quatre fois plus de traînée induite. Réduisons son poids à une demi-tonne : sa traînée induite sera divisée par 4. La traînée induite varie au carré du poids.
Il importe peu qu’une vitesse en vol de 100 km/h seulement soit irréaliste pour un avion choisi extrêmement lourd : le calcul n’est pas affecté par le réalisme.
II) Changeons son envergure en la doublant (sans changer poids ni vitesse ; on ne se soucie pas de la variation ou non de surface alaire). La traînée induite sera divisée par quatre. Réduisons de moitié l’envergure : la traînée induite sera multipliée par quatre. La traînée induite varie en fonction inverse du carré de l’envergure.
III) Changeons sa vitesse en la doublant (sans changer poids ni envergure). La traînée induite sera divisée par quatre. Réduisons de moitié la vitesse : la traînée induite sera multipliée par quatre. La traînée induite varie en fonction inverse du carré de la vitesse.
Synthèse à travers un exemple :
Un avion de 8 tonnes et 15 mètres d’envergure vole à 250 km/h. Quelle est sa traînée induite ?
On part des 66 kg de l’avion-type (1 tonne, 10 mètres d’envergure, 100 km/h)
I) Pour le poids : 66 kg x 8 = 528 kg
II) Pour l’envergure : 528 kg x (15 / 8)² = 150 kg
III) Pour la vitesse : 150 kg x (100 / 250)² = 24 kg, résultat final.
Une fois ce résultat obtenu, on peut déterminer la puissance induite, définie comme la part de la puissance qu’il faut consacrer à contrer la traînée induite.
Puisque 250 km/h font 69,4 m/s et que 24 kg-force valent 235 newtons, la puissance induite vaut : 235 x 69,4 = 16 309 watts ou 22 chevaux.
Vous avez désormais les moyens de déterminer quelles économies de puissance on fait en passant par exemple d’un avion courant comme le DC-3 à un appareil équivalent mais d’envergure spectaculaire comme un bimoteur Hurel-Dubois.
Le calcul mené ci-dessus en I), II) et III) est parfois condensé dans la formule de Delépine :
Traînée induite = 66 kg x M² x (1/E²) x (1/V²)
où M est la masse en tonnes, E l’envergure en décamètres et V la vitesse en centaines de km/h.
………………………..
31. RELATION ENTRE ALLONGEMENT, FINESSE MAXIMUM ET PERFORMANCES GÉNÉRALES
Deux monoplaces légers de sport furent ou sont très appréciés des pilotes de loisir : le Bébé Jodel et le Fournier RF-4. Ils sont propulsés par le même moteur de 40 chevaux Volkswagen ou dérivé. Le premier est un appareil d’allure bien classique ; le second est à moitié planeur avec ses ailes très allongées ; il est capable d’un peu de vol à voile moteur coupé. Le Bébé sans moteur plane avec une finesse de 8 ou 9, banale pour un avion ; le second atteint une finesse de 17. Leur aile emploie pratiquement le même profil. La roue centrale unique du Fournier est escamotable pour diminuer la traînée ; mais l’essentiel de la différence est ailleurs.
Le Jodel possède une aile d’allongement 5, le Fournier d’allongement 11. Les envergures respectives sont 7 et 11 mètres.
Les vitesses de décrochage sont similaires, l’aile allongée (donc lourde) du Fournier étant un peu plus surfacée. Par ailleurs un allongement élevé porte un peu mieux à surface égale.
Le Fournier pleins gaz dépasse un peu 180 km/h ; le Jodel fait de même si son constructeur amateur s’est donné la peine de lui monter une belle verrière galbée, de caréner ses roues et de recouvrir son moteur d’un capot finement étudié. Les deux machines sont assez comparables à l’allongement près ; l’allongement a peu d’effets bénéfiques en vol rapide (rappelez-nous pourquoi ?) ; le même moteur emmène logiquement les deux appareils à la même vitesse de pointe.
On a vu que l’allongement est presque sans effet aux grandes vitesses. La différence d’allongement a donc très peu d’influence sur la croisière rapide, généralement établie à 90% de la vitesse de pointe sur beaucoup d’avions. Les deux machines d’allongements très différents font ainsi jeu égal en croisière rapide sur les plans de la puissance requise et de la consommation d’essence. La distance franchissable en croisière rapide avec le même réservoir de 30 ou 35 litres sera la même, voisine de 550 km en 3 heures.
Tout change aux basses vitesses où l’allongement élevé du Fournier va produire des effet bénéfiques que l’on n’obtiendra pas de l’aile courte du Jodel.
Admettons que les deux machines présentent leur finesse maximum à 90 km/h, et réduisent à fond leur moteur. 90 km/h font 25 m/s. Le Fournier de finesse 17 présentera un taux de chute de : 25/17 = 1,5 m/s. Le Jodel de finesse 8 donnera : 28/8 = 3,1 m/s (1).
Le Jodel trouvera peu d’ascendances assez fortes pour s’y amuser au vol à voile ; le Fournier en rencontrera presque partout par une belle journée.
Si le Fournier ne chute sans moteur qu’à 1,5 m/s au lieu de 3, il lui suffit de moitié moins de puissance qu’au Jodel pour tenir l’air au minimum de chevaux. Avec le même réservoir de 30 à 35 litres il tiendra l’air 7 ou 8 heures au lieu de 4 pour le Jodel, s’il reste à la faible vitesse de 90 km/h où son grand allongement est bénéfique. Le Jodel ne peut réduire autant son moteur. Si le pilote du Fournier résiste à l’ennui, le même volume d’essence le portera deux fois plus loin que le Jodel à condition de croiser à la faible vitesse de finesse maximum, moitié de sa vitesse habituelle de croisière.
Une finesse maximum deux fois plus élevée double la distance franchissable si l’avion vole, lentement, à sa vitesse de finesse maximum. La consommation d’énergie par unité de distance est deux fois plus faible puisque la traînée l’est elle-même.
Une finesse maximum plus élevée, fruit d’un allongement plus grand qui réduit la traînée induite aux basses vitesses, s’évanouit en revanche aux vitesses élevées où la traînée induite diminue d’elle-même au point de rendre fort secondaire l’allongement.
Il reste à évoquer la vitesse ascensionnelle comparée des deux machines. Le grand allongement divisant par deux le taux de chute sans moteur, divise par deux le nombre minimum de chevaux requis pour tenir le vol en palier. On pense donc qu’il reste davantage de chevaux disponibles pour grimper plus sec : hélas ! Le poids de l’allongement élevé mange le bénéfice ; les deux avions montent à 3 m/s.
Le bénéfice n’est en général pas mangé entièrement ; mais le Fournier est intrinsèquement lourd non seulement de par son allongement élevé, mais aussi du fait de sa structure calculée pour les efforts de la voltige, ce qui n’est pas le cas du Jodel.
Parlons encore du plafond des deux avions, même s’il est vrai que les vols de loisir ne s’approchent à peu près jamais du plafond.
Le Fournier tient l’air au minimum avec moitié de chevaux en moins que le Jodel ; l’un ou l’autre avion perd autant de chevaux en prenant la même altitude ; il est certain qu’il reste des chevaux disponibles au Fournier lorsque le Jodel à son plafond n’en a plus. Le Fournier continue à grimper, jusque vers 6 000 mètres lorsque le Jodel abandonnera la partie autour de 4 500.
Nous avons ainsi fait le tour de tous les motifs qui selon la mission attendue de l’avion justifient pour l’ingénieur le choix de son allongement, ou plus exactement du meilleur compromis entre allongement et cahier des charges du client.
(1) Puisqu’il s’agit de deux avions réels, précisons que ces deux chiffres de taux de chute sont légèrement pessimistes. Ils ont pour nous l’avantage de la simplicité dans la démonstration.
……………………….
32. RELATION EMPIRIQUE ENTRE VITESSE ASCENSIONNELLE ET PLAFOND
Ce chapitre concerne les seuls avions à hélice dépourvus de compresseur. C’est la plupart des machines de plaisance.
On fait une agréable remarque : la plafond pratique d’un avion de tourisme sans compresseur est égal à 1000 fois sa vitesse ascensionnelle au niveau de la mer. C’est ainsi qu’un avion de vitesse ascensionnelle initiale 3,5 m/s plafonne très près de 3 500 mètres.
On soupçonne donc avec raison que tous les avions de tourisme atteignent leur plafond dans le même temps, quels que soient leur vitesse ascensionnelle initiale et leur plafond. Ce temps vaut trois quarts d’heure, ou 2700 secondes. Nous disons 2700 et non 1000, parce qu’en grimpant la vitesse ascensionnelle diminue et tend progressivement vers 0,5 m/s au plafond pratique.
Ce hasard du chiffre 1000 tient à plusieurs paramètres, le plus souvent les mêmes dans cette classe d’appareils :
– Un rapport poids/puissance moyen, voisin de 6 à 7 kg par cheval.
– Une charge alaire moyenne de l’ordre de 60 à 70 kg par mètre carré de voilure.
– Un allongement courant proche de 5 à 6.
Examinons l’effet de notables écarts à cette règle empirique :
Ecart en rapport poids/puissance :
Un monoplace de course (racer) dispose d’un rapport de motorisation élevé de l’ordre d’un cheval pour 3 kilos seulement. Il est ainsi capable de grimper à basse altitude à 10 m/s. Autant de puissance au niveau de la mer fait qu’il en reste en altitude au racer plus qu’à un autre avion. Son plafond en sera plus élevé, toutes choses égales par ailleurs ; mais on n’atteindra certainement pas 1000 fois la vitesse ascensionnelle. Un racer de 100 chevaux chargé très léger atteint 6000 mètres et non 10000. Il serait hors de question qu’il y trouve encore sans compresseur la puissance même minimum pour tenir l’air.
Ecart en charge alaire :
Une charge alaire beaucoup plus faible comme celle des ULM permet de tenir dans un air plus ténu, même si la puissance restante a beaucoup baissé. Un ULM ancien chargé à 20 kg/m² et ne montant au niveau de la mer qu’à 3 m/s, peut plafonner à plus de 4000 mètres. C’est aussi pourquoi le Bébé Jodel du chapitre précédent plafonne à sensiblement plus que mille fois sa vitesse ascensionnelle.
Ecart en allongement :
Un grand allongement donnant une grande finesse réduit fortement la puissance minimum nécessaire à tenir le vol ; l’avion peut voler très haut en dépit d’une forte baisse de sa puissance en haute altitude. Le Fournier RF4 ne monte qu’à 3 m/s au niveau de la mer, mais plafonne à 6000 mètres. Il les atteindra évidemment en un temps de beaucoup supérieur à 45 minutes.
……………………….
33. L’EFFET DE SOL
On entend par effet de sol une interaction entre l’aile et le plancher des vaches, lorsque l’avion vole au ras de la piste. Elle se traduit par une réduction de la vitesse minimum allant jusqu’à dix pour cent, et par une baisse de la puissance minimum exigée pour tenir l’air.
Dès que l’aile monte à une hauteur qui est une fraction notable de son envergure, l’effet de sol s’efface après avoir diminué d’abord. Certaines sources parlent même d’une hauteur inférieure à la corde de la voilure, et il est vrai qu’une aile haute ressent nettement moins l’effet de sol qu’une aile basse.
Un certain matelas d’air très légèrement surpressé se crée par forcement de l’écoulement sous l’aile très proche du sol ; il accroît la portance. Pour ce qui est du gain de puissance minimum, des considérations aérodynamiques savantes font équivaloir le bénéfice de l’effet de sol à celui d’un allongement accru. Une meilleure portance abaissant la vitesse minimum réduit aussi la puissance minimum nécessaire, puisque la puissance est le produit de la traînée par la vitesse.
Les engins russes géants de la famille des Ekranoplan exploitent l’effet de sol à condition d’évoluer sur une eau peu agitée. Ces machines affectent l’allure de gros hydravions à la voilure rabougrie, inapte au vol en altitude hors de l’effet de sol. Il est alors possible de transporter du fret « aérien » pour moins cher qu’en avion et beaucoup plus vite qu’en bateau.
Ces machines qui décrochent et choient si quelque maladresse les conduit trop haut, n’ont pas connu de développement considérable en dépit d’appareils probatoires spectaculaires.
Ce n’est pas la vitesse d’une aile qui crée un matelas d’air surpressé sous un véhicule ordinaire à effet de sol (un aéroglisseur), mais le mouvement des pales des rotors internes refoulant continuellement de l’air sous l’appareil. Il n’est plus ici question sur une machine aptère de l’effet de l’allongement, mais de l’effet des dimensions.
Un engin de très grande surface présente un périmètre plus faible relativement qu’un engin de petite surface. Un carré de 100 m² a 40 mètres de périmètre (0,4 m/m²) ; un carré de 1 m² possède un périmètre de 4 mètres (4 m/m²). Or l’air refoulé sous la machine par ses moteurs fuit par le périmètre, et la quantité d’air en fuite est à remplacer par les moteurs ; le périmètre rapporté à la surface détermine alors la puissance exigée pour se soulever. Pour chacun de ses mètres carrés le grand véhicule de notre exemple perd dix fois moins d’air que le petit. Il se contente d’une puissance comparativement bien moindre.
L’effet de sol s’avère le mauvais génie des envols tangents. On voit par temps chaud sur un terrain en altitude un avion bien chargé s’arracher laborieusement de terre, puis demeurer en effet de sol au ras du paysage. Avec assez de chevaux encore pour voler en effet de sol, il n’en a pas assez pour s’en affranchir. Incapable de grimper, il se vautre dans le premier obstacle venu.
Il en va tout autrement pour l’hélicoptère pour qui l’effet de sol est au contraire précieux. Voici des éléments tirés de la fiche technique du petit Hiller 360 de 200 chevaux remontant à 1947.
Il présente à sa masse maximum de 1130 kg un plafond de 2850 mètres en vol horizontal ordinaire, ainsi qu’un plafond de 500 mètres seulement en vol stationnaire : il faut beaucoup plus de puissance pour voler en sur-place que pour avancer. On libère donc beaucoup de chevaux en quittant le stationnaire ; on grimpe alors beaucoup plus haut.
On objectera qu’avec un si maigre plafond stationnaire, il est peu pratique d’employer une machine incapable de s’envoler d’un très banal terrain à 600 mètres.
Ici intervient l’effet de sol. Puisque l’effet de sol sensible jusqu’à quelques mètres réduit d’environ 20% la puissance nécessaire à tenir le vol stationnaire, décoller de plus de 500 mètres est possible. Certes, on ne montera pas à plus de quelques mètres. Cependant, prenant de la vitesse tout près du sol, on réduit la puissance minimum requise et l’on peut alors commencer à grimper : il faut à l’hélicoptère moins de puissance en translation à vitesse modérée qu’en stationnaire. On grimpera obligatoirement ensuite en vol de translation.
Il reste ainsi possible au Hiller 360 de décoller en effet de sol jusqu’à 1 200 mètres. Ces chiffres s’entendent à pleine charge.
L’hélicoptère dispose de trois plafonds : plafond pratique en translation de 2850 mètres, plafond stationnaire hors effet de sol de 500 mètres, plafond stationnaire en effet de sol de 1 200 mètres.
……………………….
34. PHYSIQUE DU VIRAGE ; INCLINAISON ET FACTEUR DE CHARGE
Nous n’avons volé encore qu’en ligne droite ou en évoluant dans le seul plan vertical. Nous allons maintenant virer. Nous avons étudié plus haut le phénomène de facteur de charge en ressource, où il se manifeste de façon brève. Il va se produire au contraire aussi longuement qu’on voudra dans le virage.
En dépit de l’analogie marine, le gouvernail de direction n’a que peu de rôle dans le virage. Commandée par les ailerons, l’inclinaison des ailes fait presque tout ; il en va comme en bicyclette où il est aisé de voir qu’une fois la machine installée sur sa courbe, la roue directrice (gouvernail) ne fait à peu près aucun angle avec le cadre.
On peut représenter la portance de l’aile par une flèche, un vecteur dirigé verticalement à l’aplomb de la voilure. L’avion une fois incliné, la flèche verticale s’incline elle-même vers l’intérieur du virage. Elle s’incline bien entendu du même angle que l’avion lui-même : elle demeure toujours perpendiculaire au plan des ailes.
Cette inclinaison du vecteur permet de le décomposer graphiquement en une composante verticale et une composante horizontale.
La composante horizontale tire l’avion vers l’intérieur du virage : elle est la force centripète qui maintient l’appareil en trajectoire courbe.
La composante verticale soutient l’avion… mais n’est évidemment plus suffisante pour ce rôle puisqu’elle est nécessairement une flèche plus courte que la portance devenue inclinée (dessinez).
Elle redevient suffisante si l’on accroît la portance en conséquence, si on allonge le vecteur. La nouvelle portance, toujours inclinée, en devient pour le coup plus grande que le poids qu’elle égalait en vol rectiligne ; les ailes subissent donc une tendance plus forte à fléchir. C’est un facteur de charge, positif. Le nombre de « g » devient supérieur à 1. Le poids apparent de l’avion et du pilote augmentent. L’entrée en virage réclame ainsi qu’on accroisse la portance.
Accroître la portance peut se faire en accroissant la vitesse, mais très souvent on accroîtra plutôt l’incidence en ne changeant guère la vitesse. Outre qu’il s’est placé en inclinaison en poussant le manche de côté, le pilote aura dû le tirer plus ou moins à lui et cabrer quelque peu sa machine inclinée : l’incidence en est accrue.
Supposons le virage si serré que les ailes soient presque à la verticale comme en combat tournoyant. La portance toujours perpendiculaire au plan des ailes est devenue presque horizontale. Puisque sa composante verticale n’est plus alors qu’une fraction faible de la portance (dessinez) tandis qu’elle doit continuer à égaler le poids constant de l’avion, il faut que le vecteur de la portance devienne une flèche d’une longueur étonnante : les ailes subissent un effort énorme. Le pilote est écrasé sur son siège, comme en ressource au bout d’un piqué.
La vitesse de décrochage est évidemment accrue en virage puisque le virage implique une portance plus élevée.
Le rayon du virage est d’autant plus réduit que la facteur de charge est violent : chercher en combat à se placer dans la queue de l’adversaire mène donc tout droit à virer aussi incliné et serré que possible. La limite est souvent celle du poids apparent, donc du nombre de g que supportent les pilotes.
Le facteur de charge vaut 1 tout rond lorsque l’avion vole droit sans aucune inclinaison. Voici un résumé des facteurs de charge en fonction de l’inclinaison du virage :
Pour une inclinaison de 10°, très faible et donnant un virage fort large, le facteur de charge « n » est égal à 1,015. La portance des ailes et le poids apparent du pilote croissent dans ce facteur, c’est-à-dire croissent d’un insensible 1,5%.
Inclinaison de 20° ; facteur de charge n de : 1,06
30° n = 1,15
Pour le confort des passagers on ne dépasse pas cette inclinaison en vol commercial ; par sécurité on ne la dépasse pas non plus en vol sans visibilité. Accroissons encore l’inclinaison :
40° 1,31
50° 1,56
60° 2
Le pilote du dimanche est déjà assez mal à l’aise à 60°.
70° 2,92
75° 3,86
80° 5,76
85° 11,47
Peu d’avions et pas de pilotes sont capables de supporter un virage stabilisé sous 85° d’inclinaison ! A noter que pareil virage ne sert à rien : une fois les ailes presque verticales, le rayon de virage ne diminue plus même si le facteur de charge devient colossal, car il y a compensation entre des éléments antagonistes.
……………………….
35. LE DÉCROCHAGE DYNAMIQUE
Que l’avion prenne des g en virage serré ou bien en ressource énergique à la façon d’un Stuka en sortie de piqué, il multiplie par autant de fois que de g la portance que ses ailes doivent donner.
Il en résulte qu’il décrochera à vitesse indiquée plus élevée. Le décrochage statique est le décrochage ordinaire, lorsque l’avion vole en palier sans manœuvrer ; le décrochage dynamique est celui qui se produit sous un certain nombre de g. Il se produit par exemple à vitesse double du décrochage statique, si le facteur de charge vaut 4 et que les ailes ont ainsi 4 fois plus à porter.
Un avion dont le décrochage statique se produit à 100 km/h présentera une vitesse de décrochage dynamique de :
– 200 km/h sous 4 g (2 x 2)
– 300 km/h sous 9 g (3 x 3)
Il en résulte qu’un avion en piqué peut décrocher même à cette grande vitesse si le pilote trop près du sol tire comme un sourd afin de redresser au dernier moment. Il percute alors le sol faute de portance suffisante pour continuer d’arrondir sa ressource.
Considérons l’avion précédent dont le décrochage statique se produit à 100 km/h. Supposons qu’il pique à 300 km/h et soit déjà si bas que sa ressource n’évitera le sol qu’à condition de la serrer sous l’effort énorme de 12 g.
L’aile est incapable de les donner puisque dépasser 9 g à sa vitesse actuelle lui est impossible. Ou bien le pilote ne tirera pas assez le manche pour atteindre 9 g, et il percutera. Ou bien il tirera plus fort et fera un décrochage dynamique tout près du sol. Il percutera seulement avec une assiette différente !
Il est facile en voltige de pratiquer un décrochage dynamique, point de départ volontaire de diverses figures dites « déclenchées ».
Le décrochage dynamique peut même se produire lorsqu’il est très peu attendu. Un avion léger vole assez bas à vitesse de croisière valant environ deux fois sa vitesse de décrochage. Il décrocherait en dynamique sous 4 g. Le pilote désirant remonter ne tire pas en douceur son manche, mais d’un geste très sec. L’avion cabre et atteint son incidence de décrochage quasi-instantanément sans avoir le temps de changer de trajectoire, de l’incurver vers le haut. Il en résulte que le pilote se sent presque en vol normal et se retrouve en régime décroché sans avoir ou éprouvé, ou pris conscience d’un trop bref commencement de g. L’avion devenu simple projectile balistique poursuit sa ligne droite par un arc de parabole descendant qui le jette sur les obstacles. Le pilote a le réflexe « anti-naturel » de pousser alors le manche. L’avion décabre, « raccroche » sitôt repassé sous l’incidence de décrochage, se retrouve à une incidence néanmoins supérieure encore à celle nécessaire à la vitesse où il vole ; il subit alors un certain facteur de charge, une certaine surportance qui repousse avec énergie l’appareil vers les hauteurs.
……………………….
36. PUISSANCE EXIGÉE EN VIRAGE SERRÉ ; PERTE DE VITESSE, D’ALTITUDE
Le virage serré engendre une traînée induite énorme qui impose à l’avion de disposer d’une puissance supplémentaire non moins énorme pour ne pas s’enfoncer sans remède.
« prendre » 5 g par exemple impose à l’aile de produire une portance quintuple de la normale. Elle doit refouler vers le bas une quantité d’air spectaculairement plus élevée, ce qui impose de communiquer à cet air une quantité d’énergie non moins spectaculaire : d’où apparition d’une énorme traînée induite. Cette énergie sera prise à trois sources possibles :
(1) Le moteur, s’il est largement surpuissant : l’avion met pleins gaz.
(2) La vitesse de l’avion, réservoir d’énergie. La traînée induite énorme le freinera en quelques secondes ; voir l’exemple déjà cité du freinage en virage serré du chasseur à réaction. Ce réservoir-là est bientôt vide.
(3) L’altitude de l’avion. Chaque tranche de 75 kg d’avion qui perd 1 mètre d’altitude par seconde fait fournir une puissance de 1 cheval au champ de gravitation terrestre. On descendra assez vite.
Le pilote d’avion de tourisme doit mettre un peu plus de gaz en virage s’il ne veut pas perdre de la vitesse ou de la hauteur. Le facteur de charge modeste de 1,15 qu’on mesure en virage incliné de 30° ne requiert pour supplément de puissance que 1,15 x (racine de 1,15), soit 23 % de chevaux en plus.
Un combat tournoyant serré entre des avions virant inclinés presque sur la tranche les fera volontiers voler à la limite du voile noir.
Un des chasseurs à hélice les plus surpuissants est le F8F Bearcat de Grumman, léger et gréé d’un moteur de 2100 chevaux. Ne pas oublier de prononcer Bèrcat (de bear, « bèr », l’ours) et non pas – chose courante – Bircat, comme si ce chat se saoulait de bière.
Mal connu, le bearcat ou binturong est un attendrissant petit animal qui n’est ni un ours ni un chat.
Il faut à ce chasseur au minimum 250 chevaux pour juste tenir l’air en palier sans virage. Or il en possède 7 fois plus.
Virant sous 2 g et 60° d’inclinaison, il lui faut 250 x 2 x (racine de 2) = 707 chevaux.
Sous 3 g et 70° : 250 x 3 x (racine de 3) = 1299 ch.
Sous 4 g et 75° : 250 x 4 x (racine de 4) = 2000 ch. Ce dernier chiffre est pratiquement le maximum. Il ne reste plus de marge.
Le Bearcat peut donc soutenir un virage sous 4 g toute la journée sans perdre d’altitude. Veut-il virer longuement sous 6 g (et 80°) ? Le moteur n’y suffit plus. L’avion doit utiliser en plus l’une des deux dernières sources d’énergie précitées :
– Source (2) : le pilote peut aussi entamer son virage serré en basculant tout à coup son avion sur la tranche depuis une vitesse élevée. Le ralentissement sera énergique.
– Source (3) : pour soutenir un virage sous 6 g continus, il faudrait 3674 ch ; c’est 1574 de plus que ne donne le moteur. L’avion peut les trouver en perdant continuellement de la hauteur, beaucoup de hauteur. Il pèse en moyenne 3800 kg, soit 50 tranches de 75 kg. Descendre de 1 m/s lui fournit donc l’équivalent de 50 chevaux. Il « suffit » ainsi de dégringoler de 31 mètres par seconde pour trouver 1574 chevaux (50 x 31).
Il doit être possible en serrant son virage sous 6 g de passer dans la queue de celui qui ne serre qu’à 4 g ; mais si le poursuivi maintient son altitude tandis que le poursuivant s’enfonce de 31 mètres par seconde… on voit que virer plus sec ne signifie pas obligatoirement se placer en position de tir dans la queue.
Bien entendu le virage très serré se tient si possible à vitesse où le besoin de puissance est le moindre, à notre fameux 1,2 vitesse de décrochage. C’est très lent… mais pas tant que cela, puisque sous 4 g par exemple la vitesse de décrochage et toutes les autres vitesses caractéristiques sont multipliées par deux.
……………………….
37. RÉDUCTION EN ALTITUDE DU FACTEUR DE CHARGE POSSIBLE
Il n’est plus possible à une certaine altitude de poursuivre un combat tournoyant un peu serré.
L’air quatre fois moins dense à 12000 mètres double toutes les vitesses caractéristiques. Supposons qu’un chasseur à hélice donné ne puisse dépasser sans perte de contrôle (qui peut survenir en approchant de la vitesse du son) mach 0,75 ou 797 km/h réels. S’il décroche au niveau de la mer à 170 km/h sans volets, il décroche à vitesse double à 12000 mètres : 340 km/h. On voit qu’il ne lui est pas possible même à 797 km/h de voler en virage serré à 12000 mètres tout en supportant plus de : (797/170)² = 5,5 g. Il décroche au-delà, alors qu’il pourrait supporter bien davantage de g à basse altitude en air dense.
Il ne s’agit pas ici d’une limitation due à un manque de puissance ; l’avion ne pourrait voler sous plus de 5,5 g même en perdant de la hauteur. C’est une limitation purement aérodynamique due à l’approche de la vitesse du son.
La puissance de toute manière lui ferait défaut pour demeurer en palier.
Un chasseur à réaction subsonique de plus forte charge alaire et forte vitesse de décrochage aura moins de marge de g encore en altitude, malgré qu’il puisse voler à mach un peu plus élevé.
Les avions supersoniques n’ont guère l’occasion de profiter de leur vitesse élevée pour tirer de nombreux g en altitude. D’une part eux non plus n’auraient pas la poussée nécessaire à conserver à ce jeu leur altitude ; mais encore observe-t-on que les combats aériens se déroulent principalement en sub- ou transsonique seulement. Cela se justifie sans mal : le rayon de virage à mach 2 et 60° d’inclinaison vaut 20,5 km ; un tour complet 129 km ; ce tour dure 3 mn 40 au terme desquels la postcombustion a presque vidé les réservoirs. L’avion supersonique a ainsi peu de potentiel de manœuvre.
……………………….
38. EFFETS MOTEUR
Disons quelques mots des effets moteur, que rencontre parfois le lecteur de récits de la Seconde Guerre mondiale : ils concernent principalement les chasseurs monomoteurs de forte puissance et à train classique. Ils concernent aussi les bimoteurs en panne d’un côté. Certains effets qui se manifestent au roulage sont éliminés ou réduits par l’appui ferme au sol de la roue avant sur train tricycle.
Nous parlerons de trois sortes d’effets : les effets gyroscopiques, le couple de renversement, le souffle hélicoïdal. Ils sont souvent mal distingués les uns des autres. Nous en laisserons de côté un quatrième, dit facteur P.
Clostermann expose les ennuis rencontrés lors de la course au décollage du néophyte sur Typhoon ; il ne parvient que malaisément à conserver l’appareil en ligne presque droite au sol durant son accélération. D’autres n’y ont pas réussi, qui ont percuté un hangar placé non loin de la piste.
Ces effets sont d’ordre à la fois gyroscopique et aérodynamique. L’hélice en rotation est un important gyroscope ; qui a manié cet instrument sous la forme d’une toupie ou d’un jouet, en sait les réactions capricieuses à l’encontre de l’intuition.
Les moteurs rotatifs de la guerre de 14 constituaient de par leur masse de plus puissants gyroscopes encore.
Mettons à l’arrêt pleins gaz sur un moteur de plusieurs milliers de chevaux entraînant une hélice de trois mètres de diamètre et plus de cent kilos : c’est un gyroscope de taille. Admettons qu’on voie de la place du pilote cette hélice tourner en sens horaire. Au bout d’un certain roulage le pilote soulève la queue pour mettre l’appareil en ligne de vol. Ce faisant il a basculé le plan de l’hélice d’un angle d’une douzaine de degrés, celui de l’assiette de l’avion posé sur sa roulette arrière. Le basculement du gyroscope requiert une certaine force, car il « veut » rester comme il était. Sous la contrainte qu’on lui impose, le gyroscope réagit en infligeant une réaction au reste de l’avion. La connaissance du sens du basculement, du sens de rotation de l’hélice et de la théorie du gyroscope permet dans l’exemple choisi (rotation de sens horaire) de prédire la réaction : l’avion est « forcé » à entrer en virage au sol à droite. Cela ne dure que le bref instant du lever de la queue, mais l’avion est parti pour quitter la piste à droite si le pilote au palonnier n’a anticipé l’effet gênant.
On le voit, le gyroscope a ceci de déroutant qu’il réagit dans un plan autre que celui où on l’a chatouillé.
Après les effets gyroscopiques, passons au couple de renversement. On aime parfois à dire plaisamment qu’un avion trop puissant se mettrait à tourner autour de son hélice. Disons plutôt qu’une hélice immense telle qu’un rotor d’hélicoptère a en effet le besoin visible du rotor anticouple de queue pour tenir droit le fuselage. Le même besoin se fait pourtant ressentir même sur un avion dont l’hélice n’a pas la même ampleur ; mais l’avion dispose d’une paire d’ailerons bien plus éloignés de l’axe que d’une longueur de pale d’hélice. Aussi moyennant un léger ou très léger braquage fournissent-ils sans mal un couple opposé à celui de l’hélice.
Il peut arriver pourtant que le couple donné par les ailerons ne soit plus capable de contrer celui d’un moteur puissant, lorsque la vitesse devient si faible que même à plein braquage les ailerons n’agissent plus suffisamment. L’accident se produit lorsqu’un avion monomoteur puissant et/ou d’envergure limitée vole lentement en approche, si le pilote mal formé remet précipitamment tous les gaz pour interrompre cette approche. L’avion passe sur le dos à faible vitesse et faible hauteur ; l’affaire finit mal. L’accident peut concerner les chasseurs à hélice, les simples racers et des monoturbopropulseurs puissants. Le motoplaneur aux ailerons immensément éloignés d’une minuscule hélice ne risque évidemment rien.
Enfin, le souffle de l’hélice n’est pas droit ; il est affecté d’un mouvement… en hélice, en tire-bouchon ; c’est le « souffle hélicoïdal ». Celui-ci ne produit donc pas sur la dérive et les autres surfaces verticales un écoulement d’air rectiligne et symétrique de part et d’autre de l’avion ; un côté de l’avion est poussé de côté comme une girouette prise en travers. C’est un effet durable, susceptible d’exiger du pilote une puissante correction du pied au gouvernail. Elle doit durer tout le temps que la vitesse atteinte ne suffira pas à ce que le compensateur du gouvernail de direction, dispositif aérodynamique correcteur, se mette à soulager le pilote ; le compensateur agira utilement lorsqu’un badin suffisant l’alimentera suffisamment. Si le pilote réagit faiblement ou tardivement, l’avion parti au sol en embardée sortira de la piste avant d’être récupéré. Le compensateur de direction n’existe pas sur les monomoteurs de petite puissance.
Puisque les effets moteurs de toute nature sont facilement contrés par les gouvernes dès que la vitesse est considérable et leur donne une grande efficacité, les problèmes qu’ils posent se manifestent aux basses vitesses où les gouvernes sont faibles. Ils s’effacent largement aux vitesses plus élevées.
On remarque sur maint avion un braquage de la dérive qui est de construction légèrement désaxée ; on voit souvent la même chose au sujet de l’alignement du moteur : vue bien en face, la casserole d’hélice paraît avoir reçu une grande gifle et pointer en travers. Ces dissymétries combattent les effets moteurs.
Sur les avions à réaction les parties en rotation sont de beaucoup moindre diamètre ; ces appareils ne présentent que peu ces effets ; ils sont en cela souvent plus faciles à piloter. La même remarque est valable pour les doublets d’hélices contrarotatives qui annulent les effets normaux d’une hélice simple. De même les hélicoptères à deux rotors coaxiaux contrarotatifs n’ont-ils pas besoin de rotor anticouple en queue.
……………………….
39. CENTRAGE
La notion de centrage se rencontre souvent ; elle est essentielle à la compréhension de la stabilité de l’avion. On supposera par simplification le cas d’un appareil doté d’une aile sans flèche et parfaitement rectangulaire. La corde est ainsi constante.
Il est manifeste que le dessin de l’avion à vide et la répartition de son chargement doivent être tels que le centre de gravité se trouve à l’aplomb de l’aile. Mais encore ? Près du bord d’attaque, du bord de fuite, juste au milieu ?…
On ne dispose pas de toute la corde de l’aile pour « mettre » le centre de gravité ; on ne le met pas davantage au niveau du bord d’attaque (on dirait en ce cas le centrage à 0% de la corde) qu’à celui du bord de fuite (centrage à 100% de la corde). On dispose d’une plage de centrage limitée allant par exemple de 20% à 35% de la corde. Ces deux valeurs seront respectivement la limite de centrage avant et la limite de centrage arrière.
On atteindra la limite de centrage avant sur un avion quadriplace dont les places arrières sont vides, vide le coffre à bagage encore derrière elles, vide le réservoir de fuselage placé sous la banquette arrière, et si encore les deux places avant sont occupées soit par deux obèses, soit par un seul pilote poids plume (selon que les gens à l’avant sont assis respectivement en avant ou en arrière du centre de gravité de l’avion vide ; le second cas étant fréquent avec des avions seulement biplaces côte-à-côte sans banquette arrière).
On atteindra et même on dépassera facilement la limite de centrage arrière si coffre et réservoir précédent sont pleins, les places arrière occupées par deux poids lourds et les places avant par deux sujets fluets (On évite cette répartition dans toute la mesure du possible, en faisant monter les gens légers derrière).
Sur une aile dont la corde vaut 2 mètres, le point « 20% de la corde » se situe : 2 x 0,20 = 0,40 mètres en arrière du bord d’attaque. Le point « 35% de la corde » est de même placé : 2 x 0,35 = 0,70 mètre en arrière du bord d’attaque.
La plage de centrage vaut ici 30 centimètres : on dispose de cette latitude pour laisser selon le chargement varier le centre de gravité.
On a deviné que les limites de centrage sont telles que le centre de gravité ne s’éloigne pas trop du centre de portance, ou centre de poussée, le point d’application de la portance au long du profil de l’aile.
Le centre de gravité est-il un peu en avant du centre de portance ? Il tend à entraîner l’avion à piquer ; il faut donc appuyer un peu vers la bas sur la queue pour le maintenir en équilibre : l’empennage horizontal est plus ou moins braqué, son bord de fuite relevé vers le haut. Le centre de gravité est-il un peu en arrière du centre de portance ? L’avion tend à cabrer ; il faut soutenir sa queue : l’empennage horizontal est plus ou moins braqué bord de fuite vers le bas (1).
L’empennage horizontal est dimensionné pour être capable de cabrer l’avion jusqu’à le faire décrocher, ce qui revient aussi à dire capable de permettre à l’avion d’atterrir à la plus faible vitesse possible. Si pourtant le centrage est trop avant, il pèse sur le nez de l’avion plus que l’empennage ne peut compenser à très faible vitesse (Il est aisé de concevoir que la puissance d’une gouverne augmente avec la vitesse, par augmentation de la portance ou déportance sur sa surface.) L’avion sera forcé de voler plus vite, ne pouvant jamais descendre à sa vitesse de décrochage. L’atterrissage sera plus rapide et plus long, de même que le décollage. Si au contraire le centrage est beaucoup trop arrière, l’avion voudra cabrer de lui-même irrésistiblement. Il viendra une position arrière du centre de gravité à laquelle le manche à fond en avant ne rétablira plus un vol possible. Une telle situation peut arriver si par exemple le moteur est perdu en l’air, ou si le chargement désarrimé roule dans la queue. Un tel accident est survenu à un avion chargé de grands rouleaux de papier à billets de banque parti de France à destination d’un pays transméditerranéen.
Si le pilote laisse échapper à son contrôle un avion centré trop avant qui veut s’engager en piqué, il n’aura en principe qu’à tirer le manche pour récupérer.
Si le pilote laisse échapper à son contrôle un avion centré trop arrière, il ne pourra plus rien faire puisque son avion engagé en cabré a ralenti et ainsi diminué encore la puissance de l’empennage. Contrairement au cas du paragraphe précédent, l’avion est instable. Cela finit en quelques secondes par un décrochage approximativement irrécupérable, l’avion ne faisant pas toujours d’abattée sur l’avant, mais pouvant dégringoler plutôt sur sa queue.
Le centrage trop avant est gênant ; le centrage trop arrière est dangereux.
L’emplacement sur la corde du centre de portance varie beaucoup avec le type de profil employé ; il est cependant souvent quelque part entre le quart et le tiers de la corde, entre 25 et 30%, valeurs autour desquelles s’étend la plage de centrage permise.
La réalité est pourtant moins simple : le centre de portance d’un profil donné est loin d’être fixe en général. Il se déplace le plus souvent loin vers l’arrière en vol rapide, s’éloignant du centre de gravité. Il en résulte que la tendance que pouvait avoir l’avion à piquer (cas d’un centrage avant) s’accroît avec la vitesse, et fortement parfois ; l’empennage horizontal aura une plus grande force à exercer vers le bas pour rétablir l’équilibre. La force importante qu’il exerce vers le bas s’ajoute de façon parasite au poids de l’avion. D’autre part les déplacements notables du centre de portance exercent sur la structure de l’aile des torsions importantes, qui doivent être contrées par de pesants épaississements des revêtements.
On voit l’intérêt qu’il y aurait à disposer d’un profil dont le centre de portance ne se déplacerait guère quelle que fût la vitesse de vol. Ils ne sont pas nombreux ; le plus connu est le type NACA 23012 inventé vers 1930 et toujours d’emploi fréquent, surtout chez les dessinateurs d’avions légers : il leur épargne d’inutiles alourdissements de structure ; il épargne aux ingénieurs du dimanche (conception amateur) de pénibles angoisses de calculs.
Il est possible sur la plupart des avions de charger d’une manière qui satisfasse le manutentionnaire désireux de caser toutes les charges emportées, mais qui outrepasse les limites permises de la plage de centrage.
(1) Contrairement à la légende, foule d’avions sont stables quoique leur centre de gravité soit quelque peu en arrière du centre de portance.
Cette légende vient d’une confusion entre deux points pourtant distincts : le centre de portance la voilure et le foyer de l’avion complet. Le centre de gravité doit être en avant du foyer de l’avion complet. La notion de foyer ne sera pas discutée ici.
……………………….
40. FONCTION DES EMPENNAGES
Un chapitre ne semble pas inutile sur le rôle de l’empennage, horizontal surtout. Admirons en premier lieu cette appellation poétique tirée du projectile de l’arc… On est à cent lieues des bien pragmatiques « tail surfaces » de l’anglais. Ces grandes surfaces que sont nos empennages, même de métal, sont donc étymologiquement des « plumes ». Il est vrai qu’elles tiennent à peu près le même rôle que sur une flèche.
L’empennage vertical comporte presque toujours une partie avant fixe, la dérive, à l’arrière de laquelle est articulée une partie mobile, le gouvernail de direction similaire à celui d’un bateau. La dérive par effet de girouette ramène dans le lit du vent de la vitesse un avion qui de lui-même voudrait braquer son fuselage en travers ou faire un tête à queue. Le tête à queue est toujours possible tant que n’existe pas en arrière du centre de gravité une surface latérale plus importante qu’en avant (extrême schématisation). La dérive est un ajout massif de surface latérale bien placée tout au bout du long bras de levier qu’est le fuselage. C’est une girouette stabilisatrice.
Le gouvernail de direction lui aussi sert de surface stabilisatrice girouette s’il est tenu fixe par les pieds bien calés du pilote, ou s’il est est rappelé au neutre par quelque autre dispositif un peu énergique. Nombre d’ULM (nous parlons de ceux qui ont la forme d’avions) se mettent à battre de façon pénible de gauche à droite et de droite à gauche indéfiniment lorsqu’on retire les pieds des pédales. Cela n’arrive pas en principe sur avion, dont le processus de certification aura contraint le constructeur à éliminer pareil travers. Les ULM ne s’écrasent cependant pas pour ce motif, ce qui ajoute à la longue liste des pseudo-motifs de sécurité pour lesquels depuis un siècle on met en ruineux carcan l’aviation autre qu’ULM. Nous admettrons que ce travers fort tolérable pour la simple promenade aérienne doit l’être beaucoup moins en pilotage sans visibilité, lequel n’est pas autorisé en ULM.
L’empennage vertical agit aussi de manière indirecte, subtile et complexe sur la stabilité en roulis ; nous n’entrerons pas dans cette question.
Venons-en à l’empennage horizontal, objet majeur du chapitre. On a entrevu sa fonction au chapitre précédent.
Il n’a en première approximation aucune fonction sustentatrice sur l’avion classique, ou formule Pénaud, ou formule Blériot, c’est-à-dire aile avant et empennage arrière.
On verra plus loin qu’il en va tout autrement sur la formule canard, mais le plus clair des avions ressort de la formule Blériot.
Hors le cas particulier des ailes volantes dont on parlera également plus loin, une aile seule et sans un empennage pour la stabiliser est incapable de rester en vol. Le chapitre précédent trouve ici son utilité.
Exemple : un centrage avant peut mener à ce que le centre de gravité soit à 15% de la corde tandis que le centre de portance est à 35%. Vérifiez que si la corde de l’aile vaut 2 mètres, le centre de gravité se trouve 40 centimètres devant le centre de portance.
Le centre de portance est le point d’appui de l’avion. Si le centre de gravité est plus en avant que lui, l’avion piquera irrévocablement s’il n’a pas un empennage pour le stabiliser. L’empennage procédera tout simplement en poussant la queue de l’avion vers le bas, mais modérément, parce qu’il est loin de l’aile et parce que son bras de levier est important. Il poussera la queue vers le bas parce que le pilote en tirant un peu le manche relèvera un peu le bord de fuite du gouvernail de profondeur, créant une légère déportance, comme un aileron de formule 1 qui plaque la voiture au sol.
Cet équilibre est analogue à celui de la balance romaine : un pivot (centre de portance), un gros poids juste à côté (centre de gravité), un petit poids de mesure très éloigné de l’autre côté (déportance d’empennage).
Très souvent dans un cas de centrage arrière même normal, le centre de gravité est derrière le centre de portance : le poids est derrière le pivot ; l’avion cabrerait sans remède si l’empennage cette fois braqué en sens inverse ne créait une petite portance tenant soulevée la queue.
Un avion est stable si, manche lâché par le pilote, il demeure en vol convenable et rattrape de lui-même les petits écarts dus à des causes comme la turbulence.
On démontre qu’un avion centré en avant du centre de portance reste stable si avant qu’on ait placé le centre de gravité. On démontre que si le centre de gravité est en arrière du centre de portance, l’avion ne reste stable que si le centre de gravité ne recule pas au-delà d’une distance modérée.
(Nous sommes parfaitement conscient en écrivant cela que les légendes aériennes ayant la peau fort dure, le pilote moyen se fera dévorer par les lions plutôt que d’accepter qu’un avion puisse être stable avec un CG en arrière du CP).
Notre propre aéronef dessiné par nos soins, équipé d’une aile rectangulaire à profil 23012 dont le centre de portance ne quitte pas la cote 25%, est centré dans tous les cas plus arrière que ce chiffre. Nous n’avons pas observé qu’il fût instable.
Si le centrage enfin est vraiment trop arrière, le pilote poussera constamment le manche en avant pour soutenir la queue. Il pourra voir l’appareil lui échapper en cabré brutal avant de choir d’une manière ou d’une autre. L’avion est instable ; on a dépassé sa limite de centrage arrière. Nous parlons ici de sa limite physique ; le manuel de vol impose une limite de sécurité moins arrière.
Note : le gouvernail de direction n’existe plus ; il est devenu gouverne de symétrie. C’est un fait qu’il sert peu en virage où les ailerons ont un rôle prééminent. Ils servent à incliner l’avion, qui dès lors vire même sans la gouverne de symétrie. En revanche la gouverne de symétrie utilisée seule n’altère que malaisément le cap de l’avion, voire au pire cause un malheur tel qu’une mise en vrille. On ne l’appelle donc gouvernail de direction que par analogie avec la marine. Quant à savoir pourquoi ce nom nouveau de gouverne de symétrie, et quelle symétrie, nous renvoyons le lecteur à la recherche des notions de vol dérapé et de vol glissé (tiens ! ce dernier non plus n’existe plus !) que cet ouvrage n’aborde pas.
Autant dire que l’auteur comme beaucoup d’autres continue à parler de gouvernail de direction.
……………………….
41. LE COMPENSATEUR DE PROFONDEUR
Parfois au cinéma dans quelque avion en perdition pilote et copilote arc-boutés sur la commande de profondeur additionnent leurs forces pour tirer dessus, les pieds calés sur le tableau de bord : le compensateur de profondeur est en panne.
On a vu que le centre de portance en croisière rapide recule souvent loin derrière le centre de gravité, ce qui cause un moment à piquer important devant être équilibré par une déportance notable de l’empennage ; en d’autres termes il faut tirer sur le manche, ou le volant, pour braquer plus ou moins vers le haut le gouvernail de profondeur.
Il faut exercer pour cela une certaine force physique continuelle. Minime et sans inconvénient sur un monoplace léger, elle devient progressivement prohibitive sur avion de plus en plus lourd. Le compensateur de profondeur vient réduire au maximum l’effort physique.
C’est une petite, voire toute petite gouverne de profondeur annexe articulée à l’arrière de la gouverne de profondeur proprement dite. Veut-on maintenir soulevé l’arrière de la gouverne principale pour que l’empennage crée une déportance continue ? Le compensateur est alors braqué vers le bas, à contre-sens, pour soutenir levée la gouverne de profondeur. Le compensateur est braqué au contraire vers le haut pour maintenir la gouverne principale braquée vers le bas, s’il s’agit de maintenir l’empennage horizontal plus ou moins porteur.
Le compensateur est indispensable dès l’avion de tourisme de plus d’une place. Le pilote en commande le braquage par une petite roue à portée de sa main. Il veille par exemple à ce que le compensateur au décollage soit réglé pour rendre le manche léger dans la main pour les faibles vitesses. Se mettant en palier à vitesse élevée le même réglage devient insupportable à cause du déplacement du centre de portance, et le pilote devrait désormais continuellement tirer fortement le manche ; il change donc le réglage du compensateur. Le réglage sera de même différent pour une même vitesse, selon que le chargement donne un centrage très avant ou très arrière.
Un réglage parfait du compensateur en croisière, ou plus précisément un réglage pour chaque vitesse, permet de lâcher le manche : l’avion file droit tout seul et corrige de lui-même les perturbations en tangage que peuvent lui infliger des turbulences.
Sur avion monomoteur puissant, 300 chevaux par exemple, existe un compensateur vertical articulé à l’arrière du gouvernail de direction. Il compense les effets dangereux du moteur (chapitre 38). Sur avion multimoteur le compensateur de direction compense la dissymétrie de traction lorsqu’un moteur est en panne, et pour ce faire maintient le gouvernail de direction continuellement braqué. Il faut alors agir aussi sur les ailerons, qui pour ce motif peuvent disposer eux-mêmes de compensateurs.
………………………..
42. APPROCHER, ATTERRIR
Nous allons à présent pour un chapitre très long et très riche en rebondissements, dont certains bien réels, abaisser nos volets hypersustentateurs et approcher de la piste en vue d’atterrir. Le chapitre est long parce que l’atterrissage est la phase la plus savante d’un vol. Voyons cependant en premier un dispositif à l’utilité bien différente de celle des volets : les aérofreins.
Ces surfaces qu’on sort plus ou moins perpendiculairement au vent relatif accroissent énormément la traînée d’un avion, allant souvent jusqu’à la tripler sur planeur ou sur bombardier en piqué. Leur fonction selon le genre de machine est très différente.
Dénommés « freins de piqué » sur un bombardier en piqué, ils servent évidemment à l’empêcher de prendre en piqué d’assaut une vitesse abusive. Cette vitesse excessive réduirait le temps déjà bref pour viser et obligerait à larguer trop haut pour que la visée soit bonne, car piquer trop vite contraint à commencer très haut la ressource qui suit le lâché du projectile.
Sur chasseur à réaction, le ou les aérofreins permettent de casser la vitesse pour surprendre le poursuivant et s’en faire dépasser, comme il se doit dans toutes les bandes dessinées ; ou encore pour toute autre raison de casser la vitesse. On verra aussi leur utilité en approche.
Les planeurs sont de pacifiques aéronefs où les aérofreins sont généralisés parce qu’absolument indispensables. L’ouverture des aérofreins peut faire tomber la finesse de soixante à dix.
Sur un planeur de 30 ou 60 de finesse, il est au-dessus des possibilités humaines de viser le début de la piste d’atterrissage et de s’y présenter à un mètre du sol juste à la vitesse de posé. Il est impraticable de le faire en descendant sur un plan de 1/30 ou 1/60, car un pareil plan n’est pas visualisable. Pour compliquer l’estimation visuelle du plan de descente, le fuselage est légèrement cabré par rapport à lui. Un plan de 1/60 risque aussi de traverser les maisons placées dans l’axe de la piste, même au loin, ainsi que les voitures et les piétons passant le long du terrain. Le moindre vent mal estimé, la moindre turbulence en approche détruirait la plus habile visée. Ou bien le planeur se poserait avant le terrain, ou bien à l’autre bout de la piste.
Le pilote conduira par conséquent son approche plus haut que ce plan trop théorique. Il suivra une pente plus forte, sur laquelle il pourrait à première vue vouloir abaisser le nez du planeur pour viser le début de la piste. Hélas, la grande finesse d’un planeur moderne l’emporte à une vitesse folle pour la moindre augmentation de la pente de descente. Une fois atteint à un mètre du sol le seuil de la piste à cette vitesse folle, la finesse élevée du planeur l’empêcherait de ralentir vite : la machine courrait un kilomètre ou davantage sans toucher terre. L’atterrissage à moins d’un kilomètre près devient mission impossible !
Le pilote va donc briser sa finesse élevée et la ramener à 10 par exemple, en sortant ses aérofreins en approche.
Bref, l’atterrissage nécessite une finesse médiocre et si possible guère supérieure à 10, pour : 1) descendre sans moteur le long d’un plan assez franc pour être bien visualisé par le cerveau ; 2) voir l’appareil ralentir vite et franchement en l’air dès l’ « arrondi », dès que le pilote parvenu un mètre ou deux au-dessus du début de la piste tire le manche pour casser sa descente. Alors la machine touchera terre sans se faire indéfiniment prier, comme elle ferait au contraire en conservant sans aérofreins sa finesse de 60.
Un ULM banal ou un médiocre avion de tourisme peuvent se passer d’aérofreins ; toute machine plus fine en exige. Quelques avions légers vraiment fins en disposent. La plupart emploient à la place leurs volets hypersustentateurs, qui engendrent également une traînée supplémentaire très forte. Ils ne peuvent cependant servir de freins à vitesse élevée, parce que la fragilité de leurs articulations défend de les abaisser à vitesse un tant soit peu considérable. En ce cas, le pilote à la fois trop haut et trop vite en approche se débrouille ! Son intérêt est généralement de remettre alors les gaz pour un tour de plus. Des d’accidents surviennent lorsque des pilotes instinctivement réticents à la remise de gaz veulent se poser à tout prix.
Les hypersustentateurs permettent de conserver la portance à vitesse moindre, et d’ainsi décrocher plus lentement ; les aérofreins n’ont aucun effet favorable sur la portance et la vitesse minimum. Ils la dégradent même légèrement. L’effet principal des hypersustentateurs est donc attendu sur les longueurs de roulement au décollage et surtout à l’atterrissage. Au décollage (ou à l’atterrissage) la longueur de roulage est réduite au carré de l’accroissement de la portance par les hypersustentateurs. Ce bénéfice est pourtant atténué par le fait qu’on ne déploie pas entièrement les hypersustentateurs au décollage : ils traîneraient beaucoup trop, divisant sans mal par deux la vitesse ascensionnelle une fois les roues en l’air. On les utilise en revanche intégralement à l’atterrissage. Un avion de ligne réclamerait sans eux quatre kilomètres de piste pour se poser ; ils réduisent sa vitesse minimum d’une petite centaine de km/h.
L’hypersustentateur le plus simple est le volet de courbure, simple articulation sur charnière des quelques 15% de l’arrière du profil. A vitesse égale il suffit de le braquer d’environ 45° pour accroître la portance de moitié. L’avion dont le poids n’a pas changé n’a pas besoin d’un surcroît de sustentation ; c’est donc la vitesse de décrochage qui diminue, à sustentation égale. Elle diminue selon la racine carrée de l’accroissement de portance que donnent les volets. Tous calculs faits, une vitesse de décrochage de 100 km/h volets escamotés descend dans l’exemple pris à 82 km/h avec les volets abaissés de 45°. La longueur de roulage au sol baissera de près du tiers.
Ces chiffres qui peuvent sembler intéressant supposent que tout le bord de fuite soit garni de volets de courbure ; or les 35 à 40% extérieurs sont mangés par les ailerons.
D’autres phénomènes parasites réduisent encore le gain de portance dû aux volets. On est en fin de compte très heureux de réduire de 10% la vitesse minimum grâce aux volets de courbure. Ils sont en revanche faciles à construire ; ils équipent de nombreux avions légers. 10% de moins sur la vitesse du toucher font 19% de roulage en moins.
Il devient déjà délicat sur un avion de 10 ou 12 de finesse d’estimer correctement son plan de descente pour qu’il s’achève au seuil de piste, ni avant, ni après. Les simples volets de courbure font de surcroît d’honnêtes aérofreins en cassant la finesse ; on visualise alors mieux le plan de descente et le point de contact avec le sol, simplement parce que la descente est plus raide. Ce bénéfice visuel à notre avis l’emporte de beaucoup en avion léger sur celui du raccourcissement de la longueur de piste consommée à l’atterrissage.
Vient ensuite une série de volets de plus en plus complexes, en éléments étagés et séparés par des fentes qui assurent leur soufflage naturel, et qui paraissent clairement sur les photographies du bord de fuite d’un avion de ligne en approche.
On décolle ordinairement avec un modeste abaissement des volets de l’ordre de 10 degrés. Parce que la portance maximum avec volets est atteinte (pour de nombreux profils) à angle d’incidence moindre que sans volets, certains avions en arrivent à décoller à peine cabrés. De tels avions peuvent alors disposer d’un train léger parce que court, sans que la queue racle à l’envol. Le DC-9 est un tel avion ventre à terre.
L’intérêt de braquer dix degrés de volets au décollage en avion de tourisme est toujours inconnu du rédacteur au terme de 1500 heures de vol. S’ils sont vraiment indispensables pour s’arracher d’une piste lourde et courte, il est plus sage de n’en pas décoller. Peut-être faut-il voir dans le braquage des volets le respect des traditions, et la satisfaction d’ajouter un geste très professionnel aux procédures d’amateur.
Il est en revanche presque toujours exclu de décoller volets braqués à leur maximum usuel de 45 à 60°, malgré le raccourcissement net qui en découlerait de la course au décollage. D’une part la résistance de forme qui résulte du déploiement de ces véritables pelles à traînée est énorme ; mais plus énorme encore est leur traînée induite, triple de celle d’une aile nue. L’avion décollerait court, mais pour manquer gravement de puissance en raison de sa traînée considérable. Sa montée initiale raserait dangereusement le sol et ses obstacles.
Pourtant on décollera bien avec les volets à fond depuis une île très courte au milieu d’un fleuve infesté de crocodiles : on gagnera quand même sur la distance d’envol, et aucun obstacle ne se dresse ensuite devant. Il n’y aura pas d’inconvénient à grimper faiblement au début, car une fois un peu haut on les escamotera en douceur.
Vous tenez les commandes d’un avion dont les volets sont rentrés et le moteur complètement réduit ; il plane assez honorablement, et le coup d’œil que donne l’habitude vous laisse deviner assez loin devant vous le point où il touchera terre. Vous abaissez alors un peu de volets comme pour un décollage : la finesse maximum diminuant, le point où se poserait l’avion se rapproche de vous. Vous abaissez complètement les volets ; la traînée devient cette fois telle que l’avion puissamment freiné, devenu très médiocre planeur, ne peut plus conserver sa vitesse qu’en piquant sous un angle vraiment important. L’habitude n’est plus nécessaire pour voir qu’à l’évidence l’avion touchera le sol à peine devant soi, « chutant comme un pavé ».
Mais de même que la langue passant sur une infime aspérité d’une dent nous fait penser que le relief en est colossal, les angles divers vus du pilote sont fortement exagérés. Un virage penché de 45° fait raconter à l’inexpérimenté qu’il était sur la tranche. Le pilote ayant abaissé à fond ses volets et planant avec une finesse de 5 pense descendre sous 45 degrés. Il faut dire que même sous 5 de finesse le nez abaissé dégage spectaculairement les vues, et que le siège est penché en avant comme rarement un siège n’a de raison de l’être au sol dans un véhicule terrestre.
On a compris que l’avion tous volets abaissés devient un engin qui n’a plus de l’image vive et nerveuse d’un avion que le souvenir. S’il voulait grimper, sa vitesse ascensionnelle tomberait par exemple de 4 à 2 m/s. Sa vitesse à pleins gaz descendra volontiers de 230 à 170 km/h (si ce dernier chiffre est autorisé avec les volets complètement sortis, la vitesse risquant de les fausser). Son domaine de vol est singulièrement réduit, même si la machine a gagné 15 ou 20 km/h au bas de l’échelle de ses vitesses.
Voyons comment se fera l’approche de la piste sur une telle machine. L’avion par exemple suivra sa descente à 108 km/h, chiffre choisi pour valoir tout rond 30 m/s. Le moteur est complètement réduit et l’hélice supposée « en transparence » : sa vitesse de rotation résiduelle s’adapte exactement à la vitesse de l’avion comme la vis à son écrou, si bien qu’elle ne tire pas mais ne freine pas non plus ; elle est donc virtuellement absente. L’avion volets escamotés fait 10 de finesse et chute à 30/10 = 3 m/s.
Si le pilote a bien l’habitude de viser correctement son point d’arrivée au sol sous une finesse planée de 10 (plan de 5,7 degrés), les volets ne sont pas absolument indispensables pourvu que la piste soit un peu longue afin de pardonner une légère erreur faisant arriver l’avion trop long.
Si le pilote est en effet trop long, cas plus fréquent que trop court (le pilote a d’instinct préféré, sans vraiment le vouloir, être un peu haut plutôt qu’un peu bas), il voudra en fin d’approche se raccourcir en poussant d’instinct le manche. Ainsi le début de la piste reviendra-t-il dans sa ligne de visée.
Certes, il prend ainsi en « piquant » (de peu) une vitesse qui sera excédentaire à l’instant où il passera le seuil de la piste, et qui ne se résorbera que sur une certaine distance s’ajoutant au minimum nécessaire à s’arrêter.
Nous avons déjà vu qu’un planeur très fin agissant de la sorte traverserait en trombe le terrain sans pouvoir se poser, mais aussi que l’ouverture de ses aérofreins supprime cet « inconvénient ». Or la finesse d’un avion volets rentrés est de l’ordre de celle d’un planeur aérofreins sortis. Notre avion trop long en approche et « piquant » pour se raccourcir ne prendra lors qu’un excès modéré de vitesse, qu’il reperdra vite sitôt arrondi au ras de la piste.
La manœuvre pourtant sera plus facile encore si la finesse tombe à 5 ou 6 par l’abaissement complet des volets. Si jamais l’avion est trop haut en approche, piquer du nez pour se raccourcir ne l’accélérera presque pas, puisque le freineront les générateurs de traînée que sont ses volets entièrement abaissés. Aussi est-il utile de pouvoir changer un avion fin en « approcheur » sans finesse.
Le pilote afin de : 1) viser facilement même sans grande habileté le seuil de la piste ; 2) le passer à vitesse plus faible que sans volets ; 3) une fois passé le seuil, puis la trajectoire « arrondie », perdre très vite par aérofreinage ce qu’il a en trop de vitesse au-dessus du décrochage… Le pilote approchera donc de préférence volets complètement abaissés, généralement de 50 ou 60 degrés. Sa finesse sera par exemple de 6 et son taux de chute sans moteur de 5 m/s (vitesse de 30 m/s et plan de 9,5 degrés). Une fois arrondi en passant le seuil, l’appareil perdra en un clin d’œil sous sa forte traînée tout ce qui lui reste de vitesse. Le posé sera court.
L’arrondi consiste à passer de la pente de descente assez accentuée, à une courte portion de vol sans moteur presque horizontale au bout de laquelle touchent les roues. Cela ne tarde guère puisque moteur au ralenti l’avion en quasi-palier ne peut que perdre sa vitesse. Le pilote pour arrondir tire doucement le manche absolument au jugé : hauteur de début d’arrondi, intensité du geste, tout se fait à l’estime. Il faut qu’en fin d’arrondi les roues soient à peu de décimètres du sol, un ou deux étant l’idéal.
L’arrondi est un art, jamais définitivement acquis. Un pilote aux milliers d’atterrissage fera aussi bien des posés brutaux avec ou sans rebonds, que des « kiss landings ». Dans les meilleurs atterrissages sur piste en dur, on peut n’être même pas certain que les roues ont bien touché. Il arrive de n’en avoir la certitude qu’une fois la vitesse vraiment trop basse pour voler encore.
L’arrondi exige qu’on puise dans l’énergie cinétique de l’avion, dans sa « lancée », de quoi briser sa descente et la ramener brièvement à zéro. L’arrondi facile sur avion aux volets rentrés ne l’est plus toujours si les volets sont complètement abaissés : le taux de chute est passé de 2,5/3 m/s à 4 voire 5 m/s. Non seulement il faut briser une descente importante, mais encore le maigre écart de vitesse entre vitesse d’approche et vitesse de décrochage ne donne-t-il qu’une mince réserve d’énergie à consommer dans ce but ; le temps d’arrondir, et parfois l’avion qui n’a même plus la force d’achever l’arrondi s’enfonce à nouveau, tamponnant le sol.
Aussi le pilote remettra-t-il en général une part des gaz en fin d’approche, une fois qu’il sera certain d’avoir bien visé le seuil. Cette part ne suffirait pas à tenir le palier : la machine alors à la même vitesse descendra cependant moins, simulant au dernier moment grâce au moteur une finesse de plané supérieure. L’arrondi correct sera facile ; il s’achèvera à quelques décimètres du sol, immédiatement suivi d’une réduction des gaz complète dès la trajectoire de l’avion parallèle au plancher des vaches.
Il se peut que tous les moyens normaux aient échoué à résorber un excès de hauteur avant la piste. On peut voir alors l’avion décrire bas des esses autour de sa trajectoire pour allonger celle-ci. C’est autant dire qu’il eût généralement mieux valu remettre les gaz que marcher ainsi sur la queue du tigre « décrochage à basse hauteur». Un autre procédé fort efficace consiste à voir croître de manière impressionnante l’angle de descente en présentant le fuselage partiellement en travers, braqué sur sa trajectoire sous un angle notable. Cette manœuvre dite d’approche glissée ou en glissade étant de nos jours assimilée au crime, nous ne décrirons pas la façon de la pratiquer.
Parfois il faut atterrir avec un moteur qui refuse de réduire ! Un blocage ou une rupture quelque part dans la commande des gaz en est souvent cause. L’auteur a connu la chose. Il ne reste qu’à descendre au moteur avec un impressionnant badin, à s’aligner dans l’axe de la piste à plusieurs kilomètres, approcher bas et plat à grande vitesse, couper le contact à quelques mètres du sol en avant du seuil de la piste, ni trop tôt pour ne pas toucher terre avant, ni trop tard pour ne pas effacer le terrain et se vautrer au-delà.
Il n’est pas exceptionnel de rater un arrondi et de le finir trop haut ou trop bas. Le cas « trop bas » est rare, parce que le pilote refuse d’instinct le sol plutôt que l’emboutir. Le cas « trop haut » est plus commun. L’avion se retrouve nez haut en palier, à vitesse de décrochage. Ce serait parfait à cinq centimètres du sol ; c’est désastreux à deux mètres, puisque l’avion va dans un instant choir avec violence. Sans hésitation aucune on remet en urgence les pleins gaz. La vitesse cesse de diminuer ; la voilure centrale est soufflée ; sa portance croît d’autant ; le péril d’imminent décrochage est derrière nous. Il ne reste qu’à refaire un tour, à moins que la piste ne soit très longue.
Il est cependant beaucoup plus distingué de faire une approche d’avion de ligne ; c’est ce qu’on enseigne et pratique. Toute l’approche commencée haut et loin (disons cent mètres et deux kilomètres) sera faite ainsi, les volets entièrement abaissés et le moteur conservant malgré la descente une puissance non négligeable afin de contrer leur forte traînée.
L’approche se fait alors de façon standard sur une pente de 5% ou 3°. L’avion glisse comme s’il planait sans moteur ni volets avec une finesse de 20. Quasi aucun appareil de tourisme n’est capable de cette finesse volets escamotés, a fortiori abaissés. Le moteur convenablement réglé allonge le plané en conséquence. A une vitesse de l’ordre de 120 km/h, on règlera les gaz de façon que l’appareil s’enfonce encore de 1,5 m/s ou un peu plus.
La puissance à conserver dans ce type de descente volets abaissés est notable. Inférieure à la puissance de croisière normale à 75%, elle reste supérieure au minimum qui sans volets ferait juste tenir l’air sans descendre.
Très attentif à la fois à ne surtout pas perdre de vitesse (le décrochage n’est pas loin) sans diminuer non plus son taux de descente pour ne pas être trop long, le pilote en approche plate sous trois degrés, archi-concentré, se cramponne fébrilement d’une main sur les gaz et de l’autre sur le manche. L’avion lui semble « ramer » en faisant bien du bruit pour avancer peu, tout en descendant malgré son nez légèrement cabré sur la trajectoire. L’homme maîtrise ce délicat et rageur équilibre avec un sentiment de compétence étonné de soi-même. Il peut même pour faire vraiment archi-pro (et surtout si l’avion est sa propriété) ne pas arrondir à l’atterrissage, et apponter sur sa trajectoire rectiligne. Le train qui peut en principe encaisser 3 m/s devrait résister. Nous ne le préconisons qu’au simulateur. C’est un appontage sur bateau.
Une approche « au moteur » au lieu d’une approche en plané ne pardonnera pas la panne. On se vautrera bien avant le seuil de la piste.
Il peut arriver aussi que moteur aux trois cinquièmes de sa puissance et volets complètement abaissés, l’avion volant 20 ou 25 km/h au-dessus du décrochage se retrouve par erreur d’appréciation trop court et trop bas au-dessus des arbres, à bonne distance encore de la piste. Le pilote aux commandes de son paquet de traînée remettra presque tous les gaz pour se voir ramper cabré dans l’air bien près du paysage ; mais il lui sera d’autant plus facile de s’abattre avec lenteur et précision sur les premiers mètres de la piste.
Un planeur n’a pas nécessairement besoin d’arrondir sa trajectoire pour toucher le sol à son taux de chute minime de moins d’un mètre/seconde. Le planeur peut se poser « en vol ». Il arrondira souvent tout de même, parce qu’il approchait pour plusieurs motifs (dont la sortie des aérofreins) sous un angle moins plat que sa finesse maximum.
L’arrondi s’impose donc presque toujours. Est-il toujours possible ?
Nous allons traiter préalablement du second régime ou vol au second régime.
Le second régime est toute la plage de vitesse qui va du décrochage jusqu’au point 1,2 vitesse de décrochage (quelque peu variable selon les machines) où la puissance requise pour voler est la moindre. L’appellation de second régime peut déconcerter puisqu’il s’agit en bon ordre du premier.
Ainsi toute vitesse appartenant au second régime réclame-t-elle pour tenir le palier plus de puissance que le minimum, et surtout en réclame d’autant plus qu’on se rapproche de la vitesse de décrochage. Moteur réduit, c’est la pesanteur qui devra fournir ce travail : le taux de chute augmente. Il augmente de plus en plus en approchant la vitesse de décrochage. Disons pour fixer les idées qu’il aura crû de plus de moitié en quand on frôlera le décrochage.
Considérons un pilote inexpérimenté approchant en plané précisément à la vitesse de taux de chute minimum, les 120% de la vitesse de décrochage. Le nez est un peu à piquer. Le pilote se juge trop court. Il tire le manche instinctivement afin de relever quelque peu le nez : cela marche. Il en déduit qu’il planera plus loin… mais il planera moins loin puisque sa traînée a augmenté. En d’autres termes, il s’enfonce plus raide et le nez un peu en l’air. Il est entendu qu’il frôle le décrochage ; mais quand même il l’évite, il a tout de même cassé encore sa finesse en pénétrant dans le second régime.
L’arrondi cette fois est impossible. Tirer davantage ne fait qu’aggraver la pente de descente même si le décrochage n’est pas atteint.
S’il reste assez de hauteur, il ne reste qu’à repousser le manche pour piquer assez franchement et reprendre quelque vitesse rendant possible l’arrondi ultérieur. Cette manœuvre impossible trop près du sol fera d’abord perdre brusquement une hauteur appréciable.
Trop bas, l’ultime ressource est la remise des gaz. A défaut l’avion s’il ne décroche tamponnera très durement, voire mortellement.
La remise des gaz elle-même n’est pas le salut sur tous les avions, et les plus puissants ne sont pas les mieux protégés. Le défaut d’allongement des ailes delta leur inflige aux basses vitesses une traînée induite colossale. Un certain nombre de pilotes de chasseurs en delta se sont à travers le monde vautrés au sol en approche à trop basse vitesse, en fort cabré, nez très haut. La postcombustion allumée d’urgence ne faisait que ralentir leur descente implacable. La traînée induite vertigineuse a dépassé sous fort cabré les possibilités du réacteur. Ils se sont tués en touchant terre avec une violence fatale, et dans l’incompréhension de la méchanceté subite du monde. Il s’agissait en principe de débutants sur avion sans allongement. Ils n’avaient pas compris la spécificité vicieuse des trop courts allongements. Aucune parade n’était possible.
Il arrive aussi que malgré une altitude permettant en principe de se rattraper en poussant le manche pour reprendre un peu de vitesse, on ne le puisse même pas. La profondeur mise à plein piqué peut ne plus réagir, parce que l’aile delta fortement cabrée, qui ne décroche à peu près pas quelle que soit son incidence, a trouvé à s’asseoir dans un régime de lente superstabilité dans lequel aucun braquage ne fait plus rien.
Il faut ajouter que ces pièges du second régime se produisent plus facilement sur des avions à réaction puisque leur plage de second régime est beaucoup plus étendue. Elle ne cesse pas à 1,2 vitesse de décrochage mais bien plus haut, à la vitesse de finesse maximum que nous avons par convention très approximative donnée pour 1,5 vitesse de décrochage. Autant dire qu’un avion à réaction approche toujours au second régime.
La différence ici entre avions à hélice ou à réaction tient à ce qu’on ne considère pas en avion à réaction une puissance, mais une force de poussée. Celle-ci équilibre la traînée, et c’est à la vitesse de finesse max que la traînée et donc le besoin de poussée est minimum.
En dépit de son allongement, nous observons sur le Boeing 737 de Flight Simulator de très belles catastrophes en approche au second régime trop prononcé. On a trop ralenti ; la traînée est devenue plus forte que les moteurs ; on découvre avec horreur que l’avion échappe au contrôle de la profondeur comme à celui des gaz. On se voit descendre puissamment, bien cabré, sans que la pleine poussée n’y fasse rien. L’appareil descend comme accroché aux deux parachutes de ses deux ailes et percute du ventre à vitesse verticale destructrice.
Nous ignorons le comportement réel de l’avion véritable en pareille circonstance.
Nous avons posé voici au moins deux pages la question de savoir si l’arrondi est toujours possible. La réponse est donc qu’il ne l’est pas toujours lorsque l’allongement est trop court, la traction ou poussée du moteur trop faible (quand même elle est forte dans l’absolu)… et donc a fortiori le moteur en panne.
Arrondir revient à faire passer à zéro un taux de chute de 3, voire 5 m/s sur un appareil sans finesse. Il faut un temps bref mais d’une certaine durée pour arrondir ; disons deux secondes. Il se peut que l’avion même à hélice possède – à notre avis par aberration – un allongement absurde de 3 ou 3,5. L’arrondi n’aura même pas le temps de se faire avant que l’énorme accroissement de traînée induite cause précisément un besoin nouveau de taux de chute encore supplémentaire. L’arrondi et donc l’atterrissage sans moteur d’un tel « piège » – ici le cas de le dire – sont impossibles. L’avion vu de profil semblerait presque descendre tout droit au sol sous forte pente rectiligne, tandis qu’aux dernières secondes son nez relevé par un pilote candide se mettrait en travers de la trajectoire rectiligne à peu près sans l’affecter.
On est ici dans le cas vu plus haut de l’avion ordinaire d’allongement normal voulant arrondir sans moteur avec ses volets complètement abaissés ; à cela près qu’il n’y a ici aucun volet qu’on puisse escamoter pour retrouver des conditions de plané sans moteur acceptables.
3 à 3,5 d’allongement existent sur certains monoplans ou sur certains avions biplans plus allongés, mais plus allongés par plan, l’assemblage des deux ne leurrant point la nature, qui « voit » bien que l’envergure de l’appareil reste minime.
Il reste en fait toujours possible d’arrondir… sous réserve d’avoir fait son approche planée non pas un peu au-dessus de la vitesse minimum, mais spectaculairement au-dessus. On finira bien à une certaine vitesse par disposer de la réserve d’énergie cinétique permettant la manœuvre d’arrondi. Puisque notre fer à repasser sans finesse doit approcher à vitesse de surcroît élevée, on déduit qu’il approche sous un angle confinant à un franc piqué. C’est donc une véritable acrobatie que devra faire son pilote. Après sa panne de moteur, il passera le seuil du pré à vaches à vitesse énorme (la haie d’en face est assurée de faire office de barrière d’arrêt), puis redressera sans la moindre erreur d’appréciation, ni trop tôt, ni trop tard sous peine de s’écraser d’une façon ou d’une autre. Nous connaissons le cas d’un pareil avion sans envergure tombé en panne sur la campagne. Le pilote avait d’innombrables milliers d’heures : l’appareil n’a été détruit qu’en partie, et le rachis du pilote bien tassé.
Notre paresse nous donne une dilection véritable pour les approches faciles. Le soir tombe ; il n’y a ni vent ni turbulence ; l’appareil au moteur réduit glisse dans un presque silence droit sur la piste, sans qu’un vent de travers le fasse craber. L’absence de remous revient à glisser sur des rails ; on voit la piste grandir et monter dans une absence d’efforts, une absence de sensation de mouvement autre que visuelle. C’est la parfaite simulation d’un simulateur.
Il arrive a contrario que la météo certains jours fasse regretter d’avoir décollé. Il se peut qu’un ciel sans vent notable au sol se révèle abominablement turbulent presque aussitôt l’envol. Il ne reste qu’à compléter un tour de piste en serrant d’autant plus les dents que la charge alaire est faible et que la sensibilité à la turbulence en est plus grande. La forte turbulence très déplaisante en altitude devient franchement odieuse en approche.
Nous décollons par un tel jour d’un aérodrome de tourisme aux commandes de notre monoplace à moteur de Coccinelle, appareil en bois et toile de 45 chevaux, 7 mètres d’envergure, 300 kg en charge, 30 kg au mètre carré. Ce dernier chiffre en fait une machine poids plume que la turbulence secoue sans politesse.
A deux mètres du sol nous découvrons une turbulence insupportable et grimpons le plus vite possible à 300 mètres compléter un seul tour de piste ; nous faisons le dernier virage de ce tour assez haut, 200 mètres, pour nous aligner en approche face à la piste. Nous exécutons ce virage plutôt haut parce que l’appareil s’est plusieurs fois déjà dans les turbulences jeté sans préavis à 30 ou 40 degrés d’inclinaison sur un bord ou l’autre ! Autant dire que nous ne tenons pas à faible hauteur à ajouter cet incident à notre dernier virage en cours d’exécution.
La ligne droite en descente est donc chahutée, malaisée : il faut alors conserver malgré la descente une bonne part des gaz. La turbulence violente fait de l’ULM en air agité une feuille de papier lâchée devant un ventilateur ; le maintien d’une certaine traction motrice lui permet de forcer en quelque sorte son passage.
Malheureusement, ajouter descente et conservation d’une fraction de la puissance donne une vitesse élevée à peine acceptable : le vitesse accroît la violence des chocs de la turbulence par ce temps affreux. Le pilote est durement cramponné à ses commandes. L’appareil en descente passe sous les 100 mètres, là où tout devient de plus en plus désagréable : une belle colline couverte d’arbres descend vers la piste parallèlement aux avions en approche ; les aéronefs en approche ne sont ainsi nulle part très au-dessus des cimes. La pente s’interrompt quelques hectomètres avant la piste, tandis qu’au pied de la colline passe une rivière encaissée dont la vallée resserrée est un fréquent nid de turbulences pires qu’ailleurs. La voilà ! On la survole à moins de cent mètres ; une main vigoureuse quoique invisible fait instantanément perdre à l’appareil quelques dizaines de mètres en le jetant peu au-dessus des arbres. Des chasseurs ont eu la riche idée se faire stationner leurs véhicules et leurs personnes sur la route longeant le terrain, et de le faire dans l’axe de la piste qui débute seulement 150 mètres après leurs têtes. En d’autres termes, les appareils en approche sur un plan de 5% ne passent que six mètres au-dessus des chapeaux tyroliens.
Mais à cet instant le petit aéronef que les chasseurs voient voler en descente vers eux se trouve, on l’a vu, jeté soudain de haut en bas peu au-dessus des feuillages. Les chasseurs entendent aussitôt le cri rageur du moteur remis d’urgence à pleins gaz ; l’avion se traîne à bien faible hauteur désormais ; il passe peut-être à moins haut encore que 6 mètres au-dessus des têtes et des 4×4. Les chasseurs ont l’impression que le pilote a désobligeamment voulu leur signifier de déguerpir, en plongeant sèchement devant leur nez, puis en faisant hurler son moteur tout en rasant leurs couvre-chefs.
Le pilote pendant ce temps songe surtout à atteindre la piste en priant qu’à peu de mètres du sol une turbulence n’aille pas le flanquer sans préavis à 45 degrés d’inclinaison sur une aile ou sur l’autre. Ce simple désagrément en altitude serait un désastre potentiel en rase-mottes. Par chance, un vent de face assez fort se lève alors. Il reste ainsi possible de garder une bonne vitesse par rapport à l’air sans courir trop follement par rapport au sol. On conserve alors des illusions de défense, puisque les commandes mordent quelque peu grâce à cette vitesse. Le pilote éprouve une étonnante impression vraiment physique de ramer en force contre les éléments, sans avoir loisir de savoir s’il a peur ou s’il se régale du plaisir de la peur. Voici l’entrée de piste. Sauvé. Sauf si la turbulence se réveille brutalement sur les trois ou quatre derniers mètres de hauteur. Elle reste pour l’instant modérée, et la trajectoire à peu près droite. Le sol est désormais juste sous les roues, mais l’appareil n’a pas envie de le toucher : la vitesse de l’avion par rapport au sol n’est pas très importante, car la vitesse du vent de face reste forte ; mais le chiffre inscrit au badin avec ce vent est élevée, volontairement élevé comme on a vu. Il faut pourtant se résigner à réduire les gaz pour se décider à toucher ! On passe alors gaz réduits quelques molles secondes sans capacité à réagir efficacement à une éventuelle secousse imprévisible. La réduction des gaz coïncide avec une déviation soudaine du vent fort qui passe de face à travers partiel. On n’en tombe que mieux sur la piste. Une roue touche certes, une seule, car l’aile dans le vent latéral énergique se soulève en soulevant la roue de même côté. L’appareil aurait bien envie de faire un cheval de bois sur l’aile abaissée, mais y renonce de peu. Voilà ; c’est fini…
Note : rappelons que le cheval de bois est la figure involontaire (hors le besoin d’éviter une collision au sol) à laquelle est vulnérable un avion à train classique, beaucoup moins stable au sol sur sa ligne droite que l’avion à roue avant. Le cheval de bois consiste à quitter la ligne droite souhaitée, pour partir en virage serré incontrôlé. Le cheval de bois est ainsi nommé par analogie au défilement d’un cheval de manège de foire. Il se termine généralement dans l’herbe hors piste à angle à peu près droit de la trajectoire initiale. Son rayon est court, la force centrifuge importante, et notable le risque de versement faisant toucher l’aile extérieure à la courbe. On peut aussi ajouter à cet incident habituellement bénin le possible « ground loop » des anglophones, l’aile accrochant le sol en faisant capoter queue par devant.
……………………….
43. POURQUOI PASSER AU RÉACTEUR ?
Pourquoi l’avion passe-t-il au turboréacteur lorsqu’il faut dépasser une certaine vitesse ?
La puissance qu’il faut pour voler toujours plus vite augmente sans cesse tandis que la résistance à l’avancement croît avec la vitesse. On en déduit qu’un avion toujours plus rapide devra brûler toujours plus de combustible par heure, ou par seconde. Or on ne brûle une certaine quantité d’essence qu’avec une certaine quantité d’air : il faut 15 fois plus de poids d’air que d’essence. Le problème du moteur puissant revient donc à aspirer un débit d’air suffisant.
Admettant qu’on puisse consacrer deux tonnes à un gros moteur à pistons, on est limité en cylindrée. Les plus gros moteurs atteignent 70 litres. Le moteur aspire d’autant plus d’air qu’il tourne vite et balaie plus de fois à la seconde sa cylindrée ; on est limité en régime de rotation notamment par les efforts d’inertie exercés sur les bielles et pistons, pièces en mouvement non rotatif. La limite est à peu près définie par une vitesse linéaire moyenne des pistons voisine de 15 m/s. Les gros moteurs sont alors aux alentours de 3000 t/mn.
On peut encore doubler, voire presque tripler le volume d’air aspiré par seconde en bourrant les cylindres au moyen d’un compresseur. On aboutit en fin de compte à des moteurs de 3500 à 4000 chevaux parvenant à brûler 200 grammes d’essence par seconde dans un peu plus de deux mètres cubes d’air aspirés dans le même temps.
(Un moteur de 70 litres et 3500 chevaux présente une puissance volumétrique de 50 chevaux par litre, ce qui est peu en regard d’un propulseur de moto ou de F1. Il ne faut pas en déduire qu’on quadruplerait encore aisément la puissance d’un moteur d’avion, et que les considérations qui précèdent sont pessimistes. Les puissances volumétriques élevées exigent des cylindres de très petit volume unitaire ; or une puissance totale énorme avec de tels cylindres exigerait en fait d’accoler une multitude de petits embiellages indépendants, et d’évacuer un débit de chaleur considérable dans un faible volume. Nous restons ici dans le cas des mécaniques raisonnablement simples sans imaginer des moteurs à pistons de dix mille chevaux, 256 cylindres et 16 vilebrequins).
Il faut donc un moteur basé sur un autre principe que les pistons, si l’on veut dépasser ce débit d’air et par conséquent la puissance fournie.
Un turboréacteur peut avaler de l’air sous forme d’une colonne de section égale à celle de sa surface frontale, ce qui veut dire qu’il peut visiblement brasser un volume gazeux spectaculaire. Un turboréacteur ancien à simple flux (dépourvu de la soufflante d’un double-flux) éjecte ses gaz brûlés à la valeur typique de 550 mètres/seconde. Il doit absorber 18 kg d’air par seconde par tonne de poussée. En effet la poussée se calcule par le produit :
18 kg/s x 550 m/s = 10000 newtons ou environ 1000 kgp.
Soit un réacteur modeste de trois tonnes de poussée. Il brasse le triple de la valeur précédente, ou 56 kilos d’air par seconde. On en déduit qu’il pourrait brasser assez d’oxygène pour y brûler à la seconde le quinzième de cette masse : 56/15 = 3,7 kg de pétrole. On obtiendrait alors un chalumeau qui se ferait fondre lui-même. On n’injecte pour ce motif que le cinquième environ du pétrole théoriquement brûlable : ici 3,7/5 = 0,74 kg/seconde. On est loin déjà des 200 grammes à la seconde des très gros moteurs à pistons. C’est ainsi qu’un assez petit réacteur est a priori capable de fournir une puissance hors de mesure avec celle d’une machine à pistons.
(Au rapport air/essence de 15/1, le moteur à pistons ne fond pas puisque la combustion n’est pas du tout continue).
Un chasseur de 2000 chevaux atteint environ 600 km/h au niveau de la mer. La vitesse du son à basse altitude est le double. La puissance requise pour l’atteindre serait donc octuple, ou 16000 chevaux. C’est difficile…
Calculs faits pour vous, les 2000 chevaux menant un chasseur à 600 km/h équivalent à 700 kilos de poussée : l’hélice tracte avec une force de 700 kg. Un réacteur de même poussée donne le même résultat, et c’est un tout petit réacteur.
……………………….
44. ÉQUIVALENCE ENTRE POUSSÉE D’UN RÉACTEUR ET TRACTION D’UNE HÉLICE
Nous aborderons bientôt l’avion à réaction. Préparons cette transition en considérant que le turboréacteur donne une poussée, mais que l’hélice pour peu qu’on la place propulsive en queue de l’avion donne aussi une poussée… Est « poussée » ce qui s’applique en arrière du centre de gravité, « traction » ce qui s’applique en avant. Un chasseur à réaction comme le YaK-23 peut à ce titre être considéré comme ayant une traction.
Mais alors que la poussée du réacteur ne baisse pas de 0 à 1000 km/h, celle de l’hélice va diminuer exactement comme se réduit la traction d’une automobile avec le passage successif des vitesses, c’est-à-dire avec l’accroissement de la démultiplication. Plus on va vite et moins cela tire. L’hélice à pas variable est l’équivalent d’une boîte de vitesses possédant une infinité de rapports.
Retenons qu’un moteur de 1 cheval donne via son hélice une poussée (ou traction) de 1 kg à une vitesse de 75 m/s, ou 270 km/h.
Deux fois plus vite il donnera deux fois moins : 0,5 kg à 540 km/h.
Deux fois moins vite il produira deux fois plus : 2 kg à 135 km/h.
(Ces valeurs de forces ont en fait à réduire de 20 % en admettant que le rendement de l’hélice soit de 80%, une valeur usuelle).
On voit sans mal qu’aux vitesses de pointe des chasseurs à pistons voisines de 200 m/s ou 720 km/h, l’hélice ne tracte plus que bien modérément. Cela est fâcheux puisque la traînée à équilibrer est alors à son maximum. Un type de propulsion dont la traction baisse lorsque croît la traînée n’est pas fait pour aller vraiment vite. Le réacteur dont la poussée se maintient sera d’évidence le maître au-dessus des 700 km/h que dépassent difficilement les chasseurs à pistons.
Il semblerait en revanche que l’hélice puisse en vertu du principe de démultiplication tirer extrêmement fort aux très basses allures. Cela est vrai dans une certaine mesure, sans aller jusqu’à l’absurde en supposant l’hélice capable d’une traction tendant vers l’infini au point fixe. L’hélice n’a pas comme la roue un point d’appui solide ; elle doit brasser de l’air pour donner une traction ; son diamètre fini ne trouvera pas cet air en quantité infinie. Une hélice moyenne au point fixe tire d’un nombre de kilos valant environ 2,5 fois le nombre de chevaux qui l’actionnent.
On sourit à relire des textes anciens insistant sur la difficulté prévisible d’emploi d’un futur moteur à réaction, le jour où on prétendrait le substituer à l’hélice. Des auteurs promettaient la presque impossibilité de décoller sur une longueur acceptable et de monter à taux convenable.
On partait implicitement de l’idée que le nouveau moteur serait taillé pour conférer à l’avion la même vitesse de pointe que l’hélice. Or celle-ci donne son minimum de traction à vitesse de pointe, mais davantage à toutes les allures moindres ; le réacteur de son côté donne en première approximation même poussée à toute vitesse.
Supposons une hélice tirant 2000 kilos au décollage et 700 kg à vitesse de pointe. Remplaçons-la par un réacteur donnant lui aussi 700 kilos de poussée à la même vitesse de pointe. Ce réacteur au décollage ne donnera pas 2000 kilos de poussée, mais toujours 700… Il montrera aux basses vitesses l’inefficacité du grand pignon sur un vélo de course.
On mettra donc plutôt un réacteur de 2000 kilos de poussée pour décoller correctement. Ce réacteur plus gros conservant sa poussée à vitesse élevée donnera donc au même avion une vitesse de pointe bien supérieure. C’est ainsi qu’en général un avion à réaction décollant convenablement sera nécessairement rapide.
A noter que l’on comprenait aussi mal ces questions au temps des automobiles carrées et sans aérodynamique des années 1930. Elles consommaient 15 litres à 100 km/h en plafonnant à 120. On savait qu’en les profilant comme on devait plus tard profiler l’étonnante DS, la même puissance les conduirait à 160 km/h ; cependant qu’à 100 km/h la traînée réduite ferait tomber la consommation à 7 ou 8 litres.
Or on écrivait qu’on se heurterait à d’insurmontables difficultés ; nous avons lu en substance ce qui suit dans un hebdomadaire prestigieux d’avant-guerre :
« Profilons une voiture banale aux formes anguleuses qui atteint 120 km/h en pointe. Deux possibilités se feront jour :
« Ou bien on remplacera son moteur par un autre suffisant pour lui faire atteindre également 120 km/h après profilage. La résistance de l’air ayant beaucoup diminué, le nouveau moteur sera bien moins puissant. Mais alors le véhicule sera d’une effrayante mollesse en accélération ou dans les côtes !
« Ou bien on laissera le moteur d’origine ; mais alors sa puissance que la résistance de l’air ne freine plus, entraînera conducteur et passagers dans une véritable chevauchée de la mort ! »
On oubliait qu’il suffirait de lever le pied.
On présumait implicitement qu’une sorte de miracle avait fait fabriquer jusque là, par hasard, des carrosseries dont la forte traînée coïncidait exactement aux besoins simultanés d’accélération convenable et de vitesse raisonnable.
……………………….
45. POURQUOI LE Me 262 SI RAPIDE ACCÉLÈRE-T-IL SI LENTEMENT ?
Les chapitres qui précèdent vont permettre de répondre à l’étonnement des pilotes alliés d’avions de chasse à hélice qui essayèrent en 1945 le biréacteur Messerschmitt 262. Ils supposaient intuitivement que cet avion, plus rapide que les machines à hélice, devait par conséquent pousser beaucoup plus fort au décollage. Ils s’étonnèrent de sentir au contraire une accélération sur la piste bien plus molle que dans leur Tempest habituel.
Que n’avions-nous déjà rédigé ces pages !
Chiffrons : les deux réacteurs de 900 kgp du Me 262 font une poussée totale de 1800 kgp à comparer à la masse de 5400 kg de l’avion ; le rapport poussée/poids est donc 1800/5400 = 1/3.
L’avion peut ainsi accélérer au maximum de 1/3 de g, soit, en prenant g = 10, gagner au roulage 3,3 m/s ou 12 km/h par seconde. Nous comparons le 262 avec un Tempest parce que la masse au décollage est la même. les 2200 chevaux d’un Tempest sont « démultipliés » à basse vitesse par l’hélice à pas variable. Nous savons que 2200 chevaux donneront 2200 kilos de traction à 270 km/h, ou 2 x 2200 kilos à vitesse moitié moindre de 135 km/h en pleine course d’envol.
L’avion pèse 5400 kg ; il accélère alors sous l’effet d’un rapport 4400/5400 = 0,81, à comparer avec le 1/3 ou 0,33 du chasseur à réaction. Le coup de pied aux fesses est l’affaire du Tempest et non du 262.
Hélas, la puissance constante du moteur à hélice implique avec la vitesse croissante une baisse de traction. Vous savez déjà calculer que les 4400 kilos de traction du décollage vont tomber à l’égal des 1800 kilos de poussée du Me 262 (supposés indépendants de la vitesse) sitôt atteinte l’allure de 330 km/h (vérifiez). Au-delà, l’hélice du Tempest tire de moins en moins tandis que les turbines du 262 poussent toujours autant. Ainsi l’avion le plus mou au départ est-il le plus rapide en fin de course.
La situation peut se comparer à celles de deux cyclistes différents. Le premier (Tempest) est un sujet ordinaire muni d’un vélo à 16 vitesses ; le second (Me 262) est un athlète ne disposant que d’un seul pignon, celui qui porte le mooins de dents. Chacun sait qui prendra de l’avance au départ, puis qui passera le premier aux mille mètres.
Les poussées fantastiques des réacteurs plus récents changent de nos jours la donne quant à l’accélération du départ.
NB : nous avons pour simplifier omis de compter le rendement de l’hélice (admettons 80%) dans toutes les comparaisons qui précèdent ; les tractions à attendre des hélices sont en fait à réduire ainsi de 20%.
………………………….
46. POURQUOI N’Y A-T-IL PAS DE RÉACTEUR SUR AVION LENT ?
Pourquoi le turboréacteur est-il presque inexistant sur avion lent ? Nous disposons déjà de quoi répondre.
Supposons un avion léger de 200 chevaux atteignant la valeur usuelle de 270 km/h ou 75 m/s : c’est la vitesse où les 200 chevaux donnent 200 kilos de traction, si du moins on oublie le rendement de l’hélice, qui abaisse le chiffre à 160 kg. Un réacteur de 160 kgp propulserait l’avion à même vitesse de pointe.
Mais le moteur de 200 chevaux gréé d’une bonne hélice à pas variable donne 500 kilos de traction au début du roulage et 300 en montée à vitesse modérée, ce qui assure un angle de grimpée correct. Le réacteur de 160 kgp ne fera ni l’un ni l’autre. Il faudrait le remplacer par un réacteur de 500 kgp, et l’avion lent ne serait plus un avion lent.
Voilà qui n’est pas à première vue motif à pleurer… Mais l’aéro-club sauterait-il sur l’occasion de voler plus vite ? Nullement, car s’ajoute la question de la consommation spécifique. Le moteur de 200 chevaux boit 40 litres horaires en croisière à 75% de sa puissance maximum, tandis que le réacteur de 160 kgp qui le remplacerait engloutirait 160 litres ; celui de 500 kgp 500 litres… (la surconsommation kilométrique et le détestable rendement s’effacent en approchant le haut subsonique).
A supposer que l’aéro-club finance la chose, l’autonomie de l’avion tomberait de 4 heures à 1 heure. Or l’avion de tourisme vole davantage au temps qu’au kilomètre : durée de la leçon, plaisir d’être en l’air.
Last but not least, l’avion lent est un avion économique de particulier ; or le turboréacteur coûte à effet égal cinq fois plus que le moteur à hélice certifié d’aviation (et trente fois plus que le moteur de voiture mis sur aéronef).
Quant aux riverains…
……………………….
47. LES MATÉRIAUX DE STUCTURE : BOIS, METAL, STRATIFIÉ
Discutons quelques pages des matériaux de construction. On en connaît fondamentalement trois : bois, métal et stratifié. Le choix du matériau n’est pas sans effet sur l’appareil ; il est donc utile de connaître ce qui est propre à chaque sorte de matériau.
Il serait ridicule de prétendre qu’un avion est vieillot en bois, moderne en métal, futuriste en stratifié.
Par « bois » il faut entendre presque toujours des résineux de la famille du sapin ; baguettes de tout calibre servant de membrures à des caissons de contreplaqué « aviation » très mince, usuellement de 1 à 3 mm. Là où ces structures assemblées par collage n’ont pas besoin de recouvrement plein, comme sur l’arrière des ailes d’avions peu lourds, l’entoilage bien tendu et bien enduit garnit les vides. La toile jadis de lin ou de coton est remplacée à peu près toujours par un synthétique sans limite de durée de vie tel que le Dacron. La cellule en bois est elle aussi sans limite de vie précise, pourvu que la colle soit synthétique ou du moins très bien protégée par vernissage. Les fibres du bois sont liées par une substance molle qui amortit parfaitement les vibrations, donnant à ce matériau un potentiel considéré souvent comme indéterminé. Il est vrai que le bois s’est toujours appliqué à des machines de plaisance volant peu d’heures, ou à des appareils commerciaux anciens qui n’en faisaient guère plus.
Il faut évacuer de l’esprit toute idée de fragilité due à l’assemblage par collage ; brisé volontairement, un bout quelconque d’avion casse dans le bois même et rarement par décollement.
La densité des bois résineux va le plus souvent de 0,4 à 0,6.
Le « métal » recouvre généralement les alliages légers d’aluminium bien moins résistants à section donnée que les aciers spéciaux, mais au moins aussi solides poids pour poids. Le fuselage en treillis de tubes d’acier soudé est une forme accessoire de construction métallique, généralement restreinte aux fuselages d’avions légers.
La densité des aciers est 8. La résistance à la traction ou compression part d’un minimum à la rupture de 40 kg par millimètre carré de section pour l’acier doux « à ferrer les ânes », tout juste employé à quelques ferrures de peu d’efforts. Les aciers les plus tenaces frôlent 200 kg de résistance au mm² avec l’acier des câbles. La densité de l’aluminium est du tiers (2,7) mais sa ténacité n’excède pas 20 petits kg au mm² : c’est un métal médiocre malgré sa légèreté. Aussi les Allemands à qui l’on doit les premiers avions métalliques notables (chasseurs Junkers de 1917) se résignèrent-ils tout d’abord à l’emploi de très bons aciers. Très vite pourtant se généralisa partout le métal roi de l’aviation : le duraluminium ou duralumin, ou dural. Ces mêmes Allemands le mettaient au point dès le commencement du siècle pour leurs zeppelins. Il s’agit d’un aluminium certes plus « dur », mais dont la première syllabe vient de la ville de Düren où on l’inventa. C’est de l’aluminium allié à 4 % de cuivre et à quelques autres petites choses qui, sans changer sa couleur et à peine sa densité, en doublent la résistance ultime : elle dépasse un peu 40 kg du mm². C’est poids pour poids l’équivalent d’un acier trois fois plus résistant.
On inventait peu avant la Seconde Guerre mondiale le zicral, un alliage léger d’aluminium additionné de zinc. Sa résistance monte vers les 60 kg du mm² sans augmentation de densité. Le Zéro lui doit pour partie sa légèreté et… sa vulnérabilité, le zicral détestant les coups. Le zicral fait cependant d’excellentes jambes flexibles de trains d’avions légers.
D’autres alliages légers d’aluminium ont vu le jour depuis, comme les fameux alliages au lithium eux aussi dans la gamme des 60 kg/mm². Le lithium à l’inverse du cuivre ou du zinc est le plus léger des métaux et offre la densité du bois ! Par chance il ne fait pas qu’alléger la moyenne de l’alliage ; il lui confère aussi d’excellentes caractéristiques mécaniques dont un physico-chimiste ne manquera pas de vous donner la raison.
Quant au fameux titane…
Il est surtout invoqué à propos des avions très rapides comme le SR-71 qui doit affronter le « mur de la chaleur » auquel l’aluminium ne résiste pas. Un avion d’aluminium ne dépasse guère en continu le Mach 2 du Concorde, à cause de l’échauffement.
On tend à penser que le titane est beaucoup plus réfractaire que l’acier, ce qui n’est pas ; il est seulement presque deux fois plus léger avec une densité de 4,5 tandis que ses qualités mécaniques et thermiques sont comparables. Son prix le réserve aux applications inévitables. L’une d’elles peut être la mise à la norme d’un ULM s’avérant un rien trop lourd : on remplace à grands frais les boulons ordinaires par de la visserie en titane.
Reste la classe la plus moderne des stratifiés. « stratifié », « composite », « résine », « fibre de verre », « plastique » désignent la même chose. La fibre cependant peut être de verre ou de carbone.
« stratifié » est la meilleure appellation : des strates, des couches de tissu de verre sont empilées serré dans une imprégnation de résine synthétique durcie après enduction des tissus ; cette résine est le « plastique ».
Noter l’expression étrangère défectueuse « fiberglass-reinforced plastic » souvent rencontrée, traduite avec servilité « plastique renforcé de fibre de verre ». Or le verre assure presque toute la résistance de l’ensemble et n’a rien d’un « renfort ».
Le verre ordinaire sans doute n’est pas très solide, mais possède la propriété qu’ont beaucoup de matériaux de voir croître énormément leur résistance quand on les réduit au diamètre de fils ténus. Voir l’araignée. De tels fils de verre perdent en même temps leur rigidité, si bien qu’on en fait des toiles d’une résistance étonnante et valant celle du meilleur acier ; il est presque impossible de rompre à la main l’un de ces cheveux de verre qu’on détache d’un tel tissu. Il faut dire qu’il dissuade de tirer vraiment fort, puisque sa finesse tend à couper la chair. La résine qui l’enveloppe sert à bloquer la fibre de façon rigide.
On fait également grand usage d’autres « tissus » de verre qui ne sont pas tissés puisque toutes les fibres sont parallèles : les unidirectionnels qui ont ainsi deux fois plus de résistance dans le sens du fil. Ils n’ont que la résistance de la résine dans l’autre sens, mais le bois n’est pas fait autrement.
Les stratifiés de verre ont des densités de l’ordre de 2 et des résistances analogues à celle des alliages légers.
La fibre de carbone fort chère est encore deux fois plus résistante ; elle autorise des pièces qui autrefois massives, sont désormais de poids plume. On en fait de remarquables longerons. La faible quantité requise compense partiellement le prix. La fibre de carbone se signale en particulier par sa rigidité : elle permet sans flèche exagérée ni torsion génératrice de traînée, la construction de voilures de planeur de plus grand allongement que le verre.
Sur quelles bases élit-on un matériau plutôt qu’un autre ?
Bois, alliage léger ou stratifié donnent des avions de poids le plus souvent assez comparable. Le bois tend à donner les masses les plus légères en avion de tourisme. La faible ou forte densité d’un matériau ou d’un autre est à peu près proportionnellement compensée par sa forte ou faible résistance à section donnée. Mais les densités qui vont de 1 à 15 entre le bois et l’acier induisent sur la géométrie et les performances des avions des spécificités qui font que ce chapitre sur les matériaux n’est pas aussi hors sujet qu’il pouvait y paraître.
Le métal a remplacé le bois parce que le métal de qualité garantie est disponible plus abondamment que le bois sans défaut, et aussi parce que le travail du métal est en général plus rapide dans l’industrie ; mais le métal se corrode, n’aime pas les vibrations et se voit pour ce motif imposer des vies limitées. Le stratifié de carbone permet enfin des gains de poids notables. Les stratifiés durcis dans des moules autorisent des formes idéales sans qu’on ait à pratiquer des usinages terrifiants ; ils permettent aussi des durées de vie fort longues, des inspections très espacées et presque de pur principe. Ils sont invulnérables à la corrosion.
Les efforts mécaniques dans la cellule sont en gros de deux espèces. Il est des efforts qu’il est possible de concentrer avec beaucoup d’intensité sur des pièces localisées de section réduite : en particulier les efforts de flexion dans les longerons. On a aussi des efforts diffus de torsion qu’on est obligé de répandre dans tout une structure étendue, telle le caisson qui fait le volume de l’aile ou du fuselage. Qui dit structure étendue dit par nécessité minces épaisseurs (un avion n’est pas un bateau cuirassé), et les minces épaisseurs sont fortement sujettes au plissement, ou voilement, ou flambage.
Un longeron est peu large ; il est « rempli » d’efforts de flexion intensément concentrés. Il se permettra d’employer sa modique section de matériau constitutif au maximum de sa résistance ; il sera donc aussi peu lourd que la matière l’autorise.
Il en va tout autrement pour un revêtement étendu d’aile, une coque de fuselage, qui sont bien forcés d’être présents partout où il y a de l’avion. Or un revêtement plissera, flambera jusqu’à sa destruction rien qu’en raison de sa minceur. Il plissera bien avant l’atteinte de la résistance ultime théorique de son matériau : le matériau travaille avec un rendement faible. Que le Créateur supprime la destruction en plissement : les revêtements pourront descendre à l’épaisseur du papier à chocolat.
Nous voici confrontés à la densité du matériau.
Une feuille mince mais très résistante en contreplaqué de bouleau, constituant le caisson d’une aile ou d’un fuselage, pourrait plisser sous les efforts ; mais le contreplaqué résistera spectaculairement si deux feuilles d’épaisseur moitié de la première sont collées sur chaque face d’une épaisse couche peu solide mais très légère de balsa : c’est la construction en sandwich du Mosquito. Les feuilles minces ont ici perdu leur sensibilité au plissement en étant partout raidies par leur collage sur un matériaux qui les fait « tenir droit ».
En construction plus contemporaine, deux minces voiles de stratifié donneront une structure analogue quand ils seront collés sur les deux faces d’une plaque épaisse de mousse au poids minime.
C’est l’épaisseur qui fait tout pour la résistance aux efforts diffus. Un contreplaqué seul devra souvent être inutilement sur-épais, à la seule fin de ne pas plisser.
Que dire alors d’une feuille de métal dix fois plus résistante à épaisseur égale pour les efforts concentrés… mais guère plus pour les efforts diffus ! Dix fois plus mince, elle se froisserait à la moindre déformation ; le métal n’est ainsi pas un bon matériau de revêtement pur. On s’arrange alors sur avions un peu lourds pour que la peau de métal contribue par exemple en flexion à décharger et alléger le longeron d’une aile ; on raidit alors cette peau par foule de cornières intérieures. Le stratifié pose un problème similaire.
Sans doute a-t-on inventé le sandwich épais en métal, c’est-à-dire la tôle de métal collée sur un nid d’abeilles, donnant un poids étonnamment léger pour sa tenue au plissement. Ce n’est hélas pas un matériau bon marché : Hustler, Valkyrie.
Tout change lorsqu’on s’intéresse aux longerons et autres pièces de faibles sections mais de fortes épaisseurs (les semelles d’un longeron font couramment plusieurs centimètres d’épaisseur) et travaillant à leur résistance maximum en flexion sans souci de plissement – en raison précisément de cette forte épaisseur.
Lorsque l’avion est de proportions ordinaires, un caprice de la nature fait que le bois, le dural ou le stratifié donnent un poids de cellule voisin. Le bois est un peu avantagé ; il n’est souvent écarté que pour des raisons d’approvisionnement et de temps de construction : un avion léger en métal simplement riveté sans usinages complexes passe pour plus vite assemblé qu’un appareil en bois.
La cellule en métal ne reste aussi légère qu’en bois que moyennant des usinages complexes, presque impossibles chez le particulier. Il s’agit de partout enlever la matière qui n’est pas strictement nécessaire. Autant une semelle de longeron en bois se rabote facilement pour être affinée en allant vers le bout de l’aile, autant (nous simplifions) l’amateur à domicile est tenté de laisser jusqu’à ce bout la section entière des profilés de métal adoptés pour la racine de l’aile. L’industrie elle-même fait quelque peu de même pour vendre à prix abordable des avions de simple plaisance.
L’acheteur d’un avion en métal peut ensuite selon les modèles reperdre peu ou prou en essence et performances ce qu’il aura gagné à l’achat en heures de main d’oeuvre.
La faible densité du bois a donc pour avantage que le contreplaqué s’avère un bon matériau de coffrage épais et léger. La faible densité du bois et sa faible résistance par unité de section devient un handicap dans les longerons lorsque l’aile devient le siège d’efforts de flexion vraiment importants.
Une aile de chasseur à hélice garde un allongement et une épaisseur comparables aux valeurs d’une aile d’avion léger ; mais les facteurs de charge proportionnellement doubles ou triples qu’elle doit supporter exigent pour les semelles de son longeron une résistance énorme. Résistance énorme avec du bois veut dire semelles très épaisses ; semelles très épaisses signifie présence de bois sur presque toute l’épaisseur de l’aile ; or chacun sait que le matériau proche du milieu de l’épaisseur d’une pièce travaillante est pratiquement en grève. Des semelles en métal au contraire peuvent rester assez peu épaisses (disons un centimètre ou deux pour trois décimètres d’épaisseur d’aile), laissant le matériau travaillant bien éloigné du centre. Le matériau ainsi employé au meilleur de ses capacités sera « léger ». De fait, la voilure en bois remplaçant pour cause de pénurie de métal l’aile initiale du chasseur Hayate est-elle sensiblement plus lourde ; de même les chasseurs Yakovlev à hélice se sont-ils progressivement défaits de leurs voilures premières en bois.
Une autre façon d’infliger des efforts de flexion très importants à une aile est d’en augmenter notablement l’allongement pour des raisons de finesse.
Soit une aile d’avion léger de forme ordinaire. L’allonger à surface égale pour donner plus de finesse à la machine revient à augmenter l’envergure en réduisant la corde, et donc aussi l’épaisseur de la voilure. Soit une aile d’envergure 10 mètres et d’allongement 5 : sa corde vaut 2 mètres, sa surface 20 m², son épaisseur maximum 30 cm si l’épaisseur relative du profil employé est de 15%.
Etirons-là à 15 mètres d’envergure en conservant 20 m². La corde passe à 1,33 mètres, l’allongement à 15/1,33 = 11,3, et l’épaisseur maximum descend à 1,33 x 15% = 20 centimètres.
D’une part le milieu de chaque aile s’est éloigné du fuselage, si bien que l’effort de flexion à l’emplanture s’est accru par allongement du bras de levier moyen ; d’autre part le longeron ne peut plus faire que 20 cm de hauteur au lieu de 30. Pour ces deux motifs cumulés, le longeron aura des semelles beaucoup plus épaisses (et/ou plus larges), sera beaucoup plus « plein » et plus lourd : les planeurs d’allongement extrême ne peuvent plus être en bois, même plein (1).
Là ne cessent pas les malheurs du longeron de bois. Ce matériau est le plus flexible et le plus facile à tordre. Un allongement considérable finit par donner à l’aile une flèche en vol exagérée, source de difficultés pour le mouvement de divers éléments comme les timoneries d’ailerons et les ailerons eux-mêmes.
Une aile subit non seulement des forces de flexion, mais aussi de torsion : le plus souvent, le bord d’attaque de l’extrémité tend à être tordu vers le bas. Il en résulte une moindre adaptation de la voilure à son vol et une perte de finesse pour un planeur. Or une aile courte et de forte section est naturellement beaucoup moins affectée par la torsion qu’une aile longue de faible section. Expérience : coincer le bout d’un tuyau court de bon diamètre, puis celui d’un tuyau long de petit diamètre fait du même matériau en même épaisseur. Chercher à les tordre par l’extrémité libre. L’un est « intordable », l’autre se vrille aisément.
Ainsi les planeurs sont-ils passés bien avant les avions du bois à la fibre de verre et même de carbone, dont la résistance à la flexion comme à la torsion dépasse largement celle du bois ; elle permet des ailes longues et minces que même l’alliage léger n’autorise pas toujours.
Un bon exemple est le tout petit et admirable ULM Luciole de Michel Colomban, un monoplace très rapide avec 200 km/h, très sobre avec son moteur de 25 chevaux à 4 temps, excellent grimpeur pour sa puissance. Il obtient ces beaux résultats avec seulement 97 kg à vide. Il est presque tout en bois sauf le longeron d’aile en carbone.
Le concepteur aurait pu faire un appareil très ordinaire entièrement en bois, aux performances nettement moindres. Une analyse de l’engin montre que les performances étonnantes sont dues à une aile de faible surface et d’allongement élevé. Or on ne peut glisser dans l’épaisseur de cette aile un longeron de bois assez haut pour être léger : la machine prendrait d’emblée 10 à 12 kg, puis exigerait davantage d’aile en retour, etc. Le Luciole ne serait plus que l’ombre de lui-même.
Le Luciole a donc un longeron – et le longeron seulement – en carbone, essentiellement pour le motif de son allongement élevé.
(1) On a beaucoup utilisé pour les longerons de planeurs le bois compressé au cours des années 1950 et 1960, avant la généralisation du « plastique » sur cette catégorie de machines. Du bois imprégné de résine et comprimé à la presse atteint une densité supérieure à celle de l’eau, et une résistance mécanique en proportion. Voir les minces règles de bureau faites en ce matériau ; on ne les brise pas à la main.
……………………….
48. ANALYSE PHYSIQUE DE LA POSTCOMBUSTION ET DU DOUBLE-FLUX
Passons sur avion à réaction pour juger des différences de comportement et de pilotage d’avec les appareils à hélice. Nous avons déjà vu ce qu’il en est pour l’accélération au décollage, où l’hélice tire mieux que le réacteur.
Tout en ayant un mode de propulsion dont les manifestations s’analysent plus simplement, l’avion lui-même vole selon une mécanique plus subtilement complexe. C’est un domaine en partie nouveau à explorer.
On ne parle guère de la puissance d’un turboréacteur mais de sa poussée qu’on exprime en kgp (kilos de poussée) ou bien en kN (kilonewtons) lorsqu’on se veut à la page. Le kgp se passe de définition. Il contient 9,81 N. En chiffres ronds le kN vaut donc 100 kgp.
Circonstance remarquable, le réacteur dans tout le domaine subsonique donne depuis l’arrêt jusqu’aux vitesses élevées une poussée sensiblement constante, alors que la traction de l’hélice mue par un nombre de chevaux constant diminue avec la vitesse. Elle fonctionne en cela comme la traction d’une voiture, baissant progressivement de la première à la cinquième vitesse.
Le réacteur conserve aux différentes vitesses une poussée à peu près constante à altitude constante. Comme le moteur à pistons il perd en altitude ; mais il perd grosso modo comme un moteur à pistons non compressé (il perd en proportion de la baisse de densité de l’air), puisque aucun organe en amont du compresseur du réacteur ne tient le rôle du compresseur du moteur à pistons (qui fait au préalable de l’air dense avec de l’air raréfié). En résumé, un réacteur à 12 000 mètres ne donne plus qu’à peu près le quart de sa poussée au sol.
Le moteur à pistons ne peut absorber qu’un débit limité d’air pour y brûler de l’essence : sa cylindrée est faible et ne se renouvelle que quelques dizaines de fois par seconde. Le moteur ne peut ainsi brûler qu’une quantité restreinte de carburant par unité de temps. Il faut une énorme machinerie pour donner les 3500 à 4000 chevaux des plus gros moteurs à pistons d’aviation.
Il en va bien autrement du turboréacteur, qui à travers une section intérieure souvent voisine du demi-mètre carré voit passer de l’air à plusieurs centaines de mètres par seconde. Un gros débit de pétrole peut brûler dans cet énorme flux d’air. Les énormes puissances que donne le réacteur en regard du moteur à piston ne s’expliquent pas autrement : le turboréacteur « à sec » consomme un à trois litres par seconde lorsque le plus gros moteur à pistons ne dépasse guère une quinzaine de litres à la minute.
Je suppose connu du lecteur le principe de base du turboréacteur, dessiné en coupe dans cent ouvrages. C’est le réacteur à simple flux, le plus ancien et le plus simple. Un seul flux d’air y traverse successivement compresseur, chambre de combustion et turbine d’entraînement du compresseur.
Les fiches techniques qui donnaient autrefois les poussées des turboréacteurs en kilos de poussée, les donnent souvent aujourd’hui en newtons ou plutôt en son multiple le kilonewton (kN). Mille newtons font 102 kgp. Ainsi l’Atar 9K50 de 7200 kgp fait-il 70,5 kN.
Cette belle avancée de la rigueur scientifique fait qu’il n’existe plus de rapport instantanément visible entre poussée et poids (qui détermine la pente de montée) ou bien entre poussée et masse (qui détermine l’accélération et la distance de décollage). On pourrait certes tourner la difficulté en donnant la masse de l’avion en… quintaux. Un kilonewton égale pratiquement un quintal-force. Nous pensons être parmi les premiers auteurs à en faire l’observation, moins inutile qu’on ne pourrait croire.
Il semble intéressant de s’arrêter sur deux dispositifs particuliers d’augmentation de poussée d’un réacteur de base à simple flux. Le plus brutal est la postcombustion, ou réchauffe ; le plus subtil tient à la modification en turboréacteur de base en turboréacteur à double flux.
Il n’est pas possible dans un réacteur d’injecter dans l’air compressé autant de pétrole qu’il pourrait en brûler, à l’inverse de ce qu’on fait dans le moteur à pistons. Le débit de carburant énorme et continu (pas d’explosions séparées par des temps morts) le changerait en chalumeau vite fondu. A peine injecte-t-on alors le cinquième du pétrole théoriquement brûlable.
Puisqu’il reste ainsi manifestement beaucoup d’oxygène inemployé, il est aisé de brûler un surcroît de carburant après la turbine : on l’injecte directement dans l’échappement du réacteur « à sec » ; c’est la postcombustion ainsi nommée parce qu’elle se déroule derrière la turbine tandis que la combustion normale de produit avant la turbine.
L’air chauffé davantage par cet apport de chaleur se dilate encore, ce qui dans le même volume de tuyère fait échapper les gaz jusqu’à moitié plus vite : la postcombustion accroît habituellement de 50 % la poussée à sec des réacteurs de chasseurs.
La poussée « à sec » sans postcombustion (dry thrust) est également appelée en anglais du terme peu clair de « military thrust » souvent rencontré.
Le gain de poussée de la postcombustion a cependant lieu au prix d’une dépense d’énergie impressionnante. Rappel au chapitre 28 : on augmente non la masse éjectée (la masse du carburant compte peu) mais la vitesse d’éjection : très mauvaise affaire au plan énergétique.
Un réacteur de type ancien comme un Atar de Mirage consomme sans postcombustion 1 kg de pétrole à l’heure par kilo de poussée fourni. Allume-t-il sa postcombustion pour gagner 50 % de poussée : la consommation spécifique totale (sec plus postcombustion) saute à 2,5 kg/kgp/h. Vous vérifierez que le kilo de poussée supplémentaire venant de la postcombustion seule coûte 5,5 fois la consommation du kilo de poussée à sec.
Lorsqu’un chasseur de 10 tonnes de poussée boit 25 tonnes de pétrole à l’heure à basse altitude tandis que ses réservoirs n’en contiennent que trois tonnes, on devine la brièveté de son temps de fonctionnement à pleins gaz. Il vide son pétrole en 7 minutes.
Les choses s’améliorent en haute altitude où la plus faible densité de l’air modère l’appétit de la postcombustion et la rend utilisable sensiblement plus longtemps. On atteint trois quarts d’heure dans un Mirage IV bourré de pétrole presque jusque dans la thermos de café du pilote.
Un moyen plus élaboré d’accroître la poussée est d’accroître non la vitesse d’éjection, mais le débit d’air éjecté, et en réduisant même la vitesse moyenne d’éjection. Il faut ici transformer considérablement le réacteur de base bien plus qu’en le prolongeant d’une tuyère vide de postcombustion. On crée un réacteur à double flux.
On demande alors à la turbine d’emprunter aux gaz issus de la chambre de combustion plus de puissance qu’il n’est besoin pour entraîner seulement le compresseur. Le supplément entraîne la soufflante, ce ventilateur multipale géant qu’on voit à l’avant d’un moteur d’avion de ligne. La soufflante propulse un flux d’air froid, certes plus lent, concentrique extérieur au réacteur. Il n’y est brûlé aucun pétrole.
La puissance empruntée par la turbine au flux chaud pour entraîner la soufflante réduit évidemment un peu la vitesse d’éjection des gaz chaud, et donc leur poussée ; mais le supplément de poussée qu’ajoute le flux froid l’emporte sur cette perte, accroissant la poussée totale pour la même consommation de carburant. Le double flux est de la sorte un second moyen d’augmenter la poussée du moteur de base, mais au prix d’une refonte au lieu du simple ajout d’une tuyère de postcombustion.
Le flux froid n’est que refoulé mécaniquement par la soufflante ; on n’y injecte pas de carburant, puisqu’il ne s’agit pas de faire autour du premier moteur un second de même principe. Le flux froid n’entraîne au passage aucune turbine non plus, puisqu’il n’a d’énergie que celle donnée la soufflante. Sa vitesse d’éjection est lente, intermédiaire entre celle d’une hélice et celle du flux chaud.
Le flux froid sur un réacteur militaire peut cependant être muni d’une « réchauffe », c’est-à-dire d’une post-combustion qu’on ne peut appeler post-combustion puisqu’il n’y a eu aucune autre combustion en amont sur ce flux.
Rappel au chapitre 28 : accroître la poussée sans accroître la vitesse d’éjection (et même en la diminuant) mais en accroissant la masse éjectée : bonne affaire au plan énergétique. La consommation spécifique d’un réacteur à double flux est plus basse que celle d’un réacteur simple et ancien à simple flux.
Ce même rappel au chapitre 28 nous indiquera qu’à l’inverse la postcombustion est une très mauvaise affaire au plan énergétique, puisqu’au lieu d’accroître la masse éjectée on en accroît la vitesse. La surconsommation spectaculaire de la PC en résulte.
Précisons la question de la postcombustion et du double flux, en partant d’un réacteur à simple flux éjectant à 500 m/s un débit d’air de 20 kg par seconde. Il donne une poussée de 500 x 20 = 10 000 newtons, ou 1000 kgp, une tonne de poussée.
Il injecte donc dans le flux éjecté une puissance de :
1/2. m v² = 1/2 . 20 . 500² = 2 500 000 watts.
En ajoutant une postcombustion, portons après la turbine la vitesse de l’air éjecté de 500 à 750 m/s. La poussée de 1 tonne devient :
750 x 20 = 15 000 newtons, ou 1500 kgp, ou 1,5 tonne de poussée : gain de 50%
Cette fois la puissance injectée dans le flux d’air est :
1/2 . m v² = 1/2 . 20 . 750² = 5 625 000 watts : 2,25 fois plus.
Il a fallu dépenser 2,25 fois plus d’énergie, donc au minimum 2,25 fois plus de pétrole (on a vu que c’est bien plus en fait) pour 1,5 fois plus de poussée. Le rendement de la postcombustion est déplorable.
Créons à présent un réacteur à double flux. Ne mettons plus de postcombustion à notre réacteur initial de 1000 kgp, mais une turbine puisant dans son air chaud en sortie de la chambre de combustion davantage de puissance, afin d’entraîner une soufflante qu’on va greffer à cette mécanique pour qu’elle éjecte un flux froid de, pour exemple, même débit massique que le flux chaud initial (soit 20 kg/s lui aussi).
On supposera que le flux froid est éjecté par la soufflante à 250 m/s, la moitié de la vitesse du flux chaud.
Poussée additionnelle due au flux froid :
250 x 20 = 5000 newtons, ou 500 kgp (donc, poussée totale du réacteur devenue là encore 1,5 tonne).
Puissance qu’il a fallu injecter dans le flux froid :
1/2 . m v² = 1/2 . 20 . 250² = 625 000 watts. (donc, puissance totale injectée dans les deux flux réunis : 3 125 000 watts). (1)
On a la même poussée qu’avec la postcombustion, au prix d’une dépense de 3 125 kW au lieu de 5 625 kW.
Si l’on avait simplement grossi le réacteur initial pour en faire un simple flux brassant non pas 20, mais 30 kg/s d’air éjecté encore à 500 m/s, on aurait encore obtenu 1,5 tonne de poussée pour une dépense de puissance injectée dans le flux de :
1/2 . m v² = 1/2 . 30 . 500² = 3 750 000 watts, ou 3 750 kW.
Résumé :
– le réacteur simple flux de 1,5 tonne de poussée consomme 3 750 kW ; il éjecte 30 kg/s à 500 m/s
– le réacteur post-combustion de 1,5 tonne de poussée consomme 5 625 kW ; il éjecte 30 kg/s à 750 m/s
– le réacteur double flux de 1,5 tonne de poussée consomme 3 125 kW ; il éjecte 20 kg/s à 500 m/s et 20 kg/s à 250 m/s, soit 40 kg/s à 375 m/s de moyenne
Nous avons comparé le double flux et la postcombustion en guise d’exercice relatif au rendement des machines de principes opposés. Chaque principe est évidemment irremplaçable par l’autre en règle générale. Le double flux à fort diamètre est inapte au supersonique ; la postcombustion se greffe sur un moteur existant, et, présentant beaucoup de similitude avec le statoréacteur, s’avère le moyen le plus radical de pénétrer les très hautes vitesses.
Les premiers réacteurs allemands comme ceux du Me 262 consommaient 1,4 kg/kgp/h. Toujours à simple flux, les réacteurs plus évolués autour de 1950 buvaient encore 1 kg/kgp/h ; l’Atar des Mirage est de cette sorte. Après la guerre les avions de ligne et les bombardiers à très long rayon d’action sont restés longtemps à pistons, parce que la consommation des réacteurs retarda longtemps l’apparition de machines commerciales de distance franchissable suffisante. Après des réacteurs à simple flux moins gourmands vint le double-flux à soufflante de diamètre modérément plus fort que celui du moteur de base ; elle n’ajoute qu’un volume de flux froid limité, comparable en débit au flux chaud du moteur de base. Le taux de dilution est le rapport massique du flux froid sur le flux chaud. On pressent que la consommation spécifique baisse avec l’importance relative de la soufflante et donc la valeur croissante du taux de dilution.
Avant-dernière version du B-52, le modèle G était encore muni de réacteurs à simple flux raisonnablement sobres pour ce type de propulseur : moins de 0,9 kg/kgp/h. Le modèle ultime B-52H possédait des réacteurs à double flux de première génération à soufflante et taux de dilution modeste encore ; leur consommation descendait modérément à 0,775 kg/kgp/h. L’avion n’en gagnait pas moins sur le B-52G trois mille kilomètres de distance franchissable, dont plus de la moitié par le biais du double flux.
Les colossaux moteurs à double flux des avions de ligne actuels avec leur taux de dilution de 5 ou 6 consomment environ 0,5 kg/kgp/h. Ce sont presque des hélices multipales carénées qu’entraînerait un turbopropulseur.
On a compris que la généralisation du réacteur à double flux tient moins au désir de fournir plus de poussée qu’à celui de réduire la consommation. Il était intéressant pourtant de comparer postcombustion et double flux, parce que l’une et l’autre fonctionnent exactement à l’inverse en matière de principe et de rendement.
Quelques mots encore sur l’injection d’eau méthanolisée dans certains réacteurs. Le J75 du F-105 doit propulser le plus lourd monomoteur au monde à son époque. A sa postcombustion s’ajoute encore l’injection d’eau.
Son principal effet est de réduire par sa vaporisation la température en entrée de turbine des gaz issus de la combustion du pétrole. Or cette température est généralement le facteur limitant la poussée du réacteur. Cette température abaissée, il n’est pas gênant d’accroître la vitesse de rotation du moteur. Il avale alors davantage d’air et pousse davantage en brûlant davantage de pétrole, jusqu’à rattraper la température permise en entrée de turbine.
L’aérodynamique du réacteur à double-flux de taux de dilution important et de très fort diamètre n’est pas adaptée au vol supersonique. Le réacteur M53 de la SNECMA destiné aux chasseurs présente un modeste taux de dilution de 0,4. Cela réduit la consommation spécifique de 10 ou 15 %.
Revenons un instant sur la tuyère de post-combustion. Elle pourrait se limiter à un tuyau droit dans lequel se dilateraient encore en accroissant leur vitesse les gaz issus du réacteur au sortir de la turbine. Mais ce faisant le pression monterait sur le fond de la tuyère, comme dans un moteur de fusée ; cette contre-pression serait de fâcheux effet de contre-pression sur la sortie des gaz de la turbine et le fonctionnement global du turboréacteur dont le débit et la poussée serait réduits, allant à l’inverse du résultat cherché.
Il importe donc de dissocier les pressions dans l’écoulement des gaz en sortie de turbine et dans la tuyère de post-combustion. On conforme alors la tuyère de PC en statoréacteur monté derrière le turboréacteur, c’est-à dire en lui donnant sur sa longueur une section évolutive (et réglable en vol).
Dans le cas extrême du turboréacteur J58 faisant voler à mach 3,2 le SR-71, la postcombustion-statoréacteur est poussée à l’extrême, une part de son air étant fournie normalement par la sortie du turboréacteur mais une autre part via des canaux d’air frais venus de la prise d’air avant, et contournant le turbo. Celui-ci ne donne plus que 15% de la poussée ! contre les deux tiers au décollage.
(1) Nous avons un peu triché au profit du double flux (et de la simplicité du raisonnement) en oubliant de baisser un peu la vitesse d’éjection du flux chaud, inévitable puisqu’il a fallu y puiser l’énergie supplémentaire destinée à entraîner la soufflante.
………………………….
49. UNE RÈGLE FONDAMENTALE À RETENIR
Retenons cette règle qui déterminera fondamentalement les différence de comportement entre avion à hélice ou à réaction :
Entre la vitesse de décrochage et environ son double, la puissance requise (hélice) ou la poussée nécessaire (réacteur) ne croissent que modérément. Au-delà de 2 fois la vitesse de décrochage, la puissance exigée augmente au cube de la vitesse atteinte, tandis que la poussée nécessaire si c’est un réacteur n’augmente qu’au carré.
La supériorité générale en vitesse de l’avion à réaction tient à cette considération. La nature ne fait cependant pas de cadeau, si bien que la consommation élevée du réacteur explique cet avantage.
……………………….
50. LES PHÉNOMÈNES TRANSSONIQUES
Quelques mots sur le haut subsonique et les phénomènes transsoniques.
La vitesse du son est de 1223 km/h au niveau de la mer et baisse jusqu’à 1063 km/h à 11 000 d’altitude. La cause principale en est la température, le froid ralentissant la propagation des ondes sonores. Au-dessus de 11000 mètres on entre dans la stratosphère où la température restant constante, la vitesse du son ne varie plus non plus.
Beaucoup de journalistes ignorent cette variation de la vitesse du son en altitude. Aussi écrivent-ils consciencieusement et régulièrement qu’un avion de vitesse maximum mach 2 atteint 2400 km/h. Or les mach élevés n’étant atteignables qu’en haute altitude, un avion à mach 2 ne vole pas à 2400 mais à environ 2100 km/h.
La vitesse du son telle que nous venons de la chiffrer est en fait une vitesse conventionnelle, prise dans le tableau des paramètres de l’atmosphère standard. Les 1223 km/h valent donc à 15°C et les 1063 km/h à – 56,5°C.
Lorsque la vitesse approche celle du son, la traînée d’un appareil cesse de croître selon les lois simples déjà vues. Le mach limite d’un avion est précisément la vitesse à laquelle les lois simples de l’aérodynamique subsonique usuelle cessent d’avoir cours. Au-dessus du mach limite, la traînée monte brusquement dans des proportions prohibitives ; un avion soucieux d’aller loin ne croisera jamais au-delà de son mach limite.
Le mach limite des avions classiques est de l’ordre de 0,7. La marche des avions à hélice n’en a longtemps pas été affectée puisque leur mode de propulsion ne leur faisait pas atteindre pareilles allures. Les choses changèrent avec les derniers chasseurs à pistons de la SGM.
Si la vitesse du son est de 1160 km/h à 6000 mètres, mach 0,7 vaut 810 km/h. Un chasseur à hélice plongeant en piqué depuis les hautes altitudes atteint aisément cette vitesse ; le lecteur pourra vérifier que la vitesse indiquée au badin est alors à 6000 mètres de 580 km/h ou 310 nœuds.
Il n’y aurait pas grand mal si l’avion se heurtait seulement à un surcroît de traînée n’ayant d’autre effet que limiter l’accroissement de sa vitesse ; mais que le pilote insiste et continue d’accélérer : des phénomènes plus graves se produiront, comme la célèbre « inversion des commandes » qui empêche de redresser du piqué comment qu’on tire le manche.
« inversion des commandes » est une expression populaire simplifiée à outrance, qui ne signifie pas que le pilote n’a qu’à pousser le manche pour se tirer d’affaire. Bref, l’avion classique est incapable de rester volable en approchant la vitesse du son.
On sait les remèdes dictés par la théorie, la soufflerie et les essais en vol : le nez pointu remplace l’arrondi camus meilleur aux basses vitesses, l’épaisseur des ailes est divisée par deux ou trois, le fuselage est pincé en taille de guêpe selon la fameuse loi des aires, et bien entendu l’aile est mise en flèche. On remplace aussi l’empennage horizontal composé d’un plan fixe à l’avant et d’une gouverne à l’arrière, par un empennage monobloc qui pivote en entier. Nous n’entrerons pas dans l’explication de cette dernière mesure.
L’aile en flèche ne sert qu’à augmenter le mach limite. Toutes choses égales par ailleurs, un mach limite de 0,75 sur une aile droite passe à 0,77 pour une flèche de 15 degrés ; il passe à mach 0,92 pour une flèche de 35°.
15° est la flèche du Me 262. Vous constatez que l’auteur de ces lignes ne fera pas sienne l’affirmation commune selon quoi le fameux Messerschmitt biréacteur est le pionnier de l’aérodynamique transsonique grâce à la flèche de sa voilure.
Soukhoï en 1946 produisit le chasseur biréacteur Su-9 ressemblant au Me-262 et muni des mêmes moteur. Son aile est droite ; l’appareil est aussi rapide que le Messerschmitt.
35° est la flèche du bombardier hexamoteur B-47, qui laisse plus de 100 km/h derrière lui son pauvre concurrent Martin B-48 de même réacteurs en même nombre, mais portés par une aile droite.
De 0,7 pour les avions à aile droite, le mach limite des avions de ligne avec des flèches de l’ordre de la trentaine de degrés passe à 0,8 ou 0,85, soit 850 ou 900 km/h aux altitudes de plus de 10000 mètres où il croise habituellement.
La forte augmentation de traînée apparue après le mach limite passe par un maximum au passage de la vitesse du son, puis redescend une fois cette vitesse nettement franchie, par exemple à mach 1,2.
Cela ne veut pas dire qu’on reprend alors la traînée subsonique : la traînée supersonique reste environ double de ce qu’elle serait si le régime subsonique était encore en vigueur. La finesse d’un avion supersonique est en gros divisée par deux une fois en supersonique.
Le F-104, le Trident ont une aile droite ou quasi : c’est que leur vitesse de prédilection est supposée se trouver dans le supersonique avéré, là où il est inutile de chercher encore à reculer par la flèche le mach limite devenu notion sans objet. On revient à l’aile droite parce que sa construction est beaucoup plus légère, et l’on table sur la poussée formidable du moteur pour passer outre la traînée transsonique.
Le F-104 et autres ont en revanche des ailes fort minces. Celle du F-104 au plus épais ne dépasse pas 10 centimètres pour une épaisseur relative de 3 %, à comparer aux 15 % d’un avion de tourisme.
Pour faire simple : la flèche recule le mach limite sans diminuer la traînée transsonique qu’on atteindra quand même à vitesse simplement un peu plus élevée ; l’épaisseur relative minime diminue la traînée transsonique (et supersonique) sans reculer le mach limite.
Une fois en supersonique franc, la traînée de l’avion adapté est en gros double de ce qu’elle serait à mêmes vitesse et altitude si les lois du subsonique restaient valables. Le Concorde de 13 de finesse maximum subsonique tombe à 7 en croisière à mach 2. C’est le tiers de la finesse d’un avion de ligne subsonique ; il ne faut pas s’étonner de voir la distance franchissable du Concorde tombée des deux tiers en comparaison d’un avion subsonique emportant la même proportion de carburant.
……………………….
51. LOI DE MONTÉE EN ALTITUDE DE L’AVION A RÉACTION ; PLAFOND DE PROPULSION ; PLAFOND AÉRODYNAMIQUE
Un avion ne tient l’air que moyennant un minimum de chevaux ou de kilos de poussée. L’excédent de puissance (ou de poussée) est ce qui reste disponible au-delà de ce minimum pour atteindre les pleins gaz. L’excédent de puissance d’un moteur de 100 chevaux sera de 60 chevaux si 40 sont absolument indispensables à tenir le vol en palier à puissance minimum. L’excédent permet de monter.
Nous savons que l’avion à hélice doit monter à faible vitesse sur trajectoire, parce qu’à vitesse plus élevée les chevaux disponibles sont rapidement dévorés par le cube de la vitesse. Il n’en reste plus alors pour grimper. L’excédent de puissance est très bientôt mangé par le vol un peu rapide.
Est-ce vrai pour l’avion à réaction ? Nous savons déjà que l’avion à réaction peut voler nettement plus vite que l’avion à hélice sans dévorer encore une part trop massive de ce que peut donner son moteur. Il lui reste de l’excédent de puissance, ou plutôt de poussée, jusqu’à des vitesses où l’avion à hélice n’en a plus aucun. Et si l’avion à réaction cherchait donc à grimper en affichant une vitesse élevée ?
Tentons un exemple chiffré.
Soit un avion à réaction de 5000 kg disposant d’un réacteur de 1500 kgp et d’une finesse de 20. Il décroche à 216 km/h, ou 60 m/s. Soit sa finesse maximum à 90 m/s ou 324 km/h ; sa traînée y vaut (5000/20) ou 250 kgp ; l’excédent de poussée est 1250 kgp et l’angle de montée (1250/5000) ou 25%. La vitesse ascensionnelle est 90 x 0,25 ou 22,5 m/s.
De savants calculs sur lesquels nous passons montrent qu’à vitesse double, ou 180 m/s (684 km/h), la traînée est d’environ 720 kgp, presque triplée. L’excédent est donc 780 kgp, ce qui assure une pente de montée de 15,6% (vérifiez) et une vitesse ascensionnelle de 28 m/s.
L’avion à réaction se fatigue inutilement à grimper à basse vitesse ; il a intérêt à le faire à vitesse élevée.
Certains simulateurs qui ne sont pas des moindres vous donnent le discutable conseil de grimper à des vitesses guère plus élevées en Me 262 qu’en Spitfire. Vous dit-on de grimper à 250 km/h sur l’un et l’autre appareil ? Grimpez à 250 km/h sur le Spit, et à 600 ou 700 sur le 262. La vitesse ascensionnelle sera un peu meilleure. Ses réacteurs consommeront à pleins gaz la même chose à la minute à 250 comme à 600 : pourquoi se traîner à 250 le temps de monter, au lieu d’avancer en gagnant à 600 beaucoup de kilomètres ?
Revenons à notre avion-exemple décrochant à 216 km/h. Supposons un pilote inexpérimenté jugeant que la vitesse ascensionnelle de 22,5 m/s à la vitesse basse de 324 km/h n’est pas si mauvaise. Il découvre bientôt que son appareil passé les premiers kilomètres d’altitude se met à peiner – la poussée baisse dans l’air moins dense – et menace de ne plus monter, alors que la plafond inscrit au manuel est encore beaucoup plus haut. Que se passe-t-il ?
La vitesse faible déjà à basse altitude n’a pas augmenté. La vitesse vraie est demeurée, mais la vitesse indiquée a beaucoup diminué : l’avion vole désormais franchement au second régime et pas très loin du décrochage. Sa traînée a donc fortement augmenté tandis que la poussée a diminué : l’appareil patine, englué aux altitudes moyennes. Que faire ?
On ne peut plus augmenter la poussée, mais il est possible de réduire la traînée. On est au second régime : il faut accélérer. Cela ne se peut naturellement qu’en poussant le manche… si bien que le pilote pour monter encore est forcé d’abord de reperdre un petit peu d’altitude.
Reprenant alors lentement quelque vitesse, nous nous extrairons bientôt du second régime pour, traînée diminuée, pouvoir tirer de nouveau (très modérément ! l’excédent de poussée disponible en altitude est modique) afin de reprendre la montée à vitesse plus élevée que précédemment.
L’ascension se poursuivra de la sorte très plate à grande vitesse sur trajectoire, tout au contraire de l’avion à hélice.
(Cet engluage aux altitudes moyennes s’observera très bien au simulateur sur des avions civils dotés d’une poussé modérée ; la très forte poussée des chasseurs l’estompera).
La densité de l’air diminuant toujours, vient une altitude où les basses vitesses proches du décrochage deviendront presque égales au mach limite. Coincé entre une vitesse minimum et une vitesse maximum, l’avion touche à son plafond (ceci suppose les réacteurs aptes à donner encore à cette altitude le minimum de poussée requis).
L’auteur qui n’a personnellement jamais en vol tenu plus de 160 chevaux sous la main, se contentera d’explorer ces questions sur Strike Fighters, son excellent simulateur de F-104 entre autres.
Nous avons donc pris notre envol avec un F-104 muni de ses deux bidons en bouts d’ailes et de son plein d’obus. Nous avons dans le tonnerre de la postcombustion fait une première montée tout à fait classique pour un avion à réaction :
– décollage suivi d’une accélération à mach 0,8 tout en grimpant à peine, afin de garder de quoi accélérer.
– Mach 0,8 atteint vers 1000 mètres, nous avons cabré pour entamer la montée réelle en nous efforçant de conserver continuellement ce 0,8 de mach.
Cela veut dire que nous devons au fil de l’altitude repousser progressivement le manche pour abaisser lentement le nez : la raréfaction de l’air abaisse progressivement la poussée du réacteur, ce qui limite l’angle de montée.
– Nous sommes arrivés à 11000 mètres en 2 minutes 42 secondes.
Dans un second essai nous avons procédé comme si nous tenions les commandes d’un avion à hélice :
– Sitôt décollé nous avons cabré très fortement pour éviter d’accélérer beaucoup ; nous avons atteint seulement 20 ou 25% de plus que la vitesse de décrochage : 250 nœuds indiqués.
– Nous avons maintenu cette vitesse indiquée jusqu’à 11000 mètres, atteints cette fois en 3 minutes 41 secondes. L’inadaptation de la montée lente pour l’avion à réaction est ici manifeste.
Il est intéressant d’observer durant la montée en altitude le comportement simultané du machmètre et de l’anémomètre, volontiers réunis en un anémomachmètre.
Décollé vers 200 nœuds, l’avion prend d’abord sa vitesse presque sans gagner d’altitude. Il atteint environ 500 nœuds, valant près de mach 0,8 à cette altitude basse. L’avion cabre ensuite pour gagner son altitude de croisière économique à 11000 mètres. Le pilote conserve un mach sensiblement constant au long de sa montée, puisqu’il croisera aussi vers mach 0,8 une fois à 11000 mètres.
A 11000 m et mach 0,8, le badin est 280 nœuds. A maintenir le machmètre à 0,8 nous verrons continuellement le badin décroître, depuis 500 nœuds en début de montée jusqu’à 280 nœuds à 11000 mètres.
Nous devons constater que 280 nœuds ne représentent plus une marge très considérable sur la vitesse indiquée de décrochage. Nous n’avons donc plus du tout à 11000 mètres la possibilité dont nous disposions à basse altitude de manœuvrer soudainement en prenant des g sans trop de précautions.
Nous pouvons au-dessus de 11000 mètres continuer à monter – mollement – moteur sec (sans postcombustion) en subsonique. En l’absence de PC le mur du son bloque la vitesse sous mach 1. Le badin décroît toujours ; il vient un moment où vers 15000 mètres (50000 pieds), la vitesse indiquée maximum tombe très près de la vitesse de décrochage tant l’air porteur se fait ténu.
La vitesse de décrochage a rejoint la vitesse maximum proche de mach 1 : comme il se doit au plafond, nous ne disposons plus que d’une seule vitesse possible. Le moindre éternuement cette fois nous fera perdre de l’altitude, même au simulateur.
Nous avons supposé que le réacteur voulait bien pousser encore assez à cette altitude pour nous y maintenir. Le plafond est alors limité par le croisement de la vitesse de décrochage et de la vitesse maximum en subsonique. Un moteur poussant davantage mais ne faisant par hypothèse pas non plus franchir le mur du son, ne ferait donc pas monter plus haut. On parle de plafond aérodynamique. Le plafond usuel de la plupart des avions, à hélices notamment, n’est limité que par la puissance restant en altitude ; on parle de plafond de propulsion.
Le SR-71 croisant à plus de mach 3 à 25 000 mètres affiche à peine 400 nœuds au badin. Il évolue dans un fluide 25 fois moins dense qu’au sol, si bien que la vitesse indiquée n’est plus que le 1/5 (racine de 25) de la vitesse réelle : il vole à 2000 nœuds vrais.
……………………….
52. LES AVIONS À PROPULSION PAR FUSÉE
Quelques avions ont employé la fusée à propergol liquide pour propulseur unique (Me 163), comme propulseur de pur appoint (Mirage III) ou comme propulseur principal, les autres moteurs ne remplissant qu’une fonction d’attente en l’air et de retour au sol (Trident, XF-91).
L’intérêt propre à la fusée est multiple :
– On a su faire des fusées de forte poussée avant des réacteurs puissants (Allemagne durant la guerre) ;
– Sa simplicité mécanique la rend peu coûteuse, comparée à un turboréacteur de même poussée (Trident) ;
– Non seulement sa poussée ne diminue pas en altitude, mais encore augmente-t-elle d’environ 20% entre le niveau de la mer et la très haute altitude : l’air extérieur plus ténu ne freine plus la sortie des gaz de la tuyère.
On peut définir trois façons d’utiliser la fusée en aviation, JATO mises à part :
1. Un Me 163 disposant de 1700, puis 2000 kgp, accélère et monte déjà mieux à basse altitude qu’un Me 262 aussi puissant mais plus lourd ; le 163 est en revanche très supérieur en altitude.
En effet la poussée des turboréacteurs du 262 décroît rapidement en altitude, où la vitesse ascensionnelle s’effondre et où la vitesse en palier n’augmente guère malgré la moindre résistance du milieu.
Le Me 163 continue donc à grimper en flèche en altitude où par ailleurs la moindre résistance du milieu, combinée au maintien et à l’amélioration de la poussée, permet en palier d’aller aussi vite que le permet une voilure au profil inapproprié au vol transsonique.
Ses capacités d’évolution en altitude seraient donc merveilleusement supérieures, si déjà les réservoirs n’étaient vides : la consommation de la fusée est prohibitive.
2. Le Trident visait la fonction d’intercepteur bisonique montant en flèche à 20.000 mètres. Son faible rayon d’action (fusée !) supposait un bon nombre d’avions répartis sur le territoire, mais la coût modeste de la fusée et des petits réacteurs de bout d’aile permettait d’imaginer une abondante production. Ce n’était qu’un rêve : le Trident devait céder la place aux chasseurs à turboréacteurs beaucoup plus polyvalents ; le Trident était économiquement une fausse bonne idée.
On a donc avec cet avion un appareil doté des 4,5 tonnes de poussée des trois fusées réunies, et des 800 kgp totaux de ses deux réacteurs de bouts d’ailes. A l’évidence, les réacteurs ne peuvent que « traîner » à faible consommation l’avion de retour à sa base ; c’est pourtant un gros avantage sur le Me 163 qui une fois en panne sèche, est en panne sèche. Il est vrai que l’on comptait sur sa très bonne finesse voisine de 18 pour rentrer… et se poser du premier coup.
3. Le Mirage IIIC est le seul chasseur doté d’un turboréacteur suffisamment puissant pour ses missions normales même en supersonique, et qui pourtant dispose d’une fusée à liquide pouvant donner 1500 kgp supplémentaires pendant une minute et demie. Le réacteur fournit quant à lui 6200 kgp avec postcombustion.
La comparaison des deux poussées montre le mince intérêt qu’il y aurait à se priver du réservoir de kérosène pouvant remplacer la fusée, si l’on voulait simplement se servir d’elle comme d’une sorte de JATO de très grand luxe.
Si le complément de poussée à basse altitude est modique, il devient très important en haute altitude : la fusée pousse toujours autant, voire un peu plus, tandis que le réacteur s’essouffle par défaut d’air. La fusée fait alors en haute altitude une différence spectaculaire – et brève.
Il reste en outre une quatrième utilité à la fusée, cette fois à propergol solide : son rôle sur l’avion suicide Jinraï. L’engin montre peut-être une finesse de 7 ou 8. Son rayon d’action depuis son lâché par un bombardier vers 7000 mètres est bien court : une quarantaine de kilomètres.
Encore cette distance n’est-elle possible qu’à vitesse de finesse maximum, qui est inférieure de plus de moitié aux 1000 km/h auxquels le Jinraï entend frapper le navire adverse pour échapper autant que possible à la chasse à hélice comme aux tirs de DCA.
Le rayon d’action tomberait à dix kilomètres si le pilote prétendait conserver 1000 km/h tout du long. Il plane donc à vitesse modérée, puis allume à basse altitude ses trois fusées à solide qui brûlant quelques secondes le réaccélèrent avec vigueur tandis que le piqué est accentué. Ou bien la cible est frappée au terme du piqué, ou bien une ressource à 1000 km/h au ras de l’eau laisse un petit nombre de kilomètres de course sur l’erre sans moteur.
La fusée a contre elle son obligation d’emporter son oxygène sous forme d’eau oxygénée concentrée ou d’acide nitrique, deux fluides qui ont cependant l’avantage opérationnel de ne pas s’évaporer au stockage comme l’oxygène liquide.
Il faut plus de trois kilos d’oxygène pour brûler un kilo de pétrole : on en déduit l’énormité de la consommation totale de la fusée.
On parle moins pour les fusées de consommation spécifique que d’impulsion spécifique. L’impulsion spécifique est le temps durant lequel un kilo de propergol donne un kilo de poussée. Il est de l’ordre de 220 secondes pour le moteur du Me 163. On peut en déduire une consommation spécifique de 16 kg/kgp/h, plus que décuple de celle du réacteur Jumo primitif du Me 262 son contemporain.
……………………….
53. NOTIONS SUR LE PHYSIOLOGIE DU VOL SANS VISIBILITÉ
L’auteur vous aurait donné volontiers les notions élémentaires du pilotage aux instruments : comment tenir l’avion sans voir dehors, et le faire évoluer selon les seules indications des instruments gyroscopiques, l’horizon artificiel et l’aiguille. Or un tel exposé semble inutile puisque tous les simulateurs permettent de s’y exercer. Nous parlerons plutôt de ce dont le simulateur ne peut rendre compte : les conflits entre les indications instrumentales et les sens.
C’est un dogme en aviation que le pilote sans expérience du vol aux instruments, et sans instructeur à ses côtés, va perdre en 178 secondes en moyenne le contrôle au premier essai de vol sans visibilité. Ceci en dépit d’une instrumentation complète pour le vol aux instruments dont il connaît de surcroît la théorie.
Je gage que maint grand moustachu du pilotage a connu cet incident à ses débuts en PSV (pilotage sans visibilité), et ne voudra donc point démordre qu’il est impossible de ne pas perdre le contrôle à son baptême du PSV.
D’autres moustachus consentent cependant que la perte de contrôle rapide et certaine concerne avant tout le cas réel d’un pilote sans entraînement au PSV qui plonge dans la peur par la perte réelle de tout repère visuel extérieur en vol réel ; et qu’il n’en va pas toujours de même dans la situation beaucoup moins inconfortable de l’exercice sous capote auprès d’un instructeur qu’on sait disposer de la double commande et de la vue du dehors.
L’auteur confirme cette seconde interprétation, par sa simple expérience personnelle sous capote par temps calme. Il ne lui est pas moins arrivé de se faire proprement traiter de menteur par un autre instructeur auquel il narrait la chose. On voit la diversité des opinions parmi les spécialistes.
Cela ne veut nullement dire qu’une perte de contrôle par désorientation des sens ne reste pas possible plus tard, avant que l’entraînement soit suffisamment avancé.
Mais qu’un pilote sans expérience du PSV y soit plongé parce que la météo le prend au piège ; qu’il en subisse une panique affreuse parce qu’il ignore si et quand il retrouvera la vue du dehors ; qu’il ne trouve pas le calme requis pour tenir l’avion droit aux instruments, pour appeler au secours un terrain équipé d’un radar d’approche…
L’avion plonge d’une manière ou d’une autre ; l’horizon artificiel dépassé dans ses graduations ne montre plus que le sol, et plus du tout l’horizon ; le pilote ne sait plus en quel sens réagir ; la vitesse est devenue effarante ; l’avion débouche sous les nuages bas à cent mètres du sol comme un Stuka : tout est fini. Il se peut aussi que le pilote aveugle tirant le manche au petit bonheur pour chercher à faire il ne sait quoi lui-même, casse la machine en l’air. En bref, le PSV sans assistance d’un pilote compétent est rigoureusement réservé au simulateur.
Le simulateur sur simple écran ne donne évidemment aucune sensation « aux fesses », n’insinue évidemment aucune information trompeuse dans la cénesthésie, ce sixième sens, sens de l’existence à travers le ressenti physique de soi dont le récepteur est le corps tout entier. Le simulateur avec chaise fixe laisse l’intelligence libre de raisonner face à l’image, sans faire éprouver aux tripes du pilote ou à ses canaux semi-circulaires la redoutable certitude que ses instruments gyroscopiques de PSV déraisonnent subitement ! Ce type de sensation vertigineuse attend au tournant n’importe quel pilote de modeste expérience du PSV, alors même que tout s’est bien passé jusque là.
Il est absolument impossible à l’homme comme à l’oiseau de tenir ses ailes à l’horizontale sans repère extérieur. Le pigeon aux yeux bandés tente inutilement de voler avant d’ouvrir en V ses ailes et de se laisser aller à ce médiocre parachute improvisé.
Divers pièges dus au défaut d’horizon visible attendent même en plein jour en air pur le pilote sans méfiance. Il peut en montagne perdre tout sens de l’équilibre dans un cirque dont aucune crête n’est horizontale, et se fier à tort à telle qu’il croira l’être. Le pilote s’engageant sur mer par temps de brume peut découvrir avec horreur que rien ne discrimine plus l’eau du ciel, si bien que toute référence permettant son équilibre a disparu d’un coup.
Le non-pilote pense volontiers que c’est là une exagération : qui ne s’aperçoit qu’il est tête en bas et vole sur le dos ?
Il est souvent difficile de détromper ce non-pilote, car il ne comprend pas qu’il traite un faux problème.
Le pilote ayant perdu la visibilité du dehors ne s’aperçoit pas qu’il vole sur le dos, pour la simple raison qu’il n’a aucune chance de s’y maintenir par hasard le temps nécessaire à s’aviser de sa position retournée. S’il est problématique de rester stable sans visibilité sur le ventre, il le sera bien plus encore d’y rester sur le dos !
En sorte qu’on n’aura pas le temps de comprendre qu’on pend dans sa ceinture. Les trajectoires incontrôlées sans visibilité ne sont pas rectilignes, mais diversement curvilignes. On ne peut donc savoir si l’on est sur le dos au sommet d’une boucle (et alors on ne pend souvent pas dans sa ceinture), ou bien à plat ventre en vol ordinaire ; ni si l’on est en descente en virage engagé à très forte inclinaison, fort taux de descente et fort facteur de charge, ou bien en ressource sèche et en train de remonter.
(On pourrait se donner une idée de la désorientation sensorielle spatiale en effectuant les yeux clos des pirouettes désordonnées sous l’eau. Il faut une piscine claire où fond et surface se voient nettement : nous avons le très mauvais souvenir d’adolescence de l’avoir fait par deux à trois mètres de fond dans une rivière sombre. Poumons à demi vides pour aider au maintien de la plongée, le corps en équilibre hydrostatique, il n’était plus possible de voir où se trouvait la surface. On se noierait difficilement de façon plus implacablement scientifique).
Le lecteur logique réplique doctement de son fauteuil qu’il suffit au pilote de mépriser ses sensations et de se fier aveuglément à ses instruments, même si ses rémanences labyrinthiques (on sait la sensation vertigineuse éprouvée quand on s’arrête après bon nombre de tours rapides sur soi-même) lui jurent sur tous les saints que l’horizon artificiel détraqué affiche n’importe quoi.
Le lecteur logique n’a pas tort : il est à tout prendre moins difficile en état de désorientation de commander à ses mains sur le manche une action même à contre-sentiment, que de rester debout sur le sol en état de vertige. La volonté peut déterminer le premier cas, quand elle est impuissante sur le second.
……………………….
54. DISTANCE FRANCHISSABLE MAXIMUM DE L’AVION À HÉLICE
Le record du monde de distance est détenu par le Rutan Voyager qui fit un tour du monde d’un peu plus de 40 000 km en 1986. La formule de Bréguet donne la distance franchissable d’un avion à hélice ; nous en résumons les éléments :
Toutes choses égales par ailleurs :
– La distance franchissable (DF) augmente avec la finesse de l’avion, puisque la finesse réduit la traînée et donc la traction et la puissance nécessaires. L’accroissement de la DF est en proportion directe de celui de la finesse.
– La DF augmente avec le rendement de l’hélice, puisque l’amélioration de ce rendement restitue gratuitement des chevaux sans cela perdus. L’accroissement est là encore directement proportionnel. Il y a peu à espérer sur ce poste : une hélice banale ne descend pas sous 75 à 80 % de rendement, tandis qu’une remarquable atteint rarement 90 %. La variation de la DF est en proportion directe du rendement de l’hélice.
– La DF augmente proportionnellement à la sobriété du moteur, qui serait l’inverse de la consommation spécifique ; la DF est donc inversement proportionnelle à la consommation spécifique.
– Enfin, la DF augmente évidemment avec le rapport : poids réservoirs pleins/poids réservoirs vides. Toute la difficulté tient à ce que le dernier kilogramme de carburant fera naturellement franchir bien plus de kilomètres à l’avion vide que le premier kilo à l’avion plein. Il n’y a pas ici de proportionnalité simple.
Voici une méthode valable uniquement pour l’avion à hélice :
1). On détermine le rapport « Q » :
masse au décollage/masse équipée, mais sans essence
Q par exemple vaut 1,1 pour un avion de 1,1 tonne au décollage, dont 100 kg d’essence ; Q vaut 2 pour 2 tonnes dont une d’essence, etc.
2). On trouve la DF dans le tableau suivant, dans le cas d’une finesse de 20, d’une consommation spécifique de 200 g/ch/h et d’un rendement de 85% pour l’hélice :
Q = 1,1 ; DF = 2187 km
Q = 1,2 ; DF = 4184 km
Q = 1,3 ; DF = 6021 km
Q = 1,4 ; DF = 7722 km
Q = 1,5 ; DF = 9305 km
Q = 1,6 ; DF = 10787 km
Q = 1,7 ; DF = 12178 km
Q = 1,8 ; DF = 13490 km
Q = 1,9 ; DF = 14731 km
Q = 2 ; DF = 15900 km
Les valeurs de Q supérieurs à 2 sont rares :
Q = 2,5 ; DF = 21030 km
Q = 3 ; DF = 25220 km
Q = 3,5 ; DF = 28750 km
Q = 4 ; DF = 31 820 km
Le lecteur devine avec ces quelques chiffres que si l’emport d’essence est très élevé déjà, on ne gagne presque plus rien à en ajouter encore.
Bien entendu, il faut que l’avion vole continuellement à sa vitesse de finesse maximum. Ou bien il ralentit tout au fil du vol, ou bien il gagne de l’altitude en s’allégeant, afin de voler toujours aussi vite quoique la puissance affichée diminue avec le poids.
On trouve les valeurs qui précèdent et celles qui ne figurent pas au tableau en calculant :
DF = 22950 Log népérien de Q
3). Les chiffres donnés au tableau en 2) ne sont qu’une première approche. On leur apporte des corrections :
– la valeur donnée en 2) suppose une finesse maximum de 20. Si la finesse est différente, on fait une simple règle de trois. Si la finesse n’est que 10, la DF sera la moitié seulement de celle du tableau.
– La valeur donnée en 2) suppose une consommation spécifique de 200 g/ch/h. Si la consommation spécifique du moteur est différente, on fait une règle de trois. On doit trouver une DF plus élevée si la consommation spécifique est moindre que 200, moins élevée dans le cas contraire.
– La valeur donnée en 2) suppose une hélice de rendement 85%. Si le rendement d’hélice est différent, on fait une règle de trois.
Regardons le Rutan Voyager, l’avion qui fit le tour du monde sans escale en 1986. Il pèse 1134 kg sans essence et 4309 kg une fois plein de ses 3175 kg d’essence au décollage.
Q = 3,8
Le tableau en 2) donne une DF comprise entre 28750 et 31820 km. La formule logarithmique indiquée après le tableau donne : 30638 km.
Ce chiffre ne fait pas le tour du monde ; il s’en faut. C’est que le Voyager ne fait pas comme notre avion de base 20 de finesse, mais 27 ; les hélices rendent non pas 85 mais 90 % ; la consommation spécifique n’est pas 200, mais 172 g/ch/h.
Corrigeons donc :
– Pour la finesse : 30686 km x (27/20) = 41426 km
– pour la consommation spécifique : 41426 km x (200/172) = 48170 km
– pour le rendement des hélices : 48170 x (90/85) = 51003 km
Le Voyager atterrit au terme de ses 40000 km portés par d’inévitables détours à 42000 km ; ce chiffre est également modifié dans un sens inconnu de l’auteur par les vents moyens rencontrés. Le Voyager s’est posé avec 38 kg d’essence, de quoi faire en théorie pure 1275 km. Nous avons donc fait un travail au résultat assez honnête si l’on tient compte de l’impraticabilité de constamment voler à finesse maximum sans perturbation, et surtout de l’impossibilité d’obtenir des moteurs une consommation spécifique identique à tous les puissances fournies : la valeur donnée n’est atteinte qu’à une puissance précisée, généralement élevée ; elle devient plus médiocre aux faibles puissances, largement employées par le Voyager.
Le principal est de constater le fossé de 2 à 1 entre la DF du Voyager et celle des meilleurs avions de record de distance avant lui :
– Le Lockheed Neptune, bimoteur ASM dont un exemplaire du 29 au 31 septembre 1946 parcourait 18078 km en ligne droite ;
– Le Tachikawa Ki.77 de 1942, bimoteur de record construit malgré la guerre ; 16435 km en circuit fermé du 2 au 4 juillet 1944. Deux furent construits, un abattu. Saisi et envoyé par bateau aux Etats-Unis, le survivant disparaissait avant d’être débarqué. Ce fut à propos pour ne pas faire d’ombre au Neptune.
– Le monoplace Bede BD-2, planeur existant greffé d’un moteur de 210 chevaux et bourré d’essence. Malgré le pilote automatique devant laisser dormir le pilote, le plus long vol ne dépassa pas 14500 km, bien sous ses possibilités théoriques.
…………………………
55. POURQUOI L’AVION À RÉACTION NE CROISE-T-IL GUÈRE QU’EN ALTITUDE ELEVÉE ?
L’avion à réaction s’efforce dès qu’il est possible de toujours voler à haute altitude ; l’obligation qu’ont de raser le sol les chasseurs-bombardiers ou les gros bombardiers (B-1) dans leur phase d’approche de l’objectif est affreusement coûteuse en combustible et rayon d’action.
On a déjà vu comment il n’est pas rentable pour un avion à réaction de gâcher ses forces et son pétrole à grimper en conservant une vitesse lente.
Il apparaît ainsi que voler lentement et voler bas sont cause de mauvais rendement (forte consommation kilométrique) du propulseur à réaction. Sur tel simulateur de chasseur à réaction, vous sont proposées des missions dont il est impossible de rentrer si vous volez en rase-mottes ; il devient très facile au contraire de revenir avec des réserves en volant très haut.
La consommation horaire d’un réacteur donnant une poussée donnée est en première approximation indépendante de la vitesse. Or l’avion avec une même poussée/consommation ira d’autant plus vite qu’il volera haut dans un air moins résistant ; le gain à monter toujours plus haut est interrompu lorsque la vitesse de finesse maximum rejoint la vitesse de mach limite, de 750 km/h pour un U-2 à aile droite, ou 900 km/h pour un avion de ligne à voilure en flèche. Cette altitude pour la plupart des avions à réaction (hors les machines de faible charge alaire comme l’U-2) est l’altitude de croisière des avions de ligne, un peu plus de 10 kilomètres.
Les moteurs à hélice ou à réaction les plus sobres parviennent à des consommations kilométriques optimales similaires en volant en altitude. Descendons au niveau de la mer.
Supposons la poussée/puissance permettant de conserver la vitesse de 900 km/h. L’avion à hélice ne trouvera à peu près jamais les chevaux voulus ; mais supposons. En première approximation la consommation horaire comme kilométrique dans un air quatre fois plus dense et donc quatre fois plus résistant, sera quadruplée. La distance franchissable des deux types d’avion sera ainsi divisée par quatre.
Supposons au niveau de la mer à l’un et à l’autre avion une vitesse de finesse maximum de 450 km/h, moitié de celle en altitude, et correspondant à peu près à une vitesse de décrochage de 300 km/h sans volets.
Avion à réaction : volant à finesse maximum, la poussée nécessaire est la même à toute altitude ; s’il fallait 10 tonnes de poussée à finesse maximum à 12000 mètres, il en faut encore 10 à finesse maximum à zéro mètre ; la consommation horaire reste en (très) première approximation la même, donc le temps de vol possible reste le même aussi ; mais la vitesse n’est plus que 450 au lieu de 900 km/h : la distance franchissable est divisée par deux.
Avion à hélice : volant à finesse maximum, la traction d’hélice nécessaire à l’avion à hélice à 450 km/h au niveau de la mer reste la même que celle nécessaire à 900 km/h à 12000 mètres ; mais la puissance étant le produit de la traction par la vitesse de translation, et la vitesse étant divisée par deux, la puissance requise est divisée par deux. La consommation horaire est alors divisée par deux : la consommation kilométrique reste la même.
(Pour alléger l’exposé nous avons délibérément négligé le fait que la meilleure distance franchissable de l’avion à réaction n’est pas obtenue à vitesse de finesse maximum, mais environ 20% plus vite)
Si bien que :
– L’avion à hélice ne consomme pas plus au km en croisière économique quelle que soit son altitude ; mais plus il vole bas et plus cette vitesse de croisière économique (finesse maximum) doit consentir à rester faible. Un avion à hélice aura donc intérêt à voler très haut dans un air très ténu pour filer beaucoup plus vite sans consommer davantage. L’avion transatlantique à hélices a intérêt à voler haut pour ne pas mettre un temps abusif entre Paris et New York.
– L’avion à réaction peut ainsi, avec un moteur qui ne soit pas des premières générations, aller aussi loin qu’un avion à hélice avec même emport de pétrole ; mais il est contraint de le faire en volant haut et vite. Il ira à peu près deux fois moins loin en rase-mottes.
……………………….
56. DISTANCE FRANCHISSABLE DE L’AVION A RÉACTION ; EXTRAPOLATION LUDIQUE POUSSÉE A L’ABSURDE
Est-il bon pour la planète de faire le voyage aux antipodes sans escale ? Supposons un avion de 200 tonnes avec passagers mais sans carburant, de finesse 20 et croisant toujours à 900 km/h : il monte au fur et à mesure qu’il s’allège. Admettons une consommation spécifique de 0,6 kg/kgp/h. Quelle est son autonomie si l’on ajoute 50 tonnes de carburant aux 200 tonnes à sec ?
Notons d’abord que le calcul assez complexe donnant la distance franchissable d’un avion à hélice devient bien plus simple pour un avion à réaction. Il n’est plus question de rapport «Q» ni de logarithme.
La masse moyenne en vol est 225 tonnes, descendant progressivement de 250 tonnes à 200 ; la traînée moyenne vaut 225/20, soit 11,25 tonnes de poussée à fournir ; la consommation moyenne est 11,25 x 0,6 ou 6,75 tonnes de carburant à l’heure ; l’autonomie de 50/6,75 ou 7,40 heures de vol à 900 km/h, donc 6660 km.
Ajoutons 50 autres tonnes de carburant, décollons à 300 tonnes et reprenons le calcul. La masse moyenne sur la nouvelle tranche de carburant est 275 tonnes. Le supplément de distance franchie est naturellement inférieur à 6660 km. On trouve 5450 km. Total : 12110 km.
Calcul suivant : 150 tonnes de carburant et 350 tonnes au décollage. Supplément : 4620 km. Total : 16730 km.
Calcul suivant : 200 tonnes de carburant et 400 tonnes au décollage. Supplément : 4000 km. Total : 20730 km.
Nous voici aux limites de ce qui peut se faire en conservant une longueur d’envol possible. On observe que si les 100 premières tonnes de pétrole font franchir 12000 km, les cent suivantes ne donnent que 8000 km supplémentaires. Le rendement commercial du carburant tombe du tiers sur cette tranche où le CO² produit par km est majoré de moitié : le carburant sert à transporter le carburant.
Continuons pour le plaisir le calcul purement théorique :
450 tonnes. Supplément 3530 km. Total : 24260 km.
500 3160 27420
550 2850 30270
600 2730 31000
650 2400 33400
700 2220 35620
750 2070 37690
800 1940 39630
850 1820 41450
900 1710 43160
950 1620 44740
1000 1540 46280
———————————————————
10 000 ! 150 95370
———————————————————
100 000 !! 15 144460
Puis, chaque multiplication de la masse au décollage par 10 continue d’ajouter un supplément fixe de 49090 km. On juge de l’inefficacité. Il va sans dire que ce calcul purement théorique ne tient aucun compte du fait qu’un avion de cent mille tonnes et de surface alaire ordinaire décrocherait à de nombreux mach et perdrait en hypersonique les deux tiers de sa finesse ayant servi aux calculs.
La masse de 1000 tonnes n’a rien en soi d’inimaginable puisqu’il suffit de 50 tonnes de poussée pour la tenir en l’air. Noter que le volume interne pour le carburant croît plus vite que le poids à vide. S’il n’est probablement guère possible de loger 800 tonnes de pétrole dans un avion de 200 tonnes, en mettre 8000 dans un avion de 2000 à vide est imaginable.
Il est théoriquement possible de tenir en l’air sous finesse 20 des masses énormes d’avion à réaction : les 100 tonnes de poussée d’un gros quadriréacteur pourraient en principe tenir 2000 tonnes en vol. Il n’est nullement possible de faire de même avec un avion à hélices. On sait que celui-ci exige une puissance minimale croissant à l’exposant 1,5 de la masse, au lieu de la simple proportionnalité pour l’avion à réaction.
Un B-36 sans réacteurs d’appoint fait 160 tonnes et dispose de 21000 chevaux. Il exige à peu près la moitié de ces chevaux pour juste tenir l’air. Employer alors toute la puissance revient à doubler celle qu’on utilisait ; mais cela ne double pas le poids sustentable. Il n’est accru que d’un facteur 1,59 (racine 3/2ème de 2). L’avion ne pourra tenir l’air à plus de 160 tonnes x 1,59 ou 254 tonnes, s’il dispose toutefois d’une piste illimitée. Encore ce calcul ne laisse-t-il aucune marge pour la traînée du train au décollage. On est très loin des possibilités théoriques de poids sustentable d’un avion fin à réaction.
……………………….
57. LA FLÈCHE VARIABLE
La flèche variable dite moins correctement géométrie variable équipa une volée de chasseurs des années 60 et 70. La flèche variable servait alors un peu à tout dans les publications aéronautiques, parée de vertus d’autant plus universelles que le journaliste comprenait moins la mécanique du vol.
Le premier appareil à flèche variable construit en nombre fut le F-111 de 1964. Il s’agissait dans l’esprit de ses promoteurs d’un avion-miracle destiné à tout. La flèche variable s’imposait idéologiquement sur cet avion-orchestre ultra-moderne.
La FV est connue du grand public à travers le chasseur Tomcat du film « Top Gun ». C’est un avion embarqué ; il gagne à se poser lentement ; on écrit volontiers que l’aile déployée presque droite porte beaucoup mieux et s’orne de beaucoup plus de volets hypersustentateurs qu’une voilure courte et trapue en forte flèche. Cela est vrai ; la FV permet des appontages à vitesse modérée. Cela est vrai, mais presque accessoire : nous avons des crosses et des élingues.
La FV déployée change un chasseur de forte flèche en un avion ressemblant davantage par son aile à un avion de transport. La FV double purement et simplement la finesse maximum d’un avion de forte flèche ; la finesse passe par exemple de 7 aile repliée à 14 aile déployée. C’est dans ce gain de finesse qu’on cherchera les profits principaux de la formule.
1) Le chasseur à réaction manque chroniquement de distance franchissable : sa médiocre finesse contraint les moteurs à pousser fort même en croisière économique. La FV améliore bien entendu spectaculairement la question ; ajoutons-y pour un chasseur embarqué l’intérêt notable d’un long temps de patrouille possible. La distance franchissable est l’un des deux avantages essentiels de la FV.
2) Le second avantage majeur tient à la capacité d’emport. Sans doute voit-on plus de place pour accrocher des bombes et des bidons sous une aile déployée que sous une aile courte (les pylônes d’attache pivotent à contresens de l’aile pour demeurer dans le lit du vent), mais le point est encore ailleurs.
L’allongement de l’aile déployée permet à l’avion de prendre son vol à un poids et une charge alaire inconnus autrement : on a doublé la finesse ; le kilogramme à soulever coûte deux fois moins cher en poussée sur un Tomcat que sur un Mirage III.
Ainsi la surcharge est-elle allègrement supportée. Deux avions seulement en Occident dépassent en charge alaire la tonne au mètre carré : le FB-111 avec 1058 kg et le B-1B avec près de 1200 kg ; les deux ont la FV.
L’emploi de volets hypersustentateurs généralement d’effet médiocre sur les fortes flèches devient, sur la FV déployée, comparable à ce qu’il est sur l’aile d’un avion de transport, c’est-à-dire environ deux fois plus de portance à la même vitesse lorsque les hypersustentateurs sont déployés.
3) Les manœuvres en combat sont fortement favorisées par la FV. La FV présente un avantage considérable en combat tournoyant puisque celui-ci conduit souvent les adversaires à de faibles vitesses indiquées et se déroule presque toujours en subsonique. Le doublement de la finesse par le déploiement des ailes vient de la division par trois de la traînée induite, puisque le déploiement triple l’allongement. Or le facteur de charge en virage serré de combat engendre comme on sait une traînée induite fabuleuse. L’avion qui se dispense des deux tiers de celle-ci jouira nécessairement d’un avantage souvent décisif.
……………………….
58. LE VOL SUPERSONIQUE
L’auteur sera modestement disert sur le vol supersonique qu’il connaît surtout par l’observation des cadrans de son excellent simulateur de F-104, Strike Fighters.
Ce chapitre sera donc assez spéculatif ; nous ne garantissons en aucun cas la conformité de nos observations à la réalité.
Tout d’abord l’avion, ou le simulateur, est-il incapable de « supercroisière ». Il s’agit de ce vol en supersonique modéré (mach 1,4), économique car sans post-combustion, dont sont crédités Rafale ou F-22. N’oublions pas le Concorde à la supercroisière cette fois bisonique. Le F-104 du simulateur à toute altitude demeure obstinément en palier juste sous mach 1. Qu’on passe le mach en piqué pleins gaz secs, et l’on voit assez brusquement à mach 1 le débitmètre de carburant tomber spectaculairement : inadaptation manifeste du propulseur au vol supersonique sans PC.
Ceci n’est pas tout à fait exact car le F-104 sans la postcombustion dépasse très légèrement le mach.
Le F-104 à sec (sans PC) plafonne à 15000 mètres. A cette altitude sa vitesse de décrochage a donc rejoint sa vitesse maximum juste sous mach 1.
Nous ferons les essais qui suivent sans les bidons habituels en bouts d’ailes, simplement parce que leur jauge sur le simulateur pose un souci de lecture. Le carburant interne restant est de 5800 livres.
Le vol en rase-mottes avec pleine PC amène l’avion à un peu plus de mach 1, environ 700 noeuds ; c’est probablement une valeur un peu faible. Le temps mis à vider les réservoirs est plausible : 7 minutes 15 secondes, soit 21,7 tonnes de pétrole à l’heure.
Partons du pleins gaz secs à 11000 mètres, qui fait afficher mach 0,9. C’est encore un peu faible ; un chasseur de cette époque mord légèrement sur le mach à cette altitude sans allumer sa PC. Le débitmètre indique une consommation horaire de 4500 livres, 2 tonnes. Cela veut à peu près dire que le moteur à sec ne donne plus que deux tonnes ou deux tonnes et demie à pleins gaz, car sa consommation spécifique est un peu inférieure à 1. Mettons pleine PC. Le débitmètre gradué jusqu’à 12000 livres à l’heure voit son aiguille sauter en butée. Mach 2 est atteint en 2 minutes et 13 secondes, chiffre probablement un peu optimiste. L’accélération se poursuit tandis que le chronométrage de la descente de la jauge de carburant dénote une consommation de 26 tonnes à l’heure. Le vol à même vitesse à 18300 mètres (60000 pieds), fait atteindre la même vitesse pour une consommation de 15 tonnes à l’heure seulement dans un air sensiblement moins dense et donc moins résistant à l’avancement.
La PC cesse à hautes vitesse et altitude d’être un simple augmenteur de poussée. A comparer ses consommations à basse et haute altitude, on voit qu’elle se débrouille pour garder presque toute sa puissance même en air raréfié ; elle y propulse l’avion à plus du double de sa vitesse à zéro mètre. La turbine seule devient presque accessoire ; la tuyère de post-combustion se comporte en statoréacteur, moteur qui pousse d’autant plus qu’on va plus vite.
Ainsi au simulateur tout du moins, le réacteur à pleine PC et en franc supersonique « accroche »-t-il comme en s’adaptant spontanément à la vitesse acquise. Il ne paraît pas s’essouffler comme un moteur ordinaire, qui viendrait avec l’accroissement de vitesse buter contre une résistance égale à la force qu’il peut donner.
En pratique si le supplément de poussée dû à la PC est de 50% au niveau de la mer au point fixe, il atteint de 100% à mach 1, tandis qu’à haute altitude il sera de 80% à mach 1 et de 150% à mach 2.
(L’« accroche » sera d’autant plus nette que le réacteur dans son ensemble, turbine plus PC, voit la seconde prendre plus d’importance dans le total. Ceci est logique puisque la PC est la partie « statoréacteur » de l’ensemble, et que par sa nature même le statoréacteur voit sa poussée croître avec la vitesse, c’est-à-dire avec le débit d’air qui le traverse sans interaction avec le compresseur. C’est encore plus visible sur le J58 du SR-71 sur lequel la PC semble classiquement disposée en aval de la turbine de diamètre et poussée importants, mais est en fait alimentée en vol trisonique par des canaux provenant de l’entrée d’air, évitant la turbine ; cette dernière ne fournit alors plus que 15% de la poussée, soit un accroissement de poussée de 500% par la PC).
……………………….
59. PETIT CATALOGUE DES INEPTIES DANS LES FICHES TECHNIQUES DE LA LITTERATURE AÉRONAUTIQUE
Rien n’est affreux dans la presse aéronautique comme les fiches techniques, surtout au chapitre performances. Elles sont fréquemment compilées par un personnage qui ne comprend pas ce dont il parle.
Il ne s’avise pas toujours qu’il fournit des performances incompatibles entre elles, impossibles à obtenir simultanément. Voici un exemple : « vitesse : mach 2 ; autonomie : 5 heures ». Faut-il en déduire que la distance franchissable est de plus de 10000 km ? Merveilleux Mirage IV !
Autres exemples :
– Charge utile : 500 kg ; places pilote compris : 6 ; bagages : 40 kg ; distance franchissable : 1400 km.
Cela ne va pas : le passager aéronautique standard pèse 77 kg. Déduits de la charge utile autorisée, les occupants sans leurs bagages laissent moins d’une heure d’essence. Les 1400 km avec bagages ne sont possibles qu’à 3 occupants et non 6.
– Poids à vide : 3000 kg ; poids au décollage : 4500 kg ; carburant : 2800 litres : impossible ! sans d’éventuels bidons extérieurs dont il n’est rien dit.
– Poids au décollage : 250 kg ; moteur : 18 chevaux ; vitesse ascensionnelle : 6 m/s : impossible ! A lui seul, l’excédent de puissance requis pour grimper dépasse la puissante totale du moteur.
Les choses prennent un tour plus déplaisant lorsqu’il s’agit de vendre : voici un moteur à 2 temps à carburateur de 40 chevaux monté sur un ULM dont le vendeur annonce une consommation horaire en croisière de 5 litres.
Est-ce en croisière rapide classique à 75 % ? Certainement pas : la consommation spécifique de ce moteur à 2 temps serait inférieure du quart à celle des meilleurs Diesel. 5 litres en 2 temps à carburateur correspondent en vérité à 10 chevaux en continu, puissance dont on montrerait sans mal qu’elle ne suffit même pas à tenir le palier sur l’appareil considéré.
Très réjouissantes sont aussi les mentions comme : « poids approximatif : 4536 kg ». Que serait une valeur précise ? C’est qu’en effet le poids approximatif était 10000 livres avant le passage du « traducteur ».
Foule de performances de la même farine sont avec l’habitude bientôt repérables :
– Vitesse maximum : mach 2,27. Voilà qui paraît précis, mais fait en réalité 1500 mph tout rond.
– Poussée du réacteur J79 : 7711 kgp. Cette précision inepte même dans un air bien défini, vaut 17000 livres.
– Charges extérieures 2268 kg : bon pour 5000 livres.
– Meilleure altitude de croisière : 3048 mètres : 10000 pieds.
– Distance franchissable : 3704 km. Pas 3705 ? Non, mais 2000 milles nautiques.
– Plafond : 18288 mètres. Le plafond de 60000 pieds, il faut le savoir, est le plafond standard des chasseurs à réaction mach 2 dans la langue de bois du secret militaire.
– Plafond du SR-71 : 30480 mètres. Plafond de 100000 pieds ; la précision apparente de cette super-langue de bois de fer n’aura pas réjoui longtemps l’analyste soviétique. Le chiffre en outre est excessif.
– Rayon d’action : 2000 km sans ravitaillement en vol, 6000 avec un ravitaillement. Ceci ne tient évidemment pas debout. Se méfier toutefois de quelques cas où le décollage avec le plein de pétrole n’est pas possible.
Et ainsi de suite. Terminons avec les innombrables sottises du « rayon d’action », de loin la plus malmenée des performances. Maintes revues spécialisées ne semblent pas mieux se soucier de la définition de cette donnée-là que les journaux ordinaires ou les parleurs de la télévision. Les chasseurs à réaction sont les plus atteints par ce « n’importe quoi » en matière de rayon d’action : c’est la catégorie dans laquelle il varie le plus pour un même appareil en fonction du profil de la mission.
Ouvrons une journal de grande information, ou même hélas d’aviation, parlant du Mirage III. Il nous gratifie d’une fiche technique où nous lisons : « rayon d’action : 300 km ». Une autre publication décrit le MiG-21 avec pour le même paramètre la valeur de 800 km. Nous en déduisons que Marcel Dassault devrait prendre de sérieuses leçons chez MM. Mikoyan et Gourevitch. Un peu plus tard d’autres études paraissent qui renversent les données. Nous en concevons quelques doutes…
Les petits Observer’s Book of Aircraft annuels de William Green sont entre autres l’une des rares sources de chiffres sérieux.
Le lecteur présume que des machines de même époque et montrant donc des consommations spécifiques voisines auront des chiffres similaires. Donnons quelques ordres de grandeur du rayon d’action d’un avion de chasse anonyme de la classe du Mirage III. (Avez-vous songé qu’il s’est écoulé bien moins de temps entre les frères Wright et son premier vol qu’entre ce premier vol et nous ?)
1) Mission de bombardement avec emport d’un maximum de charges externes, le carburant se limitant à l’interne ; vol en haut subsonique rasant le paysage et retour en altitude : 250 km de rayon.
2) Mission de bombardement à distance emportant une seule bombe de 900 kg (2000 livres) et le maximum possible de carburant extérieur en bidons largables ; vol économique en haut subsonique à haute altitude (hors plongée à basse altitude sur l’objectif) : 1000 km de rayon.
3) Mission d’interception avec montée pleine postcombustion et mach 2 à haute altitude ; retour économique : 250 km de rayon.
4) Distance franchissable maximum dite de convoyage (« ferry range ») en croisière économique de haut subsonique à haute altitude, l’avion décollant avec le maximum de carburant en bidons extérieurs : 2500 km au moins (par exemple : convoyages en 1962 de Mirage III de Solenzara en Corse jusqu’en Israël).
A noter la propension à nommer rayon d’action ce qui est distance franchissable ; ce n’est acceptable que pour les avions commerciaux et les kamikazes.
………………………..
60. EFFET EN VOL DU RECUL DES ARMES
«J’ai fait feu de mes six mitrailleuses pendant 4 secondes et observé une chute de ma vitesse de 50 km/h»
Des affirmations similaires se rencontrent de temps à autre. Les simulateurs ne semblent pas tous, il s’en faut, reproduire le coup de frein qu’un déclenchement des armes en chasse produit par effet de recul, c’est-à-dire de réaction.
Le canon anti-char de 30 mm du A-10 peut cracher à la seconde 100 obus de 254 grammes, soit 25 kg de matière à la vitesse de 1000 m/s. La force de recul correspondante vaut 25000 newtons ou 2,5 tonnes-force (multipliez 25 par 1000). S’il était possible de vider en continu le chargeur de 1350 obus en 13,5 secondes, on freinerait les 15 tonnes de l’avion de 79 km/h et même d’un peu plus en tenant compte aussi de la masse des gaz éjectés.
Ce chiffre de 79 km/h n’aurait pourtant de sens que si les moteurs n’existaient pas, cessaient de pousser durant le tir, et si l’avion tirait sans piquer. Le tir revient simplement à enregistrer une baisse de poussée de 2,5 tonnes. Or nous avons pris ici le cas extrême ; examinons le cas d’un Corsair de 5 tonnes tirant par seconde 80 projectiles de 48 grammes à la vitesse initiale de 855 m/s. Dans tous ces exemples, nous convertissons les valeurs anglaises avec une précision logiquement compatible avec celle de la donnée anglo-saxonne. Le Corsair enregistre une force de recul de 335 kg, qui donne un ralentissement de moins de 2,5 km/h par seconde de tir. Ceci vaut toujours sans moteur en fonctionnement. Le pilote cité plus haut omet donc d’autres éléments bien plus importants que le tir pour expliquer son freinage. Peut-être faisait-il feu en tirant une chandelle.
………………………
61. ANALYSE D’UNE ILLUSION
Qui accélère le plus fort dans sa course au sol : un avion à hélice de 340 chevaux et 1400 kg, ou un Mirage III ? Le propriétaire de l’avion à hélice fait la comparaison dans une revue d’aviation.
Il note que le Mirage IIIE passe au décollage de 0 à 170 nœuds (315 km/h) en 700 mètres. Or le camarade de ce pilote venait de dire que l’avion à hélice atteint 100 km/h en 100 mètres de roulage.
Le pilote estime donc que son avion à hélice accélère deux fois plus vite que le Mirage. Il nous apparaît en effet que prendre 100 km/h en 100 mètres est bien plus fort que d’en prendre 315 en non pas 315 mètres, mais en 700.
Le pilote avait fait du Mirage ; mais on va voir comment la physique ne respecte même pas les souvenirs de régiment.
Tout se passe comme si l’on raisonnait ainsi : accélérer à 300 km/h en 600 mètres (nous arrondissons) est prendre 100 km/h tous les 200 mètres. L’avion à hélice les prend en 100 mètres ; il accélère deux fois plus.
C’est négliger le fait que l’accélération fait parcourir des espaces proportionnés au carré du temps écoulé, et non proportionnels au temps simple. Galilée l’avait découvert par ses expériences sur les plans inclinés.
Un Mirage qui atteint 315 km/h en 700 mètres atteint donc 100 km/h en : 700/3,15/3,15 = 70 mètres.
Pour accélérer deux fois plus fort, l’avion à hélice devrait accélérer à 100 km/h en deux fois moins de distance, ou 35 mètres. Or il lui en faut 100. Il n’accélère décidément pas deux fois mieux que le Mirage.
L’auteur au cours de sa vie a reçu quelques témoignages de mépris de pilotes moustachus par lui contrariés dans leurs déclarations enflammées
…………………………….
62. TABLEAU DES DISTANCES FRANCHIES EN FONCTION DE L’ACCÉLÉRATION AU DÉMARRAGE
Après toutes ces considérations sur l’accélération, donnons pour points de repère des valeurs que le lecteur saura retrouver et étendre moyennant l’utilisation de son manuel de physique du lycée.
En palier et en négligeant la résistance du milieu, la valeur en « g » de l’accélération est égale au rapport de la force propulsive sur le poids de l’appareil accéléré. 3 tonnes de poussée accélèrent un avion de 10 tonnes sous une accélération de 0,3 g. Rappelons que ceci n’a rien à voir avec les « g » encaissés en ressource ou en virage, et qui sont dirigés perpendiculairement au sens du mouvement de l’avion.
On donne ci-dessous le valeurs en « g » de l’accélération et nombre de km/h gagnés (ou freinés) par seconde écoulée sous cette accélération ; suivent les espaces parcourus sous cette accélération en 1, 2, 5, 10 et 30 secondes. Les très fortes accélérations longtemps prolongées ont valeur théorique.
0,1 g : 3,5 km/h – 0,5 m / 2 m / 12,5 m / 50 m / 450 m
0,2 g : 7 km/h – 1 m / 4 m / 25 m / 100 m / 900 m
0,3 g : 10,5 km/h – 1,5 m / 6 m / 37,5 m / 150 m / 1350 m
…………………………..
…………………………..
1 g : 35 km/h – 5 m / 20 m / 125 m / 500 m / 4500 m
2 g : 70 km/h – 10 m / 40 m / 250 m / 1 000 m / 9000 m
3 g : 105 km/h – 15 m / 60 m / 375 m / 1 500 m / 13500 m
………………………….
………………………….
7 g (catapulte de porte-avions) : 245 km/h – 35 m / 140 m / 875 m / 3500 m / 31500 m
………………………….
………………………….
20 g (engin anti-missile Nike Sprint) : 700 km/h, mach 2 en 3 secondes – 100 m / 400 m / 2500 m / 10000 m / 90000 m
………………………….
…………………………
Les plus récents modèles de soucoupes volantes disposent d’un système d’annihilation momentanée de l’inertie, qui leur permet avec un moteur de puissance finie des accélérations infinies et des virages de 90 degrés sur place.
…………………………
63. LOCKHEED U-2
Ce chapitre inaugure une série d’analyses d’avions un peu particuliers, hors des moyennes, dont il est intéressant d’étudier le pourquoi et le comment des caractéristiques inhabituelles.
L’U-2 avait autour de 1960 pour vocation la reconnaissance stratégique au-dessus principalement de l’URSS. Les moyens techniques manquaient encore pour faire l’avion mach 3 de même usage, le fameux SR-71 apparu quelques années plus tard.
L’U-2 doit franchir plusieurs milliers de kilomètres au-dessus du territoire adverse tout en volant vers 20000 mètres, afin de se soustraire aux moyens de défense anti-aérienne ; il doit plafonner au-dessus des chasseurs.
Mettons pleins gaz au décollage sur un U-2 pesant 10 tonnes, soit une charge alaire de 190 kg/m². Le réacteur donne 7,7 tonnes de poussée, ce qui imprime à l’appareil une accélération de plus de 25 km/h à chaque seconde de roulage. Il atteint donc en 6 ou 7 secondes la vitesse de 165 km/h à laquelle il peut décoller même sans volets hypersustentateurs ; c’est l’accélération d’un chasseur de la génération des premiers « mach 2 » des années cinquante. Il aura roulé 200 à 250 mètres.
Cependant, la structure de l’U-2 est pour motif de poids calculée au plus juste. Or ses ailes sont remplies de pétrole, et très longues. Il se peut qu’une accélération sur trajectoire trop vive produise à l’emplanture des ailes un moment de traînée (due à l’inertie et non à l’air) exigeant qu’on accélère plus modérément.
Cette éventuelle limitation s’efface dès la vitesse stabilisée en montée.
La montée s’installe aussitôt sur une trajectoire étonnamment raide. 7,7 tonnes de poussée peuvent soutenir 10 tonnes de poids sur une pente de 50 degrés. L’avion sera moins cabré pourtant par son pilote, de manière à prendre de la vitesse pour monter conformément aux bons usages déjà vus pour les appareils à réaction.
Il ne prendra cependant pas trop de vitesse aux basses altitudes, car sa vaste voilure le ferait bientôt exagérément traîner et perdre cet excédent de poussée qui le fait grimper si vite ; d’autre part sa construction est légère à l’extrême et point faite pour supporter la pression d’un air qui aux fortes vitesses indiquées résiste durement. Il n’est donc pas question pour grimper sec d’atteindre d’abord les 800 ou 900 km/h en montée habituels d’un chasseur à l’aile courte et chargée.
Disons que l’U-2 entame sa montée aux alentours de 150 à 200 nœuds, double de sa vitesse de décrochage, escaladant le ciel sous un angle impressionnant au terme d’une accélération de moto maintenue une vingtaine de secondes après le lâcher des freins.
Cette montée sèche et immédiate épargne à la structure des efforts aérodynamiques insoutenables. Si le moteur pousse de 7,7 tonnes, faire aller la machine à vitesse de pointe revient à peu près à faire résister l’air sur les ailes avec la moitié de cette même force, qui tend à les tordre. Une aile trapue le supporte, mais non pas à coup sûr une longue plume de planeur – sauf démonstration du contraire dont nous ne disposons pas.
L’altimètre défile alors à raison d’une soixantaine de mètres par seconde. Très vite on observe une baisse de poussée du réacteur, puisque celle-ci décroît à peu près comme la densité de l’air qui le traverse. A 6000 ou 7000 mètres le moteur ne pousse plus que de la moitié. La traînée de l’avion fin et maintenu à vitesse indiquée modérée est faible, et le plus clair de la poussée sert toujours à tenir l’U-2 en montée. L’angle de montée toujours considérable est cependant divisé par deux ; la vitesse ascensionnelle l’est dans une proportion nettement moindre, parce que la baisse de densité de l’air permet de laisser accélérer progressivement l’avion en montée en lui conservant la même basse vitesse indiquée ; il vole désormais à 250 ou 300 nœuds réels, soit autour de mach 0,5. Un angle de montée plus faible mais à vitesse sur trajectoire plus forte, laisse donc encore une vitesse ascensionnelle importante.
Altitude de vol favorite des avions à réaction «ordinaires», l’altitude de 11000 mètres (tropopause) est atteinte en cinq à six minutes. La poussée du moteur est tombée presque au quart, réduisant à une douzaine de degrés l’angle de montée : c’est encore le double de celui d’un bon avion de tourisme au niveau de la mer. La vitesse peut continuer lentement à croître sans que la résistance de l’air plus ténu blesse l’appareil, lequel grimpe encore à une grosse vingtaine de mètres par seconde.
Il approche de son domaine de prédilection, là où il est sans rival. Sa poussée décroissante aplatit de plus en plus sa montée ; mais la résistance de plus en plus faible de l’air traversé permet à l’avion d’atteindre sa vitesse maximum voisine de 800 km/h sans violenter sa structure. Sa vitesse maximum n’est pas limitée par la poussée du réacteur mais par l’approche de la vitesse du son ; un avion à aile droite et épaisse ne dépasse guère mach 0,75 sans devenir mal contrôlable.
La morphologie de planeur de l’U-2 prend de plus en plus d’importance avec l’altitude. La charge alaire faible due à la grande voilure permet à l’air ténu de la sustenter encore ; le grand allongement donne à l’avion une finesse élevée, qui ne requiert ainsi que peu de poussée pour le tenir en palier ; le réacteur peut donc n’avoir plus à donner qu’un pourcentage minime de sa poussée initiale au décollage ; et il ne peut en effet donner mieux dans l’air des très hautes altitudes.
L’U-2 peut ainsi grimper jusqu’à ce que sa vitesse de décrochage toujours plus élevée dans un air toujours plus rare finisse par rejoindre son mach limite proche de 800 km/h. A quelle altitude décroche-t-il à 800 km/h ? Cette vitesse étant quintuple de sa vitesse de décrochage près du sol, l’altitude considérée est celle où l’air est 25 fois moins dense qu’au niveau de la mer. Cette altitude est comprise entre 25000 et 30000 mètres, supérieure à ce qu’avouaient les Etats-Unis à l’époque de l’utilisation de l’U-2 sur l’URSS : on gagne généralement à minimiser ses capacités. Le plafond du U-2 croît en fait de plusieurs kilomètres entre le début et la fin de ses milliers de kilomètres d’autonomie, puisque l’appareil s’est allégé de plus de trois tonnes de carburant.
Il reste à supposer que le réacteur dans l’air très raréfié donne encore la poussée nécessaire à tenir l’engin en palier. Il ne suffit pas de pouvoir tenir l’air sans décrocher si rien ne pousse derrière. L’U-2 dispose à vue de nez d’une finesse maximum de 20 pour le moins (il semble qu’il dépasse 25). A s’en tenir à ce chiffre comme à la masse moyenne de 8 tonnes en vol de croisière, il faut disposer de 8000/20 = 400 kgp. Il faudra un peu plus dans la mesure où l’avion à une certaine altitude ne peut plus conserver sa vitesse de finesse maximum sous son mach limite ; sa vitesse se rapprochera comme on l’a vu de la vitesse de décrochage, plus basse et où la finesse est diminuée.
Une poussée de l’ordre de 500 kgp représente le quinzième de la poussée au niveau de la mer. Quel critère va limiter le plafond, de la baisse de poussée ou de la jonction progressive entre vitesse de décrochage et mach limite ?
A son plafond l’avion présente le comportement «sur une pointe d’épingle» d’une machine dans cette situation. C’est ce que la littérature appelle le «coffin corner» à propos notamment du Me 262 et du B-47 : qu’on ralentisse un peu, et c’est le décrochage ; qu’on accélère un peu, et c’est l’entrée dans les phénomènes transsoniques déstabilisants.
Il reste une fois la mission terminée à redescendre. On voit que l’U-2 peut franchir en plané quelques 500 km, produit de sa finesse par sa hauteur de croisière. Si sa finesse est 20, il reste 500 km depuis 25 000 mètres.
Après ces considérations pour bonne partie spéculatives, nous avons trouvé sur la toile une vidéo montrant la montée en très haute altitude d’un U-2 de seconde génération, celle dont l’aile passe de 52 à plus de 90 m² tandis que la masse maximum grimpe de 10 à 18 tonnes ; la charge alaire demeure du même ordre.
L’intéressant est que la vidéo laisse entrevoir quelques images du tableau de bord, dont l’observation donne des chiffres concrets.
Ainsi voit-on comment à l’altitude de 8800 mètres (29000 pieds) la vitesse indiquée vaut 153 noeuds et le mach : 0,409 ; c’est bien comme nous suggérions plus haut la moitié de la vitesse de translation en montée rationnelle d’un avion du genre chasseur.
Les paramètres de croisière opérationnelle sont les plus intéressants : nous voyons le tableau de bord apparemment stabilisé à 21300 mètres (70 000 pieds), avec une vitesse ascensionnelle résiduelle minime.
La mach est 0,707.
La vitesse indiquée vaut 104 kt.
La vitesse de décrochage affichée pour sécurité est 101 kt indiqués.
La vitesse à ne pas dépasser est 110 kt indiqués. Il correspond sans doute au mach limite qu’il est aisé de calculer : 0,707 x (110/104) = 0,75. Cette valeur est logique avec une voilure droite épaisse.
Mach 0,707 à cette altitude vaut 406 kt réels. La vitesse indiquée de 104 kt seulement est 3,9 fois moindre que la vitesse réelle ; l’air est ainsi 3,9² ou 15 fois moins dense qu’au niveau de la mer.
La croisière doit être maintenue dans un étroit domaine de 101 à 110 kt indiqués, soit 9 kt indiqués ou 9 x 3,9 = 35 kt réels ou 65 km/h réels.
Le plafond de l’appareil sera atteint plus haut lorsque l’écart de 9 kt indiqués/65 km/h réels, sera ramené à zéro, et si le réacteur veut bien donner encore assez de poussée pour y monter. Nous ignorons malheureusement à quelle masse est photographié le tableau de bord ; sans doute en début de croisière au vu de la vitesse de décrochage qui semble trop importante pour la charge alaire en fin de vol, lorsque plusieurs tonnes de carburant ont été consommées.
Une anecdote pleine d’enseignements concerne le premier vol de l’U-2 en 1955. Le pilote extrêmement expérimenté devait s’y reprendre à cinq fois pour poser l’appareil. L’ingénieur concepteur en vint même à lui recommander l’éjection. L’avion au-dessus de la piste « flottait » sans prendre contact.
Nous ne savons pas les causes de l’incident. Nous pouvons donc songer à bien des explications. On peut supposer que des turbulences fortes dues à l’ensoleillement aient créé sur la piste une zone ascendante et secouée mettant un motoplaneur à mal ; c’était un 6 août ; mais on peut penser qu’un si nouvel appareil fut essayé en une heure de calme. On peut imaginer une poussée résiduelle du réacteur au ralenti trop forte : elle peut alors compenser une part considérable de la faible traînée d’un avion très fin, qui dès lors ne veut plus ralentir.
On peut imaginer que la piste était en légère descente, peu gênante pour d’autres avions. Si toutefois l’on combine : 1) une finesse élevée encore accrue par une poussée résiduelle excessive ; 2) une piste en descente… ainsi qu’un soupçon de vent de dos inattendu… on peut aboutir à voir une piste déclive survolée par un appareil qui descend exactement comme la piste elle-même. Atterrissage impossible.
On dira qu’il suffit de revenir se poser en sens inverse ; mais cela n’est pas toujours praticable. Un soleil rasant et bien de face peut causer au pilote de grandes difficultés. La chose en aéro-club s’observe non rarement.
Le caractère très inhabituel de l’avion a-t-il pu prendre en défaut la compétence du pilote ? Nous n’en savons rien, mais concevons qu’un pilote de machines ordinaires n’ayant pas assez bien intellectualisé le caractère d’exception d’un avion trois fois plus fin, puisse se retrouver embarrassé.
Un avion courant en approche tout réduit plane avec 6 à 8 de finesse ; il ne demande qu’à toucher le sol ; quand le pilote arrondit pour le placer en palier près de la piste, la traînée induite intense aux vitesses proches du décrochage cause un ralentissement prompt. L’atterrissage est facile.
L’U-2 est donc de par sa légèreté au mètre carré et par sa finesse «anormale», une bien autre machine que les fers à repasser habituels à l’atterrissage. Un pilote peut n’avoir pas suffisamment intériorisé au préalable le comportement que sa géométrie particulière va donner au motoplaneur en finale. Faute d’exercice au simulateur, il se faut préparer par la réflexion.
Nous avons dit plus haut que poser un planeur très fin sans aérofreins et sans effacer la piste relève de la quasi-impossibilité. Si le pilote qui est en avion oublie également que cet avion est de surcroît un planeur, il va longtemps courir après un sol qui se refuse.
Il est bien certain qu’un avion quelconque même U-2 se posera invinciblement si sa vitesse tombe à la vitesse de décrochage ; mais la traînée minime fait que le ralentissement en palier après arrondi est interminable. Nous avons déjà vu aussi comment un planeur en approche sans aérofreins peut prendre facilement un excédent de vitesse préjudiciable en approchant du seuil de piste, pour peu qu’il soit un rien trop haut. Il est ainsi malaisé à présenter à vitesse faible en entrée de piste, puis malaisé à ralentir, surtout avec un résidu de poussée.
Si par malheur un train trop court ne permet pas de toucher terre à la vitesse de décrochage, mais seulement un peu plus vite, le toucher des roues enfin obtenu peut entraîner dans une situation tendue un rebond de bonne longueur, suivi d’autres jusqu’à ce que chocs et faible traînée aient fini d’épuiser l’énergie cinétique.
Si les difficultés pour poser l’U-2 à son premier vol ont quelque chose à voir avec tout ou partie des éléments ci-dessus, on aura souligné par un frappant exemple extrême l’utilité d’un excellent ressenti intellectuel de la physique du vol lorsque ses effets s’écartent de la banalité.
………………………..
64. CURTISS-WRIGHT CW-21 Demon : LE ZERO AMERICAIN
Il est convenu de dire que les chasseurs étasuniens de la guerre du Pacifique étaient lourds, chargés au cheval (mauvaise vitesse ascensionnelle) et au mètre carré de voilure (mauvais rayon de virage) ; cependant que leurs adversaires Zéro possédaient les caractéristiques exactement inverses, d’où leurs succès étonnants au commencement de ce conflit.
Bien entendu les chasseurs étasuniens ultérieurs étaient plus massifs encore, mais les Japonais avaient mal suivi le mouvement, en sorte que la puissance brute des Corsair et Hellcat décidait sans subtilité de la victoire finale.
Or les Etats-Unis disposaient de leur propre Zéro, le Demon produit en modeste série. Ils l’exportaient sans l’utiliser eux-mêmes, comme ils faisaient de plusieurs autres chasseurs (souvent bien quelconques) de ce temps.
Le Zéro japonais classique A6M2 dispose de 925 chevaux. Il pèse 2410 kg au décollage, répartis sur une aile de 22,44 m². La charge alaire est ainsi de 107 kg/m² et la charge au cheval 2,61 kg. Il atteint 540 km/h à 6000 mètres.
Le «Zéro» américain a 1000 chevaux pour 2041 kg, c’est-à-dire 2,04 kg par cheval. Son aile recouvre 16,19 m² : charge alaire de 126 kg/m². Sa vitesse de pointe est 506 km/h à 5000 mètres.
On voit que l’un semble devoir virer un peu plus serré, tandis que l’autre a un peu plus de puissance pour s’accrocher à ses manœuvres. On pourrait les penser assez équivalents.
L’avion nippon doit sa légèreté à la mise en œuvre de la plus pure bravoure samouraï : absence de blindage du pilote comme absence de protection des réservoirs. Les chasseurs du Nouveau Monde au contraire au fil de la guerre s’alourdirent de mille protections dont il est malaisé de dire qui d’elles où du volume des flottes eut le plus d’effet défensif.
Or il est très remarquable d’observer que non seulement le Demon est proche du Zéro par ses caractéristiques, mais qu’il l’est aussi par le même rejet de toute protection. Il est vrai que le Demon n’était destiné qu’à l’exportation.
Le Demon pour gagner du poids par tous les moyens ne boulonne pas l’aile au fuselage, mais construit les deux d’un bloc, solution rare parce que malcommode en termes de manutention et de «réparabilité».
Hélas ! Les Demon employés aux Indes néerlandaises assaillis en février 1942 par les Zéro furent mis en pièces en deux ou trois jours. Valeur des équipages ? Canons de 20 du Zéro face aux mitrailleuses de 12,7 du Demon ? Dommage ! L’essai du Demon était intéressant a priori.
……………………….
65. P-51 Mustang : LE CHASSEUR AU PLUS LONG RAYON D’ACTION
L’apparition au-dessus de l’Allemagne de cet appareil à très long rayon d’action, capable d’escorter les bombardiers jusqu’en Pologne (actuelle), sonna le glas de la chasse allemande décimée justement en luttant notamment contre le P-51. A ses premières apparitions sur l’Allemagne très profonde, Göring aurait voulu nier tout simplement sa présence aussi loin de ses bases. Le pilote Göring resté aux avions de 1918, et de surcroît fort peu versé dans la compréhension de la technique et de ses effets, refusait qu’un chasseur pût aller à 1500 km et rentrer. Il est vrai que le Bf 109 et le Spitfire n’en faisaient souvent pas le quart.
Où est la magie de la distance franchissable du P-51, même sur son essence intérieure ?
L’élément de réponse le plus évident tient à la quantité de cette essence. En chiffres ronds : une essence normale de voilure déjà importante de 600 litres est portée à 1000 litres par adjonction d’un réservoir de fuselage derrière le pilote. On a là déjà 1,5 à 2 fois l’emport d’un autre chasseur de même gabarit. Il résulte du réservoir de fuselage un décentrage arrière dangereux, mais c’est la guerre. Un fois parvenu sur l’Allemagne, l’essence de fuselage est bien entamée ; l’avion redevient apte au combat. On dira que le bidon extérieur était à l’intérieur.
Le moteur présente un qualité inhabituelle de réglage aux bas régimes. Alors que la consommation aux très basses puissances de croisière lente tend généralement à ne pas décroître autant que la puissance fournie (pouvant même empêcher d’exploiter tout le bénéfice théorique de voler à la basse vitesse de finesse maximum), le moteur du P-51 est meilleur sur ce plan ; sa consommation spécifique en d’autres termes ne se détériore pas comme d’autres aux basses puissances.
C’est la première adoption sur chasseur d’un profil laminaire. La finesse maximum en atteint 14, deux ou trois points au-dessus de la concurrence. Le Mustang croise ainsi avec d’autant moins de chevaux.
Vient enfin le fameux radiateur. Il est de préjugé bien ancré de regarder le refroidissement comme un boulet, un inévitable frein. Le radiateur à liquide pourrait devenir source de poussée si ses serpentins chauds placés au bon endroit d’un canal en forme de petit statoréacteur, y remplaçaient un brûleur de pétrole. Assurément les serpentins sont plutôt froids en regard d’une flamme, et la chaleur qu’ils cèdent à l’air de refroidissement ne donnera pas grande poussée. Ils réduiront cependant la traînée de refroidissement du petit statoréacteur, qui de la sorte traînera seulement un peu plus qu’il ne pousse. C’es l’effet Meredith, encore appelé effet Cresson par un humoriste boomer se croyant encore au siècle dernier.
On obtient un excellent résultat sur le P-51. A sa vitesse de pointe de 700 km/h à 7500 mètres la traction de l’hélice est voisine de 450 kg et la traînée du radiateur de 180 kg. Cependant la poussée par effet Meredith est alors de l’ordre de 160 kg, restreignant la traînée à un pourcentage minime de la traction de l’hélice. La traînée de refroidissement du Mustang ne représente ainsi plus à vitesse de pointe qu’une quarantaine de chevaux.
On objectera que l’effet Meredith ayant été découvert en Angleterre au début des années 1930, le Spitfire en bénéficie certainement. Il en bénéfie en effet, officiellement, comme d’autres appareils similaires tels le Bf 109. Malheureusement les 40 chevaux de refroidissement du P-51 à vitesse maximum deviennent 200 sur l’avion britannique. Cela tient d’une part à l’entrée d’air du radiateur, nettement séparée du fuselage sur le P-51 pour épargner à l’aérodynamique interne du radiateur les perturbations de la couche limite du fuselage, et d’autre part à la conception du volets de réglage de la sortie du radiateur. Pour exploiter l’effet statoréacteur le volet doit suivre les variations de la vitesse de l’avion, ce qui est assuré sur le P-51 par un vérin au fonctionnement automatique, tandis que le Spitfire ne dispose que d’un volet à deux positions comparativement très insuffisant. Le gain de vitesse dû à l’effet Meredith sur chasseur est de l’ordre d’une quarantaine de km/h. Avec le même moteur le refroidissement du Mosquito est agencé de manière à obtenir un résultat intermédiaire.
Tous les éléments favorables se cumulent ainsi en faveur de la distance franchissable inhabituelle du P-51.
……………………….
66. LES AVIONS CANARDS
Canardplanes, Canardflugzeuge, les avions canards doivent leur nom à la longueur de leur fuselage en avant de leur aile placée à l’arrière ; c’est une image du long cou de l’animal en avant de son aile. Cela mis à part, l’équilibre des oiseaux ne répond pas du tout au principe de celui des avions canards.
On a vu qu’il n’est pas possible de considérer la surface de l’empennage horizontal arrière d’un avion classique comme une surface très fortement portante, sans quoi l’appareil ne pourrait être stable. Si l’on voulait que la queue participât notablement à la portance totale, le centre de gravité devrait être beaucoup trop en arrière pour la stabilité. Or on démontre que le canard exige l’inverse : il n’est stable que si le plan avant, le plan canard, est par mètre carré aussi porteur que l’aile. Il faut même qu’il le soit davantage, portant parfois par mètre carré jusqu’à près du double de l’aile.
Le poids respectivement porté par l’aile et le plan canard est simple affaire de position du centre de gravité quelque part entre les deux. De même un fardeau pendu en un point variable d’une perche, soutenue par les épaules de deux hommes qui se suivent, pèsera variablement sur l’un et l’autre selon qu’on avancera ou reculera ce fardeau.
Supposons qu’une perturbation (turbulence, petite action au manche) cause un cabré de l’avion canard en levant son nez ; le nez plus chargé que l’aile arrière retombera à sa place initiale ; s’il était moins chargé, la perturbation s’amplifierait en relevant ce nez sans poids jusqu’à passer cul par-dessus tête comme ferait une flèche qu’on tirerait à contresens, plumes en avant.
Soit un avion classique disposant de 6 m² d’aile et de 1 m² d’empennage horizontal en queue. Seuls portent (ou presque) les 6 m² d’aile. Soit un canard de même poids avec 1 m² de plan avant ; puisque le m² de plan canard avant supporte (par exemple) autant que 1,5 m² d’aile, il suffit à l’aile de 4,5 m² au lieu de 6. Bref, 5,5 m² de surfaces diverses sur un canard remplacent 7 m² sur un avion classique.
Ajoutons à cela la compacité de l’avion canard, illustrée à merveille par le Varieze où le pilote a les pieds dans le nez, et le passager en tandem le moteur collé au dos : l’avion canard peut être très petit. De tous ces volumes et surfaces en moins, résulte une traînée en croisière rapide parfois fortement réduite.
La formule canard est-elle dès lors intrinsèquement supérieure ? L’apparition du Varieze en 1975 l’a laissé penser à beaucoup, dont votre serviteur. L’engin brillait en vitesse de croisière. C’était pourtant ne pas voir diverses choses.
Le Varieze est un petit chef-d’œuvre d’optimisation géométrique et massique d’avion léger biplace. Il tient pour une bonne part à cela qu’il aille plus vite que des machines plus anciennes et tout simplement moins élaborées. Les rivaux demeurés en formule classique se sont empressés de produire des avions tout aussi polis de surface, peu voilés, courts et dotés d’empennages dont la surface est parfois à la limite du sérieux ; bref, la vitesse de croisière de la formule classique remonte pratiquement à celle du canard. Le Varieze fut simplement un des tout premiers avions vraiment compacts ; on en a déduit un peu vite une supériorité propre à sa formule.
Le canard présente un défaut acceptable seulement sur un avion raisonnablement léger : on ne peut pas pour ainsi dire pas l’hypersustenter. La vitesse de décrochage de l’avion canard est évidemment celle de son plan avant, le plus chargé au m² ; l’aile principale pendant ce temps ne porte donc pas à fond. On reperd ainsi ce qu’on avait pensé gagner avec le caractère porteur du plan canard.
Le vol à vitesse minimum de sustentation se fera évidemment avec le gouvernail de profondeur du plan canard abaissé. Le plan canard avec son avant fixe et sa gouverne abaissée ressemble à une aile dont les volets de courbure sont braqués. La plan canard portant 150 kg au m² peut, gouverne abaissée, voler aussi lentement que l’aile arrière qui ne porte que 100 kg au m². On voit que si le plan canard dans cet exemple se trouve au maximum de sa portance pour la vitesse minimum possible à l’avion, l’aile arrière est encore loin de ce qu’elle pourrait faire. Elle est mal exploitée.
Or, il n’est (presque) plus question d’ajouter des volets de courbure à cette aile, puisqu’on lui permettrait alors de voler moins vite ; il en résulterait l’obligation d’augmenter encore l’hypersustentation du canard déjà exploité à fond. Or c’est impossible… puisqu’il est déjà exploité à fond. Il n’y aura donc pas ou presque pas, de volets à l’aile principale.
L’avion canard est un avion petit et rapide, mais sans volets. Si l’on veut qu’il se pose lentement, il faudra donc une grande aile principale qui l’empêchera d’aller plus vite qu’un avion classique hypersustenté.
Le Varieze étant une chose très légère, peut décoller d’une piste quelconque avec une vitesse encore modérée malgré son peu d’aile et son absence d’hypersustentation. Il ne décolle nullement court pour une machine de sa masse, mais sa masse faible fait qu’il ne décolle pas abusivement long dans l’absolu.
On ne peut cependant extrapoler pleinement ce raisonnement à un avion massif. Non seulement il ne décollera pas court pour sa catégorie non plus, mais du fait de sa charge alaire plus élevée il décollera long dans l’absolu également, trop long. On pourrait compenser en lui donnant assez d’ailes pour diminuer sa charge alaire en regard d’un avion ordinaire comparable. On aurait alors : 1) un grand avion canard traînant plus d’ailes qu’un avion classique comparable, résultat absurde ; 2) un grand avion canard comparativement plus voilé que les petits de même formule… qui peuvent être rapides parce que peu voilés ! Adieu dès lors à l’intéressant calcul fait plus haut sur le gain de surface portante dû à la formule canard.
On ne dérive ainsi pas nécessairement une merveille d’une autre ; on ne dérive pas nécessairement un grand canard réussi d’un petit qui l’était plus ou moins. Ainsi le grand canard Beech Starship de science-fiction ne croise-t-il qu’un peu plus vite que le King Air 350 de même masse et de même emport. Encore le fait-il avec nettement plus de chevaux ! Il présente en revanche une vitesse minimum de 99 nœuds qui n’a rien de remarquable : il a bien des volets de courbure à l’aile principale, mais ils ne se braquent pas à plus d’un très modeste 14 degrés. Nous avons expliqué plus haut pourquoi on ne peut faire plus.
Ajoutons que si l’avion canard est petit et performant en croisière rapide, il risque de s’avérer moyen en grimpée à basse vitesse. Son plan avant est moitié plus chargé que l’aile principale, voire davantage. Or la montée se faisant à basse vitesse, la traînée induite est considérable. La traînée induite croît au carré de la charge au m², tandis que le plan canard est au moins chargé 1,5 fois plus au m² que l’aile ; il présente ainsi par essence une traînée induite par unité de surface plus que double de celle de l’aile (puisque 1,5 au carré dépasse 2).
L’empennage arrière d’un avion classique ne présente pas du tout cet inconvénient puisque sa charge est très faible ou presque nulle. La traînée induite de l’avion canard aux basses vitesses est donc pénalisante. A cela l’allongement spectaculaire au plan canard du Varieze est un palliatif partiel.
L’histoire de l’aviation qui avait débuté avec les canards Wright et Voisin, a vite relégué la formule à une place très secondaire. On peut y voir de la subjectivité : Blériot qui fit des avions classiques les mit mieux au point et n’en fut que plus volontiers imité. Cependant il n’existait pas d’hypersustentation à l’époque, ce qui écartait pour deux décennies les difficultés du canard en la matière. Mieux mis en valeur par un pionnier auréolé par un exploit comme de la traversée de la Manche, le canard aurait pu se tailler alors une place qu’il aurait partiellement conservée sur petits avions.
Il existe un autre obstacle au canard gros porteur. Le chargement doit se répartir en avant comme en arrière du centre de gravité de l’avion vide, afin que ce centre ne gravité ne se déplace pas beaucoup malgré de grandes variations dans le poids du chargement. Sur avion classique on dispose d’une longueur de chargement presque aussi grande que le fuselage, pourvu qu’on répartisse correctement le poids emporté. Sur avion canard le centre de gravité est modérément en avant de l’aile principale, et il n’y a guère de longueur de fuselage derrière. La longueur possible de chargement en est nettement réduite.
……………………….
67. LES AILES VOLANTES / PSYCHOLOGIE DE LEURS DÉTRACTEURS
Aile volante : cette expression stupide est consacrée par l’usage. L’anglais dit de même flying wing tandis que l’allemand plus logique a choisi Nurflügel, « aile seulement ».
Ces appareils courts et sans empennage horizontal, voire vertical, sont indubitablement séduisants. Précisons le principe de leur équilibrage avant de cerner leurs utilisations possibles mais limitées.
Il suffit dans le principe de donner à l’aile une flèche telle que ses extrémités soient assez en arrière pour qu’on place deux gouvernes de profondeur là où sont usuellement les ailerons ! Ces gouvernes tiendront alors également lieu d’ailerons. Les ailes volantes anglaises Dunne d’avant 1914 sont de ce type.
Il est évidemment plus élégant d’inventer des profils spéciaux permettant de se passer de ce substitut d’empennage horizontal ; la forte flèche plus complexe de structure et de construction ne sera plus nécessaire. Ainsi naquirent les planeurs Fauvel en France et Marske aux Etats-Unis.
Le principe revient quand même à équilibrer l’appareil en dotant l’aile elle-même d’une sorte de gouvernail de profondeur, mais fixe, invisible, incorporé à son profil.
On dispose très en avant le centre de gravité d’une aile volante, en avant de 23% de sa corde. Le centre de portance d’un profil ordinaire est toujours plus en arrière que cela. L’aile volante plongerait donc en piqué sans issue, si tout le bord de fuite n’était par construction braqué de quelques degrés vers le haut comme serait une gouverne de profondeur devant assurer le même équilibrage. Bien entendu ce bord de fuite relevé vient en douceur après les courbures de l’extrados et de l’intrados ; on n’observe pas la cassure visible entre un profil usuel et une gouverne braquée. La gouverne proprement dite, articulée, est une fraction mobile de ce bord de fuite partout relevé. Un tel profil est dit autostable.
C’est tellement enfantin qu’on se demande pourquoi ce n’est pas généralisé.
La réponse vient vite : équilibrer un avion n’exige tout au bout d’une longue queue qu’une force faible ; l’équilibrer par le bord de fuite, un mètre par exemple en arrière du centre de portance, requiert une force notable. De par le bord de fuite relevé, cette force est dirigée vers le haut : elle est notable et réduit sensiblement la portance.
Puisque tout se fait sur le même profil, ce sont en pratique les caractéristiques de la portance finale de ce profil (intensité, emplacement du centre de portance) qui traduiront la présence de l’équilibrage sur le profil lui-même.
La portance d’une aile volante est donc faible en regard d’une aile ordinaire, tout égal par ailleurs. L’aile volante ne pourra décoller à vitesse raisonnable qu’avec une charge alaire limitée.
La situation empire encore parce qu’il est impossible d’hypersustenter un aile volante. Comment braquer vers le bas des volets de bord de fuite lorsque le principe du profil autostable est justement d’avoir une sorte de volet fixe toujours braqué vers le haut ?
Aussi les grosses ailes volantes que sont les bombardiers Northrop B-35, 49 et 2, ont-elles des charges alaires moitié de celles des avions classiques lourds équivalents. Un B-2 dispose d’une surface alaire analogue à celle d’un 747 pour une masse au décollage de la moitié.
Il en résulte que si le B-1 de très forte charge alaire est adapté à la pénétration à basse altitude, les grosses ailes volantes sont des machines d’altitude.
Il en résulte aussi que leur aile immense n’est pas si économique pour une masse au décollage et un emport de charges donnés.
Que l’équilibrage vienne d’un petit empennage loin de l’aile ou de l’aile même, cet équilibrage cause une traînée. On a vu que l’équilibrage de l’aile volante réclame un effort important : la traînée en sera importante. Elle parviendra à rendre d’intérêt faible ou nul l’économie de traînée du fuselage et de l’empennage habituel. Bref, un profil autostable ne détient aucun record de finesse. C’est ainsi que les planeurs aile volante n’ont pas montré de supériorité particulière. Ajoutons la crainte justifiée ou non de culbuter sur le dos en cas d’atterrissage sur mauvais terrain hors aérodrome.
L’aile volante présente une particularité : un avion réellement géant en sera une.
On montre par le calcul que le longeron principal de voilure d’un avion dont le gros de la masse est dans le fuselage (gros porteur en fin de vol), croît avec les dimensions et la masse plus vite que ces facteurs : il viendra une taille où l’avion ne transportera plus que son longeron.
Cela tient à la croissance du moment : (force de portance x distance) qui, des parties éloignées de l’aile, sépare son point d’application moyen d’avec le fuselage où le poids est concentré. Le moment fléchissant à la base du longeron, à son attache au fuselage, devient extravagant, et les sections de matériau résistant dans le longeron le deviennent aussi. Cet inconvénient déjà important sur les gros avions se combat partiellement en lestant la longueur des ailes avec des moteurs et du carburant. Lorsque croissant toujours avec des envergures titanesques l’inconvénient deviendra prohibitif, il ne restera qu’à répartir toute la charge régulièrement en envergure ; une répartition parfaitement homogène fait tomber en théorie à zéro le moment fléchissant en tout point de l’envergure et le résultat sera une aile volante.
L’auteur a fait jadis quatre vols sur l’aile volante Fauvel sans flèche qu’est le planeur AV-36. Ce fut une expérience technique et psychologique intéressante.
Le pilotage est ce qu’on pouvait attendre : ailerons aux effets normaux, direction paresseuse (pas de bras de levier), profondeur très sensible et vive. La profondeur sans doute n’a pas de bras de levier non plus, mais l’inertie en tangage est très minime de par l’absence de longueur de fuselage et de queue ; elle est bien plus faible que l’inertie en lacet.
L’atterrissage est très délicat et devient facilement très désagréable. La vivacité de la profondeur exige tout d’abord un doigté notable. Il n’y a pas de roue, rien qu’un patin comme sur cette autre aile volante qu’est un Messerschmitt 163. Les rebonds multiples sont mal évitables sans une belle expérience. Ils sont durs. Ils sont d’une impressionnante amplitude de mouvements en tangage, par faute d’inertie sur cet axe.
L’aspect psychologique n’est pas d’un moindre intérêt. L’aile volante quand nous voulûmes la piloter dormait sous la poussière au fond du hangar du vol à voile. Les pilotes préféraient passer davantage de temps assis à ne rien faire dans l’herbe, plutôt que disposer en piste d’une machine de plus dès lors que cette machine était une aile volante.
Avec la fausse naïveté de nos dix-huit ans, nous demandâmes aux vieux pilotes si par hasard l’engin inhabituel leur faisait peur. Nul n’en convint, il va de soi. Il plut en revanche une grêle d’excellents arguments pour demeurer au sol et non point voler en Fauvel.
Cet engin notamment, disaient les vieux, n’avait aucune finesse et chutait comme un pavé. Aussi n’allait-on pas s’embêter avec ce tas de bois.
Ce n’était pas de chance : nous avions dans un vieil Aviasport trouvé la fiche technique précise de l’aile volante laissée au hangar, ainsi que celle de notre vénérable planeur monoplace Castel 311P de formule classique, mis en piste à chaque séance. Les documents indiquaient une finesse et un taux de chute indiscutablement meilleurs pour le Fauvel.
La conclusion s’imposait : ces braves gens avaient la frousse. Il mettaient à décrier l’engin une insistance et une emphase absolument déplacées au regard de la fiche technique.
Nous ne partagions pas cette inquiétude puisque des dizaines d’AV-36 avaient déjà volé : pourquoi serait-il arrivé malheur particulièrement à nous ? Ce raisonnement simple et apparemment évident n’effleurait donc qu’un pilote sur quinze ou vingt présents. Pourquoi ?…
Nous pouvons prolonger cette remarque en observant que pas un pilote sur cent ne veut entendre parler d’une expérience parachutiste. Quel pilote pourtant n’a rêvé d’évoluer en l’air avec le minimum de carlingue autour de lui ? Aussi avons-nous sauté en parachute avec le sentiment qu’il est un peu bien inutilement dédaigneux de nommer « rampants » ceux qui veulent rester dans leur fauteuil au sol, quand on ne fait guère soi-même que transposer ce fauteuil sûr et stable rien qu’un peu plus haut. Le « courage » n’est souvent que de la logique.
Nous allons nous faire des amis.
……………………….
68. COLOMBAN MC-10 Cri-Cri : ANALYSE D’UNE DÉMARCHE DOPTIMISATION
(Cette analyse qui n’est que de nous, n’engage en rien le concepteur de la machine).
On a bien mieux compris l’aéronautique lorsqu’on a saisi l’esprit d’un processus d’optimisation à la conception.
La littérature donne souvent l’exemple classique de la démarche intellectuelle par laquelle Heinemann, concepteur en chef chez Douglas, créa le petit avion d’attaque Skyhawk. Il trancha dans le vif pour faire tomber de plus de moitié la masse au catapultage d’un avion embarqué, par rapport à ce qu’autorisait le cahier des charges des militaires. Il conservait bien entendu la capacité d’emport et rayon d’action réclamés.
Plus proche de nous, le minuscule bimoteur de construction amateur (mais de conception fort professionnelle) Cri-Cri apparu en 1972. Son surnom est l’un de ses rares défauts. Le CC est un exercice de style d’optimisation de la masse à vide : 70 à 80 kg.
Comme toute chose optimisée, il ne l’est pas dans tous les domaines et paie parfois cher son optimisation.
On n’optimise rien si l’on ne part d’une table rase de toutes solutions éprouvées et habitudes si établies qu’elles passent pour des fondements techniques définitifs.
La démarche dans la conception du Skyhawk fut la suivante : on calcule la masse en charge d’un avion répondant à la mission demandée, et emportant tous les équipements qu’un pilote étasunien richement doté est en droit d’attendre. On dépouille alors le projet de tout ce dont on peut à l’extrême se passer, et l’on conçoit spécifiquement chaque pièce d’équipement qui reste admise. On a même dès ce temps envisagé la suppression du manche classique. On a refait un siège éjectable allégé. Pour finir, la masse totale était assez modique pour se dispenser d’une envergure exigeant classiquement un pesant dispositif de repliage d’ailes pour porte-avions. Le projet définitif pesait 6500 kg en charge pour plus de vitesse, d’emport et de rayon d’action que n’exigeait la marine qui pourtant avait consenti une masse de 13,6 tonnes.
Ce n’est certes pas en grattant des grammes de tous côtés sur avion existant qu’on gagne des tonnes. En revanche se produit un effet « boule de neige » si du poids est grignoté ici ou là dès la conception. Supposons le moteur habituel remplacé par hypothèse par un autre moteur de poids moitié moindre. Le projet d’avion requiert sur le papier moins de surface d’aile, moins de chevaux, moins de carburant… nouveaux bénéfices qui à leur tour exigent moins d’aile, de moteur, de carburant… jusqu’à ce que l’itération touche à sa limite.
Il va de soi que le même effet peut a contrario mener au dessin d’un pachyderme en cas de modique surcharge au début de la conception.
Or deux éléments sont manifestement très réductibles dans les classiques monoplaces légers de petite puissance comme le Bébé Jodel. Ces deux éléments sont la voilure et le moteur. Attention : le caractère assez polyvalent et utilitaire de ces machines ne sera pas nécessairement conservé après ces réductions.
Sauf les racers, les monoplaces destinés à la construction amateur présentaient généralement comme le BB Jodel une charge au mètre carré nettement moindre que celle des avions de tourisme multiplaces. Cela se justifiait jadis par la faible puissance des moteurs souvent employés pour ces machines lors de leur conception dans les années 40 et 50 : le petit Jodel qui vole usuellement avec 40 ou 45 chevaux a commencé sa carrière avec 25. On tendait également autrefois à restreindre de façon générale les charges alaires, ce qui n’était pas nécessairement une mauvaise idée.
Un BB Jodel de 280 kg en charge avait besoin de ses 7,8 m² (36 kg/m²) s’il ne disposait que d’un Volkswagen 1100 de 26 chevaux. En perdant toutefois sur d’autres tableaux (longueur de piste, vitesse ascensionnelle, sécurité sur panne) il pourrait très bien se contenter de moins de 5 m² avec un plus gros VW de 45 chevaux : songeons qu’un Jodel triplace de 100 chevaux et 700 kg n’a que 14 m². Le prix de cette réduction de surface serait seulement de donner au BB la vitesse de décrochage d’un avion multiplace ordinaire de club.
Le BB gagnerait une quinzaine de kilos sur l’aile en la réduisant de 9 à 5 m² ; l’empennage horizontal serait plus petit et le fuselage un peu plus court (moindres déplacements sur la corde du centre de portance ; plus grande vitesse minimum avec petite aile, d’où efficacité suffisante d’une moindre surface d’empennage). Disons qu’il descendrait de 280 à 250/255 kg en charge ; plus léger et plus petit, il atteindrait dix ou douze km/h de plus. En taillant de tout côté on arrive au minuscule engin à moteur VW qu’est le KR-1. Noter que le BB caréné parfaitement dépasse les 200 km/h.
Mais pourquoi s’ennuyer avec un pesant moteur VW de 40 ch pour 80 kg ? Est-il possible de les réduire au chiffre rond encore d’un kg par cheval ? Supposons-le. Le moteur pèserait alors 40 kg au lieu de 80. Gain de 40 kg.
40 kg gagnés sur le moteur ne justifieront pas même le maintient de 5 m² de voilure. On la réduira encore, gagnant un peu de poids sur ce poste. L’empennage horizontal sera un peu moins grand aussi. Il apparaît que la puissance de 40 chevaux n’est plus nécessaire avec cette somme d’allègements. Un moteur moins puissant fera donc moins de 40 kg. L’aile en sera un peu plus réduite… On peut continuer jusqu’à ce que les gains successifs cumulés tendent tout de même vers une limite.
Cette limite représente couramment 2 à 3 fois le poids économisé au départ. Cette économie de départ était 40 kg sur le moteur qu’on a supposé allégé de 80 à 40 kg. On peut ainsi s’attendre en fin de compte à un avion allégé d’un quintal au décollage. C’est « l’effet boule de neige », qui joue aussi malheureusement en sens inverse quand un élément de l’avion est à la conception prévu plus lourd.
A défaut de savoir exactement ce que pèsera l’avion allégé, décrétons que nous allons pour finir lui donner 3 m² d’aile en estimant que cela tombera juste. Examinons le résultat : sur la base déjà adoptée d’une charge alaire de 60 kg/m², l’avion fera donc 180 kg au décollage. Déduction faite d’un pilote standard de 77 kg et de 25 litres d’essence, il reste 85 kg pour l’avion vide. Est-ce possible ?
Il ne reste qu’à trouver le moteur miracle, et le concepteur du Cri-Cri en ce début des années 70 ne le trouva pas. Il y substitua le système bimoteur qui fait beaucoup pour l’accueil psychologique du petit appareil, et lui donne bonne part de son originalité. Au plan plus pratique, cette formule telle que sur Cri-Cri permet de reculer un peu les moteurs et hélices, de réduire un peu l’effet de contre-girouette venu du bras de levier de tout ce qui est en avant du centre de gravité, diminuant par là même la longueur de fuselage nécessaire : la formule Cri-Cri est intrinsèquement ramassée.
Le bilan entre avantages et inconvénients de la motorisation double est malaisé. La double motorisation diminue le diamètre des hélices en comparaison d’une seule. Le train peut être plus court, et sa masse croît plus vite que sa hauteur. Le train est d’autant plus court que les axes des hélices sont remontés par le dièdre de leurs mâts. Il faut tenir compte en revanche du poids du système de tenue et suspension des deux moteurs, et de l’importance du double échappement (inexistant sur le prototype). Une hélice unique de plus grand diamètre devrait tourner plus lentement (vitesse de bout de pale), en sorte que le moteur pourrait en être plus lourd à puissance donnée. Les deux petites hélices ne tournent devant aucun obstacle ; tandis qu’une seule transmettant peu de puissance en tournant vite n’aura pas beaucoup plus de diamètre que le pilote de taille irréductible qui la suit.
La motorisation initiale du Cri-Cri de 2 fois 9 chevaux est pourtant bien faible pour 180 kg (10 kg/ch) pour une charge alaire de 60 kg. Le seul moyen de compenser cette faible motorisation est de donner de l’allongement. Les valeurs habituelles de 5 à 6 laissent place ici au chiffre 8 qui ne donnera pourtant pas une aile particulièrement lourde : la demi-envergure est si faible pour si peu de surface, que les moments fléchissants à l’emplanture seront dans l’absolu minimes.
La tôle commerciale de duralumin se vend en feuilles de 2 mètres. La légèreté exigée de l’aile suppose qu’on n’aboute pas deux feuilles : rivetage et autres pertes de poids. Il faut se débrouiller avec une seule feuille ! Un fuselage monoplace est large de 60 cm ; une feuille de chaque côté donne 4,60 mètres d’envergure ; on ajoute deux saumons de fibre…
Et cela suffit ! La corde d’une pareille aile ne dépasse guère 60 cm. Le fuselage y gagnera d’être nettement plus court et donc léger puisque le bras de levier de l’empennage peut être diminué : la faible corde d’aile ne cause que de faibles déplacements du centre de poussée selon la vitesse et l’incidence. Le fuselage est court aussi pour un autre motif : un regard sur la vue de profil montre comment une corde d’aile longue gêne beaucoup l’affinement du fuselage derrière le pilote, imposant alors un surcroît de longueur. Elle impose également un surcroît de hauteur puisqu’il faut loger en fuselage une hauteur de longeron plus forte.
Le fuselage étant court ne supporte que des efforts de flexion minimes ; il peut se réduire ici à une sorte de petit canoë, mais surplombé d’une énorme cloche de plexiglas. Il y a là une certaine audace d’aérodynamique. Le rédacteur de ces lignes, par exemple, n’aurait pas dessiné le Cri-Cri notamment parce qu’il n’aurait pas osé planter un mètre devant la dérive minuscule une cloche aussi haute qu’elle, évidemment bien plus épaisse, et de surcroît refermée derrière le pilote d’une façon assez abrupte. Il aurait pensé qu’il tentait le diable en cumulant tous les risques de masquer l’empennage vertical et de le noyer dans la turbulence. Il eût donc fait un fuselage bien plus long afin de « mieux » caréner la bulle et de « mieux » l’espacer de la dérive. L’optimisation aurait pris mauvaise tournure. Michel Colomban, lui, avait ses raisons de savoir que sa bulle de plexi proportionnellement énorme ne perturberait pas sa dérive et son gouvernail.
Ainsi voit-on que l’optimisation bien amorcée paraît comme par miracle se poursuivre presque toute seule, chaque élément de cette optimisation s’ « emboîtant » spontanément avec ses voisins. On en déduit qu’à l’inverse la désoptimisation d’un élément (un plus gros moteur, une plus grande surface exigée de voilure…) doit entamer le « désemboîtement » général en chaîne de toute chose : on retombera sur un avion ordinaire et banal pour avoir voulu changer un seul élément.
Il est également vraisemblable que ces raisons entraînent l’impraticabilité d’un Cri-Cri biplace, tant et si longtemps demandé au concepteur qui dessina en fin de compte le brillant Ban-Bi de formule résolument différente.
Car on ne dérive rien, rien d’optimisé surtout, de ce qui est optimisé !
N’oublions pas l’optimisation du prix du hangar : le Cri-Cri se monte/démonte en cinq minutes ; l’auteur a vu faire.
Tout le reste évidemment souffre de l’optimisation en taille et masse à vide. Le réservoir de mélange est petit par faute de place utilisable, car les besoins du centrage ne permettent pas de caser du carburant n’importe où. Or des moteurs à deux temps consomment notablement malgré leur puissance modérée. La place à l’intérieur manque pour tout, et le voyage n’est possible qu’avec l’inévitable et traditionnelle brosse à dents, ou guère davantage. Les roues minuscules n’aiment pas trop l’herbe. C’est un avion de grand plaisir local, peu adapté au long déplacement.
Quittons le Cri-Cri pour en revenir aux moteurs plus pesants. Nous introduirons la notion de « semi-optimisation » pour évoquer l’optimisation d’une cellule autour d’un moteur qui ne l’est pas.
Le Volkswagen est fort lourd et ne doit son succès auprès des amateurs qu’à son très bon marché doublé d’une sûreté de fonctionnement décente. Il est vrai qu’il n’avait guère de concurrents lors de ses premières décennies d’utilisation amateur. Optimiser un avion monoplace VW, réduire toutes les dimensions, la surface alaire, toutes les masses, multiplier les astuces de construction : on obtient quelque chose comme le Rand KR-1 ou les avions de course à VW 1600 du RSA, légers, réduits, petits, rapides, cellules optimisées autour d’un moteur très quelconque.
Nous regardons également l’avion quadriplace Cirrus à moteur Lycoming archi-classique comme l’optimisation d’une cellule autour d’un moteur excellent de fiabilité mais certainement pas optimisé en masse.
………………………..
69. TANK Ta 152H : COMPORTEMENT EN HAUTE ALTITUDE DUN CHASSEUR « ALLONGÉ » ; PROTOXYDE D’AZOTE ET INJECTION D’EAU
Il n’est pas de plus beau chasseur à hélice. Si cet avion n’est pas d’une esthétique sans défaut, car sa dérive déjà discutable est en déséquilibre avec un fuselage arrière malingre, le caractère découlant de son nez exceptionnel et surtout de l’allongement stupéfiant de sa voilure en font un être à part.
C’est par vocation un chasseur de haute altitude, prévu pour le cas où le B-29 aurait été employé sur l’Allemagne. Pour ce motif il combine deux moyens d’atteindre son plafond de 15000 mètres. L’un de ces moyens tient à son aérodynamique, l’autre à sa motorisation.
Il n’est pas nécessaire de monter à 15000 mètres pour rejoindre un B-29, mais voler nettement au-dessous de son plafond laisse des capacités de manoeuvre que l’on n’a plus en approchant du plafond.
La voilure montre un allongement de 9 tout à fait inhabituel pour un chasseur, ainsi qu’une charge alaire de guère plus de 200 kg au mètre carré comparés aux 250 kg/m² du F 190D « long nez » dont il dérive.
Si l’on ne fait que baisser la charge alaire comme ici dans un rapport de 5 à 4, on relève le plafond dans un rapport de densités de l’air ambiant de 1,16 : l’air au nouveau plafond peu ainsi n’avoir que (l’inverse) 86% de la densité de l’air à l’ancien plafond.
Si l’on ne fait que passer l’allongement à 9 depuis les 6 du « long nez », le calcul est plus complexe et plus sujet à nombre de paramètres imprécis. Disons qu’on réduit d’environ 30% la traînée de la voilure aux faibles vitesses indiquées, et de 15% celle de l’avion entier. Avec ces 15% de moins, la densité de l’air au nouveau plafond peut n’avoir alors que (si la puissance est maintenue en allant plus haut) que 76% de la densité au plafond ancien.
On voit que l’allongement est ici plus important que la baisse de charge alaire. La chose d’ailleurs est fréquente.
La combinaison de faible charge alaire et d’allongement élevé permet donc un nouveau plafond où la densité de l’air est de : 0,86 x 0,76 = 0,65 fois la densité à l’ancien plafond.
Partant du plafond de 12500 mètres du « long nez », on espère passer alors à 15000 mètres. Voir la table de la densité selon l’altitude.
Et c’est bien ce qui se passe : le plafond officiel est 14800 mètres. En réalité nos calculs supposent que la puissance motrice n’ait pas baissé de 12500 à 15000 mètres, ce qui n’est certainement pas le cas ; mais de larges marges d’imprécision sont à consentir.
Passons à la motorisation.
Le moteur du Ta-152H avec ses 1750 chevaux au niveau de la mer et ses 1320 chevaux à 10000 mètres n’offre rien de très remarquable quant à la conservation de la puissance en altitude malgré son compresseur à trois étages. Le turbocompresseur du P-47M fait mieux.
(Si la guerre avait duré quelques mois de plus et si les chasseurs à réaction n’étaient apparus, le Ta-152H aurait disposé de moteurs allant jusqu’à 2700 chevaux !)
L’avion dispose d’une batterie de deux dispositifs d’accroissement de puissance : le système MW 50 d’injection d’eau méthanolisée, et le dispositif GM 1 d’injection d’oxyde nitreux conservé liquéfié. Cette abondance de moyens tient pour une part à la disponibilité de moins bonnes essences que celles des Alliés : on ne pouvait se permettre comme en Amérique des pressions d’admission proches de 3 atmosphères.
Le dispositif MW 50 porte de 1750 à 2050 chevaux la puissance au niveau de la mer. La vitesse de pointe avec et sans ce dispositif est de 530 et 560 km/h, atteignant 580 avec le GM-1 en plus.
Le premier étage du compresseur cesse de rétablir à 2000 mètres ; la vitesse atteint alors 627 km/h.
Le second étage cesse de rétablir à 6750 mètres ; la vitesse atteint 698 km/h.
Le troisième étage cesse de rétablir à 9500 mètres ; la vitesse atteint 732 km/h. Ces vitesses s’entendent avec le MW50 en fonctionnement. Ensuite la vitesse descend pour n’être plus que 677 km/h à 12500 mètres. Le règne du GM-1 commence réellement à ces très hautes altitudes.
Précisons la fonction du MW50. Le principe de l’injection d’eau demande quelques commentaires car l’eau est connue pour être un mauvais carburant, en dépit des louables tentatives revenant de temps à autre de la part d’inventeurs dont l’imagination n’est bridée par aucune connaissance thermodynamique importune.
On n’injecte pas l’eau dans le cylindre mais en amont du compresseur. Le défaut de cet accessoire est d’échauffer l’air en même temps qu’il le comprime, avec ce résultat que la densité de l’air ainsi comprimé n’est pas accrue dans la même proportion que l’est sa pression. C’est pourquoi on interpose parfois entre compresseur et cylindres un radiateur refroidissant l’air comprimé, un « intercooler ». On admet donc aux cylindres un mélange gazeux moins lourd et dès lors moins chargé d’essence que si la compression n’échauffait pas l’air. L’injection d’eau immédiatement vaporisée par la température de l’air compressé abaisse alors l’échauffement de l’air puisque la chaleur de vaporisation de l’eau, à emprunter au milieu, est très élevée. Le compresseur peut alors comprimer davantage. On admettra alors aux cylindres un mélange explosif plus lourd, chargé de plus de carburant. D’autre part le méthanol est un bon antidétonant qui permet de laisser le compresseur travailler plus fort encore.
Le méthanol préserve également le mélange du gel en altitude.
On pourrait penser qu’avec tout cela la pression d’admission aux cylindres devient fabuleuse. Or il n’en est rien, et elle reste très en-deçà des pressions d’admission des moteurs alliés : l’essence allemande titrait une cinquantaine d’octane en moins.
Une fois l’altitude telle que le compresseur travaillant à fond n’assure plus la fourniture d’air aussi fortement comprimé qu’au-dessous de son altitude de rétablissement, le MW50 perd sa raison d’être. On va plutôt injecter dans l’air d’admission un supplément d’oxygène pour y brûler plus d’essence sans qu’il soit besoin de plus de pression à la sortie du compresseur. Cet oxygène est envoyé sous forme de de protoxyde d’azote N²O qui a l’avantage de rester liquide sous une pression modérée et de pouvoir ainsi être emporté en quantité importante dans un récipient pas trop lourd de taille raisonnable et d’épaisseur limitée. Il n’est donc pas nécessaire d’imaginer emporter de grandes bouteilles d’oxygène comprimé.
De plus le protoxyde d’azote est de formation endothermique : sa décomposition lors de l’explosion restitue la chaleur que sa formation avait absorbée.
Actionnons à son premier débit de N²O le GM1 à 11500 mètres : la vitesse maximum passe de 700 à 735 km/h. Elle baisse ensuite légèrement en montant à 12500 mètres où nous pousserons le GM1 à son second débit d’injection : la vitesse atteint 752 km/h. Elle retombe à 735 à 13500 mètres.
Comportement à haute altitude.
Le Ta 152H passait pour avoir en virage de combat serré à haute altitude le plus beau comportement jamais vu pour sa sorte d’appareils. Il faut entendre par là : possibilité à haute altitude de tourner sec sans décrocher ; possibilité de tourner sec sans perdre exagérément ou bien vitesse, ou bien hauteur ; vitesse ascensionnelle accrue.
Un avion à son plafond absolu n’a plus aucune possibilité de manœuvre : une seule vitesse possible, aucun virage. Tout mouvement des commandes fait perdre de la hauteur. Volons plus bas de cinq cents mètres : l’avion dispose d’une plage de vitesses sensible, car l’élargissement de cette plage n’est pas du tout linéaire en s’approchant ou s’éloignant du plafond. Le plus gros de l’élargissement est obtenu presque tout de suite sous le plafond ; deux mille mètres sous le plafond la plage des vitesses de vol possibles est quasi normale. Un avion capable d’un plafond supérieur de deux mille mètres à celui d’un autre (allongement et moteur adapté) demeure donc passablement maniable là où son concurrent plus classique n’est plus bon à rien.
Quelles que soient les capacités de manoeuvre restant à très haute altitude, le nombre de g que l’avion pourra y atteindre en virage dans l’air raréfié sera inférieur au facteur de charge qu’un chasseur normal peut atteindre (aux altitudes moindres) sans se briser. Si donc on spécialise à l’extrême le chasseur de très haute altitude en cantonnant son action à ces hautes altitudes, on pourrait même imaginer de le dessiner pour ne résister qu’à moins de g qu’un autre, et ainsi le faire un peu plus léger. Cela n’a cependant pas été fait sur le Ta 152H. Nous pensons que le YF-12 et le MiG-25/31 sont les seuls chasseurs calculés selon cette philosophie d’allègement structural.
……………………….
70. CURTISS P-40 : de L’INTÉRÊT OU NON DU PROFIL LAMINAIRE
Voilà que dans ces chapitres sur les avions inhabituels nous incluons le chasseur le plus banal qu’il est possible de rencontrer !
Un auteur réputé nous sert une longue monographie du Curtiss P-40 en expliquant que s’il n’a jamais été machine vraiment brillante, c’est qu’il lui manquait un profil laminaire pour devenir véritablement un grand chasseur. Analysons cette affirmation.
Le P-40 était muni d’une aile à profil NACA 2215 à l’emplanture (profil de 15% d’épaisseur relative de la série 22) diminuant en 2209 à l’extrémité (9%). Il s’agit de profils classiques mis au point vers 1930 pour les avions modernes du temps.
Les profils anciens type guerre de 14 étaient très minces et très creux à l’intrados. C’étaient là deux préjugés. La minceur était supposée nécessaire à une faible traînée, et le creux à une forte portance : comme un volet de courbure abaissé donne un surcroît de portance tout en conférant au profil un creux évident.
Malheureusement la grande minceur d’un profil interdisait d’y passer un longeron assez fort pour tenir les efforts du vol. On recourait alors le plus souvent au biplan : la forte distance entre deux ailes fortement liées par mâts et câbles remplace la hauteur des longerons internes, impossible à passer dans le profil mince. On faisait aussi des monoplans à aile très mince laidement haubanée dessus et dessous par câbles. Les profils creux donnent par ailleurs des ailes sujettes à de fortes torsions, d’où encore le volume de la voilure biplane bien liée pour leur résister efficacement.
On s’aperçut pourtant dès les dernières années de la guerre (Fokker, Junkers) que des profils épais sans creux portaient davantage en se vrillant moins. Le monoplan sans haubans pouvait naître.
On mit au point dans les années 20 et 30 foule de profils modernes variablement épais, dont les plus célèbres sont ceux du NACA. Le NACA 23012 de 1933 est probablement le profil le plus employé de toute l’histoire de l’aviation, jusqu’en URSS. Il est si bon que votre serviteur n’a pas craint d’en munir son propre aéroplane volant depuis 2002, adoptant ce vieux monsieur de 69 ans.
Revenons au P-40 à profil NACA 2215. Le coefficient de traînée minimum de ce profil, le fameux Cx, avoisine 0,0065. Il importe peu que nous n’ayons pas défini préalablement le Cx ; la valeur donnée est équivalente pour l’ensemble des profils modernes de cette époque.
On sait que le P-51 de North American fut en 1940 le premier chasseur muni d’une aile à profil laminaire, plus évolué. Un profil est dit laminaire lorsque l’écoulement de l’air à sa surface reste dépourvu de turbulence depuis le bord d’attaque jusque assez loin le long de la corde : 40 ou 50%. Il se met à turbuler ensuite. L’écoulement sur les profils classiques ne reste laminaire que sur un quart au mieux de leur corde.
L’effet de cet écoulement plus régulier sur les profils laminaires est de réduire leur Cx d’environ 0,0065 à quelques 0,0045. La traînée de forme d’une aile de même surface est réduite alors dans la même proportion, ici 30%.
Il reste à voir ce que la traînée de forme de l’aile représente dans la traînée totale de l’avion. Elle est souvent moindre que le reste des traînées de forme du reste de l’avion et de son radiateur. En outre la traînée induite de l’aile est absolument inchangée si le profil est modifié, passant de classique à laminaire ; elle ne dépend que de l’allongement. Il est vrai qu’à vitesse maximum la traînée induite est une fraction faible du bilan.
Considérons un P-40 possédant une aile de 22 mètres carrés à profil classique 2215/2209 (emplanture/extrémité). Il atteint 580 km/h à 4600 mètres où le moteur fournit 1150 chevaux. Des calculs que nous ne détaillerons pas déterminent dans ces conditions une traînée totale de 450 kg, dont 150 kg sur le poste de la traînée de forme de la voilure.
Réduisons-là de 30% pour l’abaisser à 105 kg en donnant par hypothèse au P-40 un profil laminaire. La traînée diminuée de 45 kg représente donc un gain de 10% sur le total de l’avion.
La loi qui fait croître la vitesse maximum à la racine cubique de la baisse de traînée, nous permet d’en déduire un accroissement de vitesse maximum de 19 km/h.
Le lecteur décidera s’il en aurait résulté un vraiment grand chasseur. Le Spitfire jusque dans ses dernières versions disposait d’un profil classique non laminaire. Ce n’est pas tout. Le Tank 152H, le plus rapide des chasseurs allemands monomoteurs à hélice, possédait un NACA 23015 à l’emplanture et un 23009 en bout.
……………………….
71. B-47 ET AVRO Vulcan : DEUX AVIONS DE MÊME DESTINATION MAIS DE MORPHOLOGIE TRES DIFFÉRENTE ; DIFFÉRENCES DE COMPORTEMENT EN VOL
Voici deux bombardiers très similaires en termes de masse totale et de rayon d’action. Ils sont en réalité très dissemblables en dépit de ce qu’ils pèsent tous deux 90 tonnes en charge et franchissent l’un et l’autre un peu plus de 6000 km d’un coup d’aile. Cette ressemblance justifie qu’on se penche sur ce qui les rend très différents malgré toutes leurs similitudes.
Leur vitesse en palier est à peu près la même puisque la nettement plus forte poussée du Vulcan ne l’empêche pas de rester subsonique du fait de sa formule aérodynamique à aile épaisse ; l’un et l’autre volent à mach 0,9.
Tout change en matière de vitesse ascensionnelle et surtout de plafond. Le Vulcan est donné pour 20000 mètres tandis que le Boeing ne dépasse guère 12000. Le Boeing tient l’air encore dans un fluide quatre fois moins dense qu’au niveau de la mer, mais le Vulcan en fait autant dans une atmosphère 14 fois plus ténue qu’à zéro mètre.
Voici les chiffres du Vulcan : 246 kg/m² pour 90,7 tonnes et une aile vaste de 368 m². C’est une charge alaire faible pour un appareil de ce tonnage ; elle donne au niveau de la mer une vitesse minimum voisine de 190 km/h. A 20000 mètres dans un air 14 fois moins dense, on multiplie par racine de 14 et trouve une vitesse de décrochage de 710 km/h ou mach 0,66. L’avion peut donc croiser à mach 0,8 ou 0,9 sans frôler les ennuis.
Pour le B-47E : 89,9 tonnes et 132 m² de voilure ; une charge de 681 kg/m² donnant une vitesse de décrochage sans volets (le Vulcan en delta n’en a pas) de 320 km/h au niveau de la mer. Elle passe à 640 km/h à 12000 mètres, le double. Elle serait de 1200 km/h à 20000 mètres, chiffre supersonique et impossible. Sa seule charge alaire maintient donc le Boeing aux altitudes « basses », indépendamment des autres facteurs comme finesse et poussée disponible.
Ses 16 tonnes de poussée procurent au B-47 un rapport de poussée de 0,18. Les 36 tonnes de poussée du Vulcan lui donnent un rapport de 0,40, plus que double de celui du Boeing. Quoique le Vulcan puisse se sustenter dans l’air de densité 1/14, il ne pourrait s’y maintenir avec la poussée modeste du Boeing : de ses 16 tonnes de poussée à zéro mètre ne resterait presque rien à 20000 mètres. Les 36 tonnes du Vulcan au niveau de la mer lui laissent au contraire à 20000 mètres un résidu de poussée suffisant.
On peut s’étonner pour le Vulcan qu’une machine ayant besoin de rayon d’action ait une aile de si peu d’allongement. Pourtant sa finesse est à peine moindre que celle du B-47 ; en outre la moindre consommation spécifique des double flux du Vulcan compense aisément. Nous avons déjà vu pourquoi l’allongement ne doit pas dissimuler le rôle de l’envergure sur la finesse : les deux machines pour un poids comparable des envergures voisines. Ils présentent dès lors malgré une forte différence d’allongement des finesses semblables, ce qui est une application pratique de nos chapitres sur la traînée induite.
Nous pensons par ailleurs que la vitesse de décrochage de 640 km/h à 12000 mètres du B-47 est encore sous-estimée. Cet appareil qui peut croiser encore à 300 km/h de plus, ne dispose probablement pas en haute altitude d’une telle plage de vitesses utilisable. Il est connu pour son phénomène de « coffin corner » déjà mentionné pour l’U-2 : une grande difficulté de pilotage entre le décrochage et le dépassement du mach limite, trop rapprochés.
……………………….
72. Mirage IV ET A3J Vigilante : DES JUMEAUX HÉTÉROZYGOTES
Voilà deux bombardiers légers mach 2 de morphologie aussi différente qu’il est possible, alors que leurs caractéristiques semblent avoir été déterminées par le même homme. Premiers vols en juin 1957 (Mirage) et août 1958.
Le bombardier mach 2 français est léger parce que nos moyens l’étaient aussi. Le bombardier mach 2 étasunien est léger parce qu’il devait être embarqué sur porte-avions.
La masse à vide du Mirage est 14,5 tonnes et celle du Vigilante 17 tonnes.
Le carburant interne du Mirage est de 10,6 tonnes, celui du Vigilante 10,2 ou 10,8 tonnes selon sources. Les 2 bidons externes du Mirage contiennent 4 tonnes et les 4 bidons du Vigilante, 5 tonnes.
La surface alaire du Mirage est 78 m² contre 70 au Vigilante ; les deux sont excessives…
Celle du Vigilante est exagérée et pénalisatrice en pénétration à basse altitude, parce qu’on a voulu l’avion catapultable à masse maximum depuis un porte-avions à l’arrêt par vent nul et temps chaud. Or ce sont des conditions exceptionnelles. La surface alaire du Mirage est excessive parce que Dassault voulut faire un delta, ce qui rend impraticable l’hypersustentation ; ainsi que pour autoriser par une faible charge alaire la pénétration à très haute altitude ; mais cette forme d’attaque devait rapidement laisser place à celle en vol rasant où l’avion avec sa grande aile n’excelle dès lors plus autant.
On pourrait avec tout cela s’attendre à une distance franchissable à peu près égale. Celle du Vigilante en convoyage l’emporte en fait de 20% sur celle du Mirage, avec 4800 km contre 4000 : ses réacteurs ont une consommation spécifique sans PC moindre dans la même proportion. Les deux valeurs sont 0,86 kg/kgp/h face à 1,05.
Nous finirons ce tour du propriétaire des deux frères jumeaux en rappelant aux lecteurs de Buck Danny que la scène de Alerte atomique où l’on voit s’ouvrir les trappes de soute à bombe du Vigilante est une scène téméraire : il n’y eut jamais de trappes. La bombe était censée expulsée en arrière, glissant par une ouverture dégagée entre les deux tuyères.
Les deux avions sont bisoniques, mais je ne disserterai pas sur leur vitesse maximum : un Mirage IV n’a pas de vitesse maximum bien définie. La température d’arrêt à laquelle l’aluminium se défait de ses belles qualités mécaniques limite en principe la fougue du pilote, alors que les réacteurs ne demandent qu’à mieux faire.
La température au sol se répercute sur celle de l’altitude : la vitesse correspondant à la température limite du métal variera selon le jour et l’heure ; la vitesse maximum changera aussi.
……………………….
73. BLACKBURN Buccaneer / CESSNA Cardinal : PHYSIQUE DU SOUFFLAGE
On connaît le premier de ces deux avions, optimisé pour l’assaut lointain en vol rasant. Sa charge alaire très élevée est l’un des éléments de cette optimisation. Or le pont des porte-avions de sa Gracieuse Majesté n’a pas la longueur de ceux du pays de Buck Danny.
C’est pourquoi le Buccaneer est muni d’un système de soufflage sur l’extrados de sa voilure, ainsi que sur l’intrados de son empennage. Ce dispositif complexe, son principe et son fonctionnement ont fait dans la presse aéronautique l’objet de diverses descriptions dont certaines sont si confuses que l’auteur souhaite ici mettre de l’ordre dans ces embrouillaminis sur papier glacé.
La portance est due pour sa plus grande part à la vitesse à laquelle s’écoule le fluide ambiant sur l’extrados arrondi de l’aile, comme le montre l’expérience domestique de la cuiller sous le robinet (vide supra). Il « suffit » d’accroître la vitesse d’écoulement naturel de l’air sur l’extrados pour que l’aile soutienne l’avion à vitesse encore inférieure au chiffre auquel l’avion décrocherait en vol purement « naturel ».
On prend les grands moyens : de l’air comprimé est prélevé sur les compresseurs des réacteurs, puis acheminé par des tubulures tout du long des bords d’attaque. Là, de fines fentes horizontales, toujours tout du long, l’envoient au ras des tôles recouvrir d’avant en arrière l’extrados d’une mince nappe d’air très véloce. Ainsi alimentée en air plus rapide que le vent seul de la vitesse de l’avion, l’aile « croit » voler plus vite qu’elle ne fait réellement. Elle porte davantage ; ou plutôt elle porte autant, mais à vitesse réelle moindre.
Le soufflage n’est pas appliqué à l’intrados : la fraction minoritaire de portance donnée par l’intrados étant donnée par surpression et non par dépression, il n’est pas question d’y accélérer l’air pour y créer une dépression ou une moindre surpression.
Le Buccaneer grâce au soufflage de sa voilure abaisse sa vitesse d’appontage d’au moins quinze noeuds.
Il reste à examiner la raison du soufflage de l’empennage horizontal, appliqué précisément ici sous l’intrados.
La portance s’applique au centre de portance, situé à vitesse lente vers le tiers avant d’une aile ; mais le centre de portance tend à reculer fortement lorsque sont abaissés les volets. Le centre de gravité de son côté n’a aucun motif à se déplacer. Le centre de portance passant alors franchement en arrière du centre de gravité, ce dernier tend à faire piquer l’avion. Il faut alors équilibrer ce moment piqueur au moyen de l’empennage, qui, de loin, doit pousser vers le bas la queue de l’appareil.
L’empennage pour donner cette déportance, ou effort de portance dirigé vers le bas, doit comme toute voilure combiner une surface et une vitesse suffisantes. On le braque pour cela bord de fuite vers le haut. Or la vitesse a notablement diminué du fait du soufflage de l’aile. On pourrait compenser par un agrandissement inhabituel de l’empennage, mais en lui donnant alors des dimensions et un poids prohibitifs. On agit plutôt sur lui comme sur l’aile, en lui amenant aussi de l’air de soufflage ; ainsi peut-il demeurer de petite taille.
Cependant le soufflage cette fois concerne l’intrados, puisque la fonction d’équilibrage du plan de profondeur nécessite une portance à l’envers, dirigée vers la mer.
Il est très possible aussi qu’une autre raison réclame le soufflage de l’empennage. Une hypersustentation très puissante dévie vers le bas avec tant d’énergie l’air qui contourne l’aile, qu’elle peut placer l’empennage dans une situation de mauvaise alimentation en air.
On voit aussi que les réacteurs doivent durant l’approche continuer à tourner à bon régime pour donner leur débit d’air comprimé. Une panne à ce moment laisse la voilure en déficit de portance à vitesse inférieure à ce qui serait nécessaire sans soufflage : la chute est assurée.
Le lecteur se demande ce que le quadriplace léger Cardinal vient ici faire. Sur cet avion à aile haute on a voulu bien dégager les vues en projetant le pilote aussi vers l’avant que possible, bien plus que sur les autres Cessna. Le résultat est bon, mais en contrepartie de cette avancée de l’équipage, du moteur et du centre de gravité par rapport à l’aile, il faut un empennage horizontal capable de fortement déporte, fortement porter à l’envers. Aussi voit-on sur cet empennage une chose très peu banale : une belle fente de bord d’attaque à l’envers, moyen statique simple de « soufflage » de l’intrados.
……………………….
74. Mirage IV : ANALYSE DU RÈLE DU RAVITAILLEMENT EN VOL
La force de frappe à ses débuts a essuyé des critiques d’à peu près partout. Les réactions hostiles d’ordre politique sont légitimes ; celles qui reposent sur des ignorances techniques le sont moins. Analysons l’une d’elles.
Nous voulons parler de la faiblesse majeure de notre bombardier atomique : le rayon d’action. Nous parlons du rayon d’action parce que la distance franchissable est très accessoire : l’équipage revient en France s’il peut, et s’il peut seulement. Le ravitaillement en vol était indispensable à l’aller comme au retour, mais celui du retour dans une France vitrifiée par les représailles restait illusoire. Nous employâmes l’avion ravitailleur du Strategic Air Command, le Boeing 707 transformé en la citerne volante subsonique KC-135. Nous n’en acquîmes cependant que douze contre les centaines employés aux Etats-Unis ; on doit constater l’esprit marchand hautement pratique du pays qui nous les vendit volontiers tout en blâmant vertement nos velléités atomiques autonomes.
On a donc tenu le raisonnement suivant dans la presse du temps :
« Le Mirage IV à la faible autonomie est incapable de remplir sa mission, car son ravitaillement en vol est impraticable. Se fera-t-il au-dessus du territoire contrôlé par l’ennemi ? Les deux avions ainsi accouplés sont particulièrement vulnérables ; c’est mission suicide. Se fera-t-il au-dessus des territoires amis ? Il est alors inutile ; si bien que tout le système basé sur ce bombardier aux griffes terriblement courtes est surtout fait pour notre satisfaction morale… »
Voilà un raisonnement imparable en apparence. Attachons-nous à le mettre en pièces.
Les bases de Mirage IV sont où elles sont ; les avions en cas de guerre ne sont pas basés juste derrière le front, reculant avec lui jusqu’à la décision de leur emploi. La distance entre la base et le front peut représenter mille kilomètres sur lesquels il n’y a rien d’absurde à ravitailler.
Par ailleurs le Mirage n’attaquera pas l’URSS en ligne droite depuis ici en survolant tout du long le théâtre continental des opérations surchargé d’ennemis. Il le contournera plutôt en passant par les régions scandinaves ou méditerranéennes ; l’avion ravitailleur prendra le risque acceptable de s’y risquer aussi. Le plein complet sera refait juste avant l’assaut final, et en un point plus éloigné de Paris que la ligne de front (s’il y en a encore une à ce moment-là).
Voyons après ces considérations géographiques, les motifs techniques.
Le ravitaillement a lieu en altitude moyenne et haut subsonique. Atteindre une dizaine de mille mètres et mach 0,9 depuis le décollage consomme un carburant très supérieur à ce qu’exige une fois en croisière le parcours de la même distance horizontale. Le ravitaillement répare ainsi l’investissement en énergie cinétique (passer de l’arrêt à mach 0,9) et potentielle (monter trente tonnes à dix mille mètres).
Le décollage en charge aidé par une batterie de JATO souligne la poussée modérée des réacteurs. Il n’est pas certain, sauf à disposer de tous les éléments techniques sur l’avion, que pour décoller à masse tout à fait maximum il aura toujours et par toute température les moyens d’atteindre sa vitesse d’envol sur des pistes de longueur réaliste. C’est une autre raison de ravitailler en vol pour compléter le plein.
Se pose enfin la question plus subtile du centrage. Le Mirage IV est bourré de carburant dans ses moindres recoins ; or il n’existe aucune raison a priori pour que remplir de pétrole chaque centimètre cube intérieur donne un équilibrage aérodynamique correct de la machine. L’avion (c’est encore affaire d’en savoir exactement les caractéristiques) n’est donc pas nécessairement décollable avec tout son pétrole possible à bord : le décollage se fait à vitesse « faible » où sa gouverne de profondeur ne peut pas nécessairement équilibrer le possible décentrage dû au remplissage complet de pétrole. Il peut en revanche en aller autrement une fois lancé en vol rapide, où les gouvernes peuvent travailler davantage, au prix temporaire naturellement d’une forte traînée.
Il serait complètement exclu d’atterrir et plus généralement de voler à basse vitesse en fort décentrage. Il n’en va pas de même en vol rapide où l’efficacité des gouvernes permet ce qu’elle ne permet plus à basse vitesse : tenir la machine en ligne de vol en dépit d’une forte instabilité naturelle. Attention ! Nous n’affirmons pas que le Mirage IV est décentré lorsque tous ses volumes intérieurs sont remplis de pétrole ; nous n’en savons rien ; nous observons seulement qu’il s’agit d’une hypothèse plausible dont nous explorons les conséquences.
……………………….
75. RÉFLEXION A POSTERIORI SUR LES AVIONS RENÉ LEDUC
Nous venons de revoir la superbe série télévisée de Daniel Costelle sur l’histoire de l’aviation, tournée dans les années 1970. Un mélancolique épisode en est l’abandon un peu avant 1960 des extraordinaires avions expérimentaux à statoréacteur de René Leduc.
Tragique abandon, comme celui du Griffon de même formule ? Le document attribue à René Leduc une opinion bien tranchée sur les officiels qui décidèrent l’arrêt de ses essais : « Dans la vie, les microbes finissent toujours par gagner ».
La formule est aussi belle qu’elle est hautaine ; faut-il l’accepter vraiment sans nuance ?
René Leduc préconisait déjà le statoréacteur au milieu des années 1930. Il avait l’idée d’en munir pour le mener à 900 km/h, un chasseur à hélice à propulsion mixte dont le moteur classique assurerait le décollage et la croisière économique.
C’est que le stato alors était certainement possible à construire, tandis que les premiers et bien faibles turboréacteurs ne purent être faits qu’un peu plus tard. L’avion rapide, si on l’avait construit alors, ne disposait pas du choix : il lui fallait nécessairement un statoréacteur.
Vinrent l’après-guerre, les années 1950 et les turboréacteurs de forte poussée. Leduc travaillait toujours sur le statoréacteur, mais ce moteur avait une rude concurrence dans le turbo : décollage autonome ; consommation bien plus modérée au moins en subsonique ; pas d’extinction à faible vitesse.
Le stato dès lors n’avait plus que l’intérêt du domaine de vol où il excelle et bat le turbo : le mach multiple à haute altitude. Un avion aussi spécialisé a-t-il un intérêt militaire ? Poser la question est y répondre.
Nous connaissons pourtant une exception. Le J58 du SR-71 est agencé en combiné turbo/stato comme furent nos glorieux Griffon et Leduc 022, quoique d’architecture motrice différente. Très spécialisé, le SR-71 n’est concevable que dans une aviation de nation très riche.
Des raisons analogues condamnaient le Trident. Ce magnifique appareil peu cher ne devait sa vitesse bisonique qu’à sa batterie de fusées, seul moyen à l’époque de la conception du Trident de lui donner assez de poussée. Hélas ! La consommation démentielle des fusées le réduisait strictement au rôle d’intercepteur exclusif, avion de nation riche encore.
A peine le Trident volait-il, que la fusée vorace n’avait plus de supériorité suffisante sur les réacteurs puissants apparus pendant ce temps. Leur consommation dix fois moindre avec PC, cinquante fois moindre à sec, permettait de motoriser des chasseurs cette fois polyvalents, les seuls qui eurent un avenir.
………………………..
76. FAIRCHILD A-10 : BALISTIQUE DES OBUS EN URANIUM
Cette machine parfaitement optimisée dans son rôle de destructeur de chars soviétiques sous le plafond bas et dans le relief boisé de l’Allemagne de l’Ouest, est remarquable par son faux « retour en arrière » en matière de vitesse : voilà un biréacteur apparu au milieu des années 70 qu’on aurait vingt ans plus tôt jugé scandaleux : faire une aile archaïque droite, longue, épaisse, au lieu d’un coupe-papier moderne en forte flèche, court et effilé ! Sacrifier des centaines de km/h au prétexte d’efficacité, pour virer court entre deux vallons encaissés afin d’aligner avec efficacité dans son viseur un char ennemi … au lieu d’être capable d’à peine l’apercevoir aux commandes d’un engin ultra-performant…!
Nous avons promis de vous présenter les avantages des obus en uranium qui équipent en option le canon antichar de 30 mm du A-10. L’uranium est un métal de l’apparence de l’acier, mais sa densité de 18 (contre 8 pour l’acier) rend singulièrement plus massifs les objets où il remplace le fer. Un obus fait en uranium est ainsi d’un poids considérable malgré son petit calibre. L’uranium soumis à un traitement métallurgique approprié acquiert les qualités mécaniques d’un très bon acier. Il s’agit naturellement de l’uranium appauvri, c’est-à-dire débarrassé de son isotope 235 seul utile à la fission nucléaire. L’uranium appauvri est presque un déchet industriel ; sa valeur est faible.
On suppose que l’obus d’acier ou l’obus d’uranium ont même vitesse initiale en sortie de l’arme, ce qui est à peu près vrai. Qu’arrive-t-il ensuite ?
L’obus lourd ayant même forme que l’obus léger subit de l’air ambiant le même freinage aérodynamique. Or étant lourd et allant à même vitesse, il emporte beaucoup plus d’énergie cinétique : son freinage par l’air est plus lent ; il conserve à chaque distance de la bouche une vitesse résiduelle plus forte. L’impact est ainsi plus violent, indépendamment même de la plus forte masse du projectile.
Le tir à distance donnée est plus précis avec une correction de hauteur moindre : le temps de trajet du projectile étant plus bref, la flèche de la trajectoire est moindre. Or on a vu en Irak atteindre un char depuis trois kilomètres de distance et trois kilomètres d’altitude.
Qui doute de l’importance du freinage aérodynamique sur petit obus peut se rappeler que la portée dans le vide d’un projectile partant à 1000 m/s est de 100 kilomètres ; sa portée maximum réelle dans l’air n’atteint même pas 10 km pour un calibre de 30 mm. Au bout de 500 mètres un obus de calibre 25 mm parti à 800 m/s est déjà ralenti à 650 m/s (source : Camille Rougeron, l’aviation de bombardement), soit 150 m/s perdus en 2/3 de seconde. Cela fait de la part de l’air un freinage voisin de 22 ou 23 g : la traînée du projectile vaut 22 ou 23 fois son poids.
Une fois le projectile en uranium commençant à pénétrer un blindage d’acier, l’échauffement dû au choc fond l’acier et l’uranium avec une certaine aisance. En effet le mélange des deux métaux fond à température plus basse que chacun des deux métaux isolément : le gros du projectile glisse en quelque sorte au sein de l’alliage liquide comme un suppositoire dans la glycérine. Il perfore donc épais pour son calibre.
L’uranium pulvérisé en millions de gouttelettes pénètre dans le char. C’est un métal pyrophorique à la façon du magnésium ; il flambe tout aussi bien dans l’oxygène de l’air intérieur du char, mettant le feu aux munitions et faisant sauter la tourelle.
Il faut bien être un écologiste obtus pour discuter ces étonnants avantages !
………………………..
77. LES AVIONS MODERNES ET LAIDS : RÉFLEXIONS SUR LA FADEUR DE L’OPTIMISATION CONTEMPORAINE
Avez-vous remarqué comment au terme de près d’un siècle de beaux avions, nous en croisons de plus en plus souvent de surprenants sur le plan de l’esthétique ? Que pensez-vous du chasseur F-35 et du monomoteur d’affaires Extra 400 ? Assurément les Britanniques ont depuis fort longtemps conçu en faveur de l’efficacité de nombreuses machines à la grâce très discutable ; le Spitfire lui-même devient pataud au sol sur son train déployé ; les capots avec filtre tropical le défigurent franchement. Mais l’Angleterre aujourd’hui a de sérieux rivaux partout.
Les ingénieurs ont vite compris dès les années 1920 que le gain de performances dû à un dessin soigné des lignes de leurs créations valait qu’on se donne souvent la peine de manier le pistolet plus que la règle droite, et d’usiner des pièces complexes au lieu d’éléments diversement rectangulaires.
On n’en finirait plus d’énumérer les chefs d’œuvre esthétiques parmi les avions les plus performants, du monomoteur léger au quadriréacteur élégant. Conformément à ce que nous souffle l’intuition, le dessin le plus harmonieux a très souvent été à l’origine des plus belles vitesses : « les beaux avions volent bien ».
Nous vivons cependant désormais à l’ère de l’optimisation universelle. Cette obsession pathologique de la perfection vaut à notre époque des règles morales invivables, des contraintes ravageuses, des millions d’emploi dépourvus du moindre intérêt, aussi bien que la disparition du caractère des choses. Ainsi par exemple le caractère d’une motocyclette provient-il d’un ensemble de défauts objectifs ; la moto parfaitement linéaire dans ses comportements et dans son bruit d’aspirateur est d’une brillante fadeur. Les pièces de monnaie frappées au XIXème siècle par des coins d’acier médiocre étaient drapées d’un somptueux moiré satiné (le « velours de frappe »), parce que sous les chocs répétés l’acier médiocre se fissurait sur toute sa surface à l’échelle du micron ; le progrès nous donna des aciers parfaitement durs qui ne frappent plus que des monnaies renvoyant le soleil comme des miroirs. La maison neuve dépourvue de coins et recoins inutiles et biscornus ne laissera aucun souvenir d’enfance magique et attendri. Ses vitres de verre flotté rigoureusement plan ne valent rien en regard des carreaux anciens de verre soufflé, dont les ondulations déforment poétiquement le reflet du passage des nuages, et le balancement des arbres.
La perfection n’est qu’ennui.
L’optimisation n’aboutit par définition qu’à des monotypes. Il est à souhaiter qu’elle survienne le plus tard possible puisqu’elle élimine toute satisfaction artisanale et individuelle : l’avion de course dessiné par ordinateur est de toute façon insurpassable. Un hasard heureux fait que le coursier Nemesis se trouve par exception être beau.
Le temps donc est passé, où l’ingénieur galbant d’un œil d’esthète des lignes harmonieuses, s’y retrouvait en termes d’aérodynamisme. S’il s’avère possible de grignoter encore deux pour cent de finesse en tordant les lignes au mépris du coup d’œil, on les tordra. Nous avons cité en début de chapitre le F-35 et l’Extra 400, deux machines à l’esthétique vraiment étonnante, mais on observe dans l’ensemble de la production la multiplication des appareils diversement bulbeux, dotés de boursouflures et de variations brutales de formes et de lignes. L’amateur de beaux objets ne s’y retrouve pas plus que l’amateur de vieilles pierres n’est heureux d’habiter une maison optimisée pour la récupération d’énergie solaire et d’eau de pluie. Une époque est derrière nous, parce que de l’assemblée des citoyens naît une sourde volonté fataliste, une vision collective du bien et du profitable, qui n’est pas celle des individualités qui la composent.
……………………….
78. LES JOYEUSETÉS DU TRADUCTEUR D’ANGLAIS AÉRONAUTIQUE
Comme tant d’autres livres étrangers à caractère technique, les romans d’aviation écrits en anglais et traduits donnent une forme particulière de plaisir au lecteur : l’amusement devant la traduction de la terminologie technique. Nous limiterons ici le plaisir à quelques remarques sur la traduction française d’une célèbre Troisième Guerre mondiale en mille pages.
La traduction excelle véritablement dans le rendu littéraire des dialogues et de l’action. Elle s’est attaché l’assistance d’un sous-marinier pour donner en français la terminologie technique correcte à propos de la grosse part de guerre sous-marine contenue dans ce gros livre. Mais pour l’aéronautique ?
– Le Crusader et le Backfire sont équipés de fusées arrière qu’ils allument lorsque nous autres jugerions à propos d’allumer la PC.
– Une pilote de convoyage (ferry pilot) menant des F-15 des Etats-Unis en Europe enrage de tenir ce rôle de pilote de ferry-boat.
– Un F-15 aux ailes nues n’a plus pour seule arme de bord que son « chargement complet de vingt mike-mike ». Le traducteur a le droit d’améliorer la compréhension du lecteur par des notes de bas de page. On pouvait préciser ici qu’il s’agit du canon fixe de 20 mm.
– « l’aileron de queue ».
– Une expression comme « the pilot handled his controls » le pilote manipula ses commandes est en effet traduite ainsi… mais sans à propos. Il ne fallait tout simplement pas traduire. Cela ne se dit pas. « le pilote vira, plongea… », etc.
– « Les F-18 étaient de notoriété publique à court de carburant » au bout d’un bref temps de combat. Rien de moins que la notoriété publique acquise en quelques minutes à l’autre bout du monde ! Notoriously short of fuel ne veut pas dire que les avions étaient de notoriété publique à court de carburant, mais que le F-18 est connu pour son emport de pétrole trop restreint.
Finissons néanmoins par l’une des plus « belles » réussites de la traduction d’anglais, celle du livret de la série Osprey consacré aux premiers Spitfire, bataille d’Angleterre incluse.
Nous vous livrons en vrac parmi d’autres curiosités : « le dépôt supérieur de combustible » (réservoir de fuselage) ; la « guerre étrangère » (la Drôle de Guerre) ; un « feu de dérive » (un tir sous déflexion, et non pas un feu de signalisation sur l’empennage vertical) ; « le canal de la Manche » (la Manche…) ; « coupole de voûte » (verrière) ; une « baisse du niveau des prestations » (gare aux mouvements sociaux) ; « l’altitude de plus grande accélération » (altitude de rétablissement) ; « augmenter la puissance maximale de 2,2 à 4,4 kg » (?) ; « la puissance d’émergence » (d’urgence ? « emergency ») ; « Hispano-Suisse » (Hispano-Suiza) ; « la frette de l’hélice » (?) ; « réfrigération » (refroidissement) ; « puissance d’ascension » (vitesse ascensionnelle) ; « Spitfire à longue portée » ; « réservoir jetable » (largable) ; « vol de basse cote » (mystère complet) ; et enfin « l’hélice en bois taillé » des premiers Spit. L’hélicier a donc pensé à élaguer l’arbre, ainsi qu’à donner un profil aux pales plutôt que boulonner directement le tronc sur l’avion.
Encore une pour la route ! Voici dans un Fana de l’Aviation la photo d’un Lisounov-2 (DC-3) au-dessus du relief avec cette légende : « Le plafond du Li-2 lui permettait de franchir les monts Oural ».
Ou le légendeur ne se fait aucune idée sérieuse du plafond d’un genre d’avion, ou il oublie que l’Oural n’est guère plus haut que les Vosges.
……………………….
79. RÉCRÉATION PHYSICO-MATHÉMATIQUE (simple)
Distrayons-nous à un exercice d’équations aux dimensions, au sujet de la consommation spécifique d’un réacteur. Elle s’exprime en kilogrammes de pétrole par kilogramme de poussée et par heure, où nous voyons deux unités non conformes à l’homogénéité des formules. Il faut remplacer par le newton le kilogramme de poussée, unité de force ; et par la seconde l’unité de temps qu’est l’heure.
La consommation spécifique s’exprime donc en kilogrammes par newton et par seconde, abrégé en kg/N/s ou kg/N.s ; la force est de la forme M.L.T^-2, en sorte que le kg/N.s est de la forme :
M.M^-1.L^-1.T^2.T^-1
Elle se simplifie sous la forme : T.L^-1, c’est-à-dire en secondes par mètre.
Secondes par mètre est l’inverse de mètres par seconde : une consommation spécifique est ainsi l’inverse d’une vitesse. Nous laissons au lecteur la charge de rechercher le sens profond de cette remarque.
………………………..
80. CORRESPONDANCE ENTRE UNITÉS MÉTRIQUES ET ANGLAISES
Commençons pas observer que le nœud (kt) et le mille nautique ou mille marin ne sont pas des unités spécifiquement anglaises malgré l’abréviation généralisée « kt » pour knot. Le nœud est la vitesse d’un vaisseau parcourant à l’heure une minute d’arc de grand cercle terrestre. Un grand cercle faisant 40000 kilomètres et comportant 360 degrés de 60 minutes, la minute d’arc représente 1852 mètres. Le nœud vaut donc 1,852 km/h. Abréviation du mille nautique : « nm » dans les publications anglophones ; opinions variées dans les textes français.
On appelle également nœud la longueur d’un arc d’une seconde de grand cercle, soit 32 mètres. Une vitesse d’un nœud fait parcourir 32 mètres par minute.
Ainsi le nœud vaut-il presque 2 km/h et environ 0,5 mètre/ seconde.
Les dimensions
Le pied ne vaut nullement 1/3 de mètre (pourquoi en irait-il ainsi ?) malgré les nombreuses apparitions de ce type de conversion dans la plus célèbre des bandes dessinées d’aviation. Le pied vaut 0,3048 mètre.
1 pied (foot, feet, ft) = 12 pouces = 30,48 cm
1 pouce (inch, in) = 25,4 mm
1 yard = 3 ft = 0,915 m
1 mille terrestre ou statute mile = 5280 ft (pourquoi pas !) = 1609 mètres.
Calibre .3 (0,3 pouce) = 7,62 mm ; calibre .303 = 7,7 mm ; calibre .5 = 12,7 mm.
Vitesse : mille terrestre à l’heure (mile per hour, mph) = 1,609 km/h.
Vitesse ascensionnelle : pied par minute (ft/mn). Par un caprice des chiffres, 1000 ft/mn = 5 m/s à 2% près, et 2000 ft/mn = 10 m/s. Ces valeurs rondes figurent sur les cadrans des variomètres ; voir vos simulateurs.
Surface : le pied carré (square foot, sq.ft ) = 0,0929 mètre carré. 1 m² = 10,76 sq.ft.
Poids : 1 livre (pound ; abréviation lb, du latin libra) = 453,6 grammes. 1 kg = 2,204 lbs.
D’où en chiffres ronds : 1 tonne vaut 2200 livres, 5 tonnes 5500 livres, etc.
Volume : 1 gallon anglais (imperial) = 4,54 litres. La similitude avec la valeur numérique de la livre (453,6) permet d’écrire : 1000 litres = 220 gallons, etc., ou bien 200 gallons = 900 litres.
Le gallon étasunien vaut 3,78 litres.
On ne saura jamais combien d’avions se sont abîmés dans les océans parce que le navigateur tout à ses soucis conjugaux a confondu statute mille et mille nautique, gallon anglais ou non ! Voir The High and the Mighty.
100 km/h = 62 mph = 54 kt = 27,8 m/s
200 / 132 / 108 / 55,5
300 186 162 83
400 249 216 111
500 311 270 139
600 373 324 167
700 435 378 194
800 497 432 222
900 559 486 250
_____________________________
100 mph = 161 km/h ; 100 kt = 185 km/h
200 322 ; 200 370
300 483 ; 300 555
400 644 ; 400 741
500 805 ; 500 926
600 966 ; 600 1111
700 1127 ; 700 1296
800 1288 ; 800 1482
900 1448 ; 900 1667
mach 1 à 0 m = 1223 km/h = 760 mph = 660 kt
mach 1 à 11 000 m et au dessus :
1063 km/h = 660 mph = 574 kt
(diminution linéaire entre le sol et 11 000 m).
1000 ft = 305 m ; 6000 ft = 1829 m
2000 610 ; 7000 2134
3000 915 ; 8000 2414
4000 1220 ; 9000 2743
5000 1524
Pour la lecture rapide des altitudes en pieds traduites des valeurs métriques (avions allemands, français, etc., décrits dans les publications anglaises) :
1000 m = 3 280 ft ; 6000 m = 19 685 ft
2000 6 560 ; 7000 22 965
3000 9 840 ; 8000 26 250
4000 13 120 ; 9000 29 525
5000 16 400 ; 10 000 32 800
11 000 36 090
……………………….
81 APPENDICE (APPLICATION) : QUESTIONS / RÉPONSES
Plusieurs problèmes excèdent le niveau atteint en principe par le lecteur.
Il convient de se méfier de celles des questions dont les réponses paraissent connues.
Réponses après la dernière question. Il est conseillé de ne pas s’y rendre avant d’avoir tenté de répondre à tout, parce que cherchant une réponse on lira certainement sans le vouloir les réponses courtes à d’autres questions. Ou bien, faire lire les réponses par quelqu’un d’autre.
QUESTIONS
1. Vous vous trouvez dans l’obligation vitale de prendre le risque de décoller d’un terrain de longueur vraiment faible. Au-delà des deux bouts de piste, un immense plan d’eau calme. Vous allégez l’appareil au maximum, attendez la fraîcheur de l’aube, etc. La disposition des lieux interdit les artifices tels que commencer d’accélérer hors piste, pour prendre votre vitesse en décrivant un « L ». Quel braquage des volets choisissez-vous ? Pourquoi ?
2. Le fondateur d’Aviasport se nommait Raymond Sirretta. Avez-vous déjà lu son patronyme dans un miroir ?
3. Le chasseur Zéro s’appelle Zéro parce que :
a) L’avion est appelé autrement au Japon, Zero étant est un sobriquet officieux méprisant donné par les Américains avant qu’ils comprennent ce qu’ils avaient face à eux (le surnom officiel en code du Pacifique étant selon versions « Hamp » ou « Zeke »)
b) L’avion s’appelle Zéro au Japon ; le zéro, mot du pays, étant une variété d’aigle propre à l’archipel nippon. Le nombre « zéro » en japonais se dit autrement.
c) Une autre raison.
4. Toutes choses égales par ailleurs, dont la surface alaire et le poids, un allongement différent change-t-il la vitesse ascensionnelle ? Justifiez votre réponse.
5. Outre la baisse de puissance du moteur en altitude, quel autre facteur contribue (toutes choses égales par ailleurs) à limiter le plafond absolu ? (on écarte la discussion sur le rendement de l’hélice, qui peut avoir très légèrement changé).
6. Définissez convenablement (sinon académiquement) le rendement de l’hélice.
Il s’agit seulement d’apprécier si le lecteur en comprend le sens, ou bien ne le perçoit que de façon brumeuse (constatation fréquente).
7. Faut-il prononcer « Djim Bède » ou « Djim Bidi » ?
8. Le centre de gravité d’un avion volant ailes parallèles au sol et ventre tourné vers le sol, suit une trajectoire ascendante qui présente à l’instant t un angle de 15 degrés sur l’horizontale. La voilure est calée à + 3 degrés sur le fuselage et le pilote voit le fuselage cabré de + 2 degrés par rapport à l’horizontale. Que ressent le pilote à l’instant t ?
9. Un avion filant à grande vitesse en palier très au-dessous de son plafond, réduit soudain complètement les gaz et grimpe ainsi en chandelle verticale jusqu’à vitesse nulle. Il emporte en soute une charge notable. A-t-il intérêt à la larguer au préalable, ou à un autre moment particulier, s’il veut atteindre toujours sans moteur la plus haute altitude possible ? On suppose le temps d’ouverture de la soute sans effet sur la traînée.
10. Tandis que les riches Américains pensèrent durant la guerre manquer de duralumin et inventèrent quelques machines militaires en bois (planeurs d’assaut, XP-77, bimoteur école Curtiss), les Allemands cernés de tous côtés, soumis au plus sévère blocus, ne manquèrent jamais de dural. Pourquoi ?
11. Un avion à train fixe disposant d’une longueur de piste plate illimitée décolle pour s’attaquer au record du monde de distance. Il présente les braquages de volets : 10, 20 et 40 degrés, et bien entendu zéro. Lequel choisit-il ?
13. Pourquoi tant de biplans parmi les avions du début du XXème siècle ?
14. Puisque l’avion qui décroche plonge sous l’entraînement du poids considérable de son moteur, les avions à moteur propulsif plongent certainement de la queue au décrochage. Ils doivent en devenir irrécupérables sans doute, car les ailes et les empennages fonctionnent bien mal en marche arrière. De telles machines semblent donc inquiétantes. Donnez votre avis.
15 Approchant du sommet d’une boucle (en positif) serrée, le pilote serre un peu plus et décroche dynamiquement juste au sommet. A quoi ressemble la trajectoire du centre de gravité dans les premiers instants qui suivent ?
16. On enseigne qu’une aile est sustentée aux trois quarts (environ) par la dépression d’extrados et au quart par la surpression d’intrados. Expliquez pourquoi cet article de foi est fort discutable.
17. Un Mirage III croise en rase-mottes. Le pilote tire sèchement sur le manche. Qu’a-t-il de bonnes chances d’arriver ?
18. Pourquoi l’effet propulsif des gaz d’échappement du même gros moteur à pistons est-il très intéressant sur un chasseur et très peu sur un gros transport poussif ? en supposant bien entendu le même pot d’échappement ?
19. Une balle de ping-pong bien frappée mais dirigée en l’air commence par aller sensiblement droit à grande vitesse, puis tombe brusquement sous l’effet d’un freinage intense qui brise sa trajectoire au mépris des phénomènes balistiques ordinaires ; la courbe décrite ne ressemble plus du tout à une parabole même amortie par l’air. Pourquoi ? (il n’est pas nécessaire d’envisager un « effet » sur la balle).
20. Est-il statistiquement plus dangereux pour la vie de voler en avion léger ou en ULM ?
21. Un rédacteur d’un mensuel d’aéronautique légère s’enthousiasme d’avoir exhumé les documents relatifs à l’aéronef motorisé le plus simplissime des années cinquante : un hélicoptère monoplace sans roues ni carrosserie dont le rotor absolument libre, dispensé d’anticouple, est entraîné par la réaction de tuyères en bouts de pales. Dans ces tuyères, de l’eau oxygénée pure (hors de prix, et qui dans une baignoire dissout son homme avec ses cuirs en deux minutes ; accident survenu dans la cabine d’un Me 163 dont les réservoirs fuyaient) se décompose toute seule en vapeur crachée à grande vitesse.
La consommation vertigineuse limite à peu de minutes l’autonomie ; mais ne peut-on espérer des progrès techniques abaissant la consommation à des valeurs acceptables ?
22. Citez un aéronef français capable de voler sur la lune dépourvue d’air.
23. Après le vol dans les années 80 d’un avion solaire à photopiles (sans accumulateur) de Pontoise à Londres, un journaliste déclarait : « Voici 80 ans les frères Wright volaient moins bien que cet engin-là ; donc, dans 80 ans ou avant, des Jumbo solaires franchiront les océans comme un 747 aujourd’hui ».
Donnez votre opinion argumentée.
24. Un pigeon d’un tiers de kilogramme plane en perdant un mètre d’altitude par seconde. Quelle puissance lui faudrait-il pour tenir le palier à la même incidence en supposant qu’elle agisse à travers un propulseur de rendement 0,75 ?
25. Quelle preuve les passagers d’un vol de nuit dans les nuages ont-ils que le pilote n’a pas fait un looping durant le voyage ?
26. Après un vol qui s’est en dépit du danger avéré sans combat, un B-52H en panne de carburant et planant sans moteur à finesse maximum va manquer de dix mètres le seuil de piste. Les terroristes (les ennemis des Américains) ont miné le terrain en avant du seuil, démonté les cartouches des sièges et coincé les écoutilles. Tout est rentré, train compris, quitte à atterrir sur le ventre. Vous avez le pilote à la radio ; que lui suggérez-vous ? (On suppose que vous êtes du côté de la démocratie.)
27. Combien de g peut tenir en virage soutenu sans perdre d’altitude un chasseur de 2000 chevaux qui en exige un minimum de 300 pour tenir l’air en palier normal sous 1g ?
28. La finesse maximum en plané d’un avion ne varie pas avec les changements de poids de l’appareil : si la finesse est 10, l’avion perd 100 m par kilomètre même si l’on double son poids.
En virage à 60° d’inclinaison l’avion « pèse » aussi deux fois son poids ; le résultat est en tout cas le même pour l’aile qui doit également donner le double de portance ; la vitesse de décrochage est dans les deux cas multipliée par racine de 2.
Si le virage est en plané, la finesse maximum reste-t-elle aussi la même ? (la distance parcourue étant alors mesurée le long de la courbe)
Note à l’intention des puristes : la finesse est le rapport portance/traînée dans tous les cas. Elle n’est le rapport distance franchie/hauteur perdue que si le vol est « normal » en ligne droite, sans facteur de charge. C’est donc de manière abusive, quoique commode, que nous parlons encore de finesse pour définir l’angle de plané sous facteur de charge.
29. Un avion en panne de moteur doit faire demi-tour en vol plané. Il ne s’agit évidemment pas d’un demi-tour sur panne après décollage, manœuvre à rejeter dans presque tous les cas ; mais notre avion doit cependant faire un demi-tour (pour ne pas tomber sur une ville, par exemple) tout en perdant le moins de hauteur possible dans la manœuvre.
Est-il plus intéressant de virer à faible inclinaison avec faibles facteur de charge et traînée, mais long trajet, ou bien de virer avec forte inclinaison, facteur de charge et traînée élevés mais trajet court ?
30. Il faut davantage de portance pour monter que pour demeurer en palier, et davantage pour demeurer en palier que pour descendre. Commentez cette observation de simple bon sens.
31. Quel appareil vole constamment au-dessus de son plafond absolu ?
32. Certains porte-avions remplacent la catapulte par le relèvement en forme de tremplin de l’extrémité du pont d’envol. Cela suggère qu’une piste en montée facilite l’envol. Qu’en pensez-vous ?
33. Complétez l’aphorisme : « L’altitude au-dessus de lui et la piste derrière lui sont… »
RÉPONSES
1. Vous n’êtes pas tombé dans le piège de la réponse irréfléchie : « Je décolle avec un cran : c’est la plus efficace manière de décoller, puisqu’on m’a toujours enseigné à faire ainsi ».
Vous braquez les volets au maximum parce qu’ils donnent alors la plus faible vitesse minimale de sustentation, laquelle est atteinte avec le minimum de roulage.
Une fois en l’air, l’avion montera bien plus poussivement que s’il n’avait qu’un cran de volets ; mais aucun obstacle n’est devant. Il fallait donc bien braquer les volets au maximum.
Il arrive, rarement, que les volets possèdent un dernier cran auquel ils portent moins qu’à l’avant-dernier. Ils sont alors simplement de meilleurs aérofreins ; dans le cas qui nous intéresse on se limitera donc à l’avant-dernier cran.
3. Réponse : c). L’avion remonte à l’année 1937 qui est l’année 2600 du calendrier nippon. On a donc adopté le principe fréquent qui consiste à nommer une arme selon son année de création : MAS 36, AA 52…
Zéro ne se disant pas zéro en japonais, l’avion est appelé autrement dans son pays.
4. La vitesse ascensionnelle est proportionnelle à l’excédent de puissance. L’excédent de puissance est la différence entre la puissance maximum du moteur et le minimum de chevaux indispensables à tout juste tenir l’air sans monter ni descendre. L’allongement accru diminuant la traînée, surtout au faible badin de montée, réduit d’autant la puissance minimale nécessaire à simplement tenir le palier ; l’excédent de puissance est donc accru d’autant : la vitesse ascensionnelle à poids égal augmente donc (un peu).
5. Le plafond est atteint lorsque la baisse de puissance du moteur dans l’air raréfié réduit à zéro l’excédent de puissance. L’excédent de puissance est ce qui dépasse le minimum nécessaire à tenir l’air en palier à la vitesse où cette puissance nécessaire est la plus faible. Cette vitesse est celle que nous avons déjà souvent citée pour valoir 120% de la vitesse de décrochage.
En altitude dans un air moins dense, la polaire de l’appareil est décalée (et dilatée) en bloc vers des vitesses réelles plus élevées (mais aux mêmes badins). La traînée de l’avion à sa vitesse de puissance minimum n’est ainsi pas accrue, mais la vitesse correspondante l’est. La puissance requise pour tirer un avion étant égale au produit de sa traînée (restée la même) par sa vitesse réelle (accrue) s’est donc accrue. L’avion ayant ainsi en altitude besoin de plus de chevaux qu’au niveau de la mer pour simplement tenir le palier, son excédent de puissance diminue plus vite avec l’altitude qu’il ne diminuerait seulement par la baisse de puissance du moteur. Deux facteurs défavorables concourent ainsi à limiter le plafond. La perte de puissance du moteur est cependant de loin le facteur principal.
6. Le calcul aérodynamique détermine pour chaque cas de vol quelle puissance est nécessaire. Le moteur en pratique doit donner davantage : au contraire d’une roue qui transmet à peu près tout le mouvement, l’hélice en dissipe une part sous forme d’énergie injectée dans l’air qu’elle refoule ; cette part demeure sans effet sur les besoins de l’avion.
Le rendement de l’hélice est égal au rapport sans dimension de la puissance qu’elle restitue utilement, sur la puissance que lui fournit le moteur au même moment. Une hélice à pas fixe adaptée à la croisière rapide aura un rendement voisin de 80% en croisière et de 55 à 60% à la meilleure vitesse de montée.
7. L’aviateur anglophone dira naturellement « Bidi » en considérant un peu narquoisement le plouc prononçant « Bède ». Or « Bède » est légitime puisque francisé depuis longtemps. Il s’agit d’un célèbre érudit anglais, le moine Bede, ayant vécu au 8ème siècle. On le nomme en français : Bède le Vénérable. Les deux prononciations sont donc permises.
8. La corde de référence de l’aile est cabrée à 2 + 3 = 5 degrés sur l’horizontale. L’avion dans son entier monte à 15 degrés. La voilure est manifestement frappée d’un vent relatif qui « tombe » sur son extrados avec un angle de 15 – 5 = 10 degrés vers le bas. Il est en facteur de charge négatif malgré l’apparence de vol sur le ventre. Le pilote ressent un facteur de charge négatif, la tête aspirée vers le ciel.
9. Si l’avion tirait sa chandelle dans le vide, il n’y aurait absolument aucune différence : l’avion d’une part et sa charge d’autre part, même liés, peuvent être regardés comme montant chacun de son côté. Dans l’air, l’avion montant à la verticale (portance nulle) rencontre à l’évidence une traînée identique dans le cas où il emporte sa charge à l’intérieur et dans le cas où elle a été expulsée. S’il largue sa charge, la même traînée le ralentira plus vite puisqu’il sera plus léger ; il disposera de moins de masse, et donc à même vitesse de moins d’énergie cinétique à dépenser pour lutter contre la traînée. L’avion a intérêt à ne pas larguer sa charge interne.
10. La chasse et la flak faisaient pleuvoir tous les jours le dural sur l’Allemagne.
11. Il n’en choisit aucun. Décollant pour un record de distance, il est chargé autant que le rend possible la puissance disponible. Le décollage sera très tangent. Tout braquage de volet entraîne un besoin de puissance plus grand pour tenir l’air, ce qui réduit le poids soulevable. On rappelle avoir précisé que la piste est longue autant qu’on veut.
13. Par préjugé apparemment, on avait très peu travaillé sur les profils épais avant les années 1920. Les innombrables biplans de cette époque ont pratiquement tous des ailes très minces. Un tel profil ne peut recevoir un longeron suffisamment haut pour prendre les efforts de flexion jusqu’à l’emplanture, non plus que les efforts de torsion importants sur ces ailes creuses. La poutre formée par les deux plans raidis par une collection de mâts et de câbles supporte au contraire ces efforts avec facilité, à tel point que la voilure biplane est au total plus légère.
14. Lourd moteur ou légères ailes, tout dans le vide tombe au même rythme. Si le vide se faisait à l’instant où l’avion décroche après avoir été amené très lentement à son assiette de décrochage, il s’enfoncerait dans la posture où il a décroché. Au décrochage la portance ne tombe pas à rien, puisqu’en disparaît seulement la (majeure) part donnée par l’extrados. La petite part donnée par l’intrados subsiste, mais il se trouve qu’elle s’applique plus en arrière sur l’aile que la part d’extrados. Ce qui reste de portance s’exerce donc plus loin en arrière que ne s’exerçait la totalité avant le décrochage ; il se crée de la sorte par rapport au centre de gravité un moment piqueur ; il fait basculer en avant le nez d’un avion qui se trouvait correctement équilibré avant le décrochage. Que le moteur soit ici où là ne change rien à cette explication purement aérodynamique. Les avions propulsifs font abattée comme les autres.
15. Il n’est pas question de raconter que l’avion choit du sommet pour aller fermer le « D » dont la première moitié de la boucle avait formé le côté arrondi.
Plus de portance ! Or ici la portance, toute positive qu’elle soit, est dirigée vers le centre de la boucle, donc vers le bas. Elle fait office de force centripète. La force centripète effacée, l’avion prend la tangente. Le début de sa trajectoire est balistique, bout de parabole presque horizontal, pilote en apesanteur tête en bas (nous négligeons ici la subsistance au décrochage d’une fraction minoritaire de portance à l’intrados).
16. Il s’agit d’une confusion entre la répartition des pressions, et son effet mécanique. Un vide relatif règne sur l’extrados : cela fait ventouse ; mais qu’est-ce que faire ventouse ? Si l’on pense que c’est une « aspiration », on est dupé par une apparence : effet d’un vide partiel, l’aspiration, n’est qu’une apparence : le vide est incapable de produire aucun effet mécanique ni de porter quoi que ce soit, car le néant ne fait rien. La surpression d’intrados au contraire porte physiquement bel et bien ; elle porte tout. Elle n’est peut-être égale qu’au quart de la charge alaire, mais l’atmosphère de l’autre côté a réduit la force avec laquelle elle presse l’extrados vers le bas…
17. La gouverne de profondeur du delta braquée vers le haut agit sur tout le bord de fuite en volet négatif. La portance un bref instant baisse d’abord considérablement, et l’appareil est envoyé par terre.
18. Prenons un exemple réel puisé dans la littérature : le moteur Nakajima « Homare » de 1600 chevaux à 6000 mètres s’y voit donner par ses échappements une poussée additionnelle de 68 kg de poussée.
Supposons ce moteur monté sur un chasseur capable de 720 km/h ou 200 m/s. Admettons un rendement de l’hélice de 80% ; elle restitue utilement 1600 x 0,8 = 1280 chevaux ou 942000 watts. La traction est alors : 942000 W/ 200 m/s = 4710 newtons ou 480 kg de poussée.
Il s’y ajoutent les 68 kg de poussée de l’échappement. C’est un supplément qui entre pour 12,4% dans la somme des deux. Sa perte se traduirait par une chute de vitesse de l’ordre de 4% ou 28 km/h.
Montons à présent le même moteur sur un transport lent volant au tiers de la vitesse précédente, soit 240 km/h. Le même nombre de chevaux permettra à une hélice adaptée à la nouvelle vitesse de donner cette fois une traction de 1440 kg, devant quoi la poussée d’échappement de 68 kg ne représente plus grand-chose.
19. Selon son nombre de Reynolds, c’est-à-dire selon sa vitesse, une même sphère possède deux Cx différents malgré sa forme inchangée. Ils dépendent de ce que l’écoulement se décolle avant ou après le maître-couple. Le vol rapide de la balle correspond au meilleur Cx et sa vitesse lente après freinage aérodynamique, au Cx au contraire le plus fort. La transition se produit après un certain commencement de ralentissement. La transition entre les deux branches diversement freinées de la trajectoire n’est naturellement visible que sur une sphère de très faible densité.
20. On se tue un peu moins en ULM à l’heure de vol (1), mais on perd en avion une moins grande proportion de pilotes entre le premier janvier et le 31 décembre. Cela vient de ce que le pilote-type vole en avion trois à quatre fois moins en moyenne que s’il fait de l’ULM. Assurer la sécurité aérienne en s’abstenant de voler : une idée d’avenir parfaitement conforme aux conceptions sécuritaires, administratives, judiciaires et écologiques de notre belle société.
Comme quoi l’hyperréglementation « avion » comparée à la réglementation ultra-légère des ULM n’est pas inutile en dépit de son apparente impuissance à restreindre le danger à emploi égal : elle sauve des vies à travers son coût répercuté sur celui, dissuasif, des heures de vol.
(1) Les chiffres sont voisins et susceptibles de fluctuer considérablement d’un an sur l’autre du fait du petit nombre absolu d’événements concernés.
21. Il n’existe aucun espoir de voir l’énergie donnée par la dissociation de l’eau oxygénée croître en fonction de nos désirs. Le rendement de la tuyère qui la transforme en énergie cinétique, donc en vitesse des gaz échappés, n’a pas grand-chose à gagner quels que soient les progrès fort marginaux à espérer de l’aérodynamique intérieure des tuyères. La traînée de profil des pales diminuera peu et ne représente qu’une fraction faible de leur traînée totale. Le reste est constitué de leur traînée induite, qui ne peut être abaissée quand il s’agit de fournir une sustentation donnée. Bref, l’hélicoptère en question restera l’exercice de style qu’il est depuis cinquante ans.
22. Le Sud-Aviation « Ludion » qui a volé en 1968, engin monoplace ADAV sustenté quelques dizaines de secondes par fusées.
On peut ajouter hors de France la ceinture-fusée de Bell. L’engin lunaire LEM en revanche n’a la poussée que pour léviter sur la lune, mais non sur la Terre de pesanteur sextuple.
23. L’argumentaire du journaliste est un exemple typique d’irréflexion. L’avion Wright a volé dès que la technique a permis l’envol d’un avion à pétrole. L’avion solaire a volé dès que la technique a permis l’envol d’un avion solaire : la technique minimum permettant de faire voler un avion solaire est celle de 1980, non de 1900 : c’est donc la même que celle du Jumbo.
Existe-t-il encore pour l’avion à pétrole un potentiel de perfectionnement (aérodynamique, rendement propulsif, matériaux…) capable de faire du Jumbo de demain en comparaison de l’actuel, ce qu’est le 747 actuel en comparaison du biplan Wright ? Certainement pas ! Le Jumbo solaire n’a donc aucune raison d’exister un jour parce qu’un philosophe s’est bercé d’illusions sans fondement.
Techniquement, on notera qu’un avion tapissé de photopiles convertissant 100% de la lumière reçue en électricité, ne disposera jamais de plus d’un kW par mètre carré tapissé : ce chiffre est celui de la puissance du rayonnement solaire. On a fait voler à 70 km/h un monoplace dérivé des machines de vol musculaire avec deux ou trois chevaux (rendement des photopiles voisin de 10 %, ou cent watts au mètre carré tapissé) ; or un avion de ligne en croisière réclame pour voler une petite centaine de kW au mètre carré de voilure.
La montée est encore autrement exigeante en puissance.
24. Un poids de 75 kg descendant d’un mètre par seconde produit (si par exemple il entraîne un arbre au moyen d’un câble passant sur une poulie) une puissance valant un cheval par définition. Un pigeon qui descend à cette vitesse et pèse le 1/225ème de 75 kg (1/3 de kg) dissipe ainsi en remuant l’air une puissance de 1/225ème de cheval. Avec un propulseur de rendement 0,75 un pigeon mécanique aurait besoin pour tenir le palier sans monter d’un moteur de 1/225ème de cheval divisé par 0,75, soit 1/169ème de cheval ou encore 4,35 watts.
25. Aucune.
26. Vous lui conseillez de faire tirer le canon de queue. Il fonctionnera douze secondes en fournissant environ une tonne de poussée : débit de masse multiplié par vitesse initiale des obus. L’avion fait dans les 90 tonnes et 20 de finesse : sa traînée vaut donc 4,5 tonnes. Une tonne de poussée relèvera la finesse apparente à 90/(4,5 – 1) = 26.
27. A forme et surface alaire égales, donc en considérant un avion extérieurement inchangé, la puissance minimum nécessaire à tenir le vol croît à l’exposant 3/2 du poids de l’appareil. Il importe peu que ce poids soit réel ou apparent, dû au facteur de charge. Le rapport de 2000/300 vaut 6,67. Ce chiffre est la puissance 3/2 de 3,54. Le chasseur peut soutenir jusqu’à épuisement du combustible ou du pilote un virage permanent sous 3,54 g.
28. Non : la finesse maximum au long du virage est divisée par le facteur de charge. (1)
Considérons le cas du virage incliné de 60° où le poids apparent vaut deux fois le poids réel.
Un planeur dont on double le poids réel conserve sa finesse. Sa traînée (à incidence égale) est doublée, mais la pesanteur en faisant descendre son poids double fournit un travail double, qui compense la traînée double.
Il n’en va pas de même lorsque le doublement du poids n’est pas réel mais seulement apparent : la pesanteur n’a pas plus de poids réel à faire descendre, ne produit pas deux fois plus de travail, et ne compense pas la traînée accrue. La finesse max le long du virage incliné de 60° est moitié de la finesse max du catalogue.
(1) Attention : nous entendons ici finesse comme le rapport de la distance franchie sur la hauteur perdue (en anglais « glide ratio ») et non comme le rapport portance/traînée (anglais : L/D ou lift/drag ratio), qui ici n’aura pas changé.
29. Le problème est complexe ; c’est le plus ardu du questionnaire.
A l’extrême, une inclinaison suffisamment faible entraîne une longueur de virage en plané excédant nécessairement ce que permet la finesse avant qu’on touche terre. Est-ce à dire qu’il faille a contrario virer très incliné ? Ou bien la fonction passe-t-elle par un extremum pour une inclinaison donnée ? La réponse est qu’elle y passe, pour l’inclinaison 45°. C’est l’inclinaison qui fait perdre le moins de hauteur en virage plané. A noter qu’à 10°, 20°, etc., d’inclinaison, on perd la même hauteur qu’à 80°, 70°, etc.
Si la réponse peut sembler simple, sa démonstration ne l’est pas. Le résultat est ici donné sans preuve.
30. Elle est commune, mais risible. Sans doute faut-il un petit surcroît de portance pour le temps très court mis à passer du palier à la pente de montée ; c’est-à-dire qu’il faut une force momentanée pour accélérer l’avion, au sens de la question n°3 : faire varier non la vitesse au compteur, mais faire varier sa direction. Cependant, une fois l’avion installé sur sa pente de montée, ce petit surcroît peut disparaître. Examinons donc la situation une fois la pente de montée devenue constante :
La portance est par définition perpendiculaire à l’aile. Supposons un avion dont l’hélice tire assez fort pour le faire grimper à 45°. Le poids est équilibré par la composition géométrique de deux forces égales et chacune inclinée à 45 degrés de la verticale : la portance et la traction d’hélice. Un dessin montre que dans ce cas chacune de ces deux forces doit simplement valoir 71 % du poids (la traction de l’hélice doit en fait être majorée de la valeur de la traînée). Allons à l’extrême : en montée verticale soutenue, le poids est équilibré par la seule traction. Il suffit en montée verticale d’une portance nulle ; il faut aux angles de montée intermédiaires une portance moindre qu’en palier.
C’est ainsi qu’en montée, la portance est généralement moindre qu’en palier.
En descente, la même inclinaison de la portance sur la verticale fait qu’elle est cette fois encore inférieure au poids, certes… mais le complément est assuré par la composante verticale de la traînée, si bien que l’avion reste encore soutenu par une force résultante égale à son poids. Que la portance ici soit inférieure au poids découle d’une tout autre raison que la vision candide exprimée dans la proposition analysée : ce n’est pas à cause d’une portance inférieure au poids que l’avion descend.
31. Le planeur.
32. Réellement rencontrée en effet, cette opinion est inepte, conformément à la première impression qui est ici la bonne. L’avion sur une piste en montée consomme une part de puissance à se hisser en restant au sol, et donc accélère moins vite pour atteindre sa vitesse d’envol. La comparaison avec le tremplin du porte-avions est inappropriée.
Le tremplin incliné d’environ 30° du porte-avions n’est qu’au bout de la piste plane d’accélération sans catapulte. L’avion parvenu au bout du navire n’a pas atteint sa vitesse minimale de sustentation, et devrait depuis un pont plat normal tomber à l’eau. Le tremplin projette en l’air un appareil encore insuffisamment sustenté ; il lui communique ainsi une composante verticale de vitesse. L’avion-projectile dispose ainsi d’un répit de quelques secondes pour continuer d’accélérer sous la poussée de ses moteurs.
(Si l’angle terminal du tremplin vaut 30°, la vitesse verticale est la moitié de la vitesse de l’avion. Le pilote subit plusieurs g dans la transition plat/bout du tremplin.)
33. « …les deux choses au monde les plus inutiles à un pilote »
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
.
-
Bonjour tout le monde !
Bienvenue dans WordPress ! Ceci est votre premier article. Modifiez-le ou supprimez-le, et lancez votre blog.